Le marketing agroalimentaire et les enfants

publicité
INC
document
ÉTUDE
LE MARKETING AGROALIMENTAIRE
ET LES ENFANTS : UNE TENTATIVE
DE DÉCRYPTAGE
Depuis plus d’une dizaine d’années, les scientifiques observent une montée sérieuse de la surpondération et de l’obésité
en France, et tout particulièrement chez les enfants. Ce phénomène, caractéristique des pays européens et des ÉtatsUnis, n’a cessé de s’accroître dans la seconde moitié du XXe siècle ; alors que moins de 3 % des enfants français d’âge
scolaire souffraient de surpoids en 1965, on en trouvait près de 18 % en 2000. La mobilisation des pouvoirs publics et
de nombreux acteurs de santé a conduit à la mise en place du “programme national nutrition santé” (PNNS), qui ambitionne d’améliorer les comportements des Français en privilégiant une alimentation équilibrée et moins calorique.
Si l’on n’a pas encore de certitudes sur l’efficacité de ce programme, de récentes études semblent toutefois indiquer
une stabilisation du phénomène, tant dans la population adulte (l’enquête ObEpi de 2006 met en avant une diminution
des surpondérations et un ralentissement de l’augmentation de l’obésité par rapport à 2003) que chez les enfants. Ainsi,
selon l’Institut de veille sanitaire (InVS), dans les classes de CE1 et CE2, on comptait 18,1 % d’enfants en surpondération
ou obèses en 2000; sept ans plus tard, une nouvelle étude aboutissait à des chiffres identiques. Parmi les éléments responsables de cette montée de l’obésité, à côté de la modification des modes de vie (la femme au foyer qui cuisinait a laissé
la place à une femme active, dont le temps est compté ; les métiers deviennent plus sédentaires ; les rythmes de travail
imposent souvent une nourriture rapidement ingurgitée…) et de la baisse d’activité physique, c’est bien la manière dont
nous nous alimentons qui est en question. Le regard critique porté par les nutritionnistes sur notre modèle alimentaire
défaillant met en cause l’industrie agroalimentaire, qui propose des plats tout prêts, aux goûts attractifs mais souvent
“trop” gras, “trop” sucrés, “trop” salés…
Si les pouvoirs publics paraissent hésiter entre une collaboration assumée avec les industriels et une diabolisation pouvant
conduire à des mesures autoritaires, et si l’on ne peut par ailleurs incriminer un monde agroalimentaire qui répond à une
situation donnée (proposer une alimentation adaptée aux modes de production et aux modes de vie contemporains),
force est de constater que certains produits et certaines méthodes de vente semblent dépasser une stricte réponse à
des attentes de consommateurs et sont susceptibles de participer au développement de la pandémie d’obésité, principalement chez les enfants.
Un projet de recherche interdisciplinaire en cours, auquel collabore l’Institut national de la consommation (INC) dans le
cadre du programme national de recherche sur l’alimentation, financé par l’Agence nationale de la recherche, analyse
la construction du champ des produits “ludo-alimentaires” destinés aux enfants 1. Cet article est le premier d’une série
de quatre qui proposeront un état des connaissances actuelles sur les registres concourant à la formation des pratiques
de consommation de l’enfant en matière d’alimentation et les manières pour l’industrie agroalimentaire d’y répondre.
Ce premier article a pour ambition de donner à comprendre globalement les comportements alimentaires de l’enfant
consommateur et les stratégies du marketing agroalimentaire, dont certaines peuvent présenter des effets négatifs. Il ne propose pas un état de l’art global de la recherche universitaire en marketing, mais plutôt une analyse
de ce qui se fait et se pense actuellement chez les professionnels du marketing agroalimentaire.
—————
1 “Children and fun foods : La consommation enfantine d’aliments ludiques : entre plaisir, risque et éducation…”, travail de recherche interdisciplinaire auquel participent le Centre de recherche en gestion (Cerege) de l’IAE de Poitiers, le laboratoire Langage, mémoire et développement
cognitif (LMDC) de l’université de Poitiers, le laboratoire Cité, territoire, environnement et société (Citeres) de l’université François-Rabelais de
Tours, le laboratoire Cultures et sociétés en Europe (CSE) de l’université Marc-Bloch de Strasbourg, le centre d’étude et de recherche Travail, organisation,
pouvoir (Certop) de l’université du Mirail à Toulouse, le centre de recherches interuniversitaire Expérience, ressources culturelles, éducation (Expérice) de l’université Paris 13-Villetaneuse, Danone, l’Institut national de la consommation (INC) et le Syndicat de la biscuiterie française.
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
I
1. MANGER, CELA S’APPREND
Manger n’est pas, comme on pourrait l’imaginer, une activité
banale. Si cela revient à absorber des aliments, et donc des nutriments, nécessaires à la vie, l’acte de manger dépasse très largement ce seul cadre physiologique 2. L’acte alimentaire est aussi
un acte social, fortement influencé par des éléments sociaux,
culturels, affectifs. Et nos comportements alimentaires, nos goûts
mêmes, reposent largement sur des acquis plus que sur de l’inné. C’est ainsi que l’apprentissage joue un rôle déterminant dans
notre manière d’aborder l’alimentation, intervenant à divers
niveaux.
