La baisse de la volatilité macroéconomique explique-t

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Diagnostics Prévisions
et Analyses Économiques
N° 116 – Juillet 2006
La baisse de la volatilité macroéconomique explique-t-elle le bas niveau
des taux d'intérêt ?1
Les taux obligataires à long-terme ont atteint depuis le début de 2003 des niveaux très bas qui ne
peuvent être expliqués par les seuls déterminants macro-économiques usuels. Ainsi, à la mi-2006,
les taux obligataires à 10 ans aux États-Unis et en zone euro seraient encore significativement inférieurs à
ce que les variables macro-économiques suggèreraient, et ce en dépit de la remontée observée depuis le
début de l’année.
Certains facteurs conjoncturels comme l’abondance de liquidité ou la recherche de rendements sur des
maturités plus longues peuvent expliquer ce décalage. On s’intéresse ici à des facteurs plus structurels :
notamment, la diminution des primes de risque en liaison avec une plus grande stabilité économique, qui a pu favoriser une diminution tendancielle de l’incertitude des agents sur les anticipations d’inflation et de croissance. Cette hypothèse est testée ici sur les taux obligataires américains et
européens.
Pour évaluer la prime de risque associée aux obligations, on compare le rendement associé à la détention
pendant un an d’un titre obligataire de maturité initiale de 10 ans à celui associé à la détention sur la même
période d’un titre sans risque de maturité un an. Sur la période 1972-1984, les investisseurs ont exigé
en moyenne une rémunération pour le risque mesurée par un «rendement excédentaire» du titre
risqué de 2,5 points aux États-Unis et de 3,6 points en Europe.
Ce «rendement excédentaire» exigé par les investisseurs sur les obligations peut être prévu à
l’aide du niveau des anticipations de taux d’intérêt et de la volatilité de l’activité économique. Ces
«rendements excédentaires prévisibles» auraient baissé tendanciellement aux États-Unis en liaison avec
une réduction de la volatilité du PIB. En Allemagne, les évolutions sont assez semblables, quoique de plus
faible ampleur.
La prise en compte des «rendements excédentaires prévisibles» dans les équations de taux longs
permet d’améliorer considérablement les modèles traditionnels. La moindre volatilité de l’économie
serait responsable d’une baisse des primes de risque sur les marchés obligataires. Ainsi, sur la période
récente, le modèle ainsi amélioré permettrait de réduire de 2/3 l’écart entre taux observé et taux estimé
aux États-Unis et de moitié en Allemagne.
1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement
la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
Direction Générale du Trésor
Générale
du Trésor
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de la Politique
Économique
et de la Politique Économique
Sommaire
des derniers numéros parus
Juillet 2006
n°115 • Réduction du biais domestique et financement du déficit courant américain, Luc Eyraud,
Françoise Jacquet-Saillard
n°114 • Assurance-vie et contrat diversifié, Frédéric Cherbonnier, Philippe Gravier, Daniel Turquety
Juin 2006
n°113 • Le policy-mix en zone euro et aux États-Unis de 1999 à aujourd'hui, Clotilde L’Angevin,
Fabrice Montagné
n°112 • Une analyse de l’inflation en France depuis le lancement de l’euro, Benoît Heitz, Julie Muro
n°111 • Caractéristiques des marchés du travail dans les pays de l’OCDE, Romain Bouis,
Jean-Paul Renne
Mai 2006
n°110 • Evolutions comparées des exportations en zone euro, Thibault Cruzet, Antoine Langlet
n°109 • Analyse de l’évolution des bénéficiaires de la PPE, Ludivine Barnaud, Gaël Bescond
n°108 • L'investissement en Chine est-il excessif ? Benjamin Delozier, Diana Hochraich
Avril 2006
n°107 • Vers la fin de la déflation au Japon ? Yann Pouëzat
n°106 • Enjeux économiques liés à l’intégration des industries post-marché en Europe, Frédéric
Cherbonnier, Séverine Vandelanoite
n°105 • Le ciblage d’inflation à travers l’expérience des pays latino-américains, Sophie Chauvin,
Olivier Basdevant
Mars 2006
n°104 • La compétitivité de l’économie allemande, Alexandre Espinoza
n°103 • La situation économique mondiale au printemps 2006, Pierre Beynet, Nathalie Fourcade
n°102 • Structure et comportement des entreprises exportatrices françaises, Nila Ceci, Bruno
Valersteinas
n°101 • Le droit des défaillances d’entreprises, Frédéric Cherbonnier, Anne Épaulard, Xavier Payet
Fév. 2006
n°100 • Perspectives d’appréciation du taux de change réel chinois : une analyse économique,
Mars Y. Robert
n°99 • Une modélisation analytique des stratégies d’endettement de l’État, Jean-Paul Renne, Nicolas Sagnes
n°98 • Les indicateurs de retournement : des compléments utiles à l’analyses conjoncturelle,
Pierre Emmanuel Ferraton
Janv. 2006
n°97 • Bilan des finances locales depuis 1980, Julie Marcoff
n°96 • Mondialisation et marché du travail dans les pays développés, Nadia Terfous
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2
Les équations traditionnelles2 décrivant les évolutions
des taux d’intérêt à long-terme n'arrivent plus à expliquer les faibles niveaux observés depuis 2003. L'écart
avec les niveaux estimés s'élevait à la fin du premier
trimestre de 2006 à 150 pdb aux États-Unis et 180 pdb
en zone euro. Il s’est réduit depuis avec la remontée
des rendements.
