DOSSIER THÉMATIQUE Voie glutamatergique et maladie d’Alzheimer Glutamate et grandes fonctions cérébrales Glutamate and brain functions A. Eusebio*, **, J. Micallef-Roll* P rincipal neurotransmetteur excitateur du cerveau, le glutamate joue un rôle majeur dans le fonctionnement cérébral, depuis les premières étapes de la neurogenèse jusqu’au vieillissement cérébral. Son degré d’implication dans de nombreux processus physiologiques est corroboré par la responsabilité qu’il endosse dans la genèse de nombreux processus pathologiques. En effet, on a pu mettre en évidence un dysfonctionnement de la transmission glutamatergique dans de nombreuses maladies neurologiques telles que l’épilepsie, l’accident vasculaire cérébral, et la plupart des maladies neurodégénératives comme les démences, la sclérose latérale amyotrophique ou la maladie de Parkinson (1). En outre, l’approche pharmacologique des troubles psychiatriques a permis d’établir un lien entre le glutamate et certaines maladies mentales, notamment la schizophrénie (2). La multiplicité de ses sites d’action rend difficile la réalisation d’une revue exhaustive sur les fonctions cérébrales du glutamate. Aussi, nous avons voulu, au travers de cet article, illustrer certains processus centraux où le glutamate joue un rôle clé et évoquer le lien qui existe entre le fonctionnement cérébral normal et la pathologie. Après un bref rappel de l’organisation générale du système glutamatergique dans le cerveau, nous examinerons la place du glutamate dans le neuro­ développement, la motricité, les fonctions cognitives et les pathologies psychiatriques. Organisation du système glutamatergique Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau du mammifère, où il est retrouvé dans 40% des synapses (1). Il constitue le neurotransmetteur des cellules pyramidales qui représentent la source des voies efférentes du cortex. On le trouve dans les grandes voies neuronales cortico-sous-corticales et, en particulier, dans celles projetant vers les ganglions de la base, dans les voies associatives cortico-corticales inter- et intra-hémisphériques notamment à destination du cortex limbique et dans l’hippocampe (3). Il agit sur trois types de récepteurs postsynaptiques ionotropiques permettant l’ouverture d’un canal cationique : NMDA (N-méthyl-D-aspartate), AMPA (α-amino3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate) et kaïnate. En outre, le glutamate se fixe également sur trois types de récepteurs métabotropiques, localisés en pré- ou postsynaptiques, qui activent la phospholipase C (entraînant la production d’inositol triphosphate et de diacylglycérol) ou inhibent l’adénylate cyclase (diminuant la production d’AMPc). L’ensemble de ces récepteurs est localisé sur les neurones mais également sur les cellules gliales (4). Glutamate et neurodéveloppement Au cours de la neurogenèse, la maturation et la migration neuronales s’opèrent de façon concomitante. Il ressort d’études sur l’hippocampe de rat que la maturation des synapses GABAergiques survient en premier et que le GABA reste l’unique neurotransmetteur capable de générer des activités synaptiques jusqu’aux derniers jours de la vie embryonnaire. En outre, en raison du degré de maturation des cotransporteurs K-Cl, la concentration intracellulaire de Cl– est élevée durant la vie embryonnaire et jusqu’à la deuxième semaine postnatale. Aussi, à ce stade, le GABA présente un rôle dépolarisant nécessaire à la mise en place du réseau, dont les seules activités détectables sont constituées par la récurrence à * Centre d’investigation clinique CPCET, hôpital de la Timone, CHU de Marseille. ** Service de neurologie et de patho­logie du mouvement, pôle de neurosciences cliniques, hôpital de la Timone, CHU de Marseille. La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 407 Résumé Mots-clés Glutamate Cognition Motricité Parkinson Développement Le rôle clé du glutamate, principal neurotransmetteur excitateur du cerveau mammifère, dans les principales étapes du fonctionnement cérébral, est connu depuis de nombreuses années. Toutefois, la mise en évidence de son implication dans les processus physiopathologiques de nombreuses affections neuropsychiatriques dégénératives ou non suggère une place bien plus importante dans des domaines tels que la motricité et la cognition. Cet article a pour objectif de fournir quelques exemples de l’impact des perturbations de la transmission glutamatergique sur le fonctionnement cérébral. 