Revue mt cardio 2005 ; 1 : 533-9 Cardiopathies congénitales et grossesse Claude Almange , Jean-Marc Schleich Unité des cardiopathies congénitales de l’enfant et de l’adulte, centre cardiopneumologique, hôpital de Pontchaillou, 2 rue Henri Le-Guillou, 35033 Rennes Cedex <[email protected]> du débit cardiaque d’environ 50 %. Ces phénomènes, bien supportés par un cœur normal, peuvent être mal tolérés en cas de cardiopathie préexistante. Les cardiopathies congénitales représentent actuellement la majorité des anomalies cardiaques observées au cours de la grossesse dans les pays développés. Les facteurs influençant l’évolution de la grossesse chez les femmes ayant une cardiopathie congénitale sont principalement la classe fonctionnelle, la grossesse étant médiocrement tolérée si la classe maternelle NYHA est III ou IV (mortalité de l’ordre de 7 %). Le type de la cardiopathie est également un élément à considérer. Les anomalies peuvent être classées en trois catégories : les cardiopathies à haut risque, celles à risque intermédiaire et celles à bas risque. Dans le syndrome d’Eisenmenger, le décès maternel survient dans 30 à 50 % des cas, le plus souvent dans le post-partum, fréquemment chez des femmes pauci- ou asymptomatiques. En conséquence, la grossesse est fortement contre-indiquée. Le risque est le même dans l’hypertension artérielle pulmonaire primitive. Dans les cardiopathies congénitales cyanogènes la grossesse est médiocrement tolérée, à cause de l’augmentation du shunt droite-gauche. La probabilité d’avoir une naissance vivante peut être prévue à partir de la saturation oxygénée quand elle est supérieure à 85 % et de l’hémoglobine si elle est inférieure à 20 g/dL. En cas de sténose aortique sévère, le risque de complications est important et un traitement chirurgical ou une valvuloplastie par ballonnet peuvent être nécessaires pendant la grossesse. Dans la transposition corrigée des gros vaisseaux la grossesse est possible si la fonction du ventricule systémique est correcte et s’il n’y a pas de régurgitation atrioventriculaire. Dans l’anomalie d’Ebstein la grossesse est le plus souvent bien tolérée, même s’il y a une cyanose ou un syndrome de Wolf Parkinson White. Les patientes opérées constituent un groupe de plus en plus important : dans la tétralogie de Fallot réparée il y a un risque de complications si d’importantes séquelles hémodynamiques existent. Après réparation atriale de la transposition des gros vaisseaux (intervention de Mustard ou Senning), la grossesse est bien tolérée cliniquement mais comporte un risque de dysfonction ventriculaire droite qui est parfois irréversible. Après intervention de Fontan, le risque de la grossesse n’est pas prohibitif si la classe fonctionnelle est I ou II et la fonction ventriculaire correcte, mais les arythmies atriales et les avortements sont fréquents. Mots clés : cardiopathie congénitale, grossesse Abstract. Pregnancy and congenital heart disease. Pregnancy accounts for important cardiocirculatory changes, especially an increase of blood volume and of cardiac output of about 50 %. These modifications are very well sustained by a normal heart, but may be poorly tolerated in cardiac disease. Congenital diseases are now the predominant aspect of heart disease encountered during pregnancy in developed countries. Factors influencing the outcome of pregnancy in women with congenital heart defects are: mainly the functional class ; the pregnancy is poorly tolerated if the maternal class NYHA is III ou IV (mortality ~ 7 %) : the type of cardiac defect must also be considered. These anomalies may be classified into 3 categories: the cardiac defects with a high risk, those with an intermediate risk and those with a low risk. In Eisenmenger’s syndrome maternal death occurs in 30-50 % of cases, most frequently in the post-partum, often on pauci- or asymptomatic patients. Consequently pregnancy is contra-indicated. The risk is also the case in primary pulmonary hypertension. In cyanotic congenital heart diseases the pregnancy is poorly tolerated, due to the increase of right to left shunt. The likehood of a live birth can be predicted from the arterial oxygen saturation when it is > 85 % and when hemoglobin is < 20 g/dL. In severe aortic stenosis, the risk of complications is important and surgical treatment or balloon valvuloplasty may be necessary during pregnancy. In