M I S E A U P O I N T La pharmacovigilance des antibiotiques[1] Exemples de quelques effets indésirables rapportés avec les bêtalactamines, les fluoroquinolones, les macrolides et les cyclines Antibiotics post-marketing safety surveillance: examples of some adverse drug reactions described with beta-lactams, fluoroquinolones, macrolides and cyclines ● E. Polard* RÉSUMÉ. Les antibiotiques ont généralement un rapport bénéfice/risque favorable. Cependant, comme tout médicament, ils peuvent être responsables d’effets indésirables graves dont certains n’émergent qu’après la mise sur le marché. Il est donc indispensable de suivre leur sécurité d’emploi lors de leur utilisation en pratique courante. Les bêtalactamines posent le problème des réactions d’hypersensibilité immédiate possiblement croisées entre toutes les molécules de la classe. Les fluoroquinolones sont responsables d’effets sur les tendons, la peau, la fonction cardiaque. Les macrolides se distinguent par leur potentiel cardiotoxique et les interactions médicamenteuses. Les tétracyclines sont impliquées dans la survenue de syndromes d’hypersensibilité et d’ulcérations œsophagiennes. Ces données de pharmacovigilance permettent aux autorités de santé de prendre les mesures réglementaires nécessaires au maintien d’un rapport bénéfice/risque positif. Mots-clés : Pharmacovigilance - Sécurité d’emploi - Bêtalactamines - Fluoroquinolones - Macrolides - Cyclines. ABSTRACT. Antibiotics usually have positive benefit-risk ratio. However, severe adverse drug reactions (ADR) can occur, generally in postmarketing situation. The survey of antibiotic safety in clinical practice is conducted by the pharmacovigilance system. Beta-lactams account for most drug-induced anaphylactic reactions. Tendinitis, phototoxicity and cardiotoxicity are reported with fluoroquinolones. Macrolides are associated with cardiotoxicity and drug interactions. ADR are reported with cyclines. The safety data can lead health authorities to take regulatory measures to keep a positive benefit-risk ratio. Keywords: Post-marketing surveillance - Safety - Beta-lactams - Fluoroquinolones - Macrolides - Cyclines. es essais cliniques de développement (phases I à III), pour les antibiotiques comme pour tout autre produit, ont comme objectif principal de mettre en évidence l’efficacité des molécules. Le nombre de patients inclus dans ces essais est en effet trop faible, et les durées de suivi sont en général trop courtes pour pouvoir détecter des effets indésirables rares et/ou retardés. De même, les comorbidités et coprescriptions, facteurs favorisant l’émergence des effets indésirables, L [1] Article paru dans La Lettre du Pharmacologue - Volume 18 - n° 2 - avril-maijuin 2005, réactualisé par l’auteur. * Centre régional de pharmacovigilance, service de pharmacologie, hôpital de Pontchaillou, 35033 Rennes Cedex. 238 sont rarement prises en compte dans ces essais. Après l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un antibiotique, les prescripteurs craignent plus l’apparition de souches mutantes résistantes à l’antibiotique que les problèmes de toxicité. Cependant, de nombreux antibiotiques, en particulier des fluoroquinolones, ont été retirés du marché ces dernières années pour une survenue d’effets indésirables rares ou exceptionnels, mais pouvant mettre en jeu le pronostic vital des patients (1). Il est donc indispensable de suivre la sécurité d’emploi des antibiotiques ayant obtenu une AMM lors de leur utilisa- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 M tion en pratique courante. C’est le rôle de la pharmacovigilance que de rassembler les notifications d’effets indésirables attribuables au médicament, permettant ainsi de générer un signal et de mettre en évidence des facteurs de risque. Ces données de post-AMM peuvent conduire à modifier le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et, si le rapport bénéfice/risque du médicament n’est plus favorable, peuvent aller jusqu’à entraîner la suspension ou le retrait de la molécule du marché par les autorités de santé. Cet article a pour objet de faire le point sur la pharmacovigilance des antibiotiques au travers d’exemples choisis dans quatre classes largement prescrites : les bêtalactamines, les fluoroquinolones, les macrolides et les cyclines. BÊTALACTAMINES (tableau I) Tableau I. Principaux exemples d’effets indésirables décrits pour les antibiotiques évoqués. Classe antibiotique Bêtalactamines ✓ pénicillines ✓ céphalosporines Effets indésirables Réactions d’hypersensibilité immédiate possiblement croisées Maladie pseudo-sérique Fluoroquinolones Troubles neuropsychiatriques Atteintes tendineuses Photosensibilisation Allongement du QT Réactions d’hypersensibilité Macrolides Troubles gastro-intestinaux Allongement du QT Potentiel d’interactions médicamenteuses (inhibition du CYP3A4) Kétolides Aggravation de myasthénie Potentiel d’interactions médicamenteuses (inhibition du CYP3A4) Tétracyclines ✓ minocycline ✓ doxycycline Atteintes auto-immunes (lupus) Syndrome d’hypersensibilité Ulcérations œsophagiennes Les réactions allergiques médicamenteuses sont décrites principalement pour les antibiotiques, au premier rang desquels se trouvent les bêtalactamines (2-4). Pour ces molécules, disponibles en thérapeutique depuis de nombreuses années, sont classiquement décrits deux types d’événements : des exanthèmes maculopapuleux, dits “morbilliformes”, le plus souvent sans critère de gravité (des toxidermies graves de type StevensJohnson ou Lyell ont été décrites), et de plus rares réactions anaphylactiques pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Deux exemples d’effets indésirables ont été choisis : l’allergie immédiate et la maladie pseudo-sérique. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 I S E A U P O I N T Allergie immédiate aux bêtalactamines La pénicilline est la cause la plus fréquente de réactions anaphylactiques dans la population générale ; l’incidence, difficile à établir car la définition de la réaction anaphylactique et les modalités d’administration des pénicillines sont hétérogènes entre les études, varie de 0,055 à 0,2 % (2, 5). Le nombre annuel de décès dus à un choc anaphylactique aux bêtalactamines aux États-Unis est voisin de 500 et représente les trois quarts des chocs mortels d’origine médicamenteuse (4). Ces réactions allergiques sont immunomédiées, donc indépendantes de la dose, imprévisibles, et ne peuvent être anticipées par les études précliniques (absence de modèles animaux pertinents). Les métabolites obtenus après biotransformation de la molécule mère sont souvent impliqués, et la variabilité interindividuelle du métabolisme sous-tendue par le polymorphisme génétique explique la sensibilité différente des sujets à une molécule (1, 2). L’atopie n’est pas un facteur de risque de réaction allergique aux bêtalactamines. Toutefois, diverses études ont suggéré que des antécédents personnels d’atopie pourraient majorer la sévérité des réactions anaphylactiques, mais sans en modifier la fréquence (4, 5). Les réactions d’hypersensibilité immédiate observées avec les bêtalactamines sont médiées par les immunoglobulines E (IgE) dirigées contre certaines structures chimiques de ces antibiotiques (1, 2, 4). Les bêtalactamines comportent en effet différents déterminants antigéniques (figure 1) : le cycle commun bêtalactame, mais aussi les chaînes latérales, expliquant ainsi les réactions croisées entre différentes pénicillines et entre pénicillines et céphalosporines. Le cycle bêtalactame a la capacité d’être immunogène après ouverture et liaison à des protéines : le déterminant antigénique formé, le benzyl-pénicilloyl, est nommé déterminant majeur. La recherche d’une allergie à ce déterminant peut se faire grâce à des tests cutanés au pénicilloyl polylysine (PPL). Des déterminants dits mineurs, dont la formation est liée au noyau thiazolidine, sont également impliqués dans les réactions allergiques IgE médiées. Cependant, les tests cutanés à visée diagnostique sont peu disponibles pour ces déterminants mineurs (3). Le diagnostic des réactions d’hypersensibilité immédiate repose surtout sur les tests cutanés sous forme de pricks, ou intradermo-réactions (IDR), dans un délai de 3 à 6 mois après l’événement. La lecture se fait de la 15e à la 20e minute (4). Un test cutané positif permet de poser un diagnostic d’allergie à la pénicilline ; un test négatif ne permet pas de conclure (3). Néanmoins, à ce jour, aucune réaction anaphylactique n’a été rapportée pour un patient ayant une histoire clinique positive, mais des tests négatifs aux déterminants classiquement disponibles en allergologie (2). Des tests de réintroduction peuvent être 239 M I S E A U Chaîne latérale P O I N T Noyau bêtalactame cule est proposée par Parmar et Nasser (6) chez des patients atteints de mucoviscidose et présentant des prick-tests positifs aux pénicillines. Cependant, l’aztréonam partage avec la ceftazidime une chaîne latérale identique, et des cas isolés de réactions croisées entre ces deux molécules ont été rapportés. Il convient donc, selon le RCP de l’aztréonam, d’utiliser cette molécule avec une grande prudence chez les patients présentant une hypersensibilité aux bêtalactamines. Noyau thiazolidine R-CONH S CH3 CH3 N O COOH Pénicillines R-CONH S CH3 O=C HN CH3 NH COOH Protéine Déterminants majeurs S Protéine S CH3 N R O HN O CH3 COOH Déterminants mineurs Figure 1. Structure générale des bêtalactamines et de leurs principaux métabolites (exemple des pénicillines). envisagés si les bêtalactamines sont jugées indispensables au patient : ils sont réalisés en milieu hospitalier compte tenu du risque – non nul – de tests cutanés faussement négatifs (3, 4). La fréquence des réactions cutanées aux céphalosporines est plus faible qu’avec les pénicillines, de l’ordre de 1 à 3 %. Les réactions anaphylactiques sont rares. La connaissance de l’immunogénicité des céphalosporines est plus limitée que celle des pénicillines, et la question demeure du risque de prescrire une céphalosporine chez un patient avec antécédent d’allergie à la pénicilline (2, 5). Un patient aux antécédents avérés d’allergie à la pénicilline a huit fois plus de risques de voir se déclencher une allergie aux céphalosporines qu’un patient sans antécédent allergique (4, 5). Les pourcentages de réactions croisées pénicillinescéphalosporines communément admis sont de 5 à 10 %. C’est pourquoi il est important chez ces patients de mener un interrogatoire complet et, le cas échéant, d’effectuer des tests cutanés aux pénicillines. Les tentatives de mise au point de tests cutanés avec les céphalosporines se sont révélées infructueuses et les tests avec la molécule mère ont une valeur prédictive limitée (2, 5). En revanche, les patients ayant des tests cutanés négatifs aux pénicillines n’ont pas plus de risques que la population générale de développer des réactions allergiques aux céphalosporines. Ces informations sont reprises dans le RCP des céphalosporines à la rubrique “Mises en garde”, où il est précisé que “l’allergie aux pénicillines étant croisée avec celle aux céphalosporines dans 5 à 10 % des cas, l’utilisation des céphalosporines doit être extrêmement prudente chez les patients pénicillinosensibles”. Parmi les bêtalactamines, on peut distinguer l’aztréonam, monobactam (structure chimique à un seul cycle). Cette molé- 240 Chez les patients ayant présenté une réaction anaphylactique à une bêtalactamine, il convient donc de proscrire toutes les bêtalactamines, compte tenu du risque d’allergie croisée entre les molécules de toute la classe. Il est ensuite conseillé de prévoir un bilan allergologique, afin de confirmer le diagnostic, de définir une liste des médicaments à risque et de proposer le cas échéant un test de réintroduction ou une désensibilisation sous stricte surveillance médicale. Maladie pseudo-sérique Il s’agit d’un effet indésirable d’apparition retardée par rapport au début du traitement. La maladie pseudo-sérique survient essentiellement chez de jeunes enfants (âge 6 ans) traités par céfaclor et par les céphalosporines de première génération proches (4, 7). Elle se manifeste au plan clinique par une urticaire, de la fièvre et des arthralgies dans un délai d’environ une semaine après le début du traitement (7). L’évolution est spontanément favorable. La molécule en cause est alors contre-indiquée chez le patient, mais sans contre-indication de la classe des bêtalactamines (4). La survenue de cet effet serait expliquée par un déficit héréditaire sur la voie métabolique hépatique du céfaclor (2, 7). Des tests cutanés peuvent être envisagés, de type patch-test à lecture retardée (48-72 heures) (4). Dans la série décrite par King et al. (7) sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre 1997, le céfaclor était associé à 84 % des maladies pseudo-sériques attribuables à un traitement antibiotique par voie orale, et cette caractéristique a été confirmée dans le reste du monde. Les auteurs observaient sur la même période une sous-notification de cet effet indésirable auprès du système de pharmacovigilance (Adverse Drug Reactions Advisory Committee [ADRAC] Australia) : cet effet étant maintenant bien reconnu avec le céfaclor, il est sans doute moins notifié par les professionnels de santé, ce qui entraîne une sous-estimation de son incidence au sein de la population pédiatrique traitée par céfaclor. FLUOROQUINOLONES (tableau I) Les “nouvelles” fluoroquinolones, à savoir ciprofloxacine, norfloxacine, ofloxacine, péfloxacine, puis sparfloxacine, ont été mises sur le marché dans les années 1990. L’utilisation de La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 M cette classe d’antibiotiques à large spectre antibactérien, offrant une alternative possible aux bêtalactamines et semblant bien tolérée, a été d’emblée importante. Toutefois, après quelques années de commercialisation, des effets indésirables sont apparus en notification spontanée et dans la littérature (8). En France, l’Agence du médicament décida rapidement une analyse des cas notifiés avec les fluoroquinolones du début de leur commercialisation au 31 décembre 1993. Plus tard, la sparfloxacine fut intégrée à l’enquête (8). Un profil d’effets indésirables des fluoroquinolones s’est dégagé avec des particularités propres à certaines molécules, qui seront détaillées plus loin. Des troubles neuropsychiatriques, des atteintes tendineuses, des photosensibilisations et des troubles cardiaques sont décrits (8, 9). Des réactions plus rares d’hypersensibilité immunomédiées ont aussi été rapportées en notification spontanée (9). Ces effets indésirables, maintenant attendus pour toute la classe, sont suivis pour toutes les molécules mises sur le marché depuis l’enquête initiale, comme la lévofloxacine, la moxifloxacine, la trovafloxacine et la grépafloxacine. Certains de ces effets indésirables sont expliqués par la structure chimique des fluoroquinolones (figure 2). Par exemple, la phototoxicité est influencée par la nature d’une substitution présente pour la sparfloxacine et absente pour des molécules comme la moxifloxacine, pour laquelle ces réactions semblent peu fréquentes (1, 9). Les fluoroquinolones trifluorées (trovafloxacine, témafloxacine) sont à haut risque de réactions immunomédiées, ce qui a été confirmé par l’apparition d’atteintes hépatiques sévères sous trovafloxacine, rapidement après son obtention d’AMM, et a conduit les autorités de santé à retirer ce médicament du marché (1). Ces informations sur la relation structure-toxicité sont donc importantes pour anticiper la toxicité des molécules en développement. Les trois types d’effets indésirables envisagés ici sont les tendinopathies, la phototoxicité et la cardiotoxicité. Influence la phototoxicité et la génotoxicité R5 O F Pas d'effet Contrôle les liaisons au récepteur GABA, influence les IAM R7 O C X6 Contrôle la phototoxicité, influence les interactions médicamenteuses (IAM) N R1 R2 Contrôle la chélation, interaction avec antiacides OH Pas d'effet Contrôle la génotoxicité, l'interaction avec la théophylline Figure 2. Relations structure-toxicité des fluoroquinolones (1). I S E A U P O I N T Fluoroquinolones et tendinopathies Le risque d’atteinte tendineuse a initialement émergé grâce à la notification spontanée sur la péfloxacine, pour laquelle les cas rapportés de tendinites, principalement sur le tendon d’Achille, étaient plus nombreux qu’avec les autres fluoroquinolones (810). La fréquence estimée lors de l’enquête française de pharmacovigilance était pour la péfloxacine d’un cas par 23 130 jours de traitement, alors qu’elle variait de 1/173 600 à 1/799 600 jours de traitement pour ofloxacine, ciprofloxacine et norfloxacine (10). Des facteurs de risque tels que l’âge supérieur à 60 ans et la corticothérapie associée ont alors été identifiés. Les données de pharmacovigilance ont ensuite montré que le