dossier L’éducation thérapeutique du patient stratégie soignante Place du kinésithérapeute dans une unité transversale pour l’éducation des patients JEAN-YVES BOUCHET MOTS CLÉS tApprentissage tÉducation thérapeutique du patient tFormation tKinésithérapeute tUnité transversale pour l’éducation des patients [ L’unité transversale pour l’éducation du patient (Utep) vise à favoriser le développement de l’éducation thérapeutique (ETP) [ Le kinésithérapeute, comme ses collègues exerçant dans d’autres spécialités, y a toute sa place [ L’objectif de l’ETP est d’améliorer la qualité de vie des personnes souffrant notamment de maladies chroniques. [ Elle permet aux patients de devenir acteurs dans la gestion de leur maladie et partenaires des soignants dans le parcours de soins, optimisant ainsi l’efficacité des traitements. D epuis quelques années, l’éducation thérapeutique des patients (ETP) s’est formalisée sous l’influence de l’évolution sociologique de la relation soignant/patient, des nouveaux droits décrits dans la charte des patients 1 et de l’application des connaissances didactiques et psychologiques (notions développées en sciences de l’éducation appliquées à des adultes dans un contexte de soins). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a confirmé l’importance des programmes d’éducation thérapeutique et la Haute Autorité de santé (HAS) a élaboré des recommandations pour la structuration et l’élaboration de ces programmes dans le champ des maladies chroniques. De la simple information, on est progressivement passé à une stratégie d’accompagnement du patient. CONCEPT D’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE RÉFÉRENCE Gregoire L, Pataky Z, Golay A. Efficacité de l’éducation thérapeutique. La lettre de la SETE, 14 ; 2009 : 1-5. La HAS reprend la définition de l’OMS : « L’éducation thérapeutique du patient vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de sa prise en charge »2. Un programme d’ETP comprend quatre étapes : s¬élaborer un diagnostic éducatif ; s¬définir un programme personnalisé d’ETP avec priorités d’apprentissage ; s¬planifier et mettre en œuvre les séances d’ETP individuelles ou collectives, ou en alternance ; s¬réaliser une évaluation des compétences acquises et du déroulement du programme. PLACE DU KINÉSITHÉRAPEUTE [L’élaboration du diagnostic éducatif est indépendante de la profession de l’éducateur. Selon Brigitte Sandrin-Berthon, il s’agit d’un bilan partagé inau- 40 © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 28/04/2010 par emmendoerffer h?l?ne (188378) gural3. Deux positions sont à rapprocher, celle du patient, de ses connaissances sur sa pathologie, de ses problèmes immédiats, de ses souhaits... et celle du soignant, qui a un message à faire passer. Cette approche est forcément très large, il s’agit d’être à l’écoute du patient, d’évaluer avec lui sa situation, de lui expliquer les intentions d’éducation. [À l’issue d’un ou de plusieurs entretiens individuels, il est convenu avec le patient d’un programme par étapes faisant appel à des personnes ressources pour chercher à évacuer les problématiques empêchant la réceptivité des messages d’éducation. Ces dernières peuvent être d’ordre psychologique, social ou familial. On définit alors des actions plus ciblées sur la maladie et son contrôle par le patient, celui-ci peut être vu en groupe ou individuellement. En fonction de la pathologie, le kinésithérapeute apporte ses connaissances techniques en usant de moyens didactiques pour faciliter la démarche d’apprentissage des patients. C’est là que la formation professionnelle initiale est tout à fait insuffisante et nécessite d’être complétée pour ajouter à la compétence professionnelle de spécialité celle d’éducateur. Cette formation complémentaire doit lui permettre de ne pas simplement faire de l’information unilatérale mais d’entrer dans un processus d’acquisition de compétences qui fait du patient un partenaire des soignants. Il est nécessaire que le malade chronique se prenne en charge pour modifier son mode de vie afin de concilier au maximum ses désirs et les impératifs liés à sa maladie. Il doit, pour cela, être persuadé qu’il a une influence sur le déroulement de sa pathologie et qu’il peut en modifier certains paramètres. [Le kinésithérapeute doit être capable de s’éloigner de sa filière au moment du diagnostic éducatif pour que le bilan partagé avec le patient aborde SOiNS CADRES - n° 73 - février 2010 dossier Place du kinésithérapeute dans une unité transversale pour l’éducation des patients sa situation de façon globale. Il reprend ses caractéristiques de professionnel du mouvement et devient personne ressource pour aider le patient à trouver des solutions concernant des problèmes liés aux incapacités physiques. Cette dichotomie n’est cependant pas évidente : l’analyse des contenus des diagnostics éducatifs montre une dominante professionnelle spécifique au métier de l’éducateur. Le pharmacien est le spécialiste concernant les médicaments, la diététicienne l’alimentation et le kinésithérapeute concernant les incapacités physiques. Ce constat plaide en faveur de réunions de synthèse ou de concertations régulières pour conserver une cohérence dans les objectifs d’éducation. [ Le kinésithérapeute participe à l’évaluation multidisciplinaire. L’évaluation