• Donner une signification aux informations reçues : les appareils sensoriels, gustatif et olfactif notamment, sont fonctionnels très précocement, dès le quatrième mois in utero. Les
messages envoyés par les organes des sens n’ont en soi pas de
signification particulière, et c’est la répétition, donc l’apprentissage, leur situation dans le contexte général, leur association
avec d’autres événements, qui leur donnent une signification.
C’est par ce processus que l’individu peut alors communiquer
avec autrui, échanger sur des notions aussi complexes et individuelles que le goût, l’arôme…
• Donner une échelle aux sensations : ce n’est que par expérience que l’on apprend, en goûtant et comparant. C’est ainsi que
l’on peut percevoir que tel aliment est plus salé ou sucré que
tel autre… À cette échelle d’intensité individuelle s’ajoute, par
le jeu d’un apprentissage culturel, l’acquisition de “bornes”, fruit
d’un consensus collectif : tel aliment est “assez salé” ou “trop
salé” pour nous. C’est à partir de ce type d’apprentissage que
se met en place la reconnaissance des aliments comme faisant
partie de notre répertoire gustatif, comme étant “nôtres” ou pas.
• Passer de la sensation à la perception : la perception se construit à travers des expériences répétées, à travers l’assemblage
de plusieurs messages en une seule donnée, ce qui va permettre
par la suite une prise de décision plus rapide, à travers la mémorisation et l’élaboration des données emmagasinées dans
la mémoire.
• Savoir manger : si le nouveau-né dispose déjà d’options gustatives (préférences pour ce qui est sucré, en particulier), l’acceptation d’aliments nouveaux se fait par l’apprentissage, en particulier
par l’observation de ce que font les autres : parents et pairs. Le
rôle de l’entourage est évidemment capital lors de la confrontation avec des aliments ou des saveurs nouvelles ; des travaux
ont montré qu’à cette occasion, une présentation chaleureuse,
positive, est bien plus efficace qu’une présentation neutre.
On le voit bien, apprendre à manger, c’est d’abord apprendre
un répertoire culturel de produits qui sont acceptés et considérés comme comestibles. Cet apprentissage qui autrefois passait
presque exclusivement par les pairs et la famille connaît aujourd’hui de multiples sources ; spécialistes, médias, mais aussi et
de plus en plus les professionnels du marketing et de la publicité,
qui jouent un rôle considérable dans ce “façonnement” du goût,
au risque de contribuer à créer une « cacophonie alimentaire »
(C. Fischler).
2. LE REGARD HABITUELLEMENT PORTÉ PAR LE MARKETING
SUR L’ENFANT CONSOMMATEUR
Les techniques de marketing, nées après la Seconde Guerre mondiale, ont largement évolué et se sont sophistiquées. Il s’est longtemps agi de tenter de capter l’attention de consommateurs adultes, voire d’orienter leur choix. À mesure que l’enfant, dès les
années quatre-vingt, est devenu un consommateur au pouvoir
d’achat réel, par le jeu de l’argent de poche, et capable d’imposer lui-même des choix par une influence sur son milieu familial
et amical, il est devenu une nouvelle “cible” pour les professionnels du marketing. Une critique qui peut être faite à ceux-là est
d’avoir trop calqué, du moins au début, les techniques qui fonctionnaient pour les adultes, en direction de leurs cibles nouvelles et plus jeunes. Parfois, un manque de discernement dans
l’appréhension des caractéristiques propres à l’enfant a pu conduire à des risques de dérive.
L’enfant, un consommateur affectif
et hédoniste
De fait, les choix alimentaires des enfants et des adultes ne reposent pas sur le même processus. Alors que, chez l’adulte, l’attitude en matière de consommation est structurée selon une
hiérarchie qui mène de la dimension cognitive (face à une publicité ou à un produit, la première perception s’établit sur des
croyances déjà établies ou en provoque de nouvelles) à la dimension conative (intention d’achat), en passant par une dimension affective intermédiaire (après le prisme de la croyance,
on s’ouvre à l’émotion suscitée éventuellement par le stimulus),
ces étapes semblent organisées différemment chez l’enfant : celui-ci, devant une annonce ou un stimulus, présente en premier
lieu une réaction affective susceptible d’entraîner une demande
(choix, intention d’achat), le changement cognitif (croyance)
ne s’établissant qu’en dernier lieu. C’est donc sur la dimension
affective que s’appuierait initialement l’appréhension d’un objet de consommation chez l’enfant consommateur, pour se développer selon une dimension conative (intention d’achat)
aboutissant à la construction de la croyance, élément cognitif,
résultante de ce processus. Cette ordonnance des étapes reflète
bien un être en plein apprentissage (non seulement de la consommation, mais de l’ensemble des éléments contextuels de
son existence), qui va fonder ses choix de consommation principalement sur ses émotions.
Les facteurs affectifs constituent pour un enfant un moyen de
faciliter ses choix. L’enfant, qui présente un certain nombre de
limites au niveau de ses connaissances déclaratives et procédurales, peut donc suivre ses émotions pour réaliser des discriminations entre plusieurs alternatives aux attributs objectifs
(fonctionnels ou utilitaires) équivalents, et par là procéder à des
choix de consommation.
Par ailleurs, il est important de souligner que les comportements
de l’enfant sont gouvernés par des motivations hédonistes, alors
que chez l’adulte les motivations sont plurielles et incluent des
dimensions utilitaires et fonctionnelles qui, bien souvent, prédominent sur des aspects plus immatériels.