0,1 Hz de potentiels géants (5). L’apparition de synapses glutamatergiques matures, exprimant d’abord le récepteur NMDA puis AMPA, coïncide avec l’inversion du gradient chlore et l’apparition de l’activité hyperpolarisante du GABA. Ainsi, l’absence du glutamate durant les premières étapes de la neurogenèse est compensée par le rôle dépolarisant transitoire du GABA. Toutefois, les récepteurs du GABA et du glutamate sont exprimés par les neurones immatures avant la formation des synapses (6). C’est par ce biais que ces neurotransmetteurs exercent un rôle dans la migration des neurones immatures. Le GABA et l’activation des récepteurs NMDA exercent un rôle crucial dans la migration des neurones glutamatergiques. Au cours de leur migration, les interneurones libèrent du GABA qui module la migration des neurones glutamatergiques (6). À l’inverse, il a récemment été montré que la migration des interneurones est essentiellement modulée par l’activation des récepteurs AMPA (7). Les synapses glutamatergiques ne deviennent matures que lorsque les interneurones cibles ont atteint un degré de maturation suffisant (5). Glutamate et contrôle moteur Le contrôle moteur est assuré essentiellement par le cervelet et les ganglions de la base. Ces derniers sont constitués par un ensemble de noyaux souscorticaux organisés en réseau ; ils jouent un rôle dans la motricité et sont en outre impliqués dans les processus d’apprentissage. Le striatum représente la structure d’entrée principale de ce réseau en recevant des afférences glutamatergiques d’origine corticale et thalamique. Il reçoit également des afférences dopaminergiques en provenance de la substance noire pars compacta. Les noyaux de sortie du réseau sont représentés par le globus pallidus interne et la substance noire pars reticulata qui, tous deux, émettent des projections GABAergiques inhibitrices en direction du thalamus qui projette à son tour vers le cortex (8). La modulation du mouvement est donc sous la dépendance d’une boucle GABA-glutamate modulée par la dopamine. En effet, cette dernière exerce une action inhibitrice sur la transmission 408 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 glutamatergique cortico-striale par l’intermédiaire de récepteurs D2 localisés sur le versant présynaptique de la synapse glutamatergique (9). Cette action permet de favoriser l’activation de certains neurones striataux et agit comme un filtre de l’information glutamatergique corticale (9). L’étude de modèles animaux de maladies neurodégénératives a permis de préciser l’interaction existant entre la dopamine et le glutamate. Ainsi, de nombreuses études in vitro ont montré l’existence d’une hyperactivité glutamatergique striatale dans le modèle du rat parkinsonien, obtenu par injection de 6-hydroxydopamine (6-OHDA) dans la substance noire pars compacta (10). Il a ensuite été montré que le traitement des animaux parkinsoniens avec la L-dopa permettait de supprimer cette hyperactivité glutamatergique, suggérant que les effets bénéfiques moteurs de ce traitement sont liés à la réduction de l’hyperactivité glutamatergique (11). De même, la lésion du noyau subthalamique, utilisée en traitement de la maladie de Parkinson avant l’avènement des techniques de stimulation cérébrale profonde, entraîne la suppression de cette hyperactivité dans ce même modèle de rat parkinsonien (12). Par ailleurs, c’est en étudiant ces modèles animaux que le rôle de la dopamine dans la plasticité de la synapse glutamatergique a été mis en évidence. En effet, la dénervation dopaminergique supprime les phénomènes de potentialisation et de dépression à long terme (PLT et DLT) [13]. Dans le cadre de la synapse cortico-striatale, le phénomène de PLT est considéré comme un mécanisme d’apprentissage moteur et la dépotentialisation de cette PLT, induite par l’application d’une stimulation à basse fréquence peu après l’induction de la PLT, comme un mécanisme de suppression de l’information motrice inutile (13). En effet, il a été constaté que les dyskinésies dopainduites observées dans ce modèle animal sont associées à la perte des capacités de dépotentialisation des neurones striataux (14). Ces dyskinésies sont également corrélées à l’augmentation de l’activité glutamatergique dans ces neurones et à l’apparition d’une composante médiée par les récepteurs NMDA (15). Il a d’ailleurs été montré qu’elles diminuent lors de l’administration d’un antagoniste des récepteurs NMDA (LY235959) dans un autre modèle animal (singe MPTP) mais également chez l’homme avec un autre antagoniste des récepteurs NMDA (l’amantadine) [16]. L’utilisation d’un antagoniste des récepteurs AMPA (NBQX) semble produire le même type d’effets sur les dyskinésies (16). Toutefois, en dehors des effets sur les dyskinésies dopa-induites, ni la modulation pharmacologique de l’activité des récepteurs NMDA ni celle des récepteurs AMPA ne semblent apporter de bénéfice sur les symptômes de la maladie de Parkinson à proprement parler. À l’inverse, il semble que la modulation