La pharmacovigilance des antibiotiques - Antibiotics post

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H A R M A C O V I G I L A N C E
La pharmacovigilance des antibiotiques
Antibiotics post-marketing safety surveillance
● E. Polard*
RÉSUMÉ. Les antibiotiques ont généralement un rapport bénéfice/risque favorable. Cependant, comme tout médicament, ils peuvent être responsables d’effets indésirables graves dont certains n’émergent qu’après la mise sur le marché. Il est donc indispensable de suivre leur sécurité d’emploi lors de leur utilisation en pratique courante.
Les bêtalactamines posent le problème des réactions d’hypersensibilité immédiate possiblement croisées entre toutes les molécules de la classe.
Les fluoroquinolones sont responsables d’effets sur les tendons, la peau, la fonction cardiaque. Les macrolides se distinguent par leur potentiel cardiotoxique et les interactions médicamenteuses. Les tétracyclines sont impliquées dans la survenue de syndromes d’hypersensibilité et
d’ulcérations œsophagiennes.
Ces données de pharmacovigilance permettent aux autorités de santé de prendre les mesures réglementaires nécessaires au maintien d’un rapport bénéfice/risque positif.
Mots-clés : Pharmacovigilance - Sécurité d’emploi - Bêtalactamines - Fluoroquinolones - Macrolides - Cyclines.
ABSTRACT. Antibiotics usually have positive benefit-risk ratio. However, severe adverse drug reactions (ADR) can occur, generally in postmarketing situation. The survey of antibiotic safety in clinical practice is conducted by the pharmacovigilance system. Beta-lactams account
for most drug-induced anaphylactic reactions. Tendinitis, phototoxicity and cardiotoxicity are reported with fluoroquinolones. Macrolides are
associated with cardiotoxicity and drug interactions. ADR are reported with cyclines. The safety data can lead health authorities to take regulatory measures to keep a positive benefit-risk ratio.
Keywords : Post-marketing surveillance - Safety - Beta-lactams - Fluoroquinolones - Macrolides - Cyclines.
es essais cliniques de développement (phases I à
III), pour les antibiotiques comme pour tout autre
produit, ont comme objectif principal de mettre en
évidence l’efficacité des molécules. Le nombre de patients
inclus dans ces essais est, en effet, trop faible et les durées de
suivi sont en général trop courtes pour pouvoir détecter des
effets indésirables rares et/ou retardés. De même, les comorbidités et les coprescriptions, facteurs favorisant l’émergence des
effets indésirables, sont rarement prises en compte dans ces
essais. Après l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un antibiotique, les prescripteurs craignent plus
l’apparition de souches mutantes résistantes à l’antibiotique
que les problèmes de toxicité. Cependant, de nombreux antibiotiques, en particulier des fluoroquinolones, ont été retirés du
marché ces dernières années à la suite d’une survenue d’effets
indésirables rares ou exceptionnels, mais pouvant mettre en jeu
le pronostic vital des patients (1).
L
Il est donc indispensable de suivre la sécurité d’emploi des antibiotiques ayant obtenu une AMM lors de leur utilisation en pratique courante. C’est le rôle de la pharmacovigilance que de
rassembler les notifications d’effets indésirables attribuables au
médicament, permettant ainsi de générer un signal et de mettre en
évidence des facteurs de risque. Ces données de post-AMM
peuvent conduire à modifier le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et, si le rapport bénéfice/ risque du médicament n’est
plus favorable, peuvent entraîner jusqu’à la suspension ou le
retrait de la molécule du marché par les autorités de santé.
Cet article a pour objet de faire un point sur la pharmacovigilance des antibiotiques au travers d’exemples choisis dans
quatre classes largement prescrites que sont les bêtalactamines, les fluoroquinolones, les macrolides et les cyclines.
BÊTALACTAMINES (tableau I)
* Centre régional de pharmacovigilance, service de pharmacologie, hôpital de
Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex.
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Les réactions allergiques médicamenteuses sont décrites principalement pour les antibiotiques, au premier rang desquels se
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trouvent les bêtalactamines (2-4). Pour ces molécules, disponibles en thérapeutique depuis de nombreuses années, sont
classiquement décrits deux types d’événements : des éruptions maculopapuleuses ou morbilliformes sans critère de
gravité, et de plus rares réactions anaphylactiques pouvant
mettre en jeu le pronostic vital.
Tableau I. Principaux effets indésirables décrits avec les classes
antibiotiques évoquées.