—————
2 Cette partie repose largement sur les travaux de Matty Chiva et de Claude Fischler, et en particulier le texte d’un article de Matty Chiva : “Le mangeur
et le mangé, la complexité d’une relation fondamentale”, in “Identités des mangeurs, images des aliments”, Cahiers de l’OCHA.
II
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
Le fait que l’affectivité constitue le filtre initial dans les perceptions de l’enfant le conduit à s’impliquer totalement dans tout
ce à quoi il s’intéresse et tout ce qu’il entreprend. De nombreuses
recherches portant sur le rôle modérateur ou médiateur de l’implication dans les modèles de traitement de la publicité ont ainsi
montré que le niveau d’implication a un impact sur la quantité d’informations retrouvées en mémoire, et sur la formation
des attitudes de l’enfant à l’égard de la marque. De même, les
éléments centraux d’une annonce, à savoir son argumentation,
ont plus d’influence en situation de forte implication.
L’image avant le goût
Au-delà de l’affectivité et de l’implication qui en résulte chez
l’enfant consommateur, ses réactions sensorielles jouent également un rôle prépondérant dans ses comportements de consommation. En effet, les réactions sensorielles influent sur les
réactions émotionnelles et affectives de l’enfant, réactions qui
vont, à leur tour, engendrer des croyances et des préférences plus
ou moins stables dans le temps.
Dans ce registre des sens, l’enfant a tendance à privilégier le traitement visuel de l’information, ce qui lui permet de stocker en
mémoire des informations imagées sur les produits et les marques. Ainsi, avant même d’être capable de lire, les enfants dès
deux ans peuvent reconnaître les emballages familiers en magasin et les personnages vedettes sur des produits comme les
jouets ou les vêtements. À partir de la crèche, ils commencent
à se rappeler les noms des marques, et cela particulièrement
lorsque les marques sont associées à des caractéristiques visuelles
telles que les couleurs, des dessins ou des héros.
Dans la chronologie de cet apprentissage sensoriel, ce n’est
qu’après l’approche visuelle, mais aussi tactile, qu’arrive le goût
dans les choix opérés par les enfants en bas âge. Ce sens va prendre de plus en plus d’importance à mesure que l’enfant grandit,
permettant la réalisation d’un véritable apprentissage gustatif
qui conduit à la formation de préférences alimentaires relativement stables.
Quatre modèles d’approche marketing
de l’enfant consommateur
On l’a vu, la consommation alimentaire n’est pas qu’une affaire
individuelle, mais relève également d’un phénomène social :
l’enfant ne se développe pas de façon isolée, et ses habitudes
de consommation alimentaire se construisent à travers des médiations marchandes (publicité, packaging, produit, point de
vente…) et non marchandes (dons, échanges…), au croisement
de plusieurs univers sociaux : la famille, l’école, les pairs…
C’est sur ce constat que des spécialistes du marketing ont développé une approche de l’enfant par l’interaction entre celui-ci
et son environnement ; les travaux des chercheurs sur la question, tout comme les préconisations prônées par certains cabinets de conseil spécialisés, conduisent à distinguer quatre éléments principaux qui structurent le champ des connaissances
mobilisées à propos des capacités cognitives et sociales de l’enfant. Ces modèles, qui coexistent et se complètent, ont en commun de s’appuyer sur le fait que la consommation alimentaire
des enfants constitue une activité sociale et culturelle complexe,
selon les types d’aliments considérés et selon les contextes de
consommation privilégiés.
• Une première approche repose sur le modèle du “gatekeeper”.
Elle part de l’évidence selon laquelle, pour qu’un aliment soit
consommé par un mangeur, il faut d’abord qu’il parvienne jusqu’à lui. Dans les années 1940, une étude menée par Kurt Lewin
avait montré que la consommation ou la non-consommation
de lait ne dépendait pas d’un choix individuel de l’“homme américain”, mais des décisions de son épouse qui détermine ce qui
est bon à manger pour les membres de sa famille. Ce rôle de
“portier économique”, même si les modes de vie ont changé et
si les femmes consacrent moins de temps à la gestion des af-
INC Hebdo
faires domestiques, prédomine encore aujourd’hui : les mères
prennent les décisions en ce qui concerne l’alimentation de la
famille, et plus particulièrement de leurs enfants. C’est pourquoi
une partie de la communication marketing s’adresse en priorité à la figure parentale dans son lien protecteur et son rôle de
soutien de développement vis-à-vis de son enfant.
• Seconde entrée vers les choix de l’enfant, le modèle de l’“autonomie concertée”. Celui-ci repose sur l’idée que les parents transmettent trois catégories de savoir-faire en matière de choix de
consommation : l’apprentissage de la dimension économique,
celui de l’achat lui-même, et celui des fondements d’un processus de consommation. Ainsi, commençant à maîtriser la compréhension du fonctionnement de la consommation, plus
l’enfant sera familier d’un produit, plus il saura mobiliser des
arguments en vue de persuader ses parents de l’acheter, utilisant ainsi, et d’une certaine manière en leur retournant leurs
propres arguments (« ça fait grandir », « c’est sain », « c’est plein
de vitamines», etc.), des capacités qui lui ont été transmises par
les adultes. Ce modèle table sur les capacités d’influence de l’enfant sur ses parents, sachant par ailleurs que les enfants jouent
un rôle de plus en plus actif dans les décisions d’achat, et ce à
toutes les étapes de la décision, pour des produits de consommation familiale ou même des produits touchant plus spécifiquement les parents (cosmétiques, liquide vaisselle…).
