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« 1758 : la finale est un chef-d’œuvre. Johnston y démontre que le siège de
Louisbourg en 1758 a constitué un point tournant dans la guerre de Sept
Ans, ouvrant la voie vers la chute de Québec et les événements qui ont
mené directement à la Révolution américaine. » – Kenneth Donovan, historien,
lieu historique national du Canada de la Forteresse-de-Louisbourg
A. J. B. JOHNSTON est un historien indépendant, anciennement au service de Parcs Canada.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Grand-Pré : Cœur de l’Acadie; Storied Shores: St.Peter’s,
Isle Madame, and Chapel Island in the Seventeenth and Eighteenth Centuries; Control and Order in French
Colonial Louisbourg, 1713-1758; L’été de 1744 et La religion dans la vie à Louisbourg, 1713-1758.
A. J. B.
JOHNSTON
LOUISBOURG
« 1758 : la finale est l’ouvrage le plus important consacré à Louisbourg par
l’historien le mieux placé pour le faire.Voilà une contribution remarquable
au domaine des études coloniales et une superbe histoire militaire. C’est
un ouvrage exceptionnel. » – William Newbigging, professeur agrégé d’histoire et
directeur du Département d’histoire à l’Algoma College University
LA FINALE
I
PROMESSES, SPLENDEUR ET DÉSOLATION
DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE DE
1758 : la finale est le récit du choc entre deux empires sur les rives du Canada atlantique
au milieu du XVIIIe siècle, alors que des visions européennes de prédominance rivale se
heurtent mutuellement et avec celle des peuples autochtones de la région. L’ampleur
de la lutte et son issue incertaine colorent l’existence des habitants de Louisbourg et
des près de trente mille combattants déployés contre elle. L’histoire complète prend
vie sous la forme d’un récit qui se révélera être celui de la première grande victoire
britannique de la guerre de Sept Ans. Comment et pourquoi la colonie française a
connu cette issue, pas uniquement en juin et juillet 1758 mais au long de la décennie
qui a précédé le siège, est une histoire peu connue mais passionnante.
A. J. B. JOHNSTON
1758
Le récit des événements survenus dans la ville coloniale fortifiée de Louisbourg entre
1749 et 1758 est l’un des plus grands drames de l’histoire du Canada et, en réalité, de
celle de l’Amérique du Nord. La forteresse française bâtie dans l’île du Cap-Breton,
située en un lieu stratégique proche de l’entrée du golfe du Saint-Laurent, est peu
après sa fondation une possession d’envergure dans la quête d’un empire. Dans cette
biographie poignante de la dernière décennie de la colonie, présentée autant du point
de vue des Français que de celui des Britanniques par A. J. B. Johnston, s’entremêlent
l’histoire militaire et sociale dramatique de cette forteresse, ce port de mer et cette
communauté d’envergure mais à la vie éphémère et celle des citoyens qui y trouvèrent
leur chez-soi.
1758
LA FINALE
PROMESSES, SPLENDEUR ET DÉSOLATION
DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE DE
LOUISBOURG
Histoire
A. J. B. Johnston.indd 1
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1758
La finale
A. J. B. Johnston
1758
La finale
Promesses, splendeur
et désolation de la
dernière décennie
de Louisbourg
Traduit de l’anglais par Michel Buttiens
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une
aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise
du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Cet ouvrage a été publié en 2007 par Cape Breton University Press sous le titre
Endgame 1758. The Promise, the Glory, and the Despair of Louisbourg's Last Decade.
© 2007 Board of Regents of the University of Nebraska
Nous remercions le gouvernement du Canada de son soutien financier pour nos
activités de traduction dans le cadre du Programme national de traduction pour
l’édition du livre.
La traduction de cet ouvrage a été réalisée grâce au soutien financier du Conseil des
Arts du Canada.
Mise en pages : Diane Trottier
Maquette de couverture : Laurie Patry
Illustration de la couverture : Richard Paton (1717-1791). Burning the Prudent
and [taking] the Bienfaisant in Louisbourg Harbour... 26th July, 1758. Graveur : Pierre Charles Canot, ca. 1710-1777.
W.H. Coverdale collection of Canadiana [multiple media] collection Manoir
Richelieu (R3908-0-0-E). ICON43289.
© Presses de l’Université Laval pour la traduction française. Tous droits réservés.
Dépôt légal 3e trimestre 2011
ISBN 978-2-7637-9060-2
PDF 9782763710600
Les Presses de l’Université Laval
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l'autorisation écrite des Presses de ­l'Université
Laval.
À Colin, Michael et Mark
Table des matières
Liste des illustrations et des cartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII
Terminologie, dates et traductions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIV
Prologue – Le livre à écrire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
La partie impériale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Louisbourg et le Canada atlantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Récapitulation : Louisbourg 1713-1748 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1 – L’ouverture, 1749 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Les préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
La fondation d’Halifax . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
La réaction micmaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
La renaissance de Louisbourg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
2 – Le milieu de partie, 1750-1755. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
L’auto-réinvention de Louisbourg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
La vie continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Manœuvre et contre-attaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Une porte tournante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Le contexte global . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
La guerre en temps de paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
3 – La partie se corse, 1756-1757. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Essayer d’être prêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
La guerre est déclarée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
Nouvelle résolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
X
1758 : la finale
Les flottes de l’Empire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
À la défense de la colonie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Août et septembre 1757 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Répercussions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
4 – Le début de la fin, premiers mois de l’année 1758 . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Les préparatifs dans le camp français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Les alliés autochtones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Les mesures prises par les Britanniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
À la dernière minute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
5 – Pour de bon cette fois, du 1er au 7 juin 1758. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Les personnages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Sur terre, sur mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272
6 – L’attaque et la défense, du 8 juin au 27 juillet 1758 . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Le 8 juin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291
Le débarquement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Les préparatifs en vue de la défense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Le calme avant la tempête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317
Le bombardement donne des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
Cernés de toutes parts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
Échec et mat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
Un changement d’empire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373
7 – Tout au vainqueur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 396
Annexes
1 : Flotte française à Louisbourg en 1758. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 : Flotte britannique à Louisbourg en 1758. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 : Forces terrestres françaises à Louisbourg en 1758. . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 : Forces terrestres britanniques à Louisbourg en 1758. . . . . . . . . . . . . . . 404
405
407
408
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409
Index
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423
Liste des illustrations
1. L’île Royale (l’île du Cap-Breton) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV
2. La forteresse française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XVI
3. La rivale britannique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
4. La carte de Vaudreuil, 1755 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
5. Les préparatifs sur le rivage, 1757 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
6. Impasse navale, 1757 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
7. La configuration du terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
8. Le débarquement d’assaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290
9. La côte et les camps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
10. L’arrivée des Britanniques à la pointe à la Croix, juin 1758 . . . . . . . 324
11. La ville assiégée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
12. Le point de vue des assiégeants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342
13. Le Prudent en flammes, le Bienfaisant aux mains
de l’ennemi, le 26 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364
Liste des cartes
1. Présence militaire, v. 1753 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
2. Les colonies acadiennes avant 1755 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
3. Louisbourg en 1758 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Remerciements
J’
aimerais adresser mes remerciements aux personnes suivantes
pour leur aide dans la préparation de cet ouvrage : Georges
Arsenault, B. A. Balcom, Stephen Brumwell, Charles Burke, René
Chartrand, Élisabeth Demers, Kenneth Donovan, Bruce Fry, Heather
Gillis, Mike Hunter, Denis Jean, Eric Krause, Ronnie-Gilles LeBlanc,
Yvon LeBlanc, Earle Lockerby, Heather Lundine, William Newbigging,
Bill O’Shea, Lewis Parker, John Rhodehamel, Judith-Marie Romard,
Bernadette Samson, Miriam Walls, Barbara Wojhoski et Joeth Zucco,
ainsi qu’aux répondants anonymes du livre à l’étape du manuscrit.
