D ossier thématique Infections transmises par le greffon La récidive virale C après greffe hépatique Recurrent hepatitis C virus infection after liver transplantation ● F. Negro* Coordinateur : Y. Calmus R é s u m é S u m m a ry La cirrhose causée par le virus de l’hépatite C (VHC) est la première indication à la transplantation hépatique (TH) dans plusieurs pays occidentaux. L’infection par VHC récidive chez presque la totalité des patients, et 70 à 80 % d’entre eux développent une maladie hépatique progressive. Le taux de progression de la fibrose hépatique est plus rapide que chez les patients immunocompétents, et 8 à 44 % des patients développent une cirrhose 5 à 10 ans après la TH. Plusieurs facteurs sont associés à une récidive grave : l’âge, le type de réponse immune, la charge et le génotype viral, le traitement des rejets par bolus de stéroïdes. Il est intéressant de remarquer que la survie des patients qui ont été transplantés avec un foie de donneurs VHC-positifs est comparable à celle de ceux qui ont reçu un greffon VHC-négatif. Mots-clés : Virus de l’hépatite C – Cirrhose – Génotype viral. Cirrhosis caused by the hepatitis C virus (HCV) is the leading indication for liver transplantation (LT) in many western countries. HCV infection recurs in virtually all patients after transplant, and 70-80% of them develop progressive liver disease. The rate of progression of liver fibrosis is faster than in immunocompetent subjects, and 8-44% of patients develop a cirrhosis 5-10 years from LT. Several factors are associated with a more severe HCV recurrence: among them are age, type of immune response, viral load and genotype, treatment of rejection with steroid boluses. Interestingly, survival of patients who received a liver form a HCV-infected donor is comparable to those transplanted with a HCVnegative graft. Keywords: Hepatitis C virus – Cirrhosis – Viral genotype. L’hépatite C : un problème mondial Environ 3 % de la population mondiale est touchée par le virus de l’hépatite C (VHC), parmi lesquels 85 % présentent une hépatite C chronique dont 5 à 30 % développeront une cirrhose. Chaque année, 2 à 4 % des patients cirrhotiques développent un cancer du foie, et les complications de la cirrhose virale C représentent la première indication à la transplantation hépatique (TH). Il n’existe pas de vaccin et les traitements disponibles permettent de guérir seulement un quart des patients chez lesquels un traitement est indiqué. Une cible des futurs médicaments est représentée par la sérine-protéase (figure 1). * Service de gastroentérologie et d’hépatologie, et service de pathologie clinique, hôpitaux univer­ sitaires, Genève, Suisse. 68 CT N°2 2008.indd 68 Le brin réplicatif à polarité négative de l’ARN peut être recherché au niveau des tissus pour savoir s’il existe une réplication du virus dans le foie greffé. L’ARN du VHC est très hétérogène : on distingue aujourd’hui 6 génotypes subdivisés en 80 sous-types environ (figure 2) [1-3]. Histoire naturelle de la récidive après greffe Après transplantation d’un greffon en principe vierge du virus, il est impossible d’éviter la réinfection (figure 3) [4] et 70 à 80 % des patients développeront une hépatite aiguë. En 5 à 10 ans, même si le patient n’a pas développé d’hépatite aiguë (entre 20 et 30 % des patients), l’évolution vers la cirrhose est possible. Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:57 D ossier thématique Protéine F C E1 E2 p7 NS2 NS3 NS4A NS4B NS5A NS5B 3’UTR 5’UTR pore p23 Zn2+ autoprotéase p35 p75 p21 core or nucleocapsid envelope p70 sérineprotéase, NTPase, hélicase 54 aa protéase cofactor p27 ? ? p56-p58 binds to PKR p68 ARN dépendant ARN-polymérase Les facteurs influençant la sévérité de l’hépatite C Parmi les facteurs influençant la sévérité de l’hépatite C après TH, il existe des facteurs viraux, des facteurs liés au donneur et des facteurs liés à l’immunosuppression (tableau I, p. 70). Figure 1. Génome du virus de l’hépatite C. 2 b a T4 T8 DK11 SOM2 QC29 T2 SW3 SOM3 c T9 6 10 SOM1 IK030 b IK049 IK055 d S83 1 000 IK070 HCV-TR NE92 NE137 b/f VN540 NE125 7 VN843 1 000 NE274 d VN998 VN235 1 000 NE048 c DK12 VN538 736 999 984 HK10 a 6 VN569 981 DR4 US114e VN571 US11 a NE145 VN004 DK1 9 999 HK4 VN085 HK3 b 1000 VN507 BE95 HC-G9 VN530 VN405 YS117c SA4 SA13 Z4 1 8 SA7 21 CAM600 25 26 27 5 La progression de la fibrose est accélérée chez les patients greffés (figure 4, p. 70) [5], par rapport aux patients immunocompétents. 3 6 génotypes ≈ 80 sous-types Homologie de séquence entre : Génotypes : 65,7-68,9 % Sous-types : 76,9-80,1 % Souches : 90,8-99 % 4 D’autres facteurs sont à prendre en compte, et il est intéressant de signaler qu’il n’existe pas de différence pronostique à long terme entre un greffon provenant d’un donneur vivant et un greffon cadavérique. Le génotype de type 1 est associé à une plus grande évolutivité de l’hépatite avec une inflammation et une fibrose plus rapides (figures 5 et 6, p. 70) [6, 7]. Cinétique de la virémie après TH Figure 2. Hétérogénéité de l’ARN viral C. 1 mois Pas d’hépatite (20-30 %) Récidive de VHC après TH (≈ 100 %) Hépatite aiguë (70-80 %) Hépatite cholestatique (2-8 %) 3-6 mois Selon M. Garcia-Retortillo et al. (8), la réinfection du greffon hépatique se fait au moment de la reperfusion et la virémie peut atteindre les niveaux pré­opératoires en 48 heures. 5-10 ans Hépatite chronique En 2005, H. Dahari et al. (9) ont suggéré une réinfection virale précoce, soutenue par la réplication extra-hépatique (rôle possible des cellules mononucléées du sang périphérique). Quoi qu’il en soit, le virus peut être détecté dans le foie dès la première semaine après la greffe selon une progression représentée dans la figure 7 (p. 71). En 2000, R. Sreekumar et al. (10) avaient montré que la virémie à 4 mois était corrélée au taux de fibrose à un an (figure 8, p. 71). Cirrhose (8-44 %) Re-OLT (10 %) Décès (≈ 50 %) Figure 3. Récidive après TH. Une petite proportion de malades (2 à 8 %) développent une hépatite cholestatique fibrosante, le plus souvent de mauvais pronostic, dans les 3 mois suivant la greffe et qui récidive souvent après la deuxième greffe. La pathogenèse de cette hépatite n’est pas bien identifiée (fort niveau d’ARN, réduction du nombre des CD4, taux élevé in situ d’IL4, etc.). 69 CT N°2 2008.indd 69 R.B. Guerrero et al. (11) ont étudié la réponse immune des patients en fonction de la présence ou non d’ARN viral C dans le greffon. Aucune différence histologique n’a été observée 3 semaines Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:57 D ossier 4 Progression vers la cirrhose plus rapide (9-12 ans) que chez les patients immunocompétents (20-40 ans) Progression de la fibrose avant TH versus après TH 3 Après TH : 0,3 unités/année (0,004-2,19) 2 p < 0,0001 1 0 Figure 4. Progression de la fibrose