1. Les pistes d’explication du très faible
niveau des rendements obligataires
Comme les taux longs reflètent les anticipations des
agents sur la croissance potentielle et sur l'inflation
future, une économie structurellement plus stable
favoriserait un meilleur ancrage des anticipations et
s'accompagnerait d'une baisse de la volatilité des taux
longs, notamment aux États-Unis (cf. graphique 2).
Graphique 1 : volatilité des variables macro-économiques
7%
5%
4%
6%
3%
5%
1.1 Des facteurs en partie conjoncturels
Au delà des déterminants macro-économiques traditionnels, de nombreux facteurs peuvent expliquer le
bas niveau atteint ces dernières années par les taux
obligataires :
• les réaménagements de portefeuille, notamment de la part des investisseurs institutionnels, au
profit des titres obligataires, qui auraient pu être
renforcé par les réformes en cours de la gestion
actif-passif des fonds de pensions dans certains
pays européens (notamment aux Pays-Bas) ;
2%
1%
4%
0%
3%
-1%
-2%
2%
-3%
1%
0%
1970
PIB réel - Allemagne
PIB réel - Etats-Unis
inflation - Allemagne (éch. de droite)
inflation - Etats-Unis (éch. de droite)
1973
1976
1979
1982
1985
1988
1991
1994
1997
-4%
2000
2003
-5%
2006
Graphique 2 : volatilité des taux obligataires à 10 ans
2,5%
2,0%
• une recherche de rendement sur des maturités
longues dans un contexte de taux d’intérêt bas au
niveau mondial ;
• l'abondance de liquidité, les interventions des
banques centrales asiatiques, le recyclage des
recettes pétrolières, ou encore un déséquilibre
entre épargne et investissement dans certains
pays...
Il est également possible que, dans des économies
occidentales plus stables et dotées de banques centrales plus crédibles, les agents aient exigé une prime de
risque plus faible sur les taux obligataires, favorisant
ainsi une baisse de leurs niveaux.
1.2 La baisse de l’incertitude sur l’évolution de
l’économie
La volatilité de long-terme 3de l’économie, calculée
comme l’écart type sur 10 ans des glissements annuels
des prix et du PIB réel, a baissé de façon très nette aux
États-Unis au début des années 1990, plus lentement
en Europe, traduisant une plus grande stabilité de
la situation macro-économique4 (cf. graphique 1).
Le processus d'intégration et d'innovation sur les marchés financiers aurait favorisé un financement moins
volatil de l'économie, et les politiques monétaires ont
sans doute aussi participé à cette stabilisation en luttant efficacement contre le risque inflationniste. Une
gestion plus efficace des stocks aurait également renforcé la stabilité du PIB5.
2. Elles utilisent des déterminants économiques, tels que les taux
courts, l'inflation, le PIB réel ou le solde des finances publiques. Cf.
DPAE n°90, "Les déterminants des taux longs nominaux aux ÉtatsUnis et en zone euro".
3. On veut capter ici les grandes tendances de long-terme, contrairement à ce qui présenté en partie 3 on l’on calcule une volatilité sur
une période plus courte.
