La consultation du généraliste en 2010. Pour une médecine centrée

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STRATÉGIES
La consultation médicale – ce n’est pas spécifique à la consultation du généraliste – est
d’abord la rencontre de deux personnes. Le « patient » y est souvent, mais pas exclusivement
quand il s’agit de soins primaires, en souffrance et demandeur ; le médecin en position
« d’expertise » par rapport à cette demande. C’est entre ces deux « postures » que se noue la
relation, à différents niveaux possibles selon les consultations, les moments et les pathologies. Ce qui est sans doute la première particularité de la consultation de médecine générale,
c’est que la première rencontre est habituellement, si le « lien » se noue convenablement, le
début d’une longue histoire, qui se prolonge parfois sur plusieurs générations. La consultation, comme dans toute discipline médicale, répond bien entendu à des demandes relevant
généralement du domaine de la santé, donc des données scientifiques sur lesquelles le
médecin doit s’appuyer pour y répondre. Elle s’appuie aussi, comme l’a montré si remarquablement Balint, sur le vécu et les représentations des deux protagonistes, le patient comme
le médecin. En ce sens, la consultation pour une pharyngite ou une vaccination n’est pas si
différente de l’annonce d’une mauvaise nouvelle ou le suivi d’une maladie grave... Ce dossier
est consacré à différents aspects de ce qui est au cœur même du métier de généraliste.
La consultation
du généraliste en 2010
Pierre Gallois
Jean-Pierre Vallée
Yves Le Noc
Société Française
de Documentation
et de Recherche
en Médecine Générale
Mots clés :
communication
non verbale,
consultation,
diagnostic,
examen clinique,
examen
complémentaire
informatique,
médecine centrée
sur le patient,
relation
médecin-patient
Pour une médecine centrée sur le patient
Ces dossiers sont issus de textes publiés chaque semaine depuis quelques années
dans Bibliomed. Actualisés si nécessaire en fonction des données les plus récentes,
ils ne résultent pas d’une revue systématique de la littérature, mais d’une veille
documentaire en continu des principales revues médicales publiant des études fondées sur les preuves, ou des recommandations en résultant. Ils ont pour ambition
de fournir au médecin généraliste une actualisation des données sur les questions
pertinentes pour leur pratique retenues par le comité de rédaction.
La consultation de médecine générale a bien d’autres aspects assez spécifiques, même s’ils peuvent se
retrouver de façon plus accessoire dans une consultation de deuxième ou troisième recours. Le motif invoqué
n’est parfois que le prétexte de la consultation, qu’il faut savoir décrypter pour répondre à la vraie demande.
La consultation du généraliste Français a une durée plutôt longue par rapport à ses collègues d’autres pays.
Ce n’est pas nécessairement la durée qui fait la qualité, mais le style de la consultation, qui doit favoriser
l’information du patient et sa participation au processus de soins. Dans tous les cas, il ne faut jamais oublier,
même si le développement de la médecine « scientifique » peut sembler y pousser, que les interactions
humaines y sont toujours fortes, que la clinique reste la base, que les examens paracliniques ne sont que
complémentaires et qu’au bout du compte, c’est de la qualité relationnelle que vont dépendre le suivi des
conseils délivrés et/ou du traitement prescrit, donc son efficacité. De nombreuses études, pour l’essentiel, il
est vrai, étrangères, se sont intéressées aux différents aspects et objectifs de la consultation : elle est bien
« l’unité de base » de la rencontre entre le patient et son médecin, aussi diverse qu’il existe de modes d’exercices, mais toujours répondant aux mêmes impératifs.
Les questions auxquelles répond ce dossier ont fait l’objet de 5 publications de Bibliomed : 577 du 4 mars,
579 du 18 mars, 582 du 8 avril, 583 du 15 avril, 585 du 29 avril 2010.
10.1684/med.2010.0561
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Des données pour décider en médecine générale
MÉDECINE mai 2010 221
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
Que demande le patient, que lui proposer ?