corrected transposition of the great arteries (= atrioventricular and ventricular-arterial discordance), pregnancy is possible if the systemic ventricular function is correct and if there is no atrio-ventricular regurgitation. In Ebstein’s anomaly, the pregnancy is in most cases well tolerated, even if there is cyanosis or Wolf-Parkinson White syndrome. Operated patients constitute an important group to be taken into account; in repaired tetralogy of Fallot there is a risk of complications if important hemodynamic disturbances exist. After atrial repair for transposition of the great arteries (Mustard or Senning operation) pregnancy is clinically well tolerated but carries a risk of right ventricular dysfunction, which is sometimes irreversible. After Fontan type operation, the risk of pregnancy is not too high if the functional class is I ou II and ventricular function correct, but atrial arrythmias and foetal loss are frequent. Key words: congenital heart disease, pregnancy mtc Correspondance : C. Almange L es progrès des thérapeutiques médicales et chirurgicales permettent à l’heure actuelle à la plupart des femmes ayant une cardiopathie congénitale d’atteindre l’âge de la procréation. L’importance de cette étiologie mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 parmi les cardiopathies observées chez la femme enceinte n’a cessé de croître au cours de ces dernières décennies et en constitue maintenant la grande majorité (tableau 1). Bien que la grossesse se déroule dans des 533 Revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Résumé. La grossesse entraîne d’importantes modifications cardiocirculatoires, en particulier une expansion volémique et une augmentation Cardiopathies congénitales et grossesse Tableau 1. Cardiopathies et grossesse : fréquence relative 1955 Cardiopathies rhumatismales Cardiopathies congénitales 20 1 1974 (Szekely) [39] 3 1 1987 (Shime) [1] 1 1 1997 (Siu) [2] 1 2 2001 (Siu) [3] 1 4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 2. Modifications circulatoires au cours de la grossesse 1er trimestre ↑ ↑ ↑ ↑ ↓ Volémie Volume d’éjection systolique Fréquence Débit cardiaque Résistances vasculaires systémiques conditions satisfaisantes dans la plupart des cas, certaines patientes sont exposées à un risque important et les anomalies cardiaques restent la première cause de mortalité chez la femme enceinte. Par ailleurs, le retentissement de la cardiopathie sur le fœtus peut être majeur. 2e trimestre ↑↑ ↑↑↑ ↑↑ ↑↑↑ ↓↓↓ 3e trimestre ↑↑↑ ↑↑ ↑↑↑ ↑↑ ↓↓ diaque. Un cœur normal s’adapte rapidement à ces contraintes supplémentaires ; en revanche, un cœur pathologique pourra avoir du mal à supporter le surcroît de travail imposé par la grossesse et l’accouchement. Généralités Modifications circulatoires au cours de la grossesse La grossesse entraîne d’importantes modifications hémodynamiques (tableau 2). Tout d’abord une augmentation du volume sanguin de l’ordre de 20 à 30 % dès la 20e semaine et atteignant 40 à 50 % à partir de la 32e semaine ; ensuite une baisse importante des résistances vasculaires périphériques, liée au développement de la circulation placentaire et à une activation hormonale. Ce phénomène, associé à une franche accélération de la fréquence cardiaque, entraîne une forte augmentation du débit cardiaque de l’ordre de 20 à 30 % de la 5e à la 8e semaine et atteignant 50 % à partir de la 20e semaine. Il faut ajouter également des modifications de l’hémostase faisant de la grossesse un état d’hypercoagulabilité, majorant donc les risques thromboemboliques. Lors de l’accouchement, à chaque contraction, il y a une augmentation supplémentaire notable du débit car- Liste des abréviations Revue APSO : atrésie pulmonaire à septum ouvert AT : atrésie tricuspide CAV : canal atrioventriculaire CIA : communication interauriculaire CIV : communication interventriculaire DC : débit cardiaque RP : rétrécissement pulmonaire VES : volume d’éjection systolique VU : ventricule unique 534 Les risques fœtaux sont liés soit à l’existence d’une cyanose maternelle entraînant une insuffisance d’oxygénation fœtale (responsable d’avortement, de prématurité, de retard de croissance fœtale) soit à une détérioration de la fonction cardiaque maternelle responsable d’une insuffisance circulatoire placentaire (entraînant les mêmes conséquences fœtales). Les risques maternels vont de la détérioration