Comme il est indiqué dans les légendes, plusieurs établissements
ont donné accès à de l’information ou à des illustrations. Mes remerciements vont à la Huntington Library, aux Art Collections et au
Jardin botanique de San Marino, en Californie, qui m’ont permis de
consulter et, par la suite, de citer des extraits de la harangue prononcée
par Jeffery Amherst à ses soldats alors qu’ils voguaient au large de
Louisbourg au mois de juin 1758. Je suis également reconnaissant
envers la William L. Clements Library de l’Université du Michigan
pour m’avoir autorisé à reproduire deux cartes essentielles de la
campagne britannique de 1758. La Bibliothèque nationale de Paris
et les Archives de la Marine en France ont autorisé la reproduction
de deux plans concernant la campagne de 1757 ; et Bibliothèque et
Archives Canada, la Library of Congress à Washington D.C. et la
Royal Artillery Institution en Angleterre ont donné leur aval à la
reproduction d’une illustration dans chacun des cas. Le lieu historique
national du Canada de la Forteresse-de-Louisbourg m’a aimablement
autorisé à reproduire cinq illustrations de ses archives.
Terminologie, dates et traductions
Au fil de ce texte, le lecteur rencontrera les mots Mi’kmaq et Micmac.
La graphie Mi’kmaq est celle qui est la plus proche de la graphie
autochtone de ce mot. Elle a été utilisée pour désigner le peuple
Mi’kmaq. Les graphies Micmac et Micmaque (pour le substantif ) et
micmac et micmaque (pour l’adjectif ) ont été utilisées pour parler
d’individus.
Toutes les dates indiquées correspondent au calendrier grégorien,
soit le système en usage de nos jours. Avant 1752, la Grande-Bretagne
et ses colonies suivaient le calendrier julien. Au XVIIIe siècle, il y avait
un écart de onze jours entre les deux systèmes de notation du temps.
Cela signifie donc qu’à une même journée correspondaient des dates
différentes dans les dossiers des citoyens français et britanniques. Ainsi,
le 1er juillet à Londres correspondait au 12 juillet à Paris. C’est
finalement en 1752 que les Britanniques ont adopté le calendrier
grégorien.
Tout a été mis en œuvre pour retrouver les citations originales et
cet ouvrage en renferme beaucoup. Dans quelques rares cas, il n’a pas
été possible de le faire et les citations anglaises de l’auteur ont alors
été retraduites.
Figure 1. L’île Royale (l’île du Cap-Breton)
Bien qu’elle date de 1780, cette carte montre l’emplacement géographique de l’île
Royale (l’île du Cap-Breton), principale colonie française au Canada atlantique
pendant les années 1749 à 1758. La concentration de noms de lieux sur la côte Est
de l’île illustre les régions qui présentaient le plus d’intérêt pour les pêcheurs, les
colons et les officiers militaires français. Comme on peut le constater, Louisbourg
se trouvait à peu près à mi-chemin de la série des ports colonisés. Ce que le cartographe a désigné comme « Partie de l’Acadie » correspondait, pour les Britanniques,
à la partie continentale de la Nouvelle-Écosse ; de nos jours, l’île Saint-Jean s’appelle
« l’Île-du-Prince-Édouard ». Reproduit avec l’aimable autorisation de Parcs Canada,
lieu historique national du Canada de la Forteresse-de-Louisbourg, photo numéro
2000 R 01 09.
Figure 2. La forteresse française
D’abord colonisée en 1713, Louisbourg devint une ville fortifiée dotée d’une
enceinte complète au début des années 1740. Le plan ci-dessus représente la ville
et ses rues et pâtés de maisons intérieurs tels qu’ils étaient avant que la forteresse
française tombe devant une armée venue de Nouvelle-Angleterre en 1745. Aucun
des deux plans ne montre les nombreuses habitations privées, les entrepôts, les
clôtures et les jardins. Le plan ci-contre, qui remonte à après 1758, indique les
fortifications telles qu’elles étaient alors. Deux nouvelles défenses ajoutées pendant
les années 1750 sont la demi-lune à côté du demi-bastion de la Princesse et la
batterie de De Salvert sur la pointe de Rochefort.
Reproduit avec l’aimable autorisation de Parcs Canada, lieu historique national du
Canada de la Forteresse-de-Louisbourg, photos numéros 2000 R 02 02 et 2000
R 02 01.
Prologue
Le livre à écrire
je me suis mis à la rédaction de cet ouvrage, je ne m’en
Q uand
suis pas aperçu mais il s’avère que c’est le dernier chapitre de ma
biographie en plusieurs volumes de Louisbourg au XVIIIe siècle. Il
peut sembler curieux d’appliquer le terme de biographie à une colonie
comptant des milliers de personnes et en évolution constante sur une
quarantaine d’années. Néanmoins, c’est là ma perception des événements de la deuxième et dernière occupation française de
Louisbourg.
Le récit des événements survenus à Louisbourg entre 1749 et 1758
est l’un des plus grands drames de l’histoire du Canada et, en réalité,
de celle de l’Amérique du Nord. Ce récit comporte de nombreux
méandres et il met en scène dans sa phase finale quelque quarante
mille hommes, femmes et enfants sur le rivage et en mer près de
Louisbourg en juin et juillet 1758. L’affrontement qui s’ensuivit fut
monumental à tous égards. Une des forces militaires britanniques les
plus imposantes jamais rassemblées – constituée de quelque vingt-sept
mille soldats et matelots – monta à l’assaut de huit mille cinq cents
soldats et matelots français environ. On ignore le nombre exact de
civils français à l’intérieur des murs de Louisbourg mais il devait y en
avoir aux alentours de quatre mille. En lui-même, le chiffre total de
quarante mille personnes est révélateur non seulement de l’échelle
impressionnante de l’entreprise, mais aussi de l’importance que les
deux puissances impériales accordaient à Louisbourg, l’une pour la
défendre, l’autre pour la faire tomber.