même type d’atteintes tendineuses survenait fréquemment avec l’isomère lévogyre du racémique ofloxacine, la lévofloxacine, bien que la fréquence de survenue ait été difficilement comparable à celle de la péfloxacine (9, 11). Des données industrielles internationales de surveillance post-AMM rapportaient une fréquence inférieure à quatre cas de rupture tendineuse pour un million de prescriptions (12). Les données recueillies en France au cours des dix premiers mois de commercialisation de la lévofloxacine montraient que les tendinites concernaient en majorité le tendon d’Achille, et pouvaient conduire à une rupture tendineuse (30 % des cas). Les tendinites pouvaient survenir en 48 heures après le début du traitement et devenir bilatérales. Les facteurs de risque, âge et corticothérapie associée, majoraient nettement le risque. Il en est résulté une mise en garde dans le RCP de la lévofloxacine ainsi qu’une proposition d’adaptation des doses en cas d’insuffisance rénale. Fluoroquinolones et phototoxicité Les fluoroquinolones exposent à un risque de phototoxicité qui varie selon les molécules (9). Les atteintes cutanées, plus ou moins sévères, vont du simple érythème solaire à la brûlure (13). La sparfloxacine avait été mise sur le marché en septembre 1994 et suivie d’emblée par l’enquête de pharmacovigilance précédemment évoquée. Après huit mois de commercialisation, il est apparu qu’elle était responsable de réactions phototoxiques plus fréquentes et plus graves (nécessitant parfois une hospitalisation) que les autres fluoroquinolones (13). L’activité de la sparfloxacine sur le pneumocoque ayant un intérêt en thérapeutique, la molécule était restée disponible dans des indications très restreintes, avec mention dans le RCP de “proscrire toute exposition au soleil, à la lumière vive et aux ultraviolets, pendant le traitement et trois jours après la fin”. Aux problèmes cutanés s’est ajouté le potentiel cardiotoxique de la sparfloxacine, ce qui a conduit le titulaire de l’AMM à retirer son produit du marché en février 2001. Fluoroquinolones et cardiotoxicité La prolongation de l’intervalle QT est un effet indésirable désormais considéré comme un effet de classe des fluoroquinolones, mais qui avait été initialement observé avec la .../... La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 241 M I S E A U P O I N T .../... sparfloxacine (9, 14). Ce trouble de la repolarisation expose au risque de torsades de pointes, une tachyarythmie ventriculaire potentiellement fatale (14). Ainsi, parallèlement au problème de phototoxicité, le potentiel cardiotoxique de la sparfloxacine était analysé en temps réel par un groupe d’experts dans les études précliniques, les essais cliniques et les données de pharmacovigilance (15). Dès mai 1995, la contre-indication de la sparfloxacine avec l’amiodarone en raison du risque d’allongement de l’intervalle QT était ajoutée au RCP. La grépafloxacine, enregistrée en novembre 1997, a été retirée du marché en octobre 1999 pour prolongation de l’intervalle QT (7 décès en Allemagne) (1). Comme la sparfloxacine, la moxifloxacine, disponible en France depuis 2002, a montré une tendance à allonger l’intervalle QT dans les phases précoces de son développement (9, 14). Selon le RCP de la moxifloxacine, toute association avec un médicament susceptible d’augmenter l’intervalle QT est contre-indiquée. La firme commercialisant le produit a, par ailleurs, obligation de mener des études de sécurité (phases IV) sur son produit, afin de détecter très précocement tout événement cardiovasculaire grave (14). cardiovasculaires, une hypokaliémie, une hypomagnésémie ou l’existence d’un QT long (congénital ou acquis). Le risque d’interactions médicamenteuses dépend partiellement de la structure moléculaire des différents macrolides (figure 3). L’interaction se situe au niveau de l’inhibition du pouvoir catalytique du CYP3A4 et pourrait s’expliquer par l’encombrement stérique sur la fonction amine tertiaire présente dans cette classe antibiotique. Ainsi, l’accessibilité de la fonction amine des macrolides à noyau lactone à 14 carbones (dont CH3 X HO HO 8 9 CH3 7 10 6 OR CH3 5 4 11 12 3 13 CH3 14 2 O R2 N R1 CH3 1 CH3 O CH3 O H H O Intervalle QT et