[!S ~'; v '--.: ; ': .~ ~:'. f~ "!' ~:, ,.. ~ ... ....~ ',,: d;~ '~,-' :\~: , ~ti rkf~nomie Appliqule, lome XLV. 1992, nO 3. p. 55-90 .i .:'i;'., Analogie formelle et analogie substantielle en économie : l'économique néo-classique, l'énergétique et la physique des champs Michel Renault lGt'rz.. CERETlMIUA CNRS 1240 Université Rennes 1 Cet article f.tablit ulle distillctioll elltre allalogie formelle et allalogie substalltielle à travers l'exemple de /' illfluellce de la physique des champs et de l'énergie sur /' écollomique Iléo-classique (écollomie pure). II molltre que la distinction elltre les deux types d'allalogies est souvellt ténue, /' une amenant souvellt /' autre. Des conceptiolls anthropomorplliques, esselltialistes ou métaphysiques peuvent ainsi se supelposer à des similitudes formelles. Le dallger est alors grand de calquer la démarche de /' économie politique sur celle de la physique par le biais d'idenlificalion lermes à termes de concepts qui ne salit pas de même nature. L'exemple de /' identification de /' analogue d'un prillcipe de conservalioll de /' éllergie ell économie et de /' illterprélalioll amhropomorphique du prillcipe de moilldre action est sigllificatif des dallgers de /' analogie .. celle-ci Il' est en effet jamais lIeutre. This article eSlablish a distillction betweell formaI (analytical) alla­ logy alld substalltial allalogy through the exemple of the illfluellce of ellergetics alld field physics UpOIl lIeo-classical eCci1lomics (pure eco­ 1I0my). It shows that the distillctioll betweell Ihe two killd of analogies is oftenvery thin, thefirst olle leadillg ta the secolld one inmallY cases. Amhropomolphists, esselltialists, or metaphysical conceptions cali Sl/­ pe/pose themselves ta formaI similitudes. Theil tl,ere is a dallger ta copy closely ecollomics upon physics by the mean of systematic idell­ tifications of COllceptS Ihal are differellt ill lIatllre. The examples of the prillciple of cOllsen'ation of el/ergy (ll/d of the (lllthropomOlphic il/ter­ 56 M. RENAULT1 pretation of the principle of least action is illustratil'e of the prob/ ems posed to economics by analogies l1'ich are nel'er neutra/s. "We II/ust sool/er al" larer hal"t! strict .fcicllCC5 of 'hose II/cillai and social IJf/C/IO/1/CIIO. ll'hich. if compari.fO" be po.fi.rible. are of 1II0si imel'1!51 fa Ils thall pl/rel)' maleriaf phCIIOIIU'1I0. Bill ÎI is Ihe p/"Ope,. cour.fe of reasol/illg 10 proccC(/ /1'011/ the /moll"1I ro 11/(! 11I/1:11011"/1-11'011I Ihe CI"idem 10 'he obscllrc·frOIll ,hc II/a'crial und palpable 10 the .whlle al1d rcfillC'd. rhe physica/ .{ciel/ces IIIU)' IIIcrc/orc be pl'oper/)' made the pl'acrice .':I"o/md of Ihe /'casollil1g P0II'CI'.'i, bccouse they fl/mi.th ifS h'Îlh a .r:real body of precise and J//cce.ujilf i/U'csligatiml.f... n'S. JEI'ONS(·) On a déjà beaucoup écrit sur les correspondances analogiques entre l'économique néo-classique tel que le concevaient les «pères fonda­ teurs» (Walras, Jevons, Pareto...) et la mécanique classique de Lagrange et Laplace. Pour beaucoup d'auteurs, la correspondance est totale et la théorie néo-classique ne serait qu'une transposition de la mécanique classique. Celte identification n'est, en réalité, que partiellement jus­ tifiée; il s'est en effet produit une évolution importante dans la physique au XIX· siècle avec le développement de la thermodynamique classique et de la physique des champs de forces. Cette évolution est perceptible par l'intennédiaire des travaux de P. Duhem, H. Poincaré ou E. Mach, qui posent de nombreuses questions de méthode. Cette évolution de la physique n'est pas restée sans influence sur la constitution de l'écono­ nnque néo-classique et cela peut être repéré à travers les analogies et les métaphores employées par ces auteurs (1). Dans cet ensemble, il nous semble qU'il est possible de distinguer deux types de correspondances analogiques entre théories physiques et théorie économique: - des correspondances formel/es ou ana/ytiques qui passent par l'uti­ lisation d'outils IDnlhé!lla1iqlles similaires à ceux de la physique (règles de maximisation par exemple). Ces cOlTespor.dances n'impliquent au­ cune identification