• Une troisième façon d’envisager l’enfant au cœur de la
décision d’achat renvoie au modèle du “pester power”, qui met
en scène une relation essentiellement conflictuelle entre parents et enfants à propos de produits spécifiquement conçus
pour l’enfant : caprices, bouderies, blocages dans les lieux publics constituent alors une stratégie visant à créer une situation
embarrassante, voire intenable pour les parents. Même s’il s’agit
de situations extrêmes, et qui ne recouvrent qu’une petite partie des comportements enfantins, ce modèle est en réalité largement diffusé par les professionnels du marketing dans la communication publicitaire. Le risque de mettre en scène ce type
de situation, clairement proscrit par le Bureau de vérification
de la publicité (BVP, devenu en juin 2008 l’Autorité de régulation
professionnelle de la publicité), est de présenter une autorité
parentale affaiblie.
• Enfin, un quatrième éclairage sur la construction du choix
relève du modèle du “child empowerment” : les enfants ont accès à un grand nombre d’informations qui leur sont directement
destinées, du fait de leur interaction permanente avec leurs pairs,
leurs parents, leur fratrie, les médias… Des études ont montré
que les enfants changent leurs préférences alimentaires en fonction de celles de leurs pairs. Par ailleurs, certaines occasions sociales sont construites comme des espaces spécifiques de l’enfance (anniversaires, fêtes voire Halloween, Noël, Mardi gras ou
Pâques). À ces occasions, l’enfant est placé au centre de l’événement et il lui est reconnu un pouvoir certain, voire une réelle
autonomie pour faire des choix alimentaires. On peut ainsi parler de “cultures enfantines” spécifiques, qui ne sont pas toujours
accessibles aux adultes mais dont les responsables marketing
savent parfois très bien accompagner l’émergence, contournant
ainsi l’autorité – et un éventuel contrôle – des parents.
On voit bien qu’en proposant une telle vision d’un enfant consommateur à part entière, autonome dans ses choix, et sachant
les faire valoir, les entreprises cherchent à légitimer l’action des
responsables marketing s’adressant aux enfants : puisque ces
derniers sont finalement capables de faire des choix sur les produits qui les concernent, ce n’est ni de l’immoralité, ni de l’abus
de confiance que de chercher à les influencer.
No 1496
24 - 30 novembre 2008
III
3. LES PRATIQUES MARKETING AGROALIMENTAIRES
CIBLANT LES ENFANTS
Des logiques de management qui tablent
sur la dimension “plaisir”
niaturisation des portions : autant de voies d’innovation qui exploitent le recouvrement des notions de plaisir et de nouveauté.
Une étude réalisée aux États-Unis (2003) sur plus de 12000 lancements de produits laisse apparaître que le plaisir constitue le
vecteur principal de valorisation des produits agroalimentaires
destinés aux enfants. En fait, selon certains chercheurs 3, on peut
regrouper le positionnement des lancements de produits agroalimentaires en trois segments principaux : la santé, le plaisir
et la praticité.
Comparativement aux produits destinés aux adultes, le positionnement des produits alimentaires pour enfants est construit
autour de la notion de plaisir plutôt que sur une dimension santé.
Ainsi, les politiques marketing tendant à valoriser les aliments
positionnés conjointement “santé” et “plaisir” font-elles l’objet
d’une communication disjointe et simultanée vers deux cibles
différentes : les aspects santé et nutrition sont relayés auprès des
parents, alors que la notion de plaisir est directement adressée
à l’enfant.
À cette dimension plaisir s’ajoute l’attractivité liée à un usage
pratique du produit. Cette praticité doit être entendue comme
permettant à l’aliment d’être consommable immédiatement,
ce qui implique que le packaging soit facile à manipuler par l’enfant lui-même, de façon à favoriser sa consommation autonome
et son plaisir.
Ces deux tendances semblent se rejoindre dans une notion un
peu floue de nouveauté et de “fun”. Contrairement aux adultes,
seuls 13 % des enfants considèrent que les décisions alimentaires de la famille sont routinières 4. En tant qu’apprenti-consommateur, l’enfant découvre en permanence de nouveaux usages
et de nouvelles situations de consommation, de nouvelles textures, de nouvelles saveurs, et considère la plupart des actes de
consommation comme sortant de l’ordinaire. L’importance de
la dimension “nouveauté” est de ce fait déterminante dans l’expérience de consommation des enfants, et cela en particulier
sur le plan alimentaire.
D’une façon générale, la notion de “fun food” ouvre la voie à de
nombreuses innovations produit, allant de la couleur aux formes, et incluant également l’intégration d’une valeur ludique.
Par exemple, le ketchup vert permet de faire des dessins avec
différentes couleurs, de donner un sens nouveau à la consommation et de transformer la nature même de l’activité de
manger.
On note également que, sur tous les lancements de produits pour
enfants axés sur la notion de plaisir, seule se trouve associée la
dimension nouveauté.
Il semble que l’innovation dans le segment des produits agroalimentaires pour enfants n’a pas besoin d’être radicale pour susciter l’intérêt de l’enfant. Provoquer des formes inédites d’interaction entre l’objet alimentaire et le consommateur, associer
des primes cadeaux à des aliments existants, trouver des noms
aux sonorités amusantes, développer un packaging adapté aux
capacités motrices des enfants, chercher des solutions de mi-
Rien qu’en jouant sur la combinaison de ces deux notions, les
professionnels du marketing ont un large champ de manœuvre.