2
1758 : la finale
À mesure qu’ils le vécurent, les participants à cet affrontement
prirent pleinement conscience de son ampleur. De même que les
habitants des colonies françaises et britanniques voisines puisqu’ils
avaient eux aussi des intérêts dans son issue. Ainsi que, manifestement,
leurs supérieurs dans les deux mères patries puisque ce furent eux qui
dépêchèrent les nombreuses forces terrestres et navales qui traversèrent
l’océan pour s’affronter à Louisbourg. Les événements qui se déroulèrent autour de la forteresse située dans l’île du Cap-Breton à l’été
1758 allaient avoir une incidence énorme sur l’issue de la longue lutte
anglo-française pour la suprématie en Amérique du Nord. Il s’agissait
de la première victoire britannique dans la guerre la plus récente,
suivant une série de revers et de désillusions. Si Louisbourg n’était pas
tombée en 1758, comme cela avait été le cas en 1757, lorsque la
présence d’une grande flotte de vaisseaux de guerre français rassemblés
dans le port de Louisbourg et une tempête en mer avaient fait avorter
une immense expédition britannique, qui sait à quel point l’issue de
la guerre de Sept Ans aurait été différente ? Un nouveau revers – après
la défaite de Bradlock en 1755, la perte d’Oswego (Chouagen) en
1756, la reddition du fort William Henry en 1755 et la victoire
française au fort Carillon-Ticonderoga en 1758 – aurait-il suffi à
renverser l’administration de Londres placée sous la direction de
William Pitt ? Nous ne le saurons jamais puisque les Britanniques
finirent par l’emporter à Louisbourg. Avec cette victoire, le cours de
la guerre de Sept Ans prit un tournant décisif en leur faveur. L’issue
de la campagne de Louisbourg donna lieu à de longues et spectaculaires
festivités en Grande-Bretagne et dans ses colonies, ce qui donne à
penser que le soulagement des gens était aussi palpable que leur joie
lorsqu’ils apprirent la bonne nouvelle.
Bien sûr, la renommée est fugace. C’est ce qui arriva à la prise de
Louisbourg en 1758. À l’exception d’un nombre relativement restreint
d’historiens, rares sont ceux qui se souviennent de ce siège et de la
décennie qui le précéda au Canada atlantique1. En ce XXIe siècle, la
tragédie française et la gloire anglaise simultanées que représente la
1.
Deux excellentes synthèses, de la longueur d’un chapitre chacune, consacrées à
cette période sont celles de John G. Reid dans Six Crucial Decades (chapitre portant
sur les années 1750) et de Stephen E. Patterson, « 1744-1763 ».
Prologue
3
date de 1758 à Louisbourg ont été refoulées dans les tréfonds de la
conscience collective du continent. C’est plutôt le siège de Québec
en 1759, avec le drame des derniers instants fatidiques sur les plaines
d’Abraham et l’inégalable symétrie de la mort des deux commandants,
Wolfe et Montcalm, qui a tendance à retenir l’attention des historiens
témoignant d’un intérêt envers la guerre de Sept Ans. Ceux qui réfléchissent à la campagne de Louisbourg, survenue l’année précédente,
s’il leur arrive d’y penser, y voient un prélude à l’événement principal.
Depuis longtemps, les historiens ont instauré une tradition selon
laquelle la campagne de Louisbourg ne mérite que quelques
paragraphes ou, dans le meilleur des cas, quelques pages2.
Vue à travers ce prisme, la fin de la colonie de l’île Royale (c’est
ainsi que les Français appelaient l’île du Cap-Breton entre 1713 et
1758) et le déracinement de sa population deviennent d’infimes détails
dans la progression d’un empire et le déclin d’un autre. De surcroît,
la plupart des récits abordent l’encadré de Louisbourg exclusivement
sous l’angle de l’histoire militaire, selon lequel on consacre beaucoup
plus de texte aux vainqueurs britanniques qu’aux Français vaincus.
En adoptant cette approche, on ferme les yeux sur le côté fascinant
et poignant de la dernière décennie de l’existence de Louisbourg, car
les événements qui s’y sont déroulés en 1758 sont le récit autant des
espoirs déçus et des projets avortés des Français que d’une victoire
britannique.
Si l’ombre envahissante du siège de Québec en 1759 a contribué
à empêcher la diffusion d’une plus grande connaissance de celui de
2.
On peut certes l’affirmer dans le cas de l’ouvrage de Fred Anderson, Crucible of
Wars, qui s’est attiré beaucoup de louanges, dont le chapitre 25 s’intitule « Amherst
at Louisbourg ». Il s’agit d’un ouvrage extrêmement fouillé et très bien rédigé ;
pourtant, s’il analyse très en profondeur les engagements militaires dans les colonies
anglo-américaines, il passe rapidement sur le siège de Louisbourg sans faire
référence aux sources françaises. En réalité, sa façon d’aborder ce siège est essentiellement la même que celle de Corbett, dans England in the Seven Years’ War, et
Gipson, dans British Empire, vol. 7. Anderson ne fait nullement référence à l’étude
de 1918 de J. S. McLennan (voir la note 3), qui fournit de loin l’information la
plus abondante sur le siège de 1758. Un ouvrage récent consacré à la guerre de
Sept Ans, Empires of War, de Fowler, fait le récit du siège de Louisbourg en 1758
sans présenter beaucoup de preuves en provenance de sources françaises.
4
1758 : la finale
Louisbourg, un autre élément est aussi entré en ligne de compte.
Pendant de nombreuses années, les historiens ont sous-estimé l’importance de Louisbourg en tant que port de mer et colonie. En dépit de
l’ouvrage complet que lui a consacré J. S. McLennan en 1918, dans
lequel l’auteur démontre toute l’ampleur de la colonie française, l’île
Royale a longtemps occupé une place marginale dans les grands récits
sur la Nouvelle-France3. Cette propension a commencé à s’infléchir
pendant les années 1970 et 1980, quand a commencé à paraître une
nouvelle série d’études sur la société et l’économie de Louisbourg4.