ôté patient, le motif de consultation exprimé masque parfois d’autres problèmes qu’il peut hésiter à formuler. Côté médecin,
les propositions de dépistages, d’information ou d’éducation thérapeutique font partie de l’évolution récente d’une médecine
qui va très au-delà des demandes explicites ou non du patient. Dans tous les cas, la relation de confiance qui s’établit ou se
poursuit durant la consultation est la base nécessaire de l’adhésion du patient aux propositions qui lui seront faites dans l’immédiat et dans la durée. De nombreuses études ont cherché à analyser les conséquences de ces évolutions [1].
C
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La vraie demande du patient est parfois
méconnue
Diverses études françaises et internationales ont montré
que l’attente réelle du malade est souvent méconnue ou
mal perçue par le médecin. Dans la majorité des consultations, le problème présenté en premier par le patient est
considéré d’emblée comme le vrai motif de la consultation, si bien que cette première partie de la rencontre est
dans les études inférieure à 30 secondes. Or, il apparaît
que la demande exprimée d’emblée par le patient n’est
ni la seule, ni souvent sa principale préoccupation [2], ce
que certains auteurs appellent « l’agenda caché » du patient. Méconnaître les problèmes qui peuvent exister audelà de la demande exprimée d’emblée se traduit souvent
par le « syndrome du pas-de-porte », avec à la sortie le
classique « au fait, Docteur... » que nous connaissons
tous [2].
Comment éviter ce « au fait, Docteur » ?
Les motifs de « non-dit » sont nombreux, d’ordre biomédical
notamment pour des pathologies que l’on craint d’aborder
(cancer, VIH...), souvent aussi d’ordre psycho-social ou existentiel. Les prendre en compte améliore l’efficience de l’acte
médical, mais aussi favorise l’écoute et la prise en charge du
patient, son observance [3].
Laisser au patient un peu de temps pour exprimer toutes
ses plaintes n’allonge que très légèrement le temps initial
de la consultation et réduit significativement le nombre de
demandes en toute fin de consultation [4]. Poser simplement la question « quoi d’autre », une fois le premier motif
exposé, permet de mieux comprendre le patient, d’éviter
les « oublis » malencontreux et de prévoir avec le patient
le principal sujet à aborder ce jour-là. Autre possibilité :
avant la fin prévue de l’entretien, demander au patient s’il
souhaite parler d’autre chose que ce qui a été abordé ;
selon les cas, on pourra y répondre immédiatement ou en
prévoyant un nouveau rendez-vous. Proposer au patient
de noter avant la consultation ses attentes peut aussi réduire les demandes non exprimées ou de « pas-deporte ».
Sur ce sujet, le consensus de Toronto insistait sur des aspects très concrets de la consultation, quant à la qualité et
la quantité des informations recueillies : éviter les interruptions prématurées, avoir une écoute active et empathique,
utiliser des questions ouvertes sans limitation inappropriée,
avec fréquents résumés (si je comprends bien...). À l’inverse
les interruptions inappropriées, une réassurance trop précoce
sont des facteurs négatifs [5].
222 MÉDECINE mai 2010
Les nouvelles composantes de la consultation
Il est de plus en plus demandé au généraliste de réaliser au cours
de toute consultation le dépistage des cancers, des facteurs de
risque, d’informer son patient en vue d’un partage de la décision,
d’assurer son éducation thérapeutique, particulièrement dans les
maladies chroniques, d’accompagner les personnes âgées et les
patients avec polypathologies... Réaliser l’ensemble de ces tâches dans le cadre de la consultation sans l’allonger de façon
excessive semble difficile. Assal a proposé, dans le cadre des
maladies chroniques [in 1, p. 54], de répartir les réponses sur
plusieurs consultations, en demandant au patient de noter sur un
carnet les problèmes rencontrés et de les discuter au cours de
consultations successives. Le médecin peut ainsi aborder par
petites touches successives les problèmes du patient dans les
divers domaines de sa vie quotidienne. L’auteur (suisse) a montré
par sa pratique personnelle la faisabilité de la méthode.
Que conclure pour notre pratique ?
Garder en permanence à l’esprit que la demande exprimée d’emblée n’est pas toujours la seule ou la principale
permet de comprendre mieux le patient, de répondre à ses
attentes et d’améliorer le résultat des soins. Cela exige de
donner au patient la possibilité de s’exprimer pleinement.