Classe antibiotique
Bêtalactamines
✓ pénicillines
✓ céphalosporines
Fluoroquinolones
Macrolides
Kétolides
Tétracyclines
✓ minocycline
✓ doxycycline
Effets indésirables
Réactions d’hypersensibilité immédiate
possiblement croisées
Maladie pseudo-sérique
antibiotiques (1, 2, 4). Les bêtalactamines comportent en effet
différents déterminants antigéniques (figure 1) : le cycle commun bêtalactame, mais aussi les chaînes latérales, expliquant
ainsi les réactions croisées entre différentes pénicillines et
entre pénicillines et céphalosporines. Le cycle bêtalactame a
la capacité d’être immunogène après ouverture et liaison à des
protéines : le déterminant antigénique formé, le benzyl-pénicilloyl, est nommé déterminant majeur. La recherche d’une
allergie à ce déterminant peut se faire grâce à des tests cutanés au pénicilloyl polylysine (PPL). Des déterminants dits
mineurs, dont la formation est liée au noyau thiazolidine, sont
également impliqués dans les réactions allergiques IgE
médiées. Cependant, les tests cutanés à visée diagnostique
sont peu disponibles pour ces déterminants mineurs (3).
Troubles neuropsychiatriques
Atteintes tendineuses
Photosensibilisation
Allongement du QT
Réactions d’hypersensibilité
Chaîne
latérale
Noyau
bêtalactame
Noyau
thiazolidine
R-CONH
Troubles gastro-intestinaux
Allongement du QT
Potentiel d’interactions médicamenteuses
(inhibition du CYP3A4)
Aggravation de myasthénie
S
CH3
CH3
O
COOH
Atteintes auto-immunes (lupus)
Syndrome d’hypersensibilité
Ulcérations œsophagiennes
Pénicillines
R-CONH
Allergie immédiate aux bêtalactamines
La pénicilline est la cause la plus fréquente de réactions anaphylactiques dans la population générale (2, 5) ; le nombre
annuel de décès dus à un choc anaphylactique aux bêtalactamines aux États-Unis est voisin de 500 et représente les trois
quarts des chocs mortels d’origine médicamenteuse (4).
Ces réactions allergiques sont immunomédiées, donc indépendantes de la dose, imprévisibles, et ne peuvent être anticipées
par les études précliniques (absence de modèles animaux pertinents). Les métabolites obtenus après biotransformation de la
molécule mère sont souvent impliqués, et la variabilité interindividuelle du métabolisme sous-tendue par le polymorphisme
génétique explique la sensibilité différente des sujets vis-à-vis
d’une molécule (1, 2). L’atopie n’est pas un facteur de risque
de réaction allergique aux bêtalactamines. Toutefois, diverses
études ont suggéré que des antécédents personnels d’atopie
pourraient majorer la sévérité des réactions anaphylactiques,
mais sans en modifier la fréquence (4, 5).
Les réactions d’hypersensibilité immédiate observées avec
les bêtalactamines sont médiées par les immunoglobulines E
(IgE) dirigées contre certaines structures chimiques de ces
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S
CH3
O=C HN
CH3
NH
COOH
Protéine
Déterminants majeurs
S Protéine
S
CH3
N
R
O
HN
O
CH3
COOH
Déterminants mineurs
Figure 1. Structure générale des bêtalactamines et de leurs principaux métabolites (exemple des pénicillines).
Le diagnostic des réactions d’hypersensibilité immédiate
repose surtout sur les tests cutanés sous forme de pricks ou
intradermo-réactions (IDR), dans un délai de 3 à 6 mois après
l’événement. La lecture se fait de la 15e à la 20e minute (4).
Un test cutané positif permet de poser un diagnostic d’allergie à la pénicilline ; un test négatif ne permet pas de conclure
(3). Néanmoins, à ce jour, aucune réaction anaphylactique n’a
été rapportée pour un patient ayant une histoire clinique positive, mais des tests négatifs aux déterminants classiquement
disponibles en allergologie (2). Des tests de réintroduction
peuvent être envisagés si les bêtalactamines sont jugées indispensables au patient : ils sont réalisés en milieu hospitalier
compte tenu du risque – non nul – de tests cutanés faussement
négatifs (3, 4).