ou réduction d'un champ du savoir à l'autre. Les équations dans l'un ou l'autre champ peuvent être similaires mais les Je tiens à remercier le rappol1eur de cct article pour ses remarques conslruclives, 'linsi que Maurice Basic qui est intervenu de façon criliquc Cl positive au cours de SO~ élabol'<Jtioll: ccl ililicie lui eSI\argcmcl1I redevable. Merci aussi à Bemard Walliscr ~ 9~1 je dois l'idée initiale. Les clTeurs demeurent bien entendu de ma seule rcsponsabdlle. (.) The princip/es of science, préface à la première édition, p. VIII. (1) Il faut remarquer qu'un cc,tain' nombre de lravaux anlélicurs avaient déjà souligné le rail, citons pur exemple H.T. Davis (1941) ct A.G. Pickler (1955). 57 58 M. ';''''AlOGlE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RÉNAULT' Cela est da en partie au fait que les concepts économiques entretiennent entre eux des relations similaires à celles que l'on observe entre les concepts physiques qui font partie d'un même corpus théorique (force travail, potentiel, énergie...). Cependant, le développement de la théori~ économique a conduit dans la plupart des cas à «oublier» le caractère substantiel et métaphysique de certaines analogies pour n'en conserver que l'aspect formel et opératoire. D'autre part, il ne faut jamais perdre de vue que la référence principale est économie pure dont le domaine de validité, qUOique mal défini, est cependant circonscrit (les auteurs sont également beaucoup plus divers dans leurs préoccupations et dans leurs approches que ne le laisse supposer la simple économie pure). Afin de mon/rel' r oscilla/ion ell/re analogie formelle e/ subs/all/ielle. nous diviserons 110lre e.\posé en quatre parties : tout d'abord, nous effectuerons un certain nombre de rappels sur le développement de la physique des champs et de l'énergie (1); nous montrerons ensuite la place exacte occupée par l'analogie avec l'énergétique et la physique des champs chez les premiers économistes néo-classiques (II). Nous préciserons ensuite, à travers l'exemple de la transposition du principe de moindre action en économie, la nature de l'analogie dans le cas des interprétations anthropomorphiques et métaphysiques qui peuvent être données à des principes formels (III). Enfin, nous examinerons une dérive scientiste de l'analogie à travers l'énergétique sociale que l'on retrouve chez des auteurs comme F.Y. Edgeworth et L. Winiarski (IV). Nous aurons ainsi progressé des analogies les plus formelles l'ers les plus subs/all/ielles. r I. RAPPELS SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA PHYSIQUE AU XIxe SIÈCLE: LES CHAMPS ET L'ÉNERGIE Le concep/ d'él1ergie possède une histoire qu'il serait trop long de rapporter. On peut cependant noter qu'il possède des liens avec un grand nombre de phénomènes et de principes servant à «expliquer» le mouvement et l'évolution des choses comme des manifestations d'une «force», d'une «entéléchie», qui n'est pas perceptible el dont seuls les . effets sont visibles. Cette <,force», celle «substance», aurait été intro­ duite dans le monde une fois pour toutes et se conserverait en chan­ geant de forme (Engels (1952) a pu critiquer cet aspect de l'approche du 59 ~onde (3». Ces métamorphoses de la substance permettent de distinguer ''l~:;dans le changement apparent une permanence immuable caractérisant .;1< l'économie générale de la nature. On peut rappeler également que les ,'i. principes conservatifs, telle principe cartésien de la conservation de la quantité de mouvement (1644), occupent une grande place dans la for­ mulation ultérieure du concept d'énergie. Leibniz s'intéressa au travail des machines et il établit, en 1695, la distinction entre la force morte (lorsqu'il n'existe pas actuellement de mouvement mais simplement une potentialité) et la force vive (qui représente la force actualisée dans le mouvement) (4). Il a fonnulé l'expression de la force vive comme mv 2 où l'on peut reconnaître la préfiguration de la notion d'énergie cinéti­ que. A partir de cela, on entre dans le domaine d'une «économie de la force» : dans le déplacement, le fonctionnement, des machines, la force .l'il'e est ce qui se paie; elle représente une monnaie mécanique (voir J.