Pour les lecteurs de ce genre d’ouvrages, la colonisation française de
l’île du Cap-Breton cessa d’être le simple récit d’une forteresse
« gardant » l’accès à la partie de la Nouvelle-France implantée le long
des rives du fleuve Saint-Laurent. Louisbourg et l’île Royale en vinrent
plutôt à être perçus comme une initiative de colonisation importante
et assez considérable en elle-même, avec sa propre économie distincte
et son propre intérêt stratégique5. Une forteresse, certes, soutinrent
les auteurs de ces études mais pas un simple avant-poste de Québec
et de Montréal. Après tout, ce rôle, Louisbourg ne pouvait le jouer
que lorsqu’une flotte de vaisseaux de guerre français y était basée, ce
qui fut rarement le cas. Et, sans escadron à l’ancre, les canons et la
garnison de Louisbourg ne pouvaient rien faire pour empêcher une
attaque contre les établissements du Saint-Laurent. Louisbourg n’a
3.
4.
5.
McLennan, Louisbourg. Un enrichissement récent à la documentation historique
est l’ouvrage bien illustré de Chartrand, Louisbourg 1758. Chartrand y propose
un récit succinct des unités qui s’affrontèrent pendant le siège et de la progression
des attaquants.
Il existe une abondante documentation sur Louisbourg au XVIIIe siècle. Le lecteur
trouvera une introduction à l’économie de la ville dans Balcom, Cod Fishery, et
Christopher Moore, « Cape Breton and the North Atlantic World in the Eighteenth
Century », dans Kenneth Donovan (dir.), The Island : New Perspectives on Cape
Breton History, 1713-1900, Fredericton (N.-B.), Acadiensis ; Sydney (N.-É.), Cape
Breton University Press, 1990, p. 30-48. Donovan a publié de nombreux articles
à propos de Louisbourg, dont « Slaves and their Owners ». Parmi les études récentes,
mentionnons celle de Johnston, L’ordre à Louisbourg.
Un exemple d’ouvrage récent consacré à la Nouvelle-France qui reconnaît à leur
juste valeur l’histoire et le rôle de Louisbourg et de l’île Royale est celui de Moogk,
La Nouvelle-France.
Prologue
5
donc jamais été une sorte de « gardienne du golfe », comme l’ont laissé
entendre certains historiens du XXe siècle.
En France, rares ont été les historiens un tant soit peu intéressés
par la colonie depuis longtemps perdue de l’île Royale. Parmi ceux-ci,
on peut citer François Caron, qui a proposé en 1983 une interprétation
selon laquelle Louisbourg était, pour les Français d’Amérique du
Nord, l’équivalent de Gibraltar pour les Britanniques sur la
Méditerranée. « Louisbourg, écrit Caron, comme Gibraltar pour la
Méditerranée, était le verrou de la Nouvelle-France. Protéger
Louisbourg, c’était défendre toute la colonie. » Il ne fait aucun doute
que le point de vue de cet historien militaire reflète l’importance que
la forteresse du Cap-Breton avait aux yeux des personnes en poste à
Versailles pendant les années qui précédèrent 1758, mais cette
évolution était relativement récente. Au départ, ce qui, dans le cas de
Louisbourg, signifie en 1713, la colonie fut créée non pas pour être
le « gardien » du golfe du Saint-Laurent, mais comme moteur ou base
de l’économie. Année après année, de la décennie 1720-1730 à la
décennie 1750-1760, le ministre français de la Marine, qui était
responsable de la force navale et des colonies outre-mer, consacra une
importante partie de son budget à l’aménagement et à la défense de
Louisbourg parce que l’île Royale avait en elle-même de la valeur en
raison de son économie maritime fondée sur la pêche et le
commerce6.
Le poids des chiffres est supérieur à celui des mots. Le fait que
Louisbourg représentait bien davantage qu’un poste frontière bien
fortifié transparaît à l’évidence dans les chiffres suivants, qui donnent
un aperçu de la communauté qui allait être balayée en 1758. Au cours
de quatre décennies d’existence et de croissance, la paroisse de
Louisbourg fut témoin de plus de deux mille deux cents baptêmes,
cinq cent soixante-cinq mariages et près de mille deux cents enterre-
6.
François Caron, La guerre incomprise, p. 195. Dans French Navy, p. 13, Dull
affirme que l’île Royale rivalisait, sur le plan de son importance économique pour
la France, avec les colonies productrices de sucre des Antilles, tandis que la colonie
située le long du fleuve Saint-Laurent, connue sous le nom de Canada, représentait
un « passif économique » pour la mère patrie.
6
1758 : la finale
ments officiels7. Il n’allait plus y avoir de ce genre d’événements dans
la ville après la victoire britannique, à tout le moins aucun qui impliquait des colons français. Dès qu’ils le purent après leur conquête, les
Britanniques envoyèrent en France presque tous les soldats, matelots
et civils, dont le chiffre aura pu atteindre douze mille avant la fin de
l’année 1758. Pour désigner ce déplacement forcé, on ne parle généralement pas de « déportation » mais il eut lieu en même temps que les
déportations acadiennes des années 1755-1762, beaucoup plus
connues.
Comme sujet de cette biographie, Louisbourg propose trois grands
aspects de sa personnalité : ceux de forteresse, port de mer et communauté. Dans cet ouvrage, nous les examinerons tous les trois de façon
plus ou moins approfondie. Si on la considère sur un plan collectif,
la colonie française a connu une durée de vie assez courte. Les dates
de début et de fin sont 1713 et 1758 et il faut souligner que, du milieu
de l’année 1745 au milieu de l’année 1749, Louisbourg s’est trouvée
entre les mains des Britanniques et a perdu le deuxième o de son nom,
devenant Louisburg. En somme, quarante-cinq années, ce n’est pas
très long. De nos jours, la plupart des Nord-Américains vivent
beaucoup plus longtemps que ça, tout comme nombre de leurs
prédécesseurs au XVIIIe siècle. Brève ou pas, l’époque pendant laquelle
Louisbourg a été une base française dans l’île Royale constitue l’un
des points tournants de l’histoire de l’Amérique du Nord.
D’innombrables actions et réactions coloniales entraînèrent de
nombreux changements pour les populations des deux côtés de
l’Atlantique. Parmi les plus évidentes, on compte les guerres, les traités
modifiant des territoires et les déclins et les mouvements démographiques massifs. Les conséquences à court et à long terme du
colonialisme du XVIIIe siècle sur les peuples des Amériques, d’Europe
et d’Afrique sont incalculables et perdurent encore au XXIe siècle.
Louisbourg n’est qu’un exemple parmi tant d’autres mais, de mon
propre point de vue, elle compte parmi les plus fascinants. Pendant
ses quatre décennies et demie d’existence, Louisbourg est passée du
statut de havre non colonisé à celui de port de pêche et de commerce
7.
Johnston, La religion dans la vie.