après TH. Avant TH : 0,2 unités/année (0,09-0,8) 0 1 2 3 4 5 Nombre d’années après transplantation 6 7 ARN viral C pré-TH ARN/VHC à 4 mois Quasi-espèces du VHC Controversé : le génotype 1 serait plus agressif selon certaines études Haute charge virale (> 1 000 000) : récidive plus grave Pronostic plus grave Plus faible complexité dans l’hépatite cholestatique Maladie hépatique plus grave Co-infection par CMV Facteurs liés au donneur Âge (> 50 ans) Maladie hépatique plus grave Stéatose (peu d’évidence) Charge en fer (peu d’évidence) intrahépatique Réponse CD4 Récidive plus grave Mismatch DRB1 complet Récidive plus grave Facteurs liés à l’immunosuppression Épisodes de rejet Le traitement du rejet augmente la charge virale Bolus de stéroïdes ou dose Les stéroïdes augmentent la charge cumulée de stéroïdes virale élevée OKT3 OKT3 Aza, CyA, FK506, MF Récidive grave (Controversé) Feray et al., 1995 ; Gane et al., 1996 ; Gordon et al., 1997 ; Prieto et al., 1999 Charlton et al., 1998 ; Berenguer et al., 2000 ; Sreekumar et al., 2000 Sreekumar et al., 2000 Doughty et al., 2000 Burak et al., 2002 ; Humar et al., 2002 Berenguer et al., 2000 et 2003 ; Wali et al., 2002 ; Rifai et al., 2004 Pelletier et al., 2000 Toniutto et al., 2004 Rosen et al., 1999 Belli et al., 2006 Sheine et al., 1995 ; Charlton et al., 1998 ; Prieto et al., 1999 ; Berenguer et al., 2000 Berenguer et al., 2003 ; McCaughan et al., 2004 Sheiner et al., 1995 ; Berenguer et al., 2003 (Plusieurs auteurs) 20 Nombre de patients 16 Pas d’hépatite Hépatite faible Hépatite minime Cirrhose 12 8 Figure 6. Influence du génotype sur la sévérité de l’hépatite après greffe (7). 4 0 1a (n = 20) 1b (n = 43) 2 3 (n = 8) (n = 11) Génotype HCV 4 (n = 14) 70 CT N°2 2008.indd 70 100 p = 0,004 75 Type 1b 50 Autres types 25 0 0 12 Mois 24 36 Figure 5. Influence du génotype sur la récidive virale C (6). Tableau I. Les facteurs influençant la gravité de la récidive virale C. Facteurs liés au virus Génotype du VHC Taux d'hépatite chronique à 3 ans thématique après la greffe, mais cette étude américaine ne portait pas sur des patients avec génotype 3, qui, comme l’a démontré un an plus tard L. Rubbia-Brandt et al. (12), était à l’origine du développement d’une stéatose après TH. Les lésions inflammatoires débutent 3 semaines après la greffe. On note des infiltrats spécifiques, d’apparition précoce au cours de l’hépatite C lobulaire après TH, avec présence de CD4 (13) et augmentation des CD8 (14, 15). Par ailleurs, l’hépatite cholestatique est caractérisée par une proportion anormalement élevée de cellules de type TH2, avec augmentation de production d’IL-10 et d’IL-4 (16). Chez le receveur, il existe une réponse VHC-spécifique (17) capable de détruire les hépatocytes du donneur, malgré le mismatch HLA avec le receveur. Le niveau de réplication virale intra­ hépatique après TH est plus élevé qu’au cours d’une hépatite classique, avec une réaction inflammatoire importante (forte expression de TNFα, Fas, CD4, CD8). Plus la réponse CD4 est intense, meilleure sera l’évolution de l’hépatite. En outre, après TH, la prolifération cellulaire est multipliée par 5 et l’apoptose par 2,5, en comparaison de ce qui est observé au cours de l’hépatite C chronique chez le sujet immunocompétent (15, 16). Au final, après la greffe, on observe une réplication élevée du VHC avec une réponse immune altérée (augmentation anormale de la réponse TH2, augmentation de l’IL-10, taux très élevé d’IL-4 dans les formes cholestatiques). Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:58 D ossier Titre Log10 6 r = 0,76 5 4 3 2 Figure 7. Réinfection après greffe de foie (9). 1 0 0 5 10 15 20 Semaines après greffe 25 30 Proportion d’individus sans maladie (%) thématique 1,0 Génotype du donneur 0,8 0,6 p < 0,05 0,4 0,2 0 Génotype du receveur 0 1 000 2 000 Nombre de jours après transplantation Figure 9. Impact du génotype du donneur. ARN HCV 1 000 100 Sérum 10 1 Pre 7 jours 4 mois 1 année 3 Stade de la fibrose à un an Tissu hépatique avec un recul faible. Des données à plus long terme sont attendues. 2 1 0 récent 0,25 1 5 10 50 100 Sérum ARN VHC à 4 mois (MEq/ml) Enfin, en transplantation rénale, une étude récente suggère qu’un greffon HCV+ donne des résultats comparables à ceux obtenus avec un greffon HCV– chez un receveur HCV+, en termes de survie du greffon et du patient, et de fonction rénale, à court terme au moins (19). ■ Figure 8. Virémie à 4 mois : facteur prédictif de la fibrose à un an (10). R Tableau II. Impact sur la survie globale après transplantation d’un greffon HCV+. Testa et al., 1998 Vargas et al., 1999 Ghobrial et al., 2001 Kwo et al., 2006 HCV+ greffon 22 23 59 38 Que se passe-t-il lorsque le donneur est HCV+ ? Plusieurs équipes travaillent actuellement sur le devenir des greffons HCV+ chez des receveurs HCV+. Entre 1998 et 2006, différentes études ont comparé la survie des receveurs HCV+ après greffe de foie HCV+ ou HCV–. Les résultats ne montrent aucune différence statistiquement significative entre les deux groupes, après un suivi allant de 4 à 8 ans selon les études (tableau II). FU (années) 4 5 8 5 Survie du receveur (greffon HCV+ versus greffon HCV –) 84 % versus 79 % (NS) 72 % versus 73 % (NS) 70 % versus 66 % (NS) 80 % versus 68 % (NS) Cependant, il est nécessaire de connaître l’évolution lorsque le génotype du donneur est différent de celui du receveur. En 1999, H.E. Vargas (18) a montré que le génotype du donneur pouvait prendre le dessus sur le génotype antérieur du receveur (figure 9) : dans ce cas, le pronostic à 5 ans, dès la greffe, était meilleur que lorsque le receveur conservait son propre génotype viral. Cependant, toutes les études publiées à ce jour ont porté sur de petits effectifs, 71 CT N°2 2008.indd 71 é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Bukh J et al. Semin Liver Dis 1995;15:41-63. 2. Robertson B et al. Arch Virol 1998;143: 2493-503. 3. Abid K et al. J Gen Virol 2000;81:1485-93. 4. Roche B, Samuel D. J Viral Hep 2007;14(Suppl. 1): 89-96. 5. Berenguer M et al. J Hepatol 2000;32:673-84. 6. Feray C et al. Gastroenterology 1995;108: 1088-96. 7. Gane EJ et al. N Engl J Med 1996;334:815-20. 8. Garcia-Retortillo M et al. Hepatology 2002; 35:680-7. 9. Dahari H et al. J Hepatol 2005;42:491-8. 10. Sreekumar R et al. Hepatology 2000;32: 1125-30. 11. Guerrero RB et al. Mod Pathol 2000;13:22937. 12. Rubbia-Brandt L et al. J Hepatol 2001;35: 307-8. 13. Schirren C et al. J Inf Dis 2001;183:1187-94. 14. Crespo J et al. Liver Transpl 2000;6:562-9. 15. Ballardini G. et al, Liver Transpl 2002;8:10-20. 16. Zekry A et al. Liver Transpl 2002;8:292-301. 17. Rosen HR et al. J Immunol 2004;173:5355-9. 18. Vargas HE et al. Gastroenterology 1999; 117: 149-53. 19. Kasprzyk T et al. Transplant Proc 2007; 39: 2701-3. Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:59