de la fonction ventriculaire aux complications sévères à type d’insuffisance cardiaque, voire au décès. Le pronostic maternel dépend tout d’abord de la classe fonctionnelle NYHA : la mortalité maternelle est en effet évaluée à moins de 1 % pour les patientes en classe I ou II avant la grossesse, à 7 % pour les patientes en classe III ou IV. Un score de risque a été proposé par Siu et al. [4] retenant comme facteurs prédictifs : des antécédents d’insuffisance cardiaque ou d’arythmie, un stade NYHA > II ou une cyanose, une obstruction gauche, une fraction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 40 %. Il apparaît cependant indispensable de prendre également en compte le type de la cardiopathie. Différentes cardiopathies On ne dispose pas à l’heure actuelle d’étude scientifique permettant de guider la prise en charge de la grossesse des femmes ayant une cardiopathie congénitale et la conduite à tenir ne peut donc être orientée que par des études observationnelles. Compte tenu des données de la littérature et d’une étude coopérative de la filiale pédiatri- mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 Tableau 3. Classification des cardiopathies congénitales au cours de la grossesse Cardiopathies à risque intermédiaire Sténose aortique Coarctation aortique Transposition corrigée des gros vaisseaux Anomalie d’Ebstein (sans cyanose) Transposition des gros vaisseaux opérée Intervention de Fontan pour atrésie tricuspide ou cœur univentriculaire Syndrome de Marfan que de la Société française de cardiologie, il est pratique de considérer les cardiopathies avec trois niveaux de risque : cardiopathies à haut risque, à risque intermédiaire et à risque faible (tableau 3). Cardiopathies à haut risque Syndrome d’Eisenmenger L’hypertension artérielle pulmonaire fixée secondaire à un shunt ou syndrome d’Eisenmenger est une contreindication formelle à la grossesse. Celle-ci aggrave en effet de façon constante l’état maternel (augmentation de la dyspnée et de la cyanose). Surtout, la grossesse conduit à la mort de la patiente dans 30 à 50 % des cas. Les mécanismes invoqués sont la baisse des résistances systémiques (notamment lors de la délivrance) associée à une augmentation des résistances pulmonaires du fait de l’hypercoagulabilité et des phénomènes thromboemboliques. Gleicher et al. [5] faisaient état en 1979 de 52 % de mortalité ; le pronostic s’est un peu amélioré mais reste très sévère : 36 % de décès dans l’étude rétrospective de Weiss et al. en 1998 [6] et 27 % dans l’étude de Daliento et al. [7]. Les décès sont tous survenus dans le post-partum immédiat et souvent chez des femmes pauci- ou asymptomatiques. La conduite à tenir est donc la contraception définitive par ligature de trompes, de préférence par voie laparoscopique [8]. Si la grossesse est commencée, l’interruption médicale précoce est recommandée. Si elle est poursuivie, le pronostic est impossible à formuler. Les anticoagulants sont conseillés au cours du dernier trimestre et dans le premier mois du post-partum. Une césarienne doit être si possible évitée car elle doublerait la mortalité. Le mode d’anesthésie est discuté. L’accouchement par voie basse se fera sous surveillance des gaz du sang, voire de l’hémodynamique, et surtout de la volémie dont la chute peut être dramatique. L’utilisation de monoxyde d’azote dans quelques cas a abaissé modérément les pressions pulmonaires mais n’a pas modifié l’évolution [9]. Une surveillance hospitalière doit être poursuivie deux semaines environ. Il est à noter que même si la grossesse s’est déroulée sans complication, le risque reste majeur pour une grossesse ultérieure. Cardiopathies à risque faible Shunts gauche-droite (CIA, CIV, canal artériel, CAV) Sténose pulmonaire Hypertension artérielle pulmonaire primitive L’hypertension artérielle primitive est rarement observée chez la femme enceinte. Elle comporte sensiblement les mêmes risques que le syndrome d’Eisenmenger avec une mortalité de 30 à 40 % [10] survenant dans le postpartum immédiat. Les mécanismes en cause sont la mort subite, l’embolie pulmonaire et l’insuffisance ventriculaire droite aiguë. Le risque de complications est imprévisible et la mortalité est évaluée à 32 % chez les patientes pauciou asymptomatiques, c’est-à-dire en classe fonctionnelle I ou II. La grossesse est donc également formellement contre-indiquée et la