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DOSSIER
Gynécologie médicale :
questions pratiques
TSH en début de grossesse :
à qui et pourquoi ?
TSH in early pregnancy: for whom and why?
L. Bricaire-Dubreuil*
Dysthyroïdies
et grossesse
Les maladies thyroïdiennes sont les pathologies
endocriniennes les plus fréquentes chez les femmes
en âge de procréer et une dysfonction thyroïdienne
est présente chez 1 % des femmes enceintes. Des
recommandations ont été publiées par l’Endocrine
Society (1), l’American Thyroid Association (ATA) [2]
et l’European and Thyroid Association (ETA) [3]. Les
besoins métaboliques augmentent pendant la grossesse et des modifications du système immunitaire
peuvent dérégler ou révéler des maladies thyroïdiennes. Les dysfonctions thyroïdiennes franches
(hypo- et hyperthyroïdie) chez la mère sont associées à des complications maternelles et fœtales, et
il a été démontré que leur traitement est bénéfique.
En revanche, les répercussions de l’hypothyroïdie
infraclinique (élévation de la TSH pour les valeurs
de référence par trimestre et T4L normale) sur le
développement neurologique de l’enfant et la justification d’un dépistage universel pendant la grossesse restent encore débattues. Certaines études ont
montré un effet positif d’un traitement par lévothyroxine en cas d’hypothyroïdie infraclinique avec
anticorps anti-thyroperoxydase (ATPO) positifs (4),
d’autres non (5).
Pendant la grossesse normale, l’activité fonctionnelle de la thyroïde maternelle est majorée du fait
de plusieurs facteurs (1) :
➤➤ une stimulation par l’hCG (hormone chorionique gonadotrope humaine) au premier trimestre
induisant une élévation de T4L et une diminution
de TSH dont le nadir se situe à environ 10 semaines
d’aménorrhée (SA) ;
➤➤ une diminution des formes libres d’hormones
thyroïdiennes par augmentation du taux de la
Thyroid Binding Globulin (TBG) produite par le foie
et par la diminution de sa dégradation sous l’effet
de l’élévation des estrogènes ;
➤➤ une dégradation périphérique des hormones
thyroï­diennes, essentiellement en seconde moitié de
grossesse, du fait d’une augmentation des concentrations de désiodase de type 3 au niveau placentaire.
La thyroïde fœtale n’est complètement fonctionnelle qu’à partir de 16 à 18 semaines de grossesse.
Les hormones thyroïdiennes sont indispensables au
développement neurologique fœtal. Jusqu’à la fin
du premier trimestre, la T4L fœtale est donc exclusivement maternelle. Cette dépendance à la T4L
maternelle au début de la grossesse est l’explication
avancée pour la relation entre le niveau bas de la
T4L maternelle à la douzième semaine de grossesse
et les anomalies du développement neurocognitif
au cours de la première année de vie (6).
Le dosage de TSH pendant la grossesse est l’examen
jugé le plus performant pour déterminer le statut
thyroïdien d’une femme enceinte. Les intervalles de
référence étaient jusqu’à tout récemment fondés
sur des études portant sur de petits effectifs et
Tableau I. Valeurs de référence de la TSH (mUI/l) au cours de la grossesse selon les recommandations de l’American Thyroid
Association 2017 (d’après [2]).
Trimestre de grossesse
Premier
Seuils de TSH normale (mUI/l)
0,4-4,0
Deuxième
Troisième
Seuils de référence pour des personnes non enceintes
Tableau II. Indications du traitement par L-thyroxine en fonction des valeurs de la TSH et des anticorps antithyroperoxydase
au début de la grossesse (d’après [2]).
Valeur de TSH (mUI/l)
* Service d’endocrinologie, hôpital
Cochin, Paris.
De 2,5 à 4,0
De 4,0 à 10,0
> 10,0
ATPO positifs
À discuter
L-thyroxine
L-thyroxine
ATPO négatifs
Pas de traitement
À discuter
L-thyroxine
32 | La Lettre du Gynécologue • N° 407 - mars-avril 2017
DOSSIER
• Âge supérieur à 30 ans.
• Antécédent personnel ou familial de maladie thyroïdienne.
• Symptôme ou signe clinique (goitre) de maladie
thyroïdienne.
le laboratoire pour chaque trimestre de grossesse,
seraient les suivants (tableau I) : 0,4-4,0 mUI/l au
premier trimestre, intervalle identique aux valeurs
normales en dehors de la grossesse pour les deuxième et troisième trimestres (2).
