Rachis, 1996, vol. 8. nO 2 pp 95-97 ARTICLE ORIGINAL PYOMYOSITE NON TROPICALE DES MUSCLES PARASPINAUX : à propos d'une observation NON TROPICAL PYOMYOSITIS OF THE PARASPINAL MUSCLES: a case report S. INGEN-HOUSZ, V. SAYAG-BOUKRIS, P. CHAZERAIN, A. HORUSITZKY, P. LEVAN, G. RAGUIN, J.M. ZIZA Service de Médecine Interne et Rhumatologie, Hôpital de la Croix Saint-Simon, C. VINCIGUERRA, 125 rue d'Avron 75960 Paris Cedex 20. RESUME SUMMARY Nous rapportons l'observation d'un homme jeune, immunocompétent, atteint d'une pyomosite non tropicale à staphylocoque doré des muscles paraspinaux, dont l'évolution initialement défavorable sous antibiothérapie adaptée a conduit à un drainage chirurgical permettant sa guérison rapide. Cette observation nous amène à préciser les caractéristiques épidémiologiques et cliniques, le pronostic et le traitement des pyomyosites non tropicales. We report a case of a young immunocompetent man, suffering from a staphylococcus aureus non tropical paraspinal pyomyositis. His condition did not improve with antibiotics. He was then operated to drain the paraspinal abces. He recovered quickly from the operation. From this case, we can generalize regarding epidemiologic and clinical caracteristics, prognosis and treatment of non tropical pyomyositis. Mots clefs: Pyomyosite non tropicale - Staphylocoque Keys words: Non tropical pyomyosilis - Staphylococcus doré. 95 aurens. S. INGEN-HOUSZ, V. SA y AG-BOUKRIS, P. CHAZERAIN, A. HORUSITZKY, C. VINCIGUERRA, P. LEV AN, G. RAGUIN, J.M. ZIZA Les pyomyosites non tropicales (PNT) sont rares dans les pays tempérés, Leur mode de révélation est volontiers trompeur, prenant parfois un « masque» rhumatologique. Leur évolution peut être rapide et grave, même chez des patients immuno-compétents. Un traitement précoce et adapté doit être très rapidement institué, Nous en rapportons une observation. OBSERVATION Un homme de 29 ans, interne des hôpitaux, est hospitalisé le 14 avril 1995 pour lombalgies apparues dix jours auparavant, d'horaire inflammatoire, irradiant à la fosse lombaire gauche et à la face antérieure de la cuisse gauche, rebelles aux antalgiques périphériques et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il n'y a ni fièvre ni frissons. On ne retrouve aucun facteur déclenchant si ce n'est une violente douleur lombaire trois mois auparavant et rapidement résolutive au cours d'une séance de musculation. A l'examen, il est subfébrile à 37°8, a une raideur rachidienne majeure avec un indice de Schober à 10 + 0, une cassure lombaire gauche antalgique et une contracture paravertébrale gauche. On retrouve une douleur exquise à la palpation des masses musculaires paravertébrales gauches en regard de L4. Il existe un signe de Lasègue lombaire bilatéral à 70°. L'examen neurologique est strictement normal. Figure 2: Deuxième scanner lombaire (20 avril 1995): importante lésions abcédées au muscle psoas gauche. extension des les premières hémocultures et l'ECBU sont stériles. La sérologk VIH est négative. Les radiographies du bassin, du rachis lombaire et de l'abdomen sans préparation sont normales. L'échographie rénale est normale ainsi que l'échographie du psoas gauche. Le scanner du rachis lombaire du 14 avril 1995 (figure 1) retrouve une zone hypodense, prenant le contraste en périphérie, siègeant à la partie profonde des muscles paraspinaux gauches, débordant au niveau du carré des lombes et du psoas gauches, évocatrice d'un abcès. Il n'y a ni spondylodiscite ni épidurite. La ponction échoguidée de cette collection ramène du pus franc avec de nombreuses colonies de staphylocoques dorés sensibles à la méticilline. Un traitement antibiotique intraveineux par Cloxacilline 8 g par jour et Gentamicine 3 mg/kg/jour est rapidement institué le 15 avril au soir. L'évolution au troisième jour de l'antibiothérapie pourtant adaptée est défavorable puisque le patient devient nettement fébrile à 39-40° et très algique. Une altération nette de l'état général s'installe. Biologiquement, on note une insuffisance rénale (créatininerie à 170 flmol/l pour une normale inférieure à 115 flmol/l). Un nouveau scanner (figure 2) réalisé au sixième jour montre une très importante majoration des lésions abcédées qui diffusent au psoas gauche sur 15 cm de hauteur. Devant l'aggravation clinique et tomodensitométrique, l'antibiothérapie est donc modifiée pour une autre association intraveineuse, Céfotaxime 8 g par jour et Fosfomycine 8 g par jour, mais le patient doit finalement être opéré le 20 avril 1995 pour évacuer l'abcès paraspinal et du psoas gauche, laver la cavité et installer un drainage. Tous les prélèvements