Selon les occasions et les âges, Michelle Poris (2005) du cabinet
de recherche stratégique Just Kid Inc., centré sur les 2-12 ans,
a caractérisé dix formes de lucidité reposant sur des logiques
contrastées : elles peuvent renvoyer à des interactivités sociales
(être avec ses amis et faire des activités par exemple), auxquelles
vont correspondre les offres alimentaires en mini-conditionnement, à des stades de développement (2-3 ans, période pendant laquelle les mères souhaitent que l’enfant construise son
autonomie et son indépendance; avant 7 ans, l’attrait pour des
actions relatives à l’humour, au rire et à la capacité de faire rire,
que suscitent des produits qui surprennent et amusent les enfants…), ou encore à des activités (sportives, de performance,
familiales, personnelles…). Une telle classification introduit donc
un grand nombre de nuances, soulignant les multiples dimensions du concept de “fun” et, par là, le champ particulièrement
vaste d’interventions possibles des professionnels du marketing
agroalimentaire.
La marque, élément structurant
Les travaux centrés sur les relations qu’entretient l’enfant avec
le produit ont révélé l’importance que revêt la marque auprès
de ces apprentis consommateurs. La marque permet à l’enfant
de se repérer parmi les produits, de communiquer avec les autres
consommateurs, de se faire accepter dans des groupes de pairs
et d’intégrer peu à peu différents cercles de socialisation 5. La
dimension affective et l’interactivité constituent des éléments
clés dans la relation que les marques établissent avec les enfants.
Chaque enfant peut évidemment présenter plusieurs types de
comportements vis-à-vis des marques, selon le type de produit.
Toutefois, cinq types de comportements vis-à-vis des marques
ont été identifiés 6 : l’enfant consommateur devant la marque
peut aller de la vraie fidélité, exclusive, à l’infidélité insensible,
les marques ne revêtant alors aucune importance, en passant
par trois autres types d’attitudes : la fidélité habituelle (l’enfant
reste inerte, n’est pas à l’origine de l’achat, par exemple pour un
dentifrice), le panachage entre quelques marques (multifidélité, par exemple les céréales), ou le côté “aventurier du goût” :
l’enfant teste un produit sur plusieurs achats avant de changer pour un nouveau (par exemple, les nouveautés Kinder Pingu).
De toute évidence, les enfants développent très tôt une véritable sensibilité aux marques, plus particulièrement en ce qui
concerne les produits dits de consommation ostentatoire. Car
la valeur d’une marque ne s’explique pas uniquement par sa
dimension affective, mais dérive en grande partie de sa valeur
symbolique. La signification d’une marque peut être révélée en
comprenant comment elle est utilisée symboliquement au sein
de groupes de pairs.
—————
3 Longman, Ben (2003), “Marketing Food and Drink to Kids”, Effective Marketing and Innovation Strategies to 2007, Business Insights.
4 Stratton, P. (1997), “Influences on Food Choice within the Family”, Children’s Food : Marketing and Innovation, London, Blackie Academic and
Professional, pages 1 à 18.
5 Voir sur ce sujet : “Vulnérabilité et responsabilité des jeunes en matière de consommation”, C. Bernès, J.-P. Loisel, INC Hebdo no 1393, juillet 2006.
6 Rouen, Caroline (2002), “Sensibilité aux marques et formation de l’ensemble évoqué chez l’enfant”, thèse de doctorat, université de Paris 1-PanthéonSorbonne.
IV
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
Tout passe par la communication
Pour que l’enfant puisse avoir connaissance d’une marque, celleci doit nécessairement s’adresser à lui, et distiller des arguments,
des valeurs qui vont émouvoir sa sensibilité et susciter sa fidélité.
Aujourd’hui, les marques agroalimentaires recourent à trois grands
canaux de communication : les promotions, la publicité et, plus
récemment, les sites web ou les réseaux sociaux.
• La promotion des ventes vise à renforcer la relation affective.
Alors que son rôle principal chez l’adulte est d’accélérer les ventes
et d’en accroître le volume, il semble que les promotions nourrissent positivement les réactions affectives de l’enfant en faveur de la marque. Plus précisément, on relève trois formes de
sensibilité enfantine à la promotion, qui génèrent trois types
d’influence 7 :
– la sensibilité à la promotion comme fin en soi : quel que soit
le produit, c’est la promotion qui importe et va créer la demande;
– la sensibilité à la promotion comme critère d’évaluation : la
promotion permet une différenciation entre les marques pour
un produit donné ;
– la sensibilité à la promotion comme moyen : la promotion
est utilisée par l’enfant comme argument pour convaincre ses
parents.
Ces différents types de sensibilité se trouvent confrontés à des
types de promotions qui peuvent varier. On peut en dresser les
grandes catégories : la promotion qui propose un produit
moins cher ; celle qui propose pour un même prix davantage
de produit; celle qui offre un cadeau, la promotion préférée des
7-8 ans ; enfin celle qui propose un jeu, une loterie pour éventuellement gagner un cadeau, très appréciée par les 7-11 ans.