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La fréquence des réactions cutanées aux céphalosporines est
plus faible qu’avec les pénicillines, de l’ordre de 1 à 3 %. Les
réactions anaphylactiques sont rares. La connaissance de l’immunogénicité des céphalosporines est plus limitée que celle
des pénicillines, et la question demeure du risque de prescrire
une céphalosporine chez un patient à antécédent d’allergie à la
pénicilline (2, 5). Un patient aux antécédents avérés d’allergie
à la pénicilline a huit fois plus de risques de déclencher une
allergie aux céphalosporines qu’un patient sans antécédent
allergique (4, 5). C’est pourquoi il est important, chez ces
patients, de mener un interrogatoire complet et, le cas échéant,
d’effectuer des tests cutanés aux pénicillines. Les tentatives de
mise au point de tests cutanés avec les céphalosporines se sont
révélées infructueuses et les tests avec la molécule mère ont
une valeur prédictive limitée (2, 5). En revanche, les patients
ayant des tests cutanés négatifs aux pénicillines n’ont pas plus
de risque que la population générale de développer des réactions allergiques aux céphalosporines. Ces informations sont
reprises dans le RCP des céphalosporines à la rubrique “Mises
en garde”, où il est précisé que “l’allergie aux pénicillines étant
croisée avec celle aux céphalosporines dans 5 à 10 % des cas,
l’utilisation des céphalosporines doit être extrêmement prudente
chez les patients pénicillinosensibles”.
Chez les patients ayant présenté une réaction anaphylactique
à une bêtalactamine, il convient donc de proscrire toutes les
bêtalactamines, compte tenu du risque d’allergie croisée entre
les molécules de toute la classe. Il est conseillé de prévoir un
bilan allergologique, afin de poser le diagnostic et de définir
une liste des médicaments à risque.
Maladie pseudo-sérique
Il s’agit d’un effet indésirable d’apparition retardée par rapport au début du traitement. La maladie pseudo-sérique survient essentiellement chez de jeunes enfants (âge ≤ 6 ans)
traités par céfaclor et par les céphalosporines de première
génération proches (4, 6). Elle se manifeste au plan clinique
par une urticaire, de la fièvre et des arthralgies, dans un délai
d’environ une semaine après le début du traitement (6).
L’évolution est spontanément favorable. La molécule en
cause est alors contre-indiquée chez le patient, mais sans
contre-indication de la classe des bêtalactamines (4). La survenue de cet effet serait expliquée par un déficit héréditaire
sur la voie métabolique hépatique du céfaclor (2, 6). Des tests
cutanés peuvent être envisagés, de type patch-test à lecture
retardée (48-72 heures) (4).
Dans la série décrite par King et al. (6) sur la période 1er janvier au 31 décembre 1997, le céfaclor était associé à 84 % des
maladies pseudo-sériques attribuables à un traitement antibiotique par voie orale, et cette caractéristique a été confirmée
dans le reste du monde. Les auteurs observaient sur la même
52
période une sous-notification de cet effet indésirable auprès
du système de pharmacovigilance (Adverse Drug Reactions
Advisory Committee [ADRAC] Australia) : cet effet étant
maintenant bien reconnu avec le céfaclor, il est sans doute
moins notifié par les professionnels de santé, ce qui entraîne
une sous-estimation de son incidence au sein de la population
pédiatrique traitée par céfaclor.
FLUOROQUINOLONES (tableau I)
Les “nouvelles” fluoroquinolones, à savoir ciprofloxacine, norfloxacine, ofloxacine, péfloxacine, puis sparfloxacine, ont été
mises sur le marché dans les années 1990. L’utilisation de cette
classe d’antibiotiques à large spectre antibactérien, offrant une
alternative possible aux bêtalactamines et semblant bien tolérée, a été d’emblée importante. Toutefois, après quelques
années de commercialisation, des effets indésirables sont apparus en notification spontanée et dans la littérature (7). En
France, l’Agence du Médicament décida rapidement une analyse des cas notifiés avec les fluoroquinolones du début de leur
commercialisation au 31 décembre 1993. Plus tard, la sparfloxacine fut intégrée à l’enquête (7). Un profil d’effets indésirables des fluoroquinolones s’est dégagé avec des particularités
propres à certaines molécules, qui seront détaillées plus loin.
Des troubles neuropsychiatriques, des atteintes tendineuses,
des photosensibilisations et des troubles cardiaques sont décrits
(7, 8). Des réactions plus rares d’hypersensibilité immunomédiées ont aussi été rapportées en notification spontanée (8). Ces
effets indésirables sont maintenant attendus pour toute la classe,
et sont suivis pour toutes les molécules mises sur le marché
depuis l’enquête initiale, comme la lévofloxacine, la moxifloxacine, la trovafloxacine et la grépafloxacine.