stérilisation conseillée. Si la grossesse est poursuivie, les anticoagulants sont préconisés au cours du 3e trimestre ; dans quelques cas des antagonistes calciques ou des prostaglandines ont été administrés. Lors de l’accouchement l’oxygénothérapie est conseillée. Le monitoring hémodynamique est discuté. L’administration de monoxyde d’azote et de prostacycline aurait été efficace dans quelques cas isolés [11, 12]. Cardiopathies congénitales cyanogènes La grossesse, abaissant d’une part les résistances périphériques et augmentant d’autre part le retour veineux, donc la pression dans les cavités cardiaques droites, a pour effet d’augmenter le shunt droite-gauche et donc l’hypoxie et la cyanose. La tolérance de ces cardiopathies est en général médiocre, parallèle à la saturation oxygénée, et les décès fœtaux sont de l’ordre de 45 %. Tétralogie de Fallot La tolérance maternelle de la grossesse a été totalement modifiée par la chirurgie (tableau 4). Les anastomoses palliatives l’ont très nettement améliorée et les interventions correctrices ont amené la mortalité maternelle aux environs de 0 % avec une morbidité très faible [13]. Le retentissement fœtal a aussi été transformé puisqu’il y a trente ans, seulement 27 % d’enfants naissaient à terme vivants et aucune grossesse n’aboutissait si l’hématocrite était égale à 65 % [14]. Cependant, la possibilité de complications n’est pas nulle, en cas de perturbations hémodynamiques postopératoires importantes (insuffisance pulmonaire sévère avec dysfonction ventriculaire droite) comme l’a montré un récent travail de Veldtmann et al. [15] portant sur mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 535 Revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Cardiopathies à haut risque Syndrome d’Eisenmenger Hypertension artérielle pulmonaire primitive Cardiopathies congénitales cyanogènes Cardiopathies congénitales et grossesse Tableau 4. Grossesse et tétralogie de Fallot : évolution selon l’intervention préalable (d’après [15]) Non opérée Palliation Réparation Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Mère Insuffisance cardiaque 40 % 6% 2% Mortalité 4-12 % 3% 0% 43 patientes ayant eu 112 grossesses, 6 complications maternelles ont en effet été observées. Deux études [16, 17], ont fait état de la possibilité de grossesse chez des femmes ayant une atrésie pulmonaire complexe c’est à dire avec collatérales systémicopulmonaires, à condition que la classe fonctionnelle soit I ou II, l’hémoglobine à moins de 16 grammes et la pression artérielle pulmonaire à moins de 70 % de la pression artérielle systémique. Cardiopathies congénitales complexes avec sténose pulmonaire Les autres cardiopathies cyanogènes avec sténose de la voie pulmonaire (ventricule unique, atrésie tricuspide, double discordance, anomalie d’Ebstein) peuvent avoir une tolérance maternelle correcte si la cardiopathie est équilibrée, mais elle est souvent médiocre : 32 % de complications cardiovasculaires dans la série de Presbitero et al. [18] (tableau 5). Il apparaît au total que les femmes ayant une cardiopathie congénitale cyanogène peuvent avoir une grossesse avec un risque faible pour elle-même, mais une incidence élevée d’avortement ou d’accouchement prématuré (43 % de naissances vivantes) ; la probabilité d’une naissance vivante peut être envisagée si la saturation oxygénée est supérieure à 85 % et l’hémoglobine inférieure à 20 g/L. Cardiopathies à risque intermédiaire Sténose aortique (valvulaire, sous ou supravalvulaire) Les sténoses aortiques exposent au risque de syncope, d’insuffisance cardiaque ou de mort subite. En 1978, Arias et al. [19] rapportaient 4 décès chez 23 patientes au cours de 38 grossesses. Les études plus récentes sont moins pessimistes : au cours de 25 grossesses chez 13 patientes il n’y a eu aucun décès maternel mais 4 détériorations de l’état cardiaque nécessitant une valvuloplastie et deux Naissances vivantes 33 % 78 % interruptions de grossesse dans un travail de Lao et al. en 1993 [20]. Récemment Silversides et al. [21] ont observé 3 complications dont 2 œdèmes pulmonaires au cours de 49 grossesses chez 39 patientes, mais aucun décès. En pratique, si la sténose aortique est serrée (surface aortique inférieure à 1 cm2 ou gradient maximal supérieur à 65 mmHg), le risque de mauvaise tolérance au cours de la grossesse est important et il faut intervenir avant la grossesse