4. Voir aussi Stock et Watson (2003) : «Has the business cycle changed ? evidence and explanations», Fed Kansas.
5. Cf. Kahn, McConnel, et Perez-Quiros (2002) : «On the causes of
the increased stability of the US economy», Federal Reserve Economic Policy Review vol.8.
1,5%
1,0%
0,5%
en Allemagne
aux Etats-Unis
0,0%
1970
1973
1976
1979
1982
1985
1988
1991
1994
1997
2000
2003
2006
Source : Banque de France, Bundesbank - calculs DGTPE. Volatilité
calculée sur 10 ans.
Si les agents ont été sensibles à cette baisse de l'incertitude économique, il est logique qu’ils exigent une
prime de risque plus faible au moment de l'achat
d'obligations souveraines, ce qui fait baisser les rendements obigataires. Pour Rudebusch et Wu6, cette
hypothèse expliquerait le changement structurel
observé à la fin des années 1980 dans la dynamique de
la courbe des taux américaine.
Pour tenir compte d'une possible baisse des primes de risque sur les taux longs, plusieurs études
ont proposé d'ajouter une mesure de la volatilité
économique dans les équations de taux traditionnelles. Warnock & Warnock7 utilisent la volatilité des
taux longs nominaux sur trois ans. Bien que cette
variable soit significative pour expliquer les taux longs
américains, l'écart entre leur niveau estimé et observé
demeure élevé, à +150 pdb. Une étude de la Deutsche
Bank8 suggère que l'utilisation de la volatilité nominale
sur 10 ans du PIB comme variable explicative des taux
longs serait mieux à même d'illustrer l'hypothèse d'une
baisse des primes de risque. Elle permettrait de corriger de près d'un tiers les erreurs d'estimation sur les
taux longs américains.
6. Rudebusch et Wu (2004) : «Accounting for a shift in term structure
behaviour with no-arbitrage and macro-finance models», Fed San
Francisco.
7. Warnock & Warnock (2005) : «International capital flows and US
interest rates», Federal Reserve, International Finance Discussion
Paper n°840.
8. T. Mayer (2006) : «Lower volatility = lower rates», Deutsche Bank
Global Markets Research.
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et de la Politique Économique
3
s
Encadré 1 : «rendements excédentaires» et erreurs d’anticipation
Les «rendements excédentaires», xt+1(n), correspondent à l'écart de rendement entre la détention pendant un an d'un titre
de maturité initiale de n années et celle pendant la même année d’un titre sans risque de maturité un an. Pour des obligations zéro-coupon, les «rendements excédentaires» peuvent être exprimésen fonction des taux d'intérêt, soit après passage
au logarithme,
xt+1(n) = n rt(n) - (n-1) rt+1(n-1) - rt(1)
où rt(n) correspond à l'observation en t du taux d'intérêt annuel versé par une obligation zéro-coupon terminant dans n
années. En t, à la date d'achat de l'obligation, le taux d'intérêt rt+1(n-1) est inconnu de l'investisseur. Si celui-ci est neutre au
risque, son espérance de rendement est nulle, et l'équation précédente peut s'écrire :
Et(xt+1(n) ) = n rt(n) - rt(1)- (n-1) Et(rt+1(n-1) ) = 0 soit Et(rt+1(n-1) ) = (n rt(n) - rt(1))/(n-1)
Or le terme n rt(n) - rt(1) correspond au rendement procuré par l'obligation à 10 ans détenue pendant dix ans, ajusté du taux
d'intérêt à un an. Il s'agit donc d'un taux forward, ft1,n-1 , correspondant à une mesure, à partir de la courbe des taux d'intérêt, de l'anticipation des agents sur le niveau dans un an du taux d'intérêt à neuf ans. Il en résulte que lorsqu'un agent est
neutre au risque, son espérance de rendement est nulle et le taux forward constitue une mesure sans biais de son anticipation :
n rt(n) - rt(1) = (n-1) ft1,n-1 d’où Et(rt+1(n-1)) = ft1,n-1
Inversement, si l'agent est averse au risque, il exigera une prime de risque, ρ t , pour réaliser cet investissement. Dans ce cas,
le taux forward observé sera supérieur à la vraie anticipation de l'agent, les taux longs à 10 ans étant par exemple un peu
plus élevés par rapport à leur valeur théorique rt*(n) , c'est-à-dire celle permettant une espérance de rendements excédentaires nulle (le même raisonnement s'applique si l'agent n'est pas rationnel et tend à faire des erreurs systématiques dans ses
anticipations) :
si rt(n) = rt*(n) + ρ t , alors (n-1) ft1,n-1 = n (rt*(n) + ρ t ) - rt(1) = (n-1) Et(rt+1(n-1)) + n ρ t
d’où Et(xt+1(n-1)) = n ρ t
Dans la suite, on montre que les biais estimés aident à expliquer le niveau des taux longs. Toutefois il n'est pas impossible
qu'une partie des biais proviennent de taux d'intérêt à un an un peu trop faibles par rapport à leur valeur théorique. Piazzesi
& Swanssona ont notamment montré que les taux à 3 mois anticipés jusqu'à un an (sur les contrats futures) tendaient à être
inférieurs aux mouvements de taux courts effectivement décidés par la banque centrale.