Au final, en combinant ces informations, on relève quatre types
de profils d’enfants relatifs aux promotions :
– des hypersensibles, principalement de 7-8 ans, qui perçoivent
la promotion comme un cadeau que fait la marque, ce qui renforce leur lien affectif à la marque ;
– des insensibles, à l’inverse, pour lesquels les promotions n’ont
pas d’intérêt ; cette attitude est plus souvent le fait de filles de
9-11 ans ;
– de purs hédonistes : un quart d’enfants seraient uniquement
sensibles à l’aspect ludique de la promotion, à savoir le jeu ou
le cadeau offert. Les filles de 7-11 ans sont un peu plus présentes
dans ce profil ;
– et enfin des évaluateurs de 9-10 ans, représentant un petit
cinquième des enfants, qui sont attirés par l’opportunité de la
baisse de prix ou d’une plus grande quantité de produit, et pas
par le cadeau.
Ce genre d’analyse et de découpage de la population enfantine
est évidemment très prisé par les entreprises qui vont pouvoir
adapter leurs stratégies promotionnelles aux caractéristiques
de la cible visée par leur produit.
• Second étage de la communication, la publicité qui est d’évidence un média clé de la communication vers l’enfant. Les travaux en marketing se sont orientés vers une compréhension de
l’efficacité de la publicité sur trois dimensions “gigognes” : tout
d’abord, la publicité doit capter l’attention ; ensuite, elle doit
persuader le consommateur d’agir dans le sens voulu ; enfin,
elle doit rendre durable ce changement de comportement.
La publicité est généralement appréciée par les enfants, dont
elle capte facilement l’attention, d’autant plus lorsqu’ils sont
jeunes (moins de 10 ans). S’ils sont très rapidement capables
de différencier les publicités télévisées des autres programmes,
ils ne perçoivent réellement l’intention persuasive d’une publicité qu’à partir de l’âge de 8 ans environ, alors que, plus jeunes,
ils retiennent essentiellement la dimension “informative” du
message. La réponse des enfants à la publicité est donc avant
tout d’ordre affectif.
De nombreuses recherches ont été effectuées sur les publicités
destinées aux enfants, principalement télévisées. Plusieurs études
américaines mettent en évidence la prédominance des discours
sur deux catégories de produits : les jouets et les aliments pour
enfants. Pour ce qui concerne les produits alimentaires, la plupart
des travaux insistent sur l’importance du divertissement (le “fun”)
dans le traitement des communications, ainsi que sur la tendance à construire le message autour de l’attrait représenté par
le plaisir gustatif et par la nouveauté.
On retrouve dans ces publicités pour des goûters, des céréales,
des produits laitiers, etc., des stratégies de caractérisation et de
personnification, soit à travers l’animation du produit, soit par
l’emploi de mascottes. De nombreuses publicités enfantines
mettent en scène des ambiances et des héros fabuleux et transposent les produits objets de la communication dans une dimension magique, accentuée par l’utilisation d’images intégrant
des effets spéciaux.
Toutes les études soulignent la tendance à une forte segmentation par genre et à une stéréotypisation très marquée des rôles
dans les publicités. Les garçons sont deux fois plus souvent présents que les filles et sont représentés dans des rôles plus actifs
et dominants. La mode, les contes de fées, le plaisir du shopping, la tendresse, les activités maternelles sont les thèmes récurrents de la publicité adressée aux filles, alors que la force,
la vitesse, l’aventure, les défis dominent les spots ciblant les garçons. En outre, la segmentation touche aussi la manière de jouer
entre enfants : alors que les filles jouent ensemble, les garçons
sont souvent représentés comme des adversaires.
Une autre caractéristique de ces publicités pour enfants est le
recours à la transposition d’un univers à un autre : dans nombre de spots sont convoqués des histoires, des thèmes, des personnages issus de livres d’aventures, de contes de fées, de films
ou de bandes dessinées. Ainsi, pour promouvoir des produits
destinés aux plus jeunes, les professionnels de la publicité puisent de manière fragmentaire dans un univers de connaissances
et d’images largement partagées, liées à la culture de masse enfantine, point de rencontre certain entre enfants et parents ainsi
qu’entre enfants de différentes nationalités.
• Plus récemment, avec la création et l’animation de sites de
marques, Internet a permis d’élargir le champ d’action de la publicité. Des estimations américaines font valoir que 98 % des
sites pour enfants autorisent la publicité, et que plus des deux
tiers de ces sites annoncés comme dédiés à l’enfant sont financés
par la publicité.
La capacité d’Internet à engendrer un haut niveau d’implication
et d’engagement constitue l’une des principales forces de ce
média. Internet n’est pas un média passif, dans la mesure où
l’internaute doit chercher le site, naviguer dans son contenu
et interagir avec lui. Ainsi, l’utilisateur se trouve totalement impliqué et engagé dans une activité divertissante. Alors qu’un spot
publicitaire dure environ trente secondes, la durée moyenne
de navigation sur un site de jeu est d’approximativement vingtcinq minutes ; l’attention de l’enfant sera donc focalisée sur la
marque plus longtemps. De plus, les sites pour enfants sont reconnus comme amusants et fortement implicants.
Les sites de marque et les “advergamings” 8 tendent à se développer, compte tenu des différentes contraintes auxquelles les
annonceurs sont soumis sur les médias traditionnels. En effet,
les annonceurs développent de plus en plus des logiques de rationalisation des coûts et de contrôle de l’efficacité de leurs investissements publicitaires. Alors qu’une annonce télévisée coûte
—————
7 Muratore, Isabelle (1999), “La sensibilité de l’enfant aux marques et aux promotions”, Décisions Marketing, 18, septembre-octobre, 51-59.