du programme d’éducation constitue probablement la plus grande difficulté. Les patients sont généralement très satisfaits. La quantification individuelle des acquis, les impacts socio-économiques ou les améliorations de la qualité de vie sont difficiles à évaluer tant ces approches sont multifactorielles. De nombreux travaux ont montré le bénéfice de ces actions d’éducation thérapeutique4. Et la volonté politique exprimée ces dernières années ainsi que les problèmes de démographie médicale incitent à développer ce type de partenariat avec les patients. L’UTEP, UNE UNITÉ RESSOURCE [L’unité transversale pour l’éducation du patient (Utep) n’est ni un centre d’éducation des patients ni une équipe mobile d’éducation. Elle n’a pas pour vocation à se substituer aux équipes soignantes pour réaliser l’éducation des patients. Il est particulièrement important que le soignant soit expert dans sa spécialité pour faire de l’ETP. Il ne s’agit pas de créer un nouveau métier d’éducateur multi-compétent dans toutes les pathologies. [L’Utep est une unité ressource multi-professionnelle et multi-disciplinaire. Elle cherche à créer une dynamique favorable au développement de l’éducation thérapeutique. Le kinésithérapeute apporte ses compétences et son expérience au même titre que ses collègues issus d’autres professions. Il ne cherche pas à développer la transversalité au niveau de sa spécialité mais à lui définir une place au sein de l’équipe soignante en charge du patient. L’importance de cette place varie en fonction des répercussions fonctionnelles de la maladie. Il est personne ressource, avec ses collègues de rééducation, pour tout ce qui touche à l’activité, à l’autonomie et à l’environnement du patient. Il apporte ses compétences d’éducateur à ses collègues kinésithérapeutes soignants, experts en ce domaine. [Au centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble (38), la création d’une Utep a été inscrite NOTES au projet d’établissement. Ses premiers objectifs ont consisté à : s¬recenser les démarches existantes dans le CHU en matière d’éducation (enquête Ephora 5). 44 actions éducatives dans 30 pathologies différentes ont été relevées, avec quatre professionnels intervenant en moyenne pour chacune. Près de 4 000 patients sont concernés et 18 métiers soignants impliqués en dehors des associations de patients ou travailleurs sociaux. Des partenariats ont été développés avec les réseaux et parfois le secteur privé. Ce qui ressort de ce premier audit, sont le foisonnement d’activités, le fort engagement humain mais aussi, la grande disparité des moyens et l’ancienneté variable des actions : peu d’équipes dédiées, “chacun dans son coin”, problèmes de valorisation et de cotation des actes, confusion entre l’éducation et l’information ; s¬animer des réunions d’échanges et de partage d’expériences sur les pratiques. Chacun a pu exposer les actions éducatives entreprises, les moyens utilisés et l’expérience acquise dans ces démarches. Cet enrichissement mutuel est lié à la diversité des pathologies concernées, des acteurs et des organisations mises en place ; s¬organiser des rencontres annuelles de l’Utep, ouvertes à tous. Deux journées ont d’ores et déjà eu lieu au CHU de Grenoble en 2008 et 2009. La construction d’un site internet, la création d’un diplôme universitaire de formation en éducation thérapeutique et la mutualisation des outils sont les perspectives de travail du groupe constituant l’Utep. Des réunions bibliographiques se déroulent régulièrement. 1. Charte des patients hospitalisés annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés. 2. Haute Autorité de santé (HAS). Guide Méthodologique. Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques. Juin 2007, consultable sur www.has-sante.fr. 3. Sandrin-Berthon B, Carpentier PH, Quéré I, Satger B. Partnering with patients to reflect on the conceptual design of a therapeutic patient education programme. Sante Publique, 2007 Jul-Aug;19(4): 313-22. 4. 50 000 articles référencés sur Med Line dont 34 méta-analyses. 5. Ephora est un outil au service des soignants investis dans des projets d’éducation du patient en région Rhône-Alpes (www.ephora.fr). UNE FORMATION INDISPENSABLE Trois niveaux de formation peuvent être envisagés : s¬des journées d’information sur l’éducation thérapeutique permettant aux professionnels de s’associer à des actions d’éducation au côté d’acteurs formés ; s¬des formations, d’une durée supérieure à 5 jours, conférant la compétence pour animer des séquences d’un programme d’éducation ; s¬des formations validantes de type universitaire autorisant à être promoteur et organisateur de programmes d’éducation. La valorisation en MIGER des actions d’ETP est conditionnée, entre autres, par la nécessité de recourir à un personnel formé en ETP mais aussi par le respect des quatre étapes définies par la HAS. L’ETP est maintenant opposable dans de nombreuses pathologies chroniques. Elle modifie les relations entre les soignants et les patients. Elle leur permet de mieux s’adapter aux contraintes liées à leur maladie. O SOiNS CADRES - n° 73 - février 2010 © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 28/04/2010 par emmendoerffer h?l?ne (188378) L’AUTEUR Jean-Yves Bouchet, directeur des soins, faisant fonction, CHU Grenoble (38) [email protected] 41