L’insertion de propositions de soins à la demande du médecin doit être gérée de la même façon. La participation active du patient est tout aussi indispensable pour qu’il accepte
ce qui ne faisait pas l’objet de sa demande ou des changements comportementaux toujours difficiles à obtenir.
Le principal problème posé est celui de la durée de
consultation, avec ses implications sur le temps de travail
médical et ses conséquences financières dans le contexte
actuel de rémunération du médecin.
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
D'abord l'écoute, l'examen physique, la clinique...
a clinique reste, doit rester, le fondement de toute pratique. Pourtant, la formation des futurs médecins dans des hôpitaux
universitaires, hauts lieux d’une médecine technologique triomphante (en sommes-nous si sûrs...), tend à dévaloriser
l’approche clinique par rapport à une approche plus « technique » fondée sur les données d’examens paracliniques systématiques. Un « retour à la clinique », pour une médecine réellement « centrée sur le patient » s’impose aujourd’hui, comme
le soulignent de très nombreuses études internationales actuelles.
L
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L'approche centrée sur le patient est la base
De nombreuses études ont montré les bénéfices de cette
approche. Au-delà de la satisfaction du patient, elle améliore
l’observance thérapeutique et les résultats de santé [6, 7]. Il
ne s’agit pas simplement d’« humanisme », de complément
de la clinique : elle en est le socle. Elle en comprend tous les
aspects : entretien, examen physique, prise en compte de
l’ensemble des préoccupations du patient, de tous ses aspects somatiques, psychologiques et environnementaux,
établissement d’un véritable partenariat avec informations et
partage de la décision [6].
La clinique est essentielle pour le diagnostic
Elle peut suffire pour de nombreuses situations, la migraine,
les lombalgies et bien d’autres, ce qui a été acté dans de
nombreuses recommandations. Elle est particulièrement importante pour les fréquents syndromes médicalement inexpliqués. Dans ce cas, si la clinique permet le plus souvent le
diagnostic pour le médecin, l’acceptation de ce diagnostic
par le patient ne peut être obtenue que par une approche
centrée sur le patient dans tous ses aspects, alors que la
demande d’examen a souvent un effet anxiogène, comme
nous le verrons plus loin.
D’ailleurs, dans tous les cas, un diagnostic purement clinique
doit être expliqué de façon approfondie au patient, tant est
grande la croyance en la toute-puissance des approches technologiques.
La clinique a sa propre valeur thérapeutique
La clinique structure la rencontre médecin-patient, permet
de mieux comprendre le patient, favorise la confiance et l’observance. L’écoute et sa qualité, l’examen clinique ont en
eux-mêmes un effet thérapeutique, avec leur double composante verbale et non verbale. L’examen clinique, physique,
au-delà des informations qu’il apporte au médecin, comporte
une dimension relationnelle importante pour le patient, mais
aussi pour le médecin, appelée « toucher relais » par Siegrist.
Il permet d’établir une relation de confiance, de rassurer ou
d’expliquer [8]. Une étude qualitative récente montre bien
l’importance de cet examen pour le patient, geste de savoir,
mais aussi de communication et de réassurance [9].
Ceci est important dans toute situation médicale [8], mais
particulièrement en cas de syndrome médicalement inexpliqué. Optimiser l’« effet médecin », composante de l’acte
médical améliore l’effet thérapeutique de la rencontre
comme l’a bien montré l’étude de Moreau : dans les études
analysées étaient efficaces l’écoute empathique, la réassurance positive fondée sur des explications claires, la capacité
à permettre les questions, à laisser s’exprimer les émotions
[6, 10].
La clinique peut être évaluée comme
un examen
L’évaluation de l’approche clinique, comme de l’approche
technologique, repose sur des critères qui en définissent la
valeur prédictive. Les scores cliniques qui existent pour de
plus en plus de situations permettent de comparer les probabilités pré- et post-test.
De nombreuses études ont également réalisé une évaluation
de l’approche relationnelle. Ces études sont plus complexes,
notamment à cause de la difficulté de définir des critères
utilisables. Les études de satisfaction et les études qualitatives peuvent apporter des informations utiles [10].