exercée par les récepteurs métabotropiques du glutamate, jusqu’alors peu étudiée, joue un rôle critique dans la symptomatologie déficitaire de la maladie. En effet, l’administration d’agonistes des récepteurs métabotropiques du groupe II (LY379268 ou DCG-IV) ou d’antagonistes des récepteurs du groupe I (MPEP) chez le rat réduit l’akinésie, induite par l’injection de 6-OHDA, en diminuant l’hyperactivité glutamatergique corticostriatale et celle du noyau subthalamique (17). Le troisième larron de ce ménage à trois est l’acétylcholine. Libérée par les interneurones toniquement activés (TAN) du striatum, elle favorise la transmission synaptique NMDA par l’intermédiaire de récepteurs muscariniques M1 et joue un rôle crucial dans le phénomène de PLT (18). En conclusion, dans le réseau des ganglions de la base, le glutamate interagit de façon rapprochée avec la dopamine et l’acétylcholine, qui modulent la transmission de l’information motrice en provenance du cortex. La perte de cette modulation au cours d’une maladie de la motricité telle que la maladie de Parkinson induit des perturbations profondes dans ce système, caractérisées par une levée du filtre de l’information glutamatergique. Glutamate et cognition Concernant les fonctions cognitives, le glutamate est impliqué principalement dans les processus d’apprentissage et de mémorisation. Les mécanismes synaptiques sous-tendant ces processus sont représentés par les phénomènes de PLT et DLT (1). En effet, le blocage des récepteurs de type NMDA par l’acide D-2-amino-5-phosphonopentanoïque (AP-5) bloque la PLT mais inhibe également la mémoire spatiale, hautement sensible à une atteinte hippocampique, sans toutefois affecter la mémoire visuelle (19). L’effet observé implique l’altération sélective de mécanismes de mémoire associative puisqu’il épargne les performances motrices, la perception sensitive et les aspects motivationnels de la tâche. Les processus de mémorisation comportent plusieurs étapes : l’encodage, la consolidation, le stockage et la récupération de l’information. Des études de pharmacologie comportementale chez l’animal ont permis de déterminer lesquelles de ces étapes étaient sous la dépendance du glutamate. Ainsi, il semble que l’activation des récepteurs NMDA soit essentiellement impliquée dans les processus d’encodage et de consolidation, alors que les récepteurs de type AMPA jouent également un rôle dans les processus de récupération (20). En effet, M. Day et al. ont montré que, dans une tâche d’association d’odeurs avec des endroits précis impliquant la mémoire épisodique, les rats recevant un antagoniste NMDA (AP-5) ne pouvaient pas encoder de nouvelles associations, mais étaient capables de retrouver les associations déjà mémorisées, alors que ceux recevant un antagoniste AMPA (6-cyano7-nitroquinoxaline-2,3-dione [CNQX]) n’encodaient aucune nouvelle association et ne retrouvaient pas non plus les associations déjà mémorisées (21). Les phénomènes de PLT et de DLT interviennent tous deux, de façon parfois antagoniste, dans les différentes étapes de la mémorisation (22). Les processus de reconnaissance visuelle, qui sont particulièrement atteints dans la maladie d’Alzheimer, sont générés dans une région mésiale du lobe temporal, différente de l’hippocampe : le cortex périrhinal (20, 23). Ces processus sont également sous la dépendance étroite du glutamate via les récepteurs AMPA et NMDA (23). Le blocage des récepteurs NMDA (par l’AP-5) avant l’encodage entraîne une diminution de la mémoire de reconnaissance visuelle à long terme mais pas à court terme, suggérant que ces récepteurs interviennent, dans le cortex périrhinal, essentiellement dans les phases de consolidation. En outre, le blocage des récepteurs NMDA juste avant le test de réintroduction de l’objet encodé n’influe pas sur les capacités de reconnaissance, alors que le blocage des récepteurs AMPA (par le CNQX) perturbe la reconnaissance, ce qui suggère que ces derniers sont surtout impliqués dans les processus de récupération (23). Mémantine et effets cognitifs La modulation par la mémantine de la transmission glutamatergique au niveau des régions hippocampiques, les premières touchées par le processus de neurodégénérescence de la maladie d’Alzheimer, expliquerait que la mémantine améliore les capacités cognitives, en particulier mnésiques, ou ralentisse leur dégradation. R. Bordet La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 409 DOSSIER THÉMATIQUE Voie glutamatergique et maladie d’Alzheimer Glutamate et grandes fonctions cérébrales Ces données donnent à penser qu’il existe une certaine homogénéité de l’implication différentielle des différents types de récepteurs glutamatergiques dans les différents processus de mémorisation et