ou, si celle-ci est commencée, envisager un geste thérapeutique, de préférence une valvuloplastie percutanée. En cas d’incertitude avant la grossesse, un test d’effort peut être envisagé, autorisant la grossesse en principe sans risque de complication en cas de normalité. Coarctation aortique La coarctation aortique a classiquement une réputation péjorative au cours de la grossesse depuis l’étude de Metcalfe et al. [22] qui chez 230 patientes avec 565 grossesses ont observé 13 décès maternels par dissection aortique ou insuffisance cardiaque. De plus, en cas de coarctation il existe fréquemment une hypotrophie fœtale liée à la baisse du flux placentaire. Les complications étant plus fréquentes pendant la grossesse que pendant le travail, la correction chirurgicale a été proposée au cours de la grossesse en cas d’insuffisance cardiaque ou lorsque la pression artérielle dépassait 200 mmHg. Une série lyonnaise [23] de 16 patientes non opérées avec 31 grossesses aboutissant à 25 naissances vivantes ne fait état que de 3 hypertensions artérielles maternelles. La série de la Mayo Clinic [24] rapporte 118 grossesses chez 50 patientes avec un décès survenu par dissection aortique chez une patiente ayant un syndrome de Turner. Une hypertension artérielle a été observée dans 15 cas dont 11 avaient un gradient isthmique significatif. En pratique, le monitoring de la pression artérielle pendant Tableau 5. Évolution de la grossesse selon la cardiopathie maternelle (d’après [18]) Revue VU ou AT Fallot ou APSO Ebstein et CIA Transposition corrigée + CIV +RP Total 536 Nombre de mères Nombre de grossesses Naissances vivantes 26 46 14 10 Complications cardiovasculaires 2 8 3 1 10 21 8 5 44 96 14 41 (43 %) mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 8 (31 %) 15 (33 %) 12 (86 %) 6 (60 %) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Transposition corrigée des gros vaisseaux (double discordance) En cas de double discordance, le ventricule droit est le ventricule systémique et sa fonction peut donc être altérée par les changements hémodynamiques survenant au cours de la grossesse. Le pronostic semble bon dans la majorité des cas : 37 grossesses chez 18 patientes dans la série de la Mayo Clinic [25], aboutissant à la naissance de 33 enfants vivants, sans aucun décès maternel et une seule insuffisance cardiaque liée à l’insuffisance de la valve auriculoventriculaire systémique. Cependant, dans l’étude de Therrien et al. [26], 5 complications dont 3 insuffisances cardiaques congestives, surviennent chez 19 patientes au cours de 45 grossesses. Au total, les femmes ayant une transposition corrigée peuvent avoir une grossesse si la fonction du ventricule systémique est correcte et s’il n’y a pas de régurgitation significative de la valve auriculoventriculaire systémique. Anomalie d’Ebstein sans cyanose Connoly et al. [27] ont rapporté une série de 44 patientes (dont 10 opérées) ayant eu 111 grossesses aboutissant à 85 naissances vivantes (75 % des cas). Il n’y a eu aucune complication maternelle ni aucune arythmie, même dans les six cas ayant un syndrome de préexcitation. À noter qu’il n’y a curieusement eu aucune différence entre les grossesses des malades cyanosées et celles des malades non cyanosées (75 % d’enfants vivants dans les deux cas). Cependant, le poids de naissance a été de 3,1 kg dans le premier cas contre 2,5 kg dans le second. L’étude de la filiale pédiatrique de la société Française de cardiologie fait état de 17 grossesses chez 11 patientes, aboutissant à 17 naissances vivantes : 5 fois il y a eu une détérioration transitoire de l’état fonctionnel maternel. Au total la grossesse au cours de l’anomalie d’Ebstein est le plus souvent bien supportée ; la tolérance maternelle apparaît en rapport avec la dimension du ventricule droit fonctionnel. Transposition des gros vaisseaux après réparation intra-atriale (Mustard ou Senning) Chez ces malades le ventricule systémique est le ventricule droit et le problème posé est celui de la tolérance par celui-ci de la surcharge volémique de la grossesse. En 1994, Clarkson et al. [28] ont rapporté 15 grossesses chez 9 femmes ayant eu une intervention de Mustard : aucune n’a eu de détérioration clinique ou hémodynamique mais toutes étaient asymptomatiques avant la grossesse. En 1999, Genoni et al. [29] ont rapporté 13 grossesses chez 11 femmes ayant eu une intervention