Que retenir pour notre pratique ?
Il est important de réhabiliter la clinique. Elle est fondamentale, souvent à elle seule pour affirmer le diagnostic, ou
pour orienter les examens qui ne doivent être considérés que
comme complémentaires.
La clinique a sa propre valeur thérapeutique : selon la façon dont elle est utilisée, elle établit ou non la confiance, elle
peut inquiéter ou rassurer. Demander des examens pour rassurer peut par exemple augmenter l’anxiété.
La clinique peut être évaluée de la même façon que les
examens complémentaires, avec des scores cliniques établis
dans de nombreuses pathologies. Mais l’expérience du clinicien peut donner des résultats voisins.
La clinique ne peut être évaluée de façon purement quantitative, mais doit prendre en compte le malade dans toutes
ses dimensions, son anxiété, ses attentes, sa personnalité.
C’est cela qui est le plus déterminant.
MÉDECINE mai 2010 223
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
Les examens paracliniques ne sont que complémentaires
e diagnostic, les conclusions de la consultation, sont avant tout fondés sur l’entretien et l’examen clinique. Si l’on admet
cette approche décisionnelle, les examens dits « complémentaires » ont pour but de confirmer et de préciser les orientations thérapeutiques, malgré certaines opinions ou comportements actuels selon lesquels la décision serait orientée plus
efficacement par une batterie préalable d’investigations. D’ailleurs, n’est-ce pas l’attente des patients ? Pourtant, les examens paracliniques ne sont que complémentaires. Ils doivent être orientés par la clinique. Ils ne sont pas toujours attendus
par le patient. Surtout, ils ont leurs propres limites et ne rassurent pas toujours [1].
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Pourquoi prescrit-on un examen paraclinique ?
Les raisons médicales dominent largement en cas de symptômes précis impliquant des décisions importantes. C’est
plus complexe quand il s’agit de syndromes médicalement
inexpliqués. Les motifs de prescription varient beaucoup selon les médecins, leurs habitudes, leur tolérance à l’incertitude, le temps dont ils disposent : prescrire un examen prend
moins de temps que d’expliquer [11].
La perception qu’a le médecin des attentes de son patient est un déterminant très fort. Il conduit souvent à prescrire des examens malgré un besoin médical considéré
comme faible ou nul. Mais le médecin mésestime très souvent cette attente [12] comme celle de la prescription médicamenteuse [13]. S’il est important de l’apprécier, il faut surtout y répondre par l’écoute et des explications sur le
pourquoi de la prescription ou de la non-prescription [12].
La clinique doit toujours être le passage
préalable
Elle suffit souvent. Elle est de toute façon toujours indispensable pour orienter les examens : ainsi l’Anaes exclut tout
autre examen après un bilan clinique soigneux pour la lombalgie commune dans les 7 premières semaines, comme
pour la migraine [14].
Aucun examen n'assure une certitude totale
Une démarche diagnostique est toujours probabiliste, avec
sa sensibilité, sa spécificité et sa valeur prédictive, impliquant
des faux positifs et des faux négatifs possibles ; et la valeur
prédictive dépend de la prévalence de la maladie dans le
groupe de patients soumis au test, avec des conséquences
négatives ou positives. En cas de faible probabilité (ou prévalence) pour ce type de patient les faux positifs seront plus
fréquents que les vrais et seront difficiles à gérer. Cependant, cette notion peut aider la décision. Par exemple, dans
le cas de suspicion de thrombose veineuse (TVP), un dosage
normal de D-dimères suffit à éliminer une TVP dans les groupes à faible prévalence mais non dans les groupes à forte
prévalence (ou probabilité, définie à partir de scores cliniques). Résultat complémentaire et examen clinique, ici
concordants, peuvent aider à la décision [15, 16].
224 MÉDECINE mai 2010
Les anomalies découvertes peuvent être sans
signification
C’est ainsi le cas pour la colonne lombaire : dans une étude
chez des personnes asymptomatiques de moins de 60 ans,
environ la moitié avaient des anomalies discales et 1/4 une
hernie discale, ceci encore plus souvent après 60 ans. Des
constatations similaires ont été faites avec les radiographies
standard et le scanner [17].