8 “Advergaming” : jeu mettant en scène des éléments de la marque et accessible gratuitement via le site de la marque.
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
V
de 7 à 30 $ pour mille téléspectateurs, un advergame peut revenir à moins de 2 $ pour mille joueurs. La comptabilisation
des durées de navigation sur ces sites permet une évaluation
plus précise, plus simple, et gratuite, du temps d’exposition à
la marque selon les cibles de communication visées.
Le web est un outil très riche puisqu’il combine pure communication, savoir, pédagogie, aspects ludiques, etc., autant d’éléments bien mieux intégrés que sur le média télévisé où un spot
est bien identifié comme tel. Le web est ainsi utilisé pour diffuser de nouveaux arguments commerciaux relatifs à la marque
(valeurs nutritionnelles, ingrédients, allergènes…), mais aussi
des éléments purement éducatifs (nutrition, santé, faits historiques, scientifiques…). Certaines offres marketing peuvent essayer d’étendre la simple visite du site à une véritable expérience
de marque, en incitant par exemple les enfants à collectionner
des points, à participer à des offres promotionnelles, à accéder
à de nouveaux modules de jeu… Par le biais de ces incitations,
certains liens directs peuvent être établis entre les contenus en
ligne et la consommation de certaines marques alimentaires.
Dans d’autres cas, le site peut pénétrer l’environnement privé
de l’enfant en proposant des fonds d’écran, des économiseurs
d’écran à l’effigie de la marque, de ses produits ou de ses personnages emblématiques. Ces “extras” constituent d’excellents
éléments de rappel, venant renforcer et amplifier les messages
vus en ligne par l’enfant. Selon une étude de 2006 9, plus de la
moitié des sites de marques alimentaires comportent des annonces publicitaires consultables en ligne. De plus, le marketing
viral est souvent encouragé : on demande aux enfants de faire
connaître le site web de la marque à leurs copains.
Dans un univers technologique en pleine mutation, les consommateurs, au tout premier rang desquels les enfants, modifient
leur utilisation des médias, privilégiant les contenus stimulants
et ludiques. L’environnement publicitaire destiné à l’enfant
change considérablement et très rapidement, les publicitaires
ayant l’objectif de tirer profit des possibilités offertes par les nouvelles technologies.
La distribution : la rencontre physique
de l’enfant avec le produit 10
Durant de nombreuses années, l’enfant a été mis à l’écart des
points de vente. L’évolution progressive de la distribution, passant du comptoir de service aux espaces ouverts pour tendre
ensuite au libre-service, a laissé peu à peu l’enfant pénétrer dans
les magasins, en lui offrant des occasions progressives de participer à l’achat et donc d’exercer un réel pouvoir de prescription.
Au fur et à mesure de la transformation de l’espace commercial, l’aménagement du point de vente a pris de plus en plus
en compte l’enfant et ses attentes. Ainsi, les produits qui lui sont
destinés vont être mis à hauteur de ses yeux ou placés sur des
gondoles à sa taille disposées à proximité des caisses, lieu d’attente et de stationnement offrant de nombreuses tentations.
Les distributeurs tendent peu à peu à accroître la responsabilisation des enfants, en ne les considérant plus comme une clientèle à part mais comme un segment de marché dont on va chercher avant tout à satisfaire les besoins au même titre que les
autres. Un enfant qui va acheter un produit dans un magasin
qui lui est réservé ne fait que continuer à “jouer au grand”, même
s’il se trouve en situation réelle de consommation. S’il acquiert
ce même article dans une surface fréquentée par tout le monde,
il se sent valorisé car il devient un client ordinaire avec tous les
droits et les devoirs que cela lui confère.
Toutefois, la relation qu’entretient l’enfant avec le packaging
a été très peu analysée. Le packaging est souvent réduit à son
rôle d’identité visuelle de la marque pour les enfants. Du point
de vue de l’enfant, le packaging est en fait le principal élément
de reconnaissance visuelle de la marque. La mémoire visuelle,
prédominante chez l’enfant, lui permet de “photographier” un
packaging afin d’en reconstituer les différents éléments de manière organisée.
Sachant cela, les professionnels font évoluer le packaging en fonction de l’âge de l’enfant, afin de favoriser son identification :
enfantin et doux jusqu’à 5 ans ; plus figuratif et appartenant à
l’imaginaire enfantin jusqu’à 9 ans; évocateur et “intégré” pour
les 9-11 ans; très à la mode pour les préadolescents. Par ailleurs,
le packaging s’adapte aux consommations nomades des enfants,
en particulier pour les produits alimentaires.
Il apparaît donc bien que le packaging constitue l’un des médiateurs marchands participant non seulement à la définition
du produit, mais aussi à la captation des consommateurs par
la marque 11. Il permet de différencier les produits en concurrence ainsi que de délivrer un certain nombre de messages nutritionnels et institutionnels en vue de renforcer la relation entre
marque et consommateur.