Prologue
7
plein d’animation et de ville fortifiée populeuse. Elle est devenue la
capitale virtuelle des Français au Canada atlantique, subissant deux
sièges prolongés. Chaque fois, en 1745 et 1758, le siège se termina
par la défaite et l’évacuation des défenseurs et des colons français. Au
terme de la deuxième défaite, qui constitue l’objet de cette étude, les
soldats du génie britanniques démolirent systématiquement ses fortifications dont on faisait jadis l’éloge. Louisbourg devint une sorte de
Carthage moderne.
Pour dire les choses simplement, Louisbourg et la colonie de l’île
Royale ont vécu énormément de choses pendant leur courte existence.
Et aucun épisode de leur histoire n’est plus intrigant que la période
de dix ans qui débuta en 1749. 1758 : la finale porte très précisément
sur ces dix dernières années. Ce fut une décennie marquée par la
guerre ou, plus précisément, par l’évocation de la guerre, les soucis à
son propos et les préparatifs. Pendant les neuf premières années, les
gens étaient aux prises avec les conséquences du conflit précédent, la
guerre de la Succession d’Autriche, que les Britanniques appellent la
King George’s War (la guerre du roi George), ainsi qu’avec les ouvrages
nécessaires en prévision de la prochaine attaque. Les préparatifs impliquaient des mesures sur le rivage et en mer car les blocus de la colonie
française par les Britanniques devinrent partie du quotidien à partir
du milieu des années 1750. La dixième année, 1758, se révéla la
dernière de Louisbourg, à tout le moins comme bastion français. La
promesse qu’avait autrefois renfermée Louisbourg pour les Français
s’évanouit lorsque les armées britanniques se couvrirent de gloire.
L’accent dans 1758 : la finale est mis sur deux récits parallèles. Le
premier est le terme français de l’équation impériale, l’attention étant
portée sur les événements survenus à Louisbourg. L’autre est le côté
britannique, pour lequel ce sont les événements concernant Halifax,
le pendant de Louisbourg, qui retiennent particulièrement l’attention.
Bien qu’il s’agisse là des deux éléments centraux de l’ouvrage, tous les
incidents et les épisodes survenus pendant la période 1749-1758 ne
sont pas couverts de la même façon. Certains ont été retenus parce
qu’ils nous apprennent quelque chose sur la nature et le caractère de
l’existence à Louisbourg et dans l’île Royale. Autrement dit, ils étoffent
la biographie. D’autres contribuent directement à la saga militaire
qui a atteint son point culminant avec le siège de 1758. La première
8
1758 : la finale
moitié de l’ouvrage sert essentiellement à préparer la scène en vue
d’une description détaillée des événements survenus au cours des deux
dernières années, 1757 et 1758.
Arrivé à la fin de l’ouvrage, le lecteur devrait s’apercevoir que la
puissance impériale qui a prévalu à Louisbourg est celle qui y a amené
et mis à bon usage le plus de ressources : vaisseaux de guerre, artillerie
et troupes terrestres. Il était nécessaire d’ajouter la fin de la formule
à propos du bon usage. S’il est un élément que l’histoire militaire met
en évidence, c’est bien que l’issue des batailles et des campagnes ne
dépend pas seulement du nombre de navires et de soldats. Si tel était
le cas, les Britanniques auraient facilement remporté la victoire au
fort Carillon-Ticonderoga en 1758, alors qu’ils ont plutôt subi une
cuisante défaite aux mains d’une force moins nombreuse de défenseurs
français. À Louisbourg, les événements survenus en 1757 ont fait la
preuve que les Britanniques ne pouvaient se contenter de se montrer
au large des côtes avec une puissante flotte et s’attendre à ce que les
Français baissent pavillon. Pour amener les dirigeants français de
Louisbourg à se rendre, l’ennemi devait atteindre au moins trois
objectifs : assurer un blocus naval efficace, faire débarquer un grand
nombre de soldats et s’approcher suffisamment de la ville fortifiée
pour rendre inévitable sa capitulation. C’est beaucoup plus facile à
dire au XXIe siècle, dans la certitude de l’issue des combats, que ce
ne l’a été de le réaliser au XVIIIe siècle pour ceux qui devaient parvenir
à le faire.
Quiconque a lu les courts résumés consacrés à Louisbourg publiés
dans d’innombrables ouvrages au fil des ans sait déjà que le siège de
1758 a duré environ sept semaines et que ce sont les Britanniques qui
l’ont emporté. On pourrait et on devrait cependant en dire bien
davantage à propos de cette funeste campagne contre Louisbourg.
Rares sont ceux qui savent dans le détail comment et pourquoi la
colonie française a connu une telle fin, non seulement en juin et juillet
1758 mais pendant la décennie qui a précédé le siège. C’est une
histoire passionnante, mais aussi un grand drame humain. Dans les
deux camps, personne ne savait comment les choses allaient tourner
– nul d’entre nous ne le sait jamais. Dans les pages qui suivent, je
présente les dernières années de Louisbourg avec le sentiment d’incertitude qui a dû teinter l’existence des gens à cette époque.
Prologue
9
La partie impériale
Vue depuis l’intervalle des siècles, loin de la tragédie des pertes
humaines comme telles, on pourrait décrire la compétition territoriale
que la Grande-Bretagne et la France se sont livrée dans la moitié
orientale de l’Amérique du Nord comme une très longue partie
d’échecs. Dans les plus hautes sphères des deux empires européens,
on considérait parfois les gains et les pertes comme un jeu, néanmoins
mortel. Sur terre et sur mer, Français et Britanniques furent tour à
tour agresseurs. Pendant un siècle et demi, la progression d’un des
deux camps déclenchait souvent la contre-attaque de l’autre. En vertu
des alliances et des intérêts stratégiques, il pouvait arriver que l’on
s’échange les conquêtes. La façon dont la France et l’Angleterre (et,
après 1707, la Grande-Bretagne) s’échangèrent à plusieurs reprises
l’Acadie jusqu’au traité d’Utrecht de 1713 en constitue un exemple
classique. Un autre est la restitution par les Britanniques de l’île du
Cap-Breton à la France selon les clauses d’un traité européen de 1748,
au grand dépit des habitants de la Nouvelle-Angleterre, qui s’étaient
emparés de la forteresse de Louisbourg trois ans plus tôt.
Il est arrivé que les manœuvres des monarques européens, ou plus
exactement des administrations qui agissaient en leur nom, sèment
le désarroi ou la fureur au sein des populations nord-américaines.