a.
Piazzesi et Swanson (2004) : «Future prices as risk-adjusted forecasts of monetary policy», Federal Reserve.
Ces estimations reposent sur l'hypothèse implicite que
la prime de risque exigée sur les taux longs a été sensible à la baisse de la volatilité économique. C'est ce
qu'on essaie d'estimer dans la suite. On présente
d'abord une mesure susceptible de contenir la prime
de risque exigée par les agents, puis on cherche à isoler
cette prime à l'aide d'un indicateur de la volatilité économique. La série ainsi estimée est ensuite utilisée
comme variable explicative des taux longs.
(ou) parce que les anticipations des agents ne sont pas
rationnelles (cf. encadré 1).
Graphique 3 : «rendements excédentaires»
40%
30%
aux Etats-Unis
en Allemagne
20%
10%
2. L’existence d’un biais sur les taux longs
nominaux à 10 ans
2.1 Le calcul du biais
0%
-10%
-20%
On calcule le «rendement excédentaire» procuré par la
détention pendant un an d’une obligation de maturité
initiale 10 ans par rapport à un titre sans risque de
maturité initiale de 1 an (cf. graphique 3).
Cet indicateur constitue une mesure directe de l'écart
entre le taux d'intérêt à neuf ans attendu dans un an,
mesuré par le taux forward, et sa réalisation un an plus
tard : si la courbe des taux d'intérêt est efficiente, alors
ce taux forward doit être un estimateur sans biais du
taux d'intérêt effectivement réalisé ex-post, c'est-àdire que les «rendements excédentaires» doivent être
en moyenne nuls. Cette hypothèse a été globalement
rejetée par la littérature empirique9, le taux forward
étant biaisé parce qu'il contient une prime de risque, et
-30%
1962 1965 1968 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004
Source : Banque de France - calculs DGTPE.
L’étude porte ici sur les rendements des obligations
américaines et des obligations européennes. Les obligations allemandes ont été choisies pour représenter la zone euro en raison du rôle joué par
l’Allemagne au cours de la période précédant la
mise en place de l’Union Économique et Monétaire. En effet, au cours de la période 1979-1999,
l’Allemagne a été l’ancre du système monétaire européen et ses taux d’intérêt ont été la plupart du temps
9. Voir Campbell (1995) : «Some lessons from the yield curve», Journal of economic perspectives, vol.9.
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4
les plus bas parmi les pays participant au mécanisme
de change européen (MCE 1). On évite ainsi d’inclure
dans la prime de risque sur les obligations un risque de
change lié aux possibilités de réalignements des parités
au sein du mécanisme de change.
3. L’évolution du biais pourrait refléter une
plus grande stabilité macro-économique
Le graphique 3 retrace l'évolution des «rendements
excédentaires» en Allemagne et aux États-Unis. Ceuxci ont été calculés à l'aide d'obligations zéro-coupon,
disponibles depuis 1961 aux États-Unis et 1972 en
Allemagne.
Dans la mesure où les biais dépendent de l'incertitude
des agents sur l'avenir, ils devraient être en partie prévisibles. Cochrane et Piazzesi12 ont récemment montré qu'une combinaison linéaire de taux forward
observés ex-ante expliquerait jusqu'à 35% de la
variance des «rendements excédentaires» observés expost, un an plus tard, aux États-Unis13. Ces excès de
rendements prévisibles refléteraient pour les auteurs
une prime de risque, qui aurait tendanciellement diminué depuis 1984.