de Senning : une seule patiente a eu une détérioration de son état ; c’était la seule qui n’était pas en classe fonctionnelle I ou II. Guedes et al. [30] ont rapporté 28 grossesses chez 16 patientes : 6 détériorations fonctionnelles ont été observées pendant la grossesse avec 4 retours à l’état antérieur ; 4 patientes ont eu des dysfonctions ventriculaires droites avec absence de récupération dans trois cas. En conclusion, la grossesse est le plus souvent fonctionnellement bien tolérée mais comporte un risque de dysfonction du ventricule droit systémique qui est parfois irréversible. Elle peut donc être autorisée si la classe fonctionnelle est I ou II, la capacité à l’exercice satisfaisante et la fonction ventriculaire droite proche de la normale. On ne dispose pas actuellement de série concernant des patientes ayant eu une réparation anatomique, c’est-à-dire une détransposition artérielle. Intervention de Fontan Les cœurs ayant eu une intervention de Fontan ont une capacité limitée à augmenter le débit cardiaque et donc à supporter la grossesse. Canobbio et al. [31] ont rapporté 21 patientes ayant eu 33 grossesses. Il n’y a eu que 15 naissances vivantes et 40 % d’avortements au cours du premier trimestre. Aucun décès maternel n’est à déplorer et seulement deux patientes ont eu des complications cardiaques. Il apparaît que le risque de la grossesse n’est pas prohibitif en cas de classe fonctionnelle I ou II et de bonne fonction ventriculaire ; il existe cependant un risque d’arythmie atriale et de thrombose artérielle. Il importe pendant l’accouchement de maintenir des pressions de remplissage élevées. La conversion de la procédure de Fontan en une connection cavopulmonaire totale avant la grossesse devrait pour certains être envisagée si l’oreillette droite est large ou s’il existe une congestion veineuse. Syndrome de Marfan Il était considéré comme comportant un risque élevé de dissection aortique et de décès depuis le travail de Pyeritz et al. [32] : 16 décès sur 32 femmes survenant en fin de grossesse, lors de l’accouchement ou dans le postpartum par dissection aortique. Cependant, la plupart des patientes avaient une dilatation aortique ou une insuffisance valvulaire. Une étude prospective de Rossiter et al. [33] chez 21 femmes ayant un syndrome de Marfan et 45 grossesses a permis de préciser la conduite à tenir en fonction du diamètre aortique : si celui-ci est supérieur à 40 mm la grossesse est contre-indiquée ; s’il est inférieur à 40 mm la grossesse est possible sous traitement bêtabloquant et avec un échocardiogramme tous les six à huit semaines. L’absence de complication n’est pas pour autant garantie et une intervention chirurgicale peut être nécessaire au cours de la grossesse en cas d’augmentation de la dilatation aortique. L’accouchement sera effectué de préférence par voie basse (ou par césarienne en cas d’anévrisme). Dans tous les cas la transmission du syndrome est de 50 %. mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 537 Revue la grossesse est nécessaire et l’administration de bêtabloquants souvent préconisée. La question de la grossesse après correction de la coarctation par dilatation au ballonnet n’est pas résolue. La césarienne serait peut être plus prudente chez ces patientes. Cardiopathies congénitales et grossesse Sténose pulmonaire Cardiopathie à risque faible En cas de shunt gauche-droite, les effets de la surcharge volémique sur le ventricule droit sont contrebalancés par la baisse des résistances vasculaires périphériques et la grossesse est en général bien tolérée en l’absence d’hypertension artérielle pulmonaire. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Communication interauriculaire (CIA) C’est la cardiopathie congénitale la plus fréquemment rencontrée au cours de la grossesse du fait de sa fréquence et de sa bonne tolérance. Elle supporte bien la grossesse en règle générale. Une large CIA peut cependant se compliquer d’insuffisance cardiaque à l’occasion de troubles du rythme. L’évolution vers l’hypertension artérielle pulmonaire, habituellement observée seulement après la quatrième et la cinquième décennie, semble cependant dans certains cas être accélérée par la grossesse ; un bilan hémodynamique est préconisé à l’issue de celle-ci. Une thrombose veineuse peut, en cas de CIA, se compliquer d’embolie paradoxale et il faut donc apporter une attention