Un test négatif ne rassure pas
toujours le patient
Souvent l’examen est réalisé pour rassurer le patient sur le
caractère non pathologique de ses symptômes. Mais la négativité de l’examen ne rassure pas toujours le patient [1].
Les patients non rassurés sont souvent anxieux voire déprimés ; la prescription de l’examen en elle-même peut signifier
pour ces patients que le médecin a des raisons de croire à
une maladie grave [18, 19]. Rassurer doit être un objectif de
base de ce type de consultation. Au-delà de l’explication,
c’est tout le style de l’écoute qui est à la base de la confiance.
Prescrire un examen inutile n’est pas gagner du temps, mais
en perdre [19].
Que retenir pour notre pratique ?
Toute prescription d’examen implique d’en connaître les
caractéristiques et les limites dans la situation précise de sa
prescription. Ces limites peuvent représenter une raison de
non-prescription.
Les attentes du patient doivent être prises en compte,
non pour prescrire quand cela n’est pas médicalement justifié, mais pour comprendre ce que cette attente signifie pour
le patient. Il faut donc chercher à la connaître.
Prescrire un examen n’est pas sans signification pour le
patient. Il doit être intégré dans le contexte clinique d’ensemble. Le patient doit au cours de la consultation comprendre la signification d’une éventuelle prescription comme
d’une non-prescription. Son anxiété est plutôt une raison de
non-prescription que de prescription : non seulement souvent
l’examen ne le rassurera pas, mais au contraire sa « normalité » risque encore de majorer son anxiété.
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
La communication non verbale dans la consultation
es études sur la relation médecin-patient s’intéressent le plus souvent à la qualité de communication verbale entre
médecin et patient. Cependant, la communication non verbale agit aussi sur la satisfaction du patient, son adhésion aux
conseils et par là sur les résultats cliniques [20, 21]. Une étude polonaise récente apporte des données précises sur les
divers aspects de cette communication [20]. L’évolution du comportement médical liée à l’usage de plus en plus courant
de l’ordinateur durant la consultation renforce l’importance de bien comprendre ce qui se passe dans la consultation en
dehors des mots [21].
L
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Les aspects de la communication non verbale
L’équipe polonaise [20] a longuement interviewé 36 patients
de 9 généralistes de diverses régions et pratiques. Les questions ouvertes, sur une consultation récente (moins d’une
semaine), portaient sur la satisfaction ou l’insatisfaction ressentie sans que le type de relation soit explicitement évoqué.
24 participants sur 36 ont cité spontanément des aspects de
la communication non verbale de leur médecin :
– le ton de la voix (12 fois), qui peut avoir une influence
positive ou négative ;
– le contact visuel (10 fois) qui fait penser que l’on est entendu ou compris, ou que seul l’ordinateur intéresse ;
– l’expression faciale (8 fois), le sourire particulièrement,
mais aussi l’impression d’une écoute attentive ;
– les caractéristiques du cabinet médical (6 fois), où par
exemple la présence de photos familiales, les couleurs et la
décoration étaient appréciées ;
– le toucher et les gestes (5 fois), comme les gestes de
remerciements, ou à l’inverse l’absence de toucher ;
– la distance interpersonnelle (3 fois), la place du bureau,
écartant le patient du médecin ;
– l’habillement du médecin (2 fois), la blouse blanche étant
considérée comme éloignant ;
– les gestes et les postures (2 fois), les patients appréciant
le médecin qui ne regarde pas sa montre, ne reste pas toujours derrière son bureau, paraît relaxé.
Un aspect particulier, l'examen clinique
Le « toucher » que comporte l’examen clinique a été analysé.