• Pathologie auto-immune associée (diabète de type 1).
• Anticorps antithyroïdiens positifs (notamment ATPO).
• Infertilité.
• Antécédent de fausse couche ou accouchement
prématuré.
• Antécédent de radiothérapie cervicale ou cérébrale.
• Antécédent de chirurgie thyroïdienne.
• Obésité morbide.
• Traitement par amiodarone, lithium, injection récente
de produit de contraste iodé.
• Résidence dans une région de carence iodée modérée
à sévère.
Encadré. Dépistage ciblé des dysfonctions thyroïdiennes chez la femme enceinte (d’après [1, 2]).
adaptés au stade de la grossesse : 0,1-2,5 mUI/l au
premier trimestre, 0,2-3,0 mUI/l au deuxième et
0,3-3,0 mUI/l au troisième (7). Des études récentes
larges, regroupant 60 000 sujets de populations
diverses, ont permis de redéfinir les seuils de normalité qui, en l’absence de seuils de référence établis par
À qui et quand doser la TSH ?
Les auteurs des différentes recommandations
récentes ne se sont pas accordés sur la question
du dosage de TSH en préconceptionnel ou chez
les femmes enceintes. Certains recommandent un
dosage systématique chez toutes les femmes le
plus tôt possible (8), mais la plupart des sociétés
savantes (1, 3, 7, 9) préconisent un dépistage
ciblé chez les femmes à risque de développer une
dysthyroïdie en préconceptionnel ou au début de
la grossesse (encadré). En cas de TSH entre 2,5
et 10,0 mUI/l, un dosage des ATPO est recommandé (2). Un traitement par L-thyroxine (2) sera
commencé chez la femme enceinte (tableau II) :
➤➤ systématiquement si la TSH est supérieure à
10,0 mUI/l pour toute valeur des ATPO et si elle est
supérieure à la normale pour la valeur de référence
du terme de la grossesse en cas d’ATPO positifs ;
➤➤ au cas par cas si les ATPO sont positifs avec une
TSH entre 2,5 et 4,0 mUI/l ou en cas d’ATPO négatifs
avec une TSH entre 4,0 et 10,0 mUI/l.
■
L. Bricaire-Dubreuil déclare ne pas
avoir de liens d’intérêts.
Références bibliographiques
1. De Groot L, Abalovich M, Alexander EK et al. Management of thyroid dysfunction during
pregnancy and postpartum: an Endocrine Society clinical practice guideline. J Clin Endocrinol
Metab 2012;97(8):2543-65.
2. Alexander EK, Pearce EN, Brent GA et al. 2017 Guidelines of the American Thyroid Association for the Diagnosis and Management of Thyroid Disease During Pregnancy and the
Postpartum. Thyroid 2017;27(3):315-89.
3. Lazarus J, Brown RS, Daumerie C, Hubalewska-Dydejczyk A, Negro R, Vaidya B. 2014
European thyroid association guidelines for the management of subclinical hypothyroidism
in pregnancy and in children. Eur Thyroid J 2014;3(2):76-94.
4. Negro R, Schwartz A, Gismondi R, Tinelli A, Mangieri T, Stagnaro-Green A. Universal
screening versus case finding for detection and treatment of thyroid hormonal dysfunction
during pregnancy. J Clin Endocrinol Metab 2010;95(4):1699-707.
5. Lazarus JH, Bestwick JP, Channon S et al. Antenatal thyroid screening and childhood
cognitive function. N Engl J Med 2012;366(6):493-501.
6. Haddow JE, Palomaki GE, Allan WC et al. Maternal thyroid deficiency during pregnancy and
subsequent neuropsychological development of the child. N Engl J Med 1999;341(8):549-55.
7. Stagnaro-Green A, Abalovich M, Alexander E et al. Guidelines of the American Thyroid
Association for the diagnosis and management of thyroid disease during pregnancy and
postpartum. Thyroid 2011;21(10):1081-125.
8. Stagnaro-Green A. Screening pregnant women for overt thyroid disease. JAMA
2015;313(6):565-6.
9. Obstetrics & Gynecology. Thyroid Disease in Pregnancy. Practice Bulletin 2015;148.
http://journals.lww.com/greenjournal/Fulltext/2015/04000/Practice_Bulletin_
No__148___Thyroid_Disease_in.58.aspx
La Lettre du Gynécologue • N° 407 - mars-avril 2017 | 33
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