2.2 Principales caractéristiques des «rendements excédentaires»
Plusieurs observations se dégagent de l'analyse des
«rendements excédentaires» :
Ils sont en moyenne positifs sur la période 19722005, à +2.5 points aux États-Unis et +3,6 points
en Allemagne. Ce phénomène reflète l'existence
d'une prime de risque sur le niveau des taux longs, ce
qui est logique dans la mesure où acheter une obligation souveraine de maturité 10 ans pour la revendre un
an plus tard est une stratégie risquée10. En outre, il ne
peut être exclu que les agents fassent en plus des
erreurs systématiques dans leurs anticipations.
Ils sont variables au cours du temps, et anormalement répartis autour de leur moyenne. Les périodes où les «rendements excédentaires» apparaissent
négatifs ne durent pas, et elles sont rapidement suivies
par des périodes au cours desquelles les «rendements
excédentaires» sont durablement positifs. Cela pourrait refléter une certaine persistance des primes de risque exigées, peut-être parce que les incertitudes des
agents mettent du temps à se dissiper.
Leur variance a diminué tendanciellement depuis
les années 1980. Si les agents sont rationnels, alors les
erreurs d'anticipation qu’il commettent sont de moins
forte ampleur.
Leur niveau et leur évolution sont similaires aux
États-Unis et en Allemagne depuis 1990. Le processus d'intégration financière a sans doute participé à
cette évolution. C’est sans doute plutôt les «rendements excédentaires» américains qui ont influencé
ceux de l'Allemagne que l'inverse11.
Leur moyenne sur 5 ans a légèrement diminué,
tendanciellement à partir de 1987 aux États-Unis,
et en deux temps en Allemagne, entre 1987 et
1994, puis à partir de 1998. La hausse des «rendements excédentaires» moyens en Allemagne entre
1995 et 1998 reflète peut-être un ajustement en niveau
des biais allemands sur ceux des États-Unis, les taux
longs américains ayant une plus forte influence sur
ceux de l'Allemagne à partir de 1990.
Ces observations suggèrent ainsi que l’estimation des
taux futurs via les «rendements excédentaires»
(cf. encadré 1) est biaisée mais que le biais n’est pas
constant. Il semble avoir baissé tendanciellement, aux
États-Unis depuis 1987, et en Allemagne récemment.
10. Le prix de vente d'une obligation dans un an est incertain.
11. Test de Granger.
3.1 Une prise en compte de l’incertitude sur
l’avenir
Si l'accroissement de la stabilité économique a réduit
le niveau des primes de risque exigées sur les taux
longs, alors des variables capturant cette plus grande
stabilité devraient également permettre d'expliquer les
excès de rendements constatés sur les obligations.
C'est ce que l'on observe sur données américaines et
allemandes (cf. encadré 2).
3.2 L’estimation du lien entre biais et grandeurs
macro-économiques
Selon les estimations, une hausse de la volatilité du
PIB14 de 1 point impliquerait une hausse de 3,9
points des rendements prévisibles aux ÉtatsUnis, et de 4,6 points en Allemagne, les agents
étant plus incertains sur la direction future du PIB. De
même, un élargissement de 100 pdb de la pente
des taux sur sa partie courte impliquerait une
hausse des rendements prévisibles de 5,1 points
aux États-Unis et de 7,0 points en Allemagne. La
pente de taux reflèterait l'incertitude des agents sur
l'orientation de la politique monétaire au-delà d'un an.
Elle pourrait capter par exemple une prime d'inflation.
Les «rendements excédentaires» ainsi prévus ont
tendanciellement diminué aux États-Unis depuis
1984. Cette baisse est en partie attribuable à la
moindre volatilité du PIB réel aux États-Unis.
Elle est passée de 3,5% en 1984 à 1% en 2005, ce qui
a conduit, toutes choses égales par ailleurs, à une
baisse de 10 points du niveau des «rendements excédentaires prévisibles».
Au-delà de cette baisse tendancielle, il apparaît que les
«rendements excédentaires prévisibles» sont temporairement remontés au début des années 1990, puis au
début des années 2000. Entre ces épisodes, ils ont eu
tendance à diminuer, même s'ils présentent une certaine persistance.