Des auteurs [8, 22] montrent qu’il peut représenter, comme
les attitudes, un élément de la communication non verbale. S’il
a souvent une valeur diagnostique pour le médecin, il peut avoir
une valeur thérapeutique pour le patient, ce que Siegrist appelle le « toucher relais » dans le suivi des malades avec des
symptômes persistants : réexaminer, même succinctement, la
zone douloureuse permet de rassurer le patient, de montrer
que l’on ne nie pas la réalité du symptôme. L’examen physique, par la proximité qu’il implique, est un temps primordial de
la relation médecin-patient. Il faut se rappeler que selon la façon
dont ils sont effectués, les gestes du médecin peuvent être
rassurants ou inquiétants. L’examen clinique est à réaliser en
veillant à la façon dont il est perçu par le patient et aussi en
respectant son intimité et sa pudeur [23].
L'ordinateur et la relation médecin-patient
L’usage de l’ordinateur durant la consultation fait que souvent le médecin semble plus centré sur celui-ci que sur son
patient. De nombreuses études en ont analysé les conséquences sur la relation médecin-patient [21].
La nécessité de recueillir des données précises pour le dossier médical et les contrôles qui lui sont associés conduisent
le médecin à se centrer plus sur ces aspects que sur le patient et ses problèmes face à sa maladie, à privilégier les
problèmes somatiques quantifiables aux dépens des problèmes psychosociaux.
Un autre reproche est que le regard du médecin est alors plus
centré sur l’écran que sur le patient. Cette position adoptée
par le médecin en début de consultation a un effet négatif chez
le patient [in 21]. Elle a aussi une influence négative sur la
communication non verbale : des études ont montré qu’elle
réduit l’aisance du patient à répondre et augmente le risque
pour le médecin de manquer ou oublier des informations.
Que retenir pour notre pratique ?
Incorporer ces données dans nos pratiques et programmes de formation, initiale et continue : elles peuvent être
analysées à partir de vidéo-analyses, et les formateurs
comme tout médecin doivent en prendre conscience pour
eux-mêmes [21].
Apprendre à mieux gérer l’usage de l’ordinateur en
consultation, avec quelques règles : repousser son usage
jusqu’à ce que le patient ait bien défini ses attentes, attendre
le moment opportun pour regarder ses notes, séparer
l’écoute de la prise de notes en indiquant votre intention de
regarder le dossier quand vous aurez fini, pour que le patient
en comprenne bien l’usage. Apprendre à structurer la consultation en éléments distincts est sans doute la leçon la plus
importante de cette évolution [21].
MÉDECINE mai 2010 225
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
Adapter la consultation aux besoins actuels : durée ou style ?
es conditions pratiques de la consultation du généraliste ont beaucoup changé dans les dernières années. Elles impliquent peut-être plus qu’autrefois, au-delà de la résolution d’un problème ponctuel parfois lourd, la prise en compte des
autres problèmes du patient, la recherche et le dépistage des divers facteurs de risque, l’accompagnement au long cours
des maladies chroniques. Ce peut être difficile ou impossible au cours d’une seule consultation. Faut-il en allonger la durée ?
Faut-il modifier plus profondément l’organisation des soins et le mode de rémunération des médecins ? Des études sur la
durée de la consultation et les attentes des patients peuvent aider notre réflexion.
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Quelle est la durée actuelle des consultations ?
Dans une étude française de 2002, sur 44 000 consultations
(922 généralistes), la durée moyenne était de 16 minutes,
0,3 % durant moins de 5 mn et 4,8 % plus de 30 mn (contre
13,3 minutes au Royaume-Uni en 2003 et 20 mn aux USA).
La consultation était plus longue en cas de problèmes psychologiques ou psychiatriques, de maladies chroniques, de
personnes âgées, de nouveaux patients [24]. La durée variait
en fonction des pathologies et des situations, mais aussi des
attentes des patients, des habitudes locales, des médecins.
La durée est-elle facteur de qualité ?
Les études sont nombreuses mais souvent de qualité modeste. Une synthèse britannique basée sur 14 études conclut
qu’avec un temps plus long de consultation, les médecins
prescrivent moins, conseillent plus sur le style de vie et la
promotion de la santé, reconnaissent mieux les problèmes
psychosociaux et permettent une meilleure observance du
patient [25]. Dans une enquête américaine, une augmentation de 3 mn de la durée moyenne de la consultation entre
1997 et 2005 s’est accompagnée d’une augmentation des
dépistages et conseils de style de vie, sans modifier les prescriptions [26].