Certains de ces effets indésirables sont expliqués par la structure chimique des fluroquinolones (figure 2). Par exemple, la
phototoxicité est influencée par la nature d’une substitution
Influence la phototoxicité
et la génotoxicité
R5
O
F
Pas d'effet
Contrôle les liaisons au récepteur
GABA, influence les IAM
R7
O
C
X6
Contrôle la phototoxicité,
influence les interactions
médicamenteuses (IAM)
N
R1
R2
Contrôle la chélation,
interaction avec antiacides
OH
Pas d'effet
Contrôle la génotoxicité,
l'interaction avec la théophylline
Figure 2. Relations structure-toxicité des fluoroquinolones (1).
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présente pour la sparfloxacine et absente pour des molécules
comme la moxifloxacine, pour laquelle ces réactions semblent peu fréquentes (1, 8). Les fluoroquinolones trifluorées
sont à haut risque de réactions immunomédiées, ce qui a été
confirmé par l’apparition d’atteintes hépatiques sévères sous
trovafloxacine, rapidement après son obtention d’AMM, et a
conduit les autorités de santé à retirer ce médicament du marché (8). Ces informations sur la relation structure-toxicité
sont donc importantes pour anticiper la toxicité des molécules
en développement.
Fluoroquinolones et tendons
Le risque d’atteinte tendineuse a tout d’abord été mis en évidence grâce à la notification spontanée avec la péfloxacine,
pour laquelle l’incidence des tendinites, principalement sur
le tendon d’Achille, était plus élevée qu’avec les autres fluoroquinolones (7-9). Des facteurs de risque tels que l’âge
supérieur à 60 ans et la corticothérapie associée ont alors été
identifiés. Les données de pharmacovigilance ont ensuite
montré que le même type d’atteintes tendineuses survenait
fréquemment avec l’isomère lévogyre du racémique ofloxacine, la lévofloxacine, bien que l’incidence de survenue ait
été difficilement comparable à celle de la péfloxacine (8, 10).
Les données recueillies au cours des dix premiers mois de
commercialisation montraient que les tendinites concernaient en majorité le tendon d’Achille, et pouvaient conduire
à une rupture tendineuse (30 % des cas). Les tendinites pouvaient survenir en 48 heures après le début du traitement et
devenir bilatérales. Les facteurs de risque, âge et corticothérapie associée, majoraient nettement le risque. Il en est résulté une mise en garde dans le RCP de la lévofloxacine ainsi
qu’une proposition d’adaptation des doses en cas d’insuffisance rénale.
Fluoroquinolones et peau
Les fluoroquinolones exposent à un risque de phototoxicité
qui varie selon les molécules (8). Les atteintes cutanées, plus
ou moins sévères, vont du simple érythème solaire à la brûlure
(11). La sparfloxacine avait été mise sur le marché en septembre 1994 et suivie d’emblée par l’enquête de pharmacovigilance précédemment évoquée. Après huit mois de commercialisation, il est apparu qu’elle était responsable de réactions
phototoxiques plus fréquentes et plus graves (nécessitant parfois une hospitalisation) que les autres fluoroquinolones (11).
L’activité de la sparfloxacine sur le pneumocoque ayant un
intérêt en thérapeutique, la molécule était restée disponible
dans des indications très restreintes, avec mention dans le
RCP de “proscrire toute exposition au soleil, à la lumière vive
et aux ultraviolets pendant le traitement et trois jours après la
fin”. Aux problèmes cutanés s’est ajouté le potentiel cardiotoxique de la sparfloxacine, ce qui a conduit le titulaire de
l’AMM à retirer son produit du marché en février 2001.