Ces évolutions sont très similaires à celles présentées
par Cochrane et Piazzesi. En particulier, les rendements prévisibles tendent à évoluer de la même
façon que le taux de chômage américain. Ils reflèteraient donc une prime de risque plutôt que des
erreurs systématiques d’anticipation, les agents exigeant une rémunération plus forte lorsque le chômage
augmente.
12. Cochrane et Piazzesi (2002) : «Bond risk premia», NBER Working
Paper n°9178.
13. Lorsque les rendements excédentaires sont calculés en supposant la
détention pendant un an d'une obligation de maturité dans 5 ans.
14. A chaque date, la volatilité du PIB réel est mesurée par l'écart-type,
sur les douze derniers trimestres, du taux de croissance en glissement annualisé du PIB réel.
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et de la Politique Économique
5
Graphique 4 : «rendements excédentaires»
États-Unis
Graphique 5 : «rendements excédentaires»
Allemagne
60%
12
30%
10
20%
8
10%
6
0%
4
-10%
2
-20%
0
-30%
1972
Observé
Observé
50%
Estimé
Estimé
40%
Biais estimé - Etats-Unis
Taux de chomâge aux Etats-Unis (en %, éch
droite)
30%
20%
10%
0%
-10%
-20%
-30%
-40%
1973
Période d'estimation de 1973 à 2001
Période d'estimation de 1984 à 2001
1976
1979
1982
1985
1988
1991
1994
1997
2000
2003
2006
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
1996
1999
2002
2005
Source : Banque de France - calculs DGTPE.
Note : les rendements excédentaires indiqués en t correspondent à ceux réalisés sur la détention d'une obligation de maturité 10 ans achetés en t et
revendus un an plus tard.
Encadré 2 : estimation des «rendements excédentaires» aux États-Unis et en Allemagne
Plusieurs variables explicatives ont été utilisées pour établir un lien entre la plus grande stabilité économique et la diminution d'une éventuelle prime de risque exigée par les agents sur les obligations souveraines.
Une hausse de la volatilité du PIB réel et de l'inflation inciterait les agents à exiger un rendement plus élevé, car ils seraient
plus incertains sur les perspectives de long terme sur la croissance ou l'inflation, qui constituent les deux composantes principales des taux longs. Toutefois, un environnement plus incertain peut également inciter les agents à acheter davantage
d'obligations sans risque, ce qui agirait à la baisse sur les taux longs. Par ailleurs, dans les modèles de choix de portefeuille,
c'est une hausse de l'incertitude des agents sur la croissance de la consommation future qui va les inciter à exiger une prime
de risque plus élevée sur les actifs. Cette incertitude peut être mesurée par la volatilité de la consommation. Enfin, une pentification de la partie courte de la courbe des taux anticipée est susceptible de traduire une hausse du risque inflationniste,
les agents anticipant la poursuite du resserrement monétaire à cet horizon, ou une incertitude plus forte sur l'orientation de
la politique monétaire à un un horizon plus éloigné.
On cherche à capturer la composante prévisible des rendements excédentaires à l'aide de ces variables. La volatilité de
l'inflation apparait significative, mais de signe négatif aux États-Unis comme en Allemagne. La volatilité de la consommation n'est plus significative lorsque celle du PIB réel est utilisée. Le tableau présente les meilleures spécifications obtenues :
Constante
Pente des taux
anticipée
Volatilité du PIBa
R2/R2 ajusté
États-Unis
Période d’estimation : 1984-2001
–0,02
5,08**
3,92**
0,27/0,27
Allemagne
Période d’estimation : 1973-2001
–0,06
6,97***
4,62***
0,17/0,16
a. La volatilité du PIB correspond à l'écart-type du glissement annuel du PIB réel observé sur les trois dernières années. La série du glissement du PIB
est mensualisée
Source : BRI Databank, Datastream.
Régression MCO-Newey-West sur données mensuelles. Les seuils de significativité des coefficients à 10%, 5% et 1% sont respectivement indiqués
par *,**,***.