La satisfaction du patient est-elle liée
à la durée ?
Les études sur ce lien ne sont pas probantes, la satisfaction
semblant plus liée au style participatif de la consultation. Une
étude anglaise [27] montrait la fréquente discordance entre
le temps réel et le temps perçu et souhaité : les patients
insatisfaits sous-estimaient le temps réel, les satisfaits le surestimaient souvent ; l’important était le sentiment d’avoir pu
parler et d’être écouté.
Mieux répondre aux besoins du patient ?
La médecine moderne a deux exigences : style participatif
avec le patient (compréhension de ses attentes et préoccupations, explicites ou non, implication dans la décision), extension du champ de la consultation (éducation du patient,
226 MÉDECINE mai 2010
promotion de la santé). Cela semble exiger des consultations
prolongées [26].
En pratique, nombre de problèmes simples ou urgents ne
nécessitent pas une consultation longue, mais un accès rapide. Si, faute de temps disponible du médecin habituel, un
autre professionnel peut alors intervenir occasionnellement,
il faut veiller à ne pas détériorer la continuité de la relation et
des soins avec le médecin choisi, même dans une équipe
[26].
Dans la consultation « normale » qui nécessite souvent du
temps supplémentaire, il est cependant illusoire, sans doute
peu efficace, de vouloir aborder l’ensemble des problèmes
soulevés dans une seule consultation. Différentes méthodes
peuvent être utilisées en cours de consultation pour éviter la
frustration du patient qui se sent mal écouté ou mal compris :
prévenir le « syndrome de pas-de-porte », établir des priorités avec le patient, aborder les problèmes dans des consultations successives, lui demander d’établir une liste de ses
problèmes... Cette approche centrée sur le patient est à la
base de toutes les études [28]. Restent les problèmes psychologiques qui nécessitent toujours une durée plus longue.
Que retenir pour notre pratique ?
Des consultations plus longues permettent une meilleure approche des troubles psychosociaux, des conseils pour le style
de vie, de l’éducation thérapeutique des maladies chroniques.
Elles favorisent l’observance. Elles améliorent le suivi des personnes âgées.
Bien que la satisfaction des patients soit plus liée au style de
la consultation qu’à sa durée, l’objectif actuel d’une consultation vraiment « centrée sur le patient » est peu compatible
avec une organisation de l’exercice et un mode de paiement
incitant à des consultations courtes : les médecins qui ont
perçu la nécessité de ce type de pratique ne peuvent durablement continuer à le faire aux dépens de leur vie personnelle et de leurs revenus.
Le changement nécessaire demande une réflexion approfondie sur le mode de rémunération et d’organisation de l’exercice généraliste.
STRATÉGIES
Des données pour décider en médecine générale
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En résumé, la consultation du généraliste en 2010
h La demande exprimée d’emblée par le patient n’est ni la seule, ni souvent sa principale préoccupation. Méconnaître
les problèmes qui peuvent exister au-delà se traduit souvent par le « syndrome du pas-de-porte ».
h La participation active du patient est indispensable pour qu’il accepte ce qui ne faisait pas l’objet de sa demande ou
des changements comportementaux toujours difficiles à obtenir.
h La clinique est fondamentale, souvent à elle seule, pour affirmer le diagnostic, ou pour orienter les examens qui ne
doivent être considérés que comme complémentaires. Elle a sa propre valeur thérapeutique et peut être évaluée de la
même façon que les examens complémentaires.
h Toute prescription d’examen implique d’en connaître les caractéristiques et les limites dans la situation précise de
sa prescription. Le patient doit comprendre la signification d’une éventuelle prescription comme d’une non-prescription.
h Communication verbale et communication non verbale agissent sur la satisfaction du patient, son adhésion aux conseils
et par là sur les résultats cliniques.
h L’objectif actuel d’une consultation vraiment « centrée sur le patient » est peu compatible avec une organisation de l’exercice et un mode de paiement incitant à des consultations courtes. Le changement nécessaire demande une réflexion
approfondie sur le mode de rémunération et d’organisation de l’exercice généraliste.
MÉDECINE mai 2010 227
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