bactériologiques per-opératoires retrouvent le même staphylocoque doré. Après l'intervention, le patient devient immédiatement apyrétique et asymptomatique, son état général s'améliore de façon durable. Biologiquement, on note une hyperleucocytose à 21 400 globules blancs par mm3 (dont 17 000 polynucléaires neutrophiles par mm3), une hémoglobine à 14.1 g/dl, un syndrome inflammatoire marqué avec une vitesse de sédimentation à 38 mm à la première heure et une C-Réactive protéine à 150 mg/I (normale inférieure à 10 mg/I). La créatine phosphokinase est à trois fois la normale. Le reste du bilan biologique standard est normal. Au plan bactériologique, Figure 1: Premier scanner lombaire (14 avril 1995): abcès paraspinal gauche. 96 PYOMYOSITE NON TROPICALE DES MUSCLES PARASPINAUX : À PROPOS D'UNE OBSERVATION la cuisse (60 %). La région lombaire ne représente que 13 % des observations. L'infection concerne un muscle Le scanner de contrôle (figure 3) à 114 post-opératoire ne retrouve qu'une petite collection sous-cutanée pariétale postérieure qui est ponctionnée: il s'agit d'un hématome stérile. unique, ou plus souvent un ou plusieurs groupes musculaires. Les symptômes initiaux sont essentiellement la douleur, la fièvre, la raideur et les signes inflammatoires. L'analyse bactériologique (par prélèvement à J'aiguille ou prélèvement chirurgical) est contributive dans 90 % des cas, retrouvant un staphylocoque doré dans 66 % des cas, un streptocoque A, B, G ou ingroupable dans 12 % des cas, un autre germe dans 22 % des cas, bacille gram négatif, anaérobie voire un champignon. La porte d'entrée n'est pas toujours identifiée. L'aggravation peut être rapide. La mortalité est de 8 % dans la série de Gomez Reino. Le traitement consiste en une antibiothérapie adaptée au germe pendant environ dix semaines, éventuellement associée à un drainage percutané installé sous contrôle scopique. Une évacuation chirurgicale de l'abcès est nécessaire lorsque l'évolution n'est pas favorable sous traitement médical et que le pronostic vital est engagé. L'histoire de notre patient est originale par la localisation de l'infection aux muscles paraspinaux secondairement étendue au carré des lombes et au psoas, et sa survenue sur un terrain immuno-compétent. L'évolution initialement défavorable malgré un diagnostic précoce et un traitement antibiotique adapté, nécessitant une évacuation chirurgicale de l'abcès, souligne l'importance du recours rapide à la chirurgie dans certains cas. L'atteinte du muscle par le processus infectieux est peut-être favorisée par un traumatisme, parfois résumé à un effort musculaire important. Ainsi peut-on penser que la séance de musculation de notre patient trois mois plus tôt a pu favoriser l'atteinte des muscles lombaires. La porte d'entrée de ce staphylocoque doré est vraisemblablement une folliculite récidivante du visage fréquemment manipulée. Le 9 mai 1995, l'antiobiothérapie est relayée per os par Clindamycine et Rifampicine et le patient quitte l'hôpital. Les antibiotiques sont arrêtés un mois plus tard. Figure 3: Troisième scanner lombaire (4 mai 1995): hématome sous-cutané. DISCUSSION Les PNT constituent une pathologie rare en dehors des zones intertropicales. On les oppose aux pyomyosites tropicales, fréquentes en Afrique, en Nouvelle Guinée et dans les Iles du Pacifique. L'incidence peut y atteindre un cas/lOOO habitants/an. Elle sont probablement favorisées par les traumatismes, la malnutrition et touchent essentiellement les hommes jeunes. L'infection se localise surtout aux muscles fessiers, aux cuisses et aux épaules, plus rarement à la paroi abdominale et au psoas. Le germe est un staphylocoque doré dans 80 % des cas (3). RÉFÉRENCES --------- 1 - AUDRAN M., MASSON c., BREGEON C. et coll. Les pyomyosites. A propos de 5 observations. Rev Rhum (Ed Fr) 1993,60 (1), 48-53. En 1994, Gomez Reino (2) rapporte 12 cas de PNT observés en Espagne et les compare à 85 cas publiés dans la littérature. Il faut y ajouter la série de 5 cas publiés par Audran et coll (1) en 1993. Les PNT affectent en majorité des hommes (75 %), d'âge moyen 43 ans. On ne retrouve que dans 66 % des cas une pathologie sous-jacente (notamment diabète, maladie hématologique, infection par le VIH) et un sujet sain peut parfaitement être touché, comme dans notre observation. La localisation la plus souvent rencontrée est 2 - GOMEZ-REINO JJ., AZNAR JJ., PABLOS GONZALEZ F., LAFFON A. Nontropical pyomyositis in adults. Sernin Arthritis Rheum 1994,23 (6), 396-405. 3 - SHEPHERD JJ. Tropical myositis: ls it an entity and what is its cause? Lancet 1983, 2, 1240-1242. 97 IL., DIAZ-