Dans les deux pays la volatilité du PIB explique les «rendements excédentaires», au côté d'une évaluation de la pente des
taux anticipée : aux États-Unis, c'est la différence entre le taux forward à un an dans un an et le taux observé à un an, alors
qu'en Allemagne il s'agit de la différence entre les taux forward à un an dans deux ans et dans un an. Les rendements excédentaires sont mieux expliqués aux États-Unis qu'en Allemagne, la part de la variance expliquée étant respectivement de
27% contre 17%. Il aurait été tentant d'utiliser les rendements excédentaires prévisibles estimés aux États-Unis pour expliquer les rendements excédentaires allemands, mais cela n'apporte pas plus d'informations pour expliquer les évolutions en
Allemagne.
Les estimations présentées sont toutefois quelque peu instables. En particulier, aux États-Unis il a fallu restreindre la
période d'estimation à 1984-2001 dans le but d'obtenir une significativité de la volatilité du PIB. En Allemagne, même si les
résultats semblent plus stables, la même équation estimée sur la période 1990-2001 n'arrive plus à mettre en évidence un
rôle significatif de la volatilité du PIB. Il semble que les agents aient été sensibles à la volatilité du PIB lorsque celle-ci était
élevée, au cours des années 1980, mais qu'ils n'y font plus attention depuis. L'idéal serait d'estimer l'espérance des rendements de façon non linéairea.
a.
Un test de changement structurel dans la moyenne (par la procédure de Bai et Perron, 2003, «Computation and analysis of multiple structural
change models», Journal of Applied Econometrics 18) identifie plusieurs dates entre lesquelles la sensibilité des rendements excédentaires à la
volatilité du PIB s'est modifiée. Elle aurait été particulièrement forte aux États-Unis entre 1975 et 1987, et jusqu'en 1990 en Allemagne, puis elle
serait devenue non significative depuis le début des années 1990 dans les deux pays.
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et de la Politique Économique
6
Les mêmes évolutions s'observent sur les données
allemandes, la corrélation entre les rendements prévisibles en Allemagne et aux États-Unis s'élevant à 56%
sur la période 1972-2005.
La baisse tendancielle des rendements prévisibles y est
cependant moins marquée qu'aux États-Unis, les rendements prévisibles et observés étant plus faibles en
niveau en Allemagne sur la période 1980-1990.
Depuis 1995, ils tendent toutefois à diminuer, en raison notamment de la moindre volatilité du PIB allemand. Elle est passée de 2% en janvier 1995 à 0,7%
début 2006, ce qui a induit une baisse de 5,8 % des
«rendements excédentaires prévisibles», toutes choses
égales par ailleurs.
Malgré leur significativité, ces estimations demeurent
fragiles. D'une part, l'influence de la volatilité du PIB
sur les «rendements excédentaires» est instable et
dépend de la période d'estimation choisie. D'autre
part, les estimations en Allemagne ne tiennent pas
compte de la création de l'Union monétaire, qui peut
notamment avoir réduit le rôle joué par les variables
allemandes sur les taux allemands, et de l'influence
possible des taux longs américains (cf. encadré 2).
Tableau 1 : estimation d’équations de long-terme
États-Unis
Modèle 1.a
Allemagne
Modèle 2.a
Modèle 1.b
Modèle 2.b
constante
ns
ns
3,12
2,74
taux courts
0,31
0,37
0,38
0,41
déficit public
(% du PIB)
–0,22
ns
–0,38
–0,25
PIB (G.A.)
0,66
0,33
0,28
0,33
inflation sous-jacente
(G.A.)
0,80
0,99
ns
ns
«rendements
prévisibles»
-
1,08
-
1,38
R2
0,94
0,98
0,66
0,75
écart taux longs
estimés - observés
(1er trim 2006)
150
50
200
110
Source : Datastream, taux longs nominaux à 10 ans correspondant au
benchmark de Datastream.
Calculs : estimation par les MCO corrigées par la méthode de NeweyWest, sur données trimestrielles entre 1983 et 2001.
Lecture : Toutes les variables sont significatives au seuil de 5% ; «ns»
indique une variable non significative. Les «rendements prévisibles»
sont normalisés pour exprimer une prime de risque sur le niveau des
taux longs.
Graphique 6 : taux obligataires (10 ans) - États-Unis
4. La baisse des primes de risque pourrait
expliquer une partie significative de la
baisse des taux longs nominaux
4.1 Un lien entre «rendements excédentaires» et
niveau absolu des taux obligataires...