Pour les rois comme pour leurs conseillers, il était relativement facile
de considérer les territoires dessinés sur une carte comme des « possessions » à conserver ou à abandonner, tandis que les habitants de ces
contrées ne pouvaient faire preuve du même détachement8. Bâtiments
incendiés, paysages dévastés, navires pris par l’ennemi, pertes de vies,
tous ces éléments n’étaient que trop réels pour les populations
indigènes et les colons européens.
Sur le plan existentiel, l’analogie avec les échecs est donc artificielle
et insatisfaisante. Elle ne rend pas compte de la peine et des souffrances
infligées au cours des diverses guerres. De surcroît, elle ne rend pas
8.
Reed Browning écrit des années 1740 que « la vieille hypothèse selon laquelle les
souverains pouvaient s’échanger des populations et des endroits pour servir leurs
propres intérêts continuait de prévaloir avec la même force », War of the Austrian
Succession, p. 366.
10
1758 : la finale
justice à la complexité des conflits en Amérique du Nord avant 1763.
Il y avait bien plus que deux entités combattant pour la souveraineté
ou tout simplement la survie. Parmi celles-ci, on pouvait compter des
dizaines de tribus autochtones, dont les guerriers étaient souvent
beaucoup plus nombreux que les combattants européens. En
Nouvelle-France, au XVIIe siècle, par exemple, les « Canadiens »
combattirent les Cinq-Nations beaucoup plus souvent que leurs rivaux
anglais ou néo-angleterriens. La situation était semblable dans les
colonies anglo-américaines, où les guerres du XVIIe siècle ont opposé
les colons surtout à des guerriers autochtones plutôt qu’à des soldats
français.
Une autre problème connexe à la métaphore des échecs est que le
« plateau de jeu » sur lequel se déroulaient les guerres impériales n’était
pas bien défini. Au début des années 1600, les Français, les Anglais,
les Écossais, les Hollandais et les Suédois tentèrent tous de coloniser
divers endroits du littoral atlantique ; le reste du continent demeurait
sous le contrôle des peuples autochtones. Lentement mais sûrement,
les Européens avancèrent vers l’intérieur des terres à mesure que les
décennies passaient, leur progression étant facilitée par les microbes
autant que par les armes qu’ils avaient apportées d’outre-mer. Pendant
les années sur lesquelles nous nous penchons dans cet ouvrage, la
scène impériale en Amérique du Nord recouvrait peut-être le tiers du
continent. Bien entendu, le « plateau de jeu » nord-américain n’était
que l’une des zones de conflit entre les ambitions impériales
européennes. Une bonne partie de la planète était alors en jeu et, en
plus de la Grande-Bretagne et de la France, on pouvait compter
l’Espagne, le Portugal et la Hollande parmi les joueurs de premier
plan. Il y eut des poudrières en Inde et en Afrique aussi bien que dans
les Amériques. Plus les empires s’étendaient, ou aspiraient à s’étendre,
plus le contrôle des routes de navigation gagnait en importance. Sur
ce plan, les Britanniques finirent par avoir le meilleur, bien que leur
ascendant ne fut pas toujours évident ni ne fut jamais acquis
d’avance9.
9.
L’étude la plus originale de cet aspect est celle de Mahan, Influence de la puissance
maritime. Dull souligne qu’« au début des années 1690 la France pouvait compter
sur la marine la plus puissante au monde », French Navy, p. 9. En 1715, cependant,
Prologue
11
Dans l’est de l’Amérique du Nord, où l’on assistait depuis un siècle
et demi au choc direct des rêves impériaux anglo-français contradictoires anglais et français, les peuples autochtones étaient entraînés
dans les combats et en subissaient les conséquences. Loin d’être
monolithiques, les tribus autochtones présentaient d’énormes différences, dont, occasionnellement, des inimitiés de longue date, entre
elles. Pour les tribus, une stratégie courante consistait à s’allier avec
une puissance européenne dans l’espoir de stopper l’avance prise par
une autre. Depuis Londres, Samuel Johnson a fait observer avec
perspicacité que Britanniques et Français avaient « réparti entre eux
le nord du continent américain et se querellaient alors à propos des
frontières, chacun cherchant la destruction de l’autre avec l’aide des
Indiens, qui avaient intérêt à voir les deux belligérants détruits10 ».
En dépit de ses faiblesses comme concept illustrant la guerre à
l’échelle du continent, la métaphore des échecs n’en demeure pas
moins utile dans le cas particulier de l’histoire de Louibourg. Elle
rend l’essence de cette initiative coloniale française tardive. Bâtie de
toutes pièces à partir de 1713, cette ville a été le résultat d’un trait de
dessin impérial de Louis XIV et du comte de Pontchartrain, alors
ministre de la Marine, donc responsable de la marine et des colonies
d’outre-mer. La croissance – démographique, économique et militaire
– ultérieure de Louisbourg sous le règne de Louis XV fut en grande
partie le résultat de politiques menées par les ministres de la Marine
suivants, en particulier le comte de Maurepas. Et ses défaites, non pas
une seule fois mais deux, survinrent parce que la Grande-Bretagne,
grande rivale impériale de la France, de concert avec ses colonies
anglo-américaines, était déterminée à éliminer de la carte géopolitique
la forteresse du Cap-Breton. Il faut reconnaître que des guerriers
autochtones ont pris part aux deux conflits de Louisbourg, et ce dans
les deux camps, mais pas en grands nombres, et leur rôle ne fut pas
déterminant. Cela tient au fait que les campagnes menées à Louisbourg
en 1745 et en 1758 furent essentiellement des sièges de type européen,
la France possédait « moins de la moitié » des vaisseaux de ligne qu’elle possédait
vingt ans plus tôt. Une autre étude récente de la marine française est celle de
Pritchard, Louis XV’s Navy.
10. Dr Johnson, citation dans Rashed, Peace of Paris, p. 7.
12
1758 : la finale
même s’il fallait pouvoir compter sur de petites forces irrégulières et
un peu d’infanterie légère. Si des combattants autochtones étaient
présents et si leur utilité fut reconnue, ils faisaient partie des acteurs
de soutien et non des premiers rôles. Contrairement à de nombreux
autres conflits en Amérique du Nord au XVIIIe siècle, dans lesquels
les chefs et les guerriers ont parfois joué des rôles militaires stratégiques, les deux batailles de Louisbourg furent principalement des
parties opposant deux rivaux européens de longue date11.