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Fluoroquinolones et cœur
La prolongation de l’intervalle QT est un effet indésirable
désormais considéré comme un effet de classe des fluoroquinolones, mais qui avait été initialement observé avec la sparfloxacine (8, 12). Ce trouble de la repolarisation expose au
risque de torsades de pointes, une tachyarythmie ventriculaire
potentiellement fatale (12). Ainsi, parallèlement au problème
de phototoxicité, le potentiel cardiotoxique de la sparfloxacine
était analysé en temps réel par un groupe d’experts dans les
études précliniques, les essais cliniques et les données de
pharmacovigilance (13). Dès mai 1995, la contre-indication
de la sparfloxacine avec l’amiodarone en raison du risque
d’allongement de l’intervalle QT était ajoutée au RCP. La
grépafloxacine, enregistrée en novembre 1997, a été retirée
du marché en octobre 1999 pour prolongation de l’intervalle
QT (7 décès en Allemagne) (1). Comme la sparfloxacine, la
moxifloxacine, disponible en France depuis 2002, a montré
une tendance à allonger l’intervalle QT dans les phases précoces de son développement (8, 12). Selon le RCP de la moxifloxacine, toute association avec un médicament susceptible
d’augmenter l’intervalle QT est contre-indiquée. La firme
commercialisant le produit a, par ailleurs, obligation de
mener des études de sécurité (phases IV) sur son produit, afin
de détecter très précocement tout événement cardiovasculaire
grave (12).
MACROLIDES (tableau 1)
Généralités
Les macrolides représentent une classe d’antibiotiques homogène dans ses indications. Ils constituent également une alternative pour les germes sensibles en cas d’allergie aux bêtalactamines (14). Outre les troubles gastro-intestinaux retrouvés pour la majorité des molécules, les effets indésirables
découlent du potentiel de certains macrolides à allonger l’intervalle QT et à entraîner des interactions médicamenteuses
cliniquement significatives, les deux étant souvent liés (1, 15).
En effet, les macrolides représentent la majorité des médicaments impliqués dans la survenue de torsades de pointes,
principalement l’érythromycine et la clarithromycine (12, 15).
D’une part, le potentiel d’allongement du QT est intrinsèque
à la molécule, et interviennent la pharmacocinétique du produit (dose, voie d’administration, distribution, …) et les capacités métaboliques et d’élimination du patient. D’autre part,
l’impact des macrolides sur l’intervalle QT peut également
résulter de l’inhibition du métabolisme, par le cytochrome
P450 3A4 (CYP3A4), d’un médicament prolongeant le QT à
fortes concentrations plasmatiques [exemple : le cisapride]
(12, 15). Les cas rapportés de torsades de pointes en postmarketing révèlent la coprescription des macrolides avec des
médicaments contre-indiqués ou l’existence de facteurs de
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risque connus comme les antécédents cardiovasculaires, une
hypokaliémie, une hypomagnésémie ou l’existence d’un QT
long (congénital ou acquis).
Le risque d’interactions médicamenteuses est partiellement
dépendant de la structure moléculaire des différents macrolides (figure 3). L’interaction se situe au niveau de l’inhibition du pouvoir catalytique du CYP3A4 et s’expliquerait par
l’encombrement stérique sur la fonction amine tertiaire présente sur cette classe antibiotique. Ainsi, l’accessibilité de la
CH3
X
HO
HO
8
9
CH3
7
10
6
OR
CH3
5
4
11
12
3
13
CH3
14
2
O
R2
N
R1
CH3
1
CH3
O
CH3
O H
H
O
CH3
10
6
3
13
15
OR
CH3
5
4
11
12
14
7
O
CH3
1
2
OR
OH
OCH3
CH3
CH3
8
CH3
CH3
Macrolides à 14 carbones
Exemple : érythromycine
9
CH3
O
O
R1O
CH3
N
OR2
CH3
CH3
O
O
OR3
OH
H
O
CH3
O
OCH3
Macrolides à 16 carbones
Exemple : spiramycine
O
N
O
CH3
10
11
O
CH3
12
13
2
CH3
Kétolides : télithromycine
4
O
3
O
O
CH3
CH3
CH3
CH3
Figure 3. Structure chimique des macrolides et des kétolides (14).
54
Les études d’interactions médicamenteuses, qui se font in
vitro et in vivo sur des sujets sains, comportent des limites
d’extrapolation. Les données in vitro ne prennent pas en
compte la variabilité interindividuelle d’origine génétique qui
existe sur le potentiel métabolique du CYP3A4. Les données
cliniques sur les sujets sains ne prennent pas en compte les
comorbidités et les coprescriptions : pour les macrolides également, le suivi postmarketing est indispensable pour détecter
d’éventuelles interactions médicamenteuses (14, 16).