particulière à l’état veineux au cours de la grossesse. Communication interventriculaire (CIV) La communication interventriculaire est très rarement observée maintenant à l’âge adulte. Elle est en général bien supportée par la grossesse ; dans l’étude de Whittemore [34] aucun décès maternel n’a été observé chez 50 patientes ayant eu 98 grossesses avec 80 % d’enfants vivants. Quelques cas d’insuffisance cardiaque ont été observés chez des malades dont le stade fonctionnel était « moyen à médiocre » avant la grossesse. Les patientes ayant été opérées de leur CIV ont des grossesses sans problème. Cependant, lorsqu’il existe une hypertension artérielle pulmonaire résiduelle malgré la réparation chirurgicale, elle peut être aggravée par la grossesse [35, 36] et il faut donc éviter à ces patientes les facteurs susceptibles d’augmenter les résistances artérielles pulmonaires (hypoxie, acidose, stress). Canal artériel Les femmes qui ont un canal artériel de petit calibre tolèrent très bien la grossesse (signalons une observation de Perloff et al. [37] avec 20 grossesses), mais une insuffisance cardiaque peut être observée en cas de shunt important. Dans ce cas, l’occlusion du canal par voie percutanée peut être réalisée au cours de la grossesse. Dans tous les cas le risque d’endocardite existe au moment de l’accouchement et justifie l’antibiothérapie. Revue Canal atrioventriculaire Les femmes ayant un canal atrioventriculaire ont en général été opérées avant la grossesse. La tolérance dépend du résultat opératoire et en particulier de l’importance d’une insuffisance mitrale résiduelle. La prophylaxie de l’endocardite est indispensable. Le taux de récurrence de la cardiopathie est élevé (de l’ordre de 10 %). 538 Les femmes ayant une sténose pulmonaire lors de la grossesse supportent généralement bien la surcharge volumétrique surajoutée à la surcharge barométrique de la cardiopathie. Whittemore et al. [34] ont rapporté 46 grossesses chez 24 femmes avec très peu d’insuffisance cardiaque. En cas de mauvaise tolérance, une dilatation percutanée peut être proposée pendant la grossesse. Accouchement L’accouchement par voie basse doit être privilégié, avec la seconde étape facilitée par forceps ou vacuumextractor. Les pertes sanguines doivent être rapidement compensées. L’antibioprophylaxie de l’endocardite doit être conseillée (amoxycilline intraveineuse) même si elle ne fait pas partie des recommandations officielles. Les indications de césarienne sont très rares (dilatation aortique dans le cadre d’un syndrome de Marfan, lésions obstructives gauches sévères) et sont essentiellement d’ordre obstétrical. Récurrence de la cardiopathie Le risque de transmission de la cardiopathie (tableau 6) est de 5 à 6 % [38], variable avec l’anomalie (la récurrence étant particulièrement élevée en cas de canal atrioventriculaire ou d’obstacle gauche). Un échocardiogramme fœtal pratiqué vers la 18e semaine pourra souvent permettre de rassurer les futurs parents quant au cœur de leur enfant. Conclusion La population des femmes cardiaques enceintes a changé, avec augmentation importante du nombre des cardiopathies congénitales. Dans la plupart des cas la grossesse a une évolution favorable [39]. Cependant, le nombre des femmes ayant une cardiopathie complexe arrivant à l’âge de la procréation augmente, ce qui créé Tableau 6. Risque de récurrence de cardiopathie chez les enfants dont la mère a une cardiopathie congénitale (d’après [38]) CAV Sténose aortique Coarctation CIA CIV Sténose pulmonaire Canal artériel Tétralogie de Fallot mt cardio, vol. 1, n° 6, novembre-décembre 2005 11,6 % 8% 6,3 % 6,1 % 6% 5,3 % 4,1 % 2% des problèmes nouveaux. Avant la grossesse, il faut évaluer la classe fonctionnelle et la fonction ventriculaire en s’aidant au besoin d’une épreuve d’effort voire d’une mesure de la VO2 max. Une étroite collaboration cardiologique et obstétricale est à l’évidence nécessaire pour permettre à une jeune femme cardiaque de mener favorablement sa grossesse. 20. Lao TL, Sermer M, Magee L, Farine D, Colman JM. Congenital aortic stenosis and pregnancy. A reappraisal. Am J Obstet Gynecol 1993 ; 169 : 540-5. 21. Silversides CK, Colman JM, Sermer M, Farine D, Siu CC. Early and intermediate-term outcomes of pregnancy with congenital aortic stenosis. Am J Cardiol 2003 ; 91 : 1386-9. 22. 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