interactions médicamenteuses Les macrolides représentent la majorité des médicaments impliqués dans la survenue de torsades de pointes, principalement l’érythromycine et la clarithromycine (14, 17). D’une part, le potentiel d’allongement du QT est intrinsèque à la molécule ; interviennent alors la pharmacocinétique du produit (dose, voie d’administration, distribution…) et les capacités métaboliques et d’élimination du patient. D’autre part, l’impact des macrolides sur l’intervalle QT peut également résulter de l’inhibition du métabolisme, par le cytochrome P450 3A4 (CYP3A4), d’un médicament prolongeant le QT à fortes concentrations plasmatiques (exemple : cisapride) (14, 17). Les cas rapportés de torsades de pointes en post-marketing révèlent la coprescription des macrolides avec des médicaments contre-indiqués ou l’existence de facteurs de risque connus comme les antécédents 244 OH OCH3 CH3 CH3 CH3 8 9 10 6 3 13 15 OR CH3 5 4 11 12 14 7 O CH3 1 2 Macrolides à 14 carbones. Exemple : érythromycine CH3 CH3 MACROLIDES (tableau I) R1O CH3 O O Les macrolides représentent une classe d’antibiotiques homogène dans ses indications. Ils constituent également une alternative pour les germes sensibles en cas d’allergie aux bêtalactamines (16). Outre les troubles gastro-intestinaux retrouvés pour la majorité des molécules, les effets indésirables découlent du potentiel de certains macrolides à allonger l’intervalle QT et à entraîner des interactions médicamenteuses cliniquement significatives, les deux étant souvent liés (1, 17). Récemment mise sur le marché, la télithromycine, un dérivé de l’érythromycine, présente certaines caractéristiques décrites plus loin. CH3 OR N OR2 CH3 CH3 O O OR3 OH H O CH3 O Macrolides à 16 carbones. Exemple : spiramycine OCH3 O N O CH3 10 11 O CH3 12 13 9 H3C O OCH3 6 5 1 2 N 8 C 7 N O O 14 N CH3 CH3 4 O 3 O O CH3 CH3 CH3 Kétolides : télithromycine CH3 Figure 3. Structure chimique des macrolides et des kétolides (16). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 M l’érythromycine) expliquerait la fréquence élevée d’interactions médicamenteuses (1). Cependant, cette hypothèse n’est certainement pas univoque car trois groupes de macrolides, non superposables à la classification chimique, sont définis en fonction de leur potentiel inhibiteur du CYP3A4 (important, modéré, inexistant), et donc de leur potentiel d’interactions médicamenteuses (tableau II). Les études d’interactions médicamenteuses, qui se font in vitro et in vivo sur des sujets sains, comportent des limites d’extrapolation. Les données in vitro ne prennent pas en compte la variabilité interindividuelle d’origine génétique qui existe sur le potentiel métabolique du CYP3A4, et les données cliniques sur les sujets sains ne prennent pas en compte les comorbidités et coprescriptions : pour les macrolides également, le suivi post-marketing est indispensable pour détecter d’éventuelles interactions médicamenteuses (16, 18). Tableau II. Structure chimique et potentiel d’interactions médicamenteuses (IAM) des principaux macrolides. Structure chimique Molécule Potentiel d’IAM C14 Érythromycine Troléandomycine Clarithromycine Roxithromycine ++ ++ + + C16 Josamycine Midécamycine Spiramycine + + - C15 Azithromycine ± Potentiel d’IAM (corrélé au potentiel d’inhibition du CYP3A4) : ++ important + modéré - inexistant I S E A U P O I N T blesse musculaire, une dyspnée et une insuffisance respiratoire dans les heures suivant la première prise et pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Le mécanisme de cet effet reste inconnu, mais la télithromycine est désormais déconseillée chez le patient myasthénique (19). TÉTRACYCLINES (tableau I) Effets indésirables généraux Une revue assez récente collige les données de sécurité d’emploi des cyclines utilisées dans l’acné (20). Les effets indésirables les plus fréquemment cités sont listés dans le tableau III. La minocycline est la molécule le plus souvent citée. Elle peut être responsable d’atteintes auto-immunes de type lupus, de survenue tardive au cours du traitement, la durée du traitement (> 3 mois) ressortant comme principal facteur de risque. La minocycline a également fait l’objet d’une enquête de pharmacovigilance concernant