Les «rendements excédentaires» estimés peuvent
refléter différents phénomènes qui se retrouvent
directement dans le niveau des taux d'intérêt de long
terme : une prime de risque, des erreurs de prévision
des agents sur la croissance du PIB ou des prix. Le fait
que la partie prévisible de ces «rendements excédentaires» ait fortement baissé sur la période
récente pourrait donc expliquer en partie le bas
niveaux des taux obligataires observé en Europe
et aux États-Unis. Les estimations à partir des
seules variables macroéconomiques qui n'en
tiendraient pas compte auraient par conséquent
tendance à surestimer les taux longs sur la
période récente.
Cette hypothèse est testée en utilisant une équation
traditionnelle de long terme décrivant le niveau des
taux longs obligataires (modèles 1.a et 1.b), avec des
variables macroéconomiques domestiques. Dans un
second temps, on introduit les «rendements prévisibles» comme variables explicatives (modèles 2.a et
2.b). Toutes les équations sont estimées sur la période
1983-2001 (cf. tableau 1), afin de ne pas tenir compte
d'éventuels facteurs exogènes ayant pu agir sur le
niveau des taux longs après 200115.
16
%
observés
14
estimés avec le modèle traditionnel
12
estimés avec le modèle incluant les rendements estimés
10
8
6
4
2
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
Graphique 7 : taux obligataires (10 ans) - Allemagne
10
%
9
8
7
6
5
4
observés
3
estimés avec le modèle traditionnel
estimés avec le modèle incluant les rendements excédentaires prévisibles
2
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
Source : Banque de France - calculs DGTPE.
4.2 ... permet d’améliorer les équations traditionelles
Les modèles estimés uniquement à partir des variables
macroéconomiques n'arrivent plus à refléter le faible
niveau des taux longs observé depuis 2003. Au premier trimestre de 2006, les niveaux estimés étaient
supérieurs aux taux longs observés, de 150 pdb aux
États-Unis et de 200 pdb en Allemagne16.
La prise en compte des rendements excédentaires prévisibles dans les équations de taux longs
permet de corriger une partie significative de ces
erreurs de prévision, de deux tiers aux États-Unis
et de moitié en Allemagne. Au premier trimestre de
2006, l'écart entre les niveaux estimé et observé des
taux longs n'était ainsi plus que de 50 pdb aux ÉtatsUnis et de 110 pdb en Allemagne.
15. Les équations traditionnelles d’évolution des taux obligataires sont
présentées dans le DPAE n°90.
16. Pour la zone euro, le résultat serait légèrement inférieur, à 180 pdb.
L’étude économétrique suggère que les «rendements
excédentaires» prévisibles jouent un rôle significatif
dans l’évolution des taux obligataires, et la part de la
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et de la Politique Économique
7
variance expliquée augmente significativement
lorsqu'ils sont utilisés comme variable explicative. La
valeur de leur coefficient est proche de 1, les rendements prévisibles pouvant être interprétés comme une
mesure directe des biais sur le niveau des taux longs.
En quantifiant ces effets, il apparaît que les rendements excédentaires prévisibles arrivent à davantage
expliquer les taux longs aux États-Unis qu'en Allemagne sur la période récente. Cela pourrait être dû à un
biais plus important sur les équations traditionnelles
des taux longs américains, dans la mesure où les rendements prévisibles se sont réduits en tendance sur
toute la période depuis le début des années 1980, contrairement à la situation allemande, où la réduction est
plus récente. La présence des rendements prévisibles
modifie en effet les valeurs des coefficients estimés
des autres variables explicatives, légèrement en Allemagne mais un peu plus fortement aux États-Unis17.
Au total, ces résultats suggèrent que la plus
grande stabilité économique a significativement
agi sur le niveau des taux longs nominaux, et
qu'elle expliquerait en partie les faibles niveaux
observés ces dernières années.
Sébastien HISSLER
Directeur de la Publication : Philippe BOUYOUX
Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN
Mise en page : Maryse DOS SANTOS
(01.44.87.18.51)
17. Il faut toutefois interpréter cette quantification avec précaution.
D'une part, les estimations des rendements excédentaires prévisibles sont fragiles (cf. §3). D'autre part, le déficit public américain
n'influence plus les taux longs lorsque les rendements excédentaires prévisibles sont utilisés dans les équations, quand on s'attendrait
à ce que la détérioration de la situation fiscale observée ces dernières années aux États-Unis agisse à la hausse sur les taux longs estimés.
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