4. RESPONSABILITÉ DES PROFESSIONNELS
ET UTILITÉ DE L’ÉDUCATION
En disposant d’analyses détaillées sur les mécanismes d’apprentissage alimentaire et consommatoire des enfants, les professionnels du marketing ont toute latitude pour tenter d’intervenir sur tous les univers de cet apprentissage : formation des
valeurs, des connaissances, modelage des émotions, organisation
des communautés, historicisation de cette consommation. Si
l’on pousse ce raisonnement à l’extrême, le marketing qui pénètre l’intimité et l’intégrité du jeune consommateur finirait par
produire le consommateur dont les entreprises ont besoin…
On voit bien les dangers potentiels d’une telle dérive et les risques de manipulations au détriment des enfants, avec des consé-
quences durables sur les comportements des futurs adultes. Si
aujourd’hui les professionnels du marketing agroalimentaire
dans leur ensemble font montre de responsabilité et s’engagent
aux côtés des pouvoirs publics dans des démarches respectueuses de l’intégrité de l’enfant, il convient collectivement cependant
de se prémunir de débordements toujours possibles.
Tout d’abord, il s’agit de rendre leur survenue difficile. Cela passe
par l’introduction d’une dimension éthique dans l’analyse des
pratiques marketing adressées à l’enfant consommateur 12. Le
responsable marketing a plusieurs statuts : il est tout à la fois un
homme ou une femme, un professionnel, un membre d’une
—————
9 Moore, E. S. (2006), “It’s Child’s Play : Advergaming and the Online Marketing of Food to Children”, A Kaiser Family Foundation Report, July, 51 p.
10 De La Ville, V.-I. (2008), “L’enfant dans l’espace commercial : éléments pour une mise en perspective”, Revue Management et Avenir, dossier thématique (à paraître).
11 Cochoy, Franck (2002), Une sociologie du packaging, ou l’âne de Buridan face au marché, Paris, Presses Universitaires de France.
12 Cochoy, Franck (2004), “La captation des publics entre dispositifs et dispositions, ou le petit Chaperon rouge revisité”, in Cochoy, Franck (dir.),
La captation des publics, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, p. 11 à 68.
VI
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
entreprise ou d’une organisation, un citoyen et souvent un parent. À titre personnel, la morale à laquelle il se réfère constitue
son noyau dur individuel, qui fonde la notion de bien et de mal,
et se situe en amont de ses décisions et de ses actions. En tant
que professionnel, il ressortit à une déontologie, soit l’ensemble
des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs
clients ou le public.
C’est par le jeu d’une médiation sans intérêt lucratif, au service
de l’enfant, par le développement d’outils pédagogiques adaptés, qu’on peut prolonger et approfondir l’ “éducation alimentaire” du jeune consommateur et lui apprendre à décrypter avec
discernement les messages du marketing agroalimentaire.
Un code de déontologie permettrait donc aux praticiens du marketing agroalimentaire de situer les limites à ne pas franchir dans
l’exercice de leur métier. Si la morale commande au décideur
par le biais de sa conscience et si la déontologie lui indique le
sens de son action, l’éthique lui recommande d’agir d’une manière ou d’une autre en fonction du cadre d’action auquel il se
réfère, et le conduit à raisonner en fonction d’un but utilitaire,
celui du bien-être du groupe. Toutefois, l’éthique, dans l’entreprise, est une notion relative, qui dépend de sa culture, de ses
objectifs spécifiques, de sa gouvernance et des moyens qu’elle
entend mettre en œuvre. Cette relativité vient se heurter au caractère universel d’une éthique légale imposée par les réglementations et normes en vigueur. Enfin, le citoyen présent dans le
praticien du marketing agroalimentaire doit assumer sa responsabilité sociale, le fait de contribuer largement aux modifications des modes de consommation des populations 13. Il semble possible de pratiquer un “marketing social”, dans lequel
l’entreprise devrait rendre des comptes à l’ensemble de la société,
et de mettre en place un code de déontologie, qui permettrait
de juguler les risques de dérives évoqués plus haut.
Article tiré de “Les pratiques marketing pour
les aliments ciblés ‘enfant’ : état de l’art
avancé”
F. Cochoy, S. De Iulio, V.-I. De La Ville,
C. Dufeu, F. Euzeby, A. Krupicka,
A. Le Roux, T. Duchamp, O. Rampnoux
adapté par J.-P. Loisel,
Institut national de la consommation
Mais au-delà d’une pression sur les “faiseurs d’opinion”, c’est
également dans le sens d’une éducation approfondie du consommateur qu’il est nécessaire d’aller. On l’a vu, l’apprentissage
de l’alimentation constitue en grande partie un apprentissage
social, l’acquisition de règles, d’échelles de comparaison, de savoirs. Il est fondamental de développer le plus tôt possible un
travail d’éducation sur le long terme, indépendant de toute entité agroalimentaire, fondé sur les savoirs nutritionnels actuels
et le respect des cultures culinaires traditionnelles. À côté du
travail d’éducation au jour le jour réalisé par les parents, le cercle
familial, c’est bien évidemment l’école qui doit se trouver au
premier plan dans cette perspective, que ce soit au travers de
cours ou de travaux pratiques, ou par le biais des activités qui
se déroulent dans les cantines scolaires, lieux de convivialité
et donc d’apprentissage.
—————
13 Bergadaa, M. (2004), “Évolution de l’épistémê économique et sociale : proposition d’un cadre de morale, de déontologie, d’éthique et de responsabilité pour le marketer”, Recherche et Applications en marketing, 19, 55-72.
INC Hebdo
No 1496
24 - 30 novembre 2008
VII
Téléchargement