ce, quels que soient le type de mémoire (visuelle, épisodique) et la structure cérébrale impliquée (hippocampe, cortex périrhinal) [19-23]. Au cours de la maladie d’Alzheimer, l’activation des récepteurs NMDA suivant un mode tonique plutôt que phasique pourrait être à l’origine à la fois des lésions d’excitotoxicité et des perturbations des processus de mémorisation (24). Néanmoins, des données récentes suggèrent que le glutamate est également impliqué dans d’autres fonctions cognitives, notamment les fonctions exécutives. La mémoire de travail est caractérisée par le maintien d’une information durant un temps très court, notamment au cours de l’exécution d’une tâche, cette information conditionnant un comportement ultérieur. Elle implique, entre autres structures, le cortex préfrontal (20). L’administration de kétamine (un antagoniste des récepteurs NMDA) à des doses ne provoquant pas d’effet dissociatif chez le sujet sain entraîne néanmoins une altération de certaines capacités de la mémoire de travail (25). De même, les capacités de maintien et d’adaptation d’une stratégie, également sous la dépendance du lobe préfrontal, sont diminuées chez l’animal, comme l’indique l’apparition de persévérations après administration de l’antagoniste NMDA non compétitif MK801 (20, 26). Chez l’homme, ces capacités sont évaluées cliniquement par le test de Wisconsin et diminuent après administration de kétamine à doses subanesthésiques chez le sujet sain (20, 27). Enfin, l’activation de récepteurs de type NMDA est aussi impliquée, en association avec les récepteurs dopaminergiques de type D1 du réseau cortico-strial, dans les mécanismes d’apprentissage avec prédiction de récompense (28). Cette intégration de signaux glutamatergique et dopaminergique constitue la base du lien existant entre les processus de plasticité Glutamate et effets psycho-comportementaux Le glutamate, en particulier via les récepteurs NMDA, régule négativement un certain nombre de dimensions psychocomportementales comme l’émotion, l’humeur, les capacités de défense vis-à-vis du stress et de l’anxiété. L’augmentation anormale des concentrations en glutamate, observée au cours de la maladie d’Alzheimer, pourrait contribuer à l’apparition des troubles psycho-comportementaux que l’on y constate, et la modulation de la transmission glutamatergique pourrait contribuer à faire régresser certains de ces symptômes, en particulier les réactions anxieuses et agressives. R. Bordet 410 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 à l’origine des mécanismes d’apprentissage et ceux à l’origine des comportements adaptatifs et addictifs (29). En conclusion, le glutamate intervient à tous les niveaux des processus de mémorisation et d’apprentissage par l’intermédiaire des récepteurs NMDA, essentiellement pour les phases d’encodage et de consolidation, et par le biais des récepteurs AMPA pour les phases de récupération de l’information. Glutamate et psychiatrie Une littérature abondante est consacrée aux liens existant entre le glutamate et certaines maladies psychiatriques, notamment la schizophrénie. Outre les symptômes positifs et négatifs, l’accent a été mis ces dernières années sur la désorganisation conceptuelle et les troubles cognitifs et affectifs associés à la pathologie schizophrénique. Il a été en effet clairement montré que la sévérité des symptômes négatifs et des altérations cognitives était un déterminant important du devenir des patients, en particulier de la possibilité de reprendre des études ou une activité professionnelle (30). En effet, certaines fonctions cognitives sont nécessaires pour l’apprentissage et la mémorisation de capacités permettant d’avoir un fonctionnement communautaire normal. Ces troubles cognitifs s’installent précocement dans la schizophrénie et concernent plusieurs secteurs des fonctions supérieures (30). Les capacités attentionnelles sont les premières à être perturbées. Les fonctions exécutives sont atteintes plus tardivement, et leur atteinte entraîne des difficultés à élaborer une stratégie et un défaut de plasticité mentale. La mémoire de travail et les capacités d’apprentissage sont également perturbées. Le modèle neuro­biologique admis pour rendre compte de la physio­pathologie de la schizophrénie est représenté par une hyperdopaminergie mésolimbique soustendant les symptômes positifs (idées délirantes) et une hypodopaminergie mésocorticale sous-tendant les symptômes négatifs (émoussement des affects) et cognitifs (31). Si l’hypothèse dopaminergique, bien que non exclusive de toute autre, est celle qui est étayée par le plus d’arguments, la seule qui présente des preuves directes (avec les travaux d’imagerie de Laruelle) et surtout celle qui reste la mieux vérifiée sur le