La télithromycine
La FDA a demandé, comme pour la moxifloxacine, un suivi
particulier de pharmacovigilance sur la télithromycine, dérivée de l’érythromycine A et annoncée comme le premier
représentant de la nouvelle classe des kétolides. La télithromycine possède un potentiel d’allongement du QT, sans
conséquence clinique à ce jour, et surtout un puissant effet
inhibiteur du CYP3A4 (12, 14). Le RCP de la télithromycine,
mise sur le marché français en septembre 2002, fait donc
apparaître les contre-indications de l’érythromycine, dont
l’association avec les médicaments allongeant le QT et les
statines métabolisés par le CYP3A4, l’existence d’un QT
long.
En plus de ces effets attendus, la télithromycine a été responsable de cas d’aggravation de myasthénie. L’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a diffusé un
communiqué de presse en avril 2003 décrivant une aggravation de faiblesse musculaire, une dyspnée et une insuffisance
respiratoire dans les heures suivant la première prise et pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Le mécanisme de cet
effet reste inconnu, mais la télithromycine est désormais
déconseillée chez le patient myasthénique (17).
OCH3
6
5
1
O
N
8
C
7
N
O O
14
H3C
9
N
CH3
fonction amine des macrolides à noyau lactone à 14 carbones
(dont l’érythromycine) expliquerait la fréquence élevée d’interactions médicamenteuses (1). Trois groupes de macrolides
sont définis en fonction de leur potentiel inhibiteur du
CYP3A4 :
✓ érythromycine ;
✓ clarithromycine ;
✓ azithromycine.
TÉTRACYCLINES (tableau I)
Effets indésirables généraux
Une revue récente collige les données de sécurité d’emploi
des cyclines utilisées dans l’acné (18). La minocycline est la
molécule la plus souvent citée. Elle est responsable d’atteintes auto-immunes de type lupus, de survenue tardive au
cours du traitement, la durée du traitement (> 3 mois) ressor-
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tant comme principal facteur de risque. La minocycline a également fait l’objet d’une enquête de pharmacovigilance
concernant la survenue de syndrome d’hypersensibilité ou
“DRESS” (Drug Rash with Eosinophilia and Systemic
Symptoms). À l’issue de cette analyse, la mention : “De très
rares réactions d’hypersensibilité graves avec atteinte polyviscérale ont été rapportées imposant l’arrêt immédiat et définitif
du médicament. La symptomatologie peut comporter : fièvre,
éruption cutanée, adénopathies, hyperéosinophilie, atteintes
viscérales (essentiellement hépatiques, pulmonaires, myocardiques ou rénales)” a été intégrée à la rubrique “effets indésirables” du RCP des spécialités contenant de la minocycline.
L’évolution de cet effet est en général favorable, parfois après
corticothérapie.
Ulcérations œsophagiennes sous doxycycline
Parmi les causes médicamenteuses d’ulcérations œsophagiennes, on trouve les antibiotiques, et principalement la
doxycycline (19). Cette molécule a en effet une action cytotoxique et la nature de son principe actif est irritant (pH acide
de la solution aqueuse) (19). Les facteurs favorisant la survenue des ulcérations sont la forme “gélule” (incidence treize
fois plus importante qu’avec les comprimés) et le non-respect
des conditions de prises : absorption avec une quantité d’eau
suffisante, en position debout et au moins une heure avant de
s’allonger (20). C’est pour cette raison que la doxycycline
sous forme de gélules a été retirée du marché.
être à l’avenir de déterminer les patients à risque de survenue
d’effets indésirables, pour le moment imprévisibles et pouvant
entraîner le retrait du marché d’antibiotiques au spectre antibactérien intéressant.
■
R
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Les exemples évoqués ci-dessus montrent l’importance du
suivi des antibiotiques dès lors qu’ils sont disponibles à la
prescription de médecine courante, ce d’autant que certains
problèmes sont détectés ou attendus dès les premières phases
de développement. Parallèlement aux problèmes de résistance
bactérienne, l’incidence de survenue d’effets indésirables
rares peut être évaluée lors d’études de sécurité d’emploi en
post-AMM. Il est alors possible de déterminer le degré de
risque dans une large population traitée par l’antibiotique et
d’envisager éventuellement des mesures réglementaires, afin
que le rapport bénéfice/risque de l’antibiotique reste positif.
Pour être capable de prévenir ces effets indésirables graves,
potentiellement létaux, il est important d’essayer de comprendre leur mécanisme de survenue et d’identifier les facteurs de risque. Le polymorphisme génétique peut en partie
rendre compte de la différence de sensibilité entre les sujets.
Le développement de la pharmacogénomique permettra peut-
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