L’analogie des échecs convient aussi à Louisbourg parce qu’elle
traduit le point de vue généralement détaché des rois, ministres et
conseillers de Londres et de Versailles qui, au bout du compte, ont
scellé le sort de la forteresse. Cela ne signifie pas que la valeur de
Louisbourg et de la colonie de l’île Royale ne leur tenait pas à cœur,
bien au contraire. Néanmoins, l’importance conférée par Versailles
ou par Londres à cette ville portuaire fortifiée dans l’île du Cap-Breton
– que ce soit pour la conserver ou la détruire – fut fonction de l’utilité
que l’on envisageait pour elle dans le contexte plus vaste de l’empire
français ou britannique. L’attachement envers la colonie en tant
qu’entité était maigre ou totalement nul. Dans cette perspective
utilitaire, les colons européens et les peuples autochtones étaient
considérés comme les pièces d’une partie à l’échelle mondiale et non
comme des joueurs qu’il fallait encourager à faire avancer leurs propres
pions.
Louisbourg et le Canada atlantique
Cet ouvrage n’a pas pour thème le conflit impérial mondial mais
bien le coin de l’Amérique du Nord aujourd’hui connu sous le nom
de Canada atlantique. Les lecteurs qui considèrent cette région comme
11. B. A. Balcom, « Defending Unama’ki : Mi’kmaw Resistance in Cape Breton, 1745 »,
manuscrit non publié, est une étude fascinante de la participation des Micmacs
au siège de Louisbourg en 1745. Anderson, Crucible of War, constitue une étude
complète de la participation des guerriers autochtones dans les colonies américaines ; voir les nombreuses entrées répertoriées sous « Indian Peoples » dans l’index,
p. 848. Il existe de nombreux ouvrages d’autres auteurs à ce sujet, notamment
ceux de Francis Jennings, Ian Steele et Peter Macleod.
Prologue
13
une destination de vacances estivales ou une région économiquement
défavorisée seront peut-être surpris d’apprendre que cette zone a déjà
constitué un élément essentiel de la réflexion militaire, économique
et stratégique de la France et de la Grande-Bretagne. C’est pendant
la décennie 1749-1758 que l’intérêt impérial s’est révélé le plus grand.
Ces années furent témoins de la fin d’une longue lutte anglo-française
pour la domination de la côte atlantique, avec des ramifications
tragiques pour les Français, les Acadiens et les Micmacs. Les
Britanniques et les Anglo-Américains, d’autre part, profitèrent des
revers de fortune des autres12. Si l’on allonge cette période de quelques
années pour y inclure la chute de Québec en 1759 et celle de Montréal
en 1760, la période de la guerre de Sept Ans (ou, si l’on préfère, la
guerre de la Conquête) a constitué l’une des périodes cruciales de
l’histoire nord-américaine13.
Deux éléments mirent Louisbourg et d’autres parties névralgiques
du Canada atlantique sous les projecteurs entre 1749 et 1758.
D’abord, le regain de volonté des dirigeants britanniques de remporter
une victoire totale sur la France en Amérique du Nord. Ils s’étaient
contentés jusque-là de gains restreints et régionaux. À partir de 1749,
cependant, les Britanniques firent preuve d’une détermination
nouvelle concernant les colonies nord-américaines. Cette résolution
connut des variations pareilles à celles des marchés boursiers au cours
de la décennie, mais on ne peut faire fi de la tendance lourde : de plus
en plus de fonctionnaires influents en Grande-Bretagne voulaient voir
toutes les pièces françaises balayées de l’échiquier colonial. Les événements les plus remarquables furent la fondation d’Halifax en 1749,
une importante campagne maritime qui débuta quelques années plus
tard, huit années de déportation de milliers d’Acadiens et l’envoi d’un
12. On peut penser aux divers ouvrages de Naomi Griffiths sur les Acadiens, surtout
à From Migrant to Acadian, ainsi qu’à Unsettled Conquest, de Geoffrey Plank, et à
Mi’kmaq Treaties on Trial, de Wicken.
13. Dans Crucible of War, Anderson écrit que la guerre de Sept Ans a été « l’événement
le plus important à survenir en Amérique du Nord au XVIIIe siècle » (p. xv).
L’auteur poursuit en expliquant pouquoi, selon lui, cette guerre a été plus importante que la Révolution américaine.
14
1758 : la finale
nombre sans précédent de soldats et de navires de guerre vers le théâtre
des hostilités en Amérique du Nord à la fin des années 175014.
Le deuxième élément qui mit le Canada atlantique sous les projecteurs entre 1749 et 1758 fut la réaction française aux initiatives
britanniques. Pour dire les choses comme elles sont, il fallait tenir ou
céder. En réaction aux actions militaires britanniques, toute une série
d’administrations françaises déployèrent des efforts concertés pour
s’accrocher aux intérêts économiques et stratégiques de la nation dans
la région atlantique. Du point de vue des différents ministres de la
Marine, c’est Louisbourg qui était le bastion le plus important dans
cette zone. Dès 1749, puis de manière accélérée en 1755, le ministère
de la Marine dépêcha vers Louisbourg plus de soldats et de navires
que jamais auparavant. Ce renforcement de la capitale de l’île Royale
par les Français eut pour effet d’affermir la détermination des
Britanniques de s’emparer de cette forteresse. Les différents mouvements des forces impériales au début des années 1750 constituaient
une sorte de course aux armements, même si, bien sûr, ce terme n’avait
pas encore été inventé.
Si l’on examine le contexte plus vaste en Amérique du Nord, les
Français modifièrent et raffinèrent leur vision de ce qu’ils souhaitaient
accomplir en Amérique septentrionale au fil des décennies. Vers le
milieu du XVIIIe siècle, vu le déséquilibre entre les populations
coloniales, il était évident que tout espoir de chasser complètement
les Britanniques d’Amérique du Nord était perdu. En chiffres ronds,
il y avait plus de dix fois plus de colons anglo-américains que de colons
français : plus d’un million contre moins de cent mille. En fait, le
Massachusetts à lui seul avait une population trois fois plus grande
que celle de la Nouvelle-France15. Par conséquent, le plus grand espoir
des Français résidait dans la consolidation de leurs forces de trois
façons. La première consistait à renforcer les garnisons des grandes
forteresses comme Louisbourg et Québec. C’était chose faite et je
14. Dans les deux premiers chapitres de Frigates and Foremasts, Gwyn se penche sur
la réflexion stratégique et les politiques navales britanniques quant à la meilleure
méthode pour combattre la présence française dans le Canada atlantique.
15. Dans Nova Scotia’s Massachusetts, Rawlyk évalue la population du Massachusetts
en 1750 à 190 000 âmes (p. xiii).
Prologue
15
reviendrai sur ce point plus loin. Une deuxième approche était
d’envoyer des navires de guerre supplémentaires sur le théâtre des
opérations. Si tout le monde savait que la Marine royale détenait un
avantage certain au milieu du XVIIIe siècle, personne ne croyait que
les Français allaient perdre toutes les batailles navales, ce qui ne fut
d’ailleurs pas le cas. Bien au contraire, comme les événements allaient
le démontrer dans les années 1750, les Français étaient en mesure
d’envoyer de formidables escadres pour annuler, ou à tout le moins
réduire, l’avantage des Britanniques. Je reviendrai également
abondamment sur ce sujet.