plan thérapeutique, pour autant aucune donnée n’indique clairement l’existence d’anomalies des récepteurs dopaminergiques chez les patients schizophrènes. En revanche, nous avons vu que l’activation des récepteurs D2 localisés sur le versant présynaptique de la synapse glutamatergique régule négativement la transmission glutamatergique cortico-striale mais également cortico-limbique (9). Cette notion suggère l’implication du glutamate dans la genèse des symptômes de la schizophrénie, aussi bien en ce qui concerne les troubles cognitifs que la production délirante (27). L’implication du glutamate repose également sur la capacité de molécules antagonistes des récepteurs glutamatergiques NMDA, la phencyclidine ou la kétamine, à induire à doses subanesthésiques des symptômes positifs (illusions et distorsions perceptives, etc.) mais également des signes négatifs (ralentissement, émoussement des affects), des signes cognitifs (troubles du rappel immédiat et différé, troubles de la fluence verbale, par exemple) [27]. Il est frappant de constater que, malgré le caractère ubiquitaire des récepteurs du glutamate, une administration unique de cet antagoniste est capable de reproduire sélectivement des troubles semblables à ceux décrits dans la schizophrénie (27). L’existence d’une hérédité dans la schizophrénie est connue depuis longtemps. Aussi, plusieurs études génétiques de liaison ont cherché à identifier des gènes candidats en rapport avec le fonctionnement des récepteurs du glutamate. Plusieurs gènes codant pour des protéines interagissant à différents niveaux avec les récepteurs du glutamate ont ainsi été impliqués dans la genèse de la schizophrénie. Ces protéines modifient les propriétés cinétiques, la disponibilité synaptique, les voies de transduction intracellulaire du signal ou les phénomènes de plasticité liés aux récepteurs NMDA (32). Enfin, l’implication du système glutamatergique dans la physiopathologie de la schizophrénie s’intègre de façon intéressante avec la théorie neurodéveloppementale de la schizophrénie soutenue par plusieurs équipes. Plusieurs essais cliniques contrôlés versus placebo réalisés avec des molécules agissant directement ou indirectement au niveau du site glycine (indispen- sable à l’activation du récepteur NMDA, potentialisation de l’action du glutamate) ont d’ailleurs montré une diminution de la symptomatologie négative ou une amélioration des fonctions cognitives chez des patients schizophrènes poursuivant leur traitement antipsychotique habituel (33). En conclusion, la mise en évidence de l’implication du glutamate dans la schizophrénie a complètement bouleversé les concepts psychopathologiques relatifs à cette maladie mais également l’approche neurochimique des symptômes (2). Conclusion Nous avons vu que l’essentiel des fonctions cérébrales est sous la dépendance du glutamate et que de nombreuses maladies neurologiques résultent d’un dysfonctionnement de cette transmission. Toutefois, plusieurs questions restent encore en suspens, notamment celle de la place du glutamate dans le vieillissement cérébral normal. En effet, les fonctions cognitives et la motricité s’altèrent avec l’âge, sans qu’il y ait de processus pathologique sous-jacent. Les études portant sur le lien entre le glutamate et le vieillissement cérébral sont complexes en raison de l’hétérogénéité des modèles et de l’absence de marqueur fiable du processus de vieillissement (34). La seconde question en suspens concerne les débouchés pharmacologiques et thérapeutiques des données recueillies sur l’implication du glutamate dans ces différents processus pathologiques. Comme nous l’avons vu, des résultats prometteurs ont déjà été obtenus dans de nombreuses indications. Toutefois, en raison du caractère ubiquitaire de la répartition des synapses glutamatergiques dans le système nerveux central, il est très probable que l’efficacité d’une démarche thérapeutique soit conditionnée par l’intégration de l’ensemble des facteurs d’interaction existant entre le glutamate, les différents systèmes neuronaux et les autres neurotransmetteurs. ■ La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 411 DOSSIER THÉMATIQUE Voie glutamatergique et maladie d’Alzheimer Glutamate et grandes fonctions cérébrales Références bibliographiques 1. Francis PT. Glutamatergic systems in Alzheimer’s disease. Int J Geriatr Psychiatry 2003;18:S15-S21. 2. Javitt D. Glutamate as a therapeutic target in psychiatric disorders. Mol Psychiatry 2004;9:984-97. 3. Cotman C, Monaghan D, Ottersen O, Storm-Mathisen J. Anatomical organization of excitatory amino acid receptors and their pathways. Trends Neurosci 1987;10:273-80. 4. Cacabelos R, Takeda M, Winblad B. 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