la survenue d’un syndrome d’hypersensibilité ou “DRESS” (Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms). À l’issue de cette analyse, la mention “De très rares réactions d’hypersensibilité graves avec atteinte polyviscérale ont été rapportées, imposant l’arrêt immédiat et définitif du médicament. La symptomatologie peut comporter : fièvre, éruption cutanée, adénopathies, hyperéosinophilie, atteintes viscérales (essentiellement hépatiques, pulmonaires, myocardiques ou rénales)” a été intégrée à la rubrique “effets indésirables” du RCP des spécialités contenant de la minocycline. L’évolution de cet effet est en général favorable, parfois après corticothérapie. Tableau III. Effets indésirables décrits lors de l’utilisation des cyclines dans l’acné (20). La télithromycine La FDA a demandé, comme pour la moxifloxacine, un suivi particulier de pharmacovigilance pour la télithromycine, dérivée de l’érythromycine A et présentée comme le premier représentant de la nouvelle classe des kétolides. La télithromycine possède un potentiel d’allongement du QT, sans conséquence clinique à ce jour, et surtout un puissant effet inhibiteur du CYP3A4 (14, 16). Le RCP de la télithromycine, mise sur le marché français en septembre 2002, fait donc apparaître les contre-indications de l’érythromycine, dont l’association avec les médicaments allongeant le QT et les statines métabolisés par le CYP3A4, l’existence d’un QT long. Outre ces effets attendus, la télithromycine a été responsable de cas d’aggravation de myasthénie. L’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a diffusé un communiqué de presse en avril 2003 décrivant une aggravation de fai- La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 6 - novembre-décembre 2005 ✓ Maladies systémiques : lupus induit, hépatite auto-immune, vascularite ✓ Réactions d’hypersensibilité (DRESS) ✓ Pseudo-maladies sériques ✓ Hypertensions intracrâniennes ✓ Pigmentations anormales (peau, ongles, cavité buccale, œil, organes) Ulcérations œsophagiennes sous doxycycline Parmi les causes médicamenteuses d’ulcérations œsophagiennes, on trouve les antibiotiques, et principalement la doxycycline (21). Cette molécule a en effet une action cytotoxique et la nature de son principe actif est irritante (pH acide de la solution aqueuse) (21). Les facteurs favorisant la survenue des ulcérations sont la forme “gélule” (incidence treize fois plus importante qu’avec les comprimés) et le nonrespect des conditions de prise : absorption avec une quantité d’eau suffisante, en position debout et au moins une heure avant de s’allonger (22). C’est pour cette raison que la doxycycline sous forme de gélules a été retirée du marché. 245 M I S E A U P O I N T CONCLUSION 7. King BA, Geelhoed GC. Adverse skin and joint reactions associated with oral antibiotics in children: the role of cefaclor in serum sickness-like reactions. J Paediatr Child Health 2003;39:677-81. Les exemples évoqués ci-dessus montrent l’importance du suivi des antibiotiques dès lors qu’ils sont disponibles à la prescription de médecine courante, ce d’autant que certains problèmes sont détectés ou attendus dès les premières phases de développement. Parallèlement aux problèmes de résistance bactérienne, l’incidence de survenue d’effets indésirables rares peut être évaluée lors d’études de sécurité d’emploi en post-AMM. Il est alors possible de déterminer le degré de risque dans une large population traitée par l’antibiotique et d’envisager éventuellement des mesures réglementaires, afin que le rapport bénéfice/risque de l’antibiotique reste positif. Pour être capable de prévenir ces effets indésirables graves, potentiellement létaux, il est important d’essayer de comprendre leur mécanisme de survenue et d’identifier les facteurs de risque. Le polymorphisme génétique peut en partie rendre compte de la différence de sensibilité entre les sujets. Le développement de la pharmacogénomique permettra peutêtre à l’avenir de déterminer les patients à risque de survenue d’effets indésirables, pour le moment imprévisibles et pouvant entraîner le retrait du marché d’antibiotiques au spectre antibactérien intéressant. ■ 8. Royer RJ. 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