La troisième façon dont la France de Louis XV s’y prit pour tâcher
d’étendre son empire nord-américain fut d’établir une ligne de postes
et un réseau d’alliances avec les autochtones à l’intérieur du continent
pour stopper la croissance des territoires anglo-américains. Le présent
ouvrage ne porte pas vraiment sur ces efforts, qui ont fait l’objet de
travaux de nombreux historiens. Il est néanmoins utile de noter que
les nombreux forts français laissaient sans doute une forte impression
sur les fonctionnaires qui consultaient les cartes à Versailles ; lorsqu’on
les indique sur des cartes illustrant des textes modernes, c’est certes
toujours le cas16. Pourtant, pour de minuscules garnisons basées dans
des postes disséminés le long d’une frontière de plusieurs milliers de
kilomètres, il était impossible d’exercer un bon contrôle bien au-delà
de la portée des mousquets des soldats. La clé de l’influence exercée
par les Français sur les territoires situés le long et à proximité du
Mississippi, de l’Ohio et d’autres fleuves et rivières résidait dans le
soutien de dizaines de nations autochtones qui habitaient ces régions
et les alliances scellées avec elles. En général, les Français savaient se
servir des formes diplomatiques traditionnelles autochtones pour
établir des relations avec les indigènes, laissant à ceux qui se rangeaient
du côté de Louis XV une influence plus grande qu’ils n’en auraient
eue autrement. Ces alliances ont bien servi les intérêts militaires des
Français pendant longtemps, notamment au Canada atlantique, où
les Micmacs entretenaient en général une crainte et une méfiance
16. On trouve plusieurs bonnes cartes des forts, établissements et postes français dans
Balesi, Time of the French.
16
1758 : la finale
communes à l’endroit des Britanniques et des Anglo-Américains17.
Au cas où certains seraient portés à croire que les Français étaient
adulés par toutes les nations autochtones, disons tout de suite que ce
n’était pas le cas. Les Iroquois, les Chicachas et les Renards, entre
autres, livrèrent des campagnes à la fois longues et sanglantes contre
les hommes de Louis XIV et Louis XV. Au Canada atlantique,
cependant, on n’observait pas de tels conflits entre Français et peuples
autochtones, bien qu’il y eût des périodes de tensions et de ressentiment, surtout lorsque certaines bandes se mirent à signer des traités
avec les Britanniques (ce qui survint en 1725-1726 et en 1752).
L’étendue de la sphère d’influence française sur une grande partie de
la carte de l’Amérique du Nord était impressionnante mais, à
l’exception de quelques régions, ses ancrages étaient peu solides.
L’historien Ian Steele décrit en termes poétiques cette vulnérabilité
lorsqu’il écrit que « l’influence de la Nouvelle-France s’exerçait avec
rapidité et flexibilité mais elle était aussi fragile que les canots en écorce
de bouleau que les Français avaient adoptés pour imiter les Algonquins
et les Hurons18 ».
Les années 1750 furent témoins de nombreuses épreuves de force
dans tout le nord-est de l’Amérique du Nord. Dans l’esprit des
puissances impériales, Louisbourg tenait une place énorme, presque
en haut de la liste autant des Français que des Anglais. Pour l’empire
français, Louisbourg était un lieu d’une importance vitale à défendre ;
pour l’empire britannique, c’était une place forte importante à faire
tomber. Aux échecs, la phase ultime d’une partie est la finale. Celle
de Louisbourg survint avant celle de la guerre livrée à l’échelle du
continent et pourtant l’issue que connut l’île Royale en 1758 contribua
à orienter celle, plus vaste, de la guerre de la Conquête.
17. On trouvera une analyse approfondie du travail des missionnaires français dans
ce qui est aujourd’hui le Canada atlantique dans Dumont-Johnson, Apôtres ou
agitateurs. Ce n’est pas l’endroit ici pour analyser les relations entre les Micmacs
et la Grande-Bretagne, caractérisées par de fréquents conflits et des tentatives
permanentes de trouver des solutions par voie de traité. Le lecteur trouvera aussi
une introduction de ce sujet dans Wicken, Mi’kmaq Treaties on Trial.
18. Steele, Warpaths, p. 77.
Prologue
17
Dans la mesure où les sources dont nous disposons le permettent,
ce récit reflète les points de vue de tous les participants. La documentation est abondante et approfondie dans le cas des principaux
protagonistes, la France et la Grande-Bretagne, mais éparse lorsqu’on
en vient aux Micmacs et aux autres alliés autochtones des Français.
Bien que ces guerriers n’eurent qu’un petit rôle et une influence
négligeable sur les événements de 1758, il aurait été souhaitable de
connaître l’opinion de leurs chefs sur ce conflit.
Conformément à l’affirmation initiale selon laquelle cet ouvrage
est pour l’essentiel une biographie, le personnage central en est
Louisbourg elle-même. Au risque de me répéter, la principale ville
fortifiée, et le plus grand port de mer de l’île Royale, était considérée
comme la clé du Canada atlantique. Pour les colons français, les
colonisateurs acadiens et leurs alliés autochtones comme les Micmacs,
les Wolastoqiyik (Malécites) et les Abénaquis, Louisbourg était un
bastion formidable qui, espéraient-ils, leur permettrait de tenir les
Britanniques et les Anglo-Américains au large. Pour les quelques
milliers de civils qui vivaient toute l’année dans la ville fortifiée ou à
proximité, Louisbourg était la communauté qui les faisait vivre. De
l’autre côté de l’échiquier, pour les colons britanniques et angloaméricains, la forteresse de l’île du Cap-Breton représentait une
menace économique et militaire, un obstacle à renverser. Cet ouvrage
cherche à expliquer ce qui est arrivé à ces trois différents Louisbourg
– la forteresse, la communauté et la menace – au cours de la décennie
qui scella à jamais le sort de ce lieu.
Récapitulation : Louisbourg 1713-1748
Quelques années après le débarquement des Français sur les rives
de la rade de Louisbourg en 1713, il devint évident que ce nouveau
port de mer allait jouer un rôle crucial dans la lutte pour s’approprier
l’Amérique du Nord. Ses prédécesseurs dans la région de l’Atlantique,
Port-Royal (Annapolis Royal, en Nouvelle-Écosse) et Plaisance
(Placentia, à Terre-Neuve), étaient tombés aux mains de Britanniques
pendant la guerre qui venait juste de prendre fin (la guerre de la
Succession d’Espagne, 1701-1713). Une fois que les Français eurent
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