-P. Seris 1987, p. 8-9 et p. 59). Celle correspondance, au départ purement rhétorique, est déjà significative d'une relation entre deux domaines, mécanique et économique, à travers la notion de dépense et la question de la valeur. Ultérieurement, l'énergie a pu être considérée par certains comme le fondement objectif de la valeur économique. Celle notion de dépense a été le point de départ d'une série de travaux sur le fonctionnement des machines afin d'en améliorer le rendement, de minimiser la dépense (travaux de Lazare et Sadi Carnot). Pour L. Carnot, la mécanique se réduit à la question de savoir trouver le mouvement réel qu'un système de corps adoptera (connaissant son mouvement virtuel) du fait de l'action réciproque des corps doués d'inertie. Il s'agit de considérer un mouvement géométrique dans le cadre du choc des corps. Dans ce cas, le mouvement qui aura lieu réellement après l'action est tel que la somme des produits de chacune des masses par la vitesse qu'elle perdra est minimum (P. Brunet 1983, p. 95). La grandeur mv 2 (force vive) traduit alors le passage de la science newtonienne à la science des forces vi ves (5). Ceci sera (3) Engels écrivait dans Dialectique de la natl/re à propos de l'aspect immuable du monde une fois les «données premières) établies: «(Quelle que ftir la façon dom la nature même s' hair formée, une fois qu'elle existait, elle restait semblable à elle-f1l(~lIle 1~1It qu: elle dw'oÎr. (.. .) Fixes el immobiles les étoiles reposaielllioujolll's à fellr place, ~ y momlcmOIll réciproqllemelll par la «gral'Îtalioll ullil'crselle)). La terre était l'estée '.mmllablemenr la même. soit de tOlite éternité. soit, dans l'autre ""pothèse. dep,,;s le JOU, de la 'l'éoriolln (Engels 1952, p. 32-33). . cf (~) . «(..) Leibl/iz ~. est a:qu;~ Cil mé~GIliqlle /111 ûtre de gloire impérissable. cel,,; o'.olr jeté le pre/mer, grace a la logique de so" /lOIII"eaU calc/ll. 1II1 POlit elllrc la ~ta"q/le et l'énergétique. en faisant naître /a force l'il'e des impressions répbécs de /0 Jorce morte» (R. Dugas 1954. p. 519). _ à (5) La détennination précise de la nOlion de "force viVCn a donné licu en mécanique une colHroverse demeurée célèbrc. 60 M. RENAULT " :Ji : . "ALOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE . "~ "i . 61 '.~' ~:" encore accentué par la refonnulation du principe de moindre action .. ), ,.~. Spencer et E. Haeckel). Cet essentialisme aura une certaine in­ par Poisson et surtout par les travaux de Sadi Carnot. Ce dernier a . , ';.. fluence dans le domaine des sciences humaines, donnant naissance à 'abordé l'économie des machines par l'intermédiaire d'une allalogie ;',' des «éllergétiques sociales» réduisant dans une large mesure les in­ hydraulique (6) (R. Locqueneux 1989) et l'un des intérêts principaux teractions sociales à des phénomènes liés à l'énergie (distribution et de son travail est d'ordre économique: il concerne l'optimisation redistribution d'énergie, épuisement de potentieL). En économie, la du rendement des machines. Ainsi, à travers la mécanique appliquée, '. recherche d'un standard absolu de valeur s'apparentera souvent à ce la double filiation de la ,dynamique se révèle : elle est science des , type de démarche. trajectoires mais également science des bilans (Prigogine et Stengers L'autre innovation importante de la physique au XIX· siècle concerne 1979, p. 73). C'est principalement par les travaux de L. Carnot, l'introduction de la Ilotioll de champ. La naissance de ce concept S. Carnot, H. Helmholtz, R. Mayer qu'elle acquerra cette seconde remonte à l'expérience du savant danois Oersted, effectuée en 1819, et signification en introduisant le concept d'énergie : le bilan traduit qui contredisait les résultats attendus par une interprétation mécanique l'équivalence quantitative de l'avant et de l'après mais également la usuelle. Cette expérience marqua les débuts de l'électromagnétisme différence qualitative entre les deux états. e en montrant que la circulation de l'électricit(j dans un fil produit une . Thomas Young substituera au début du XIX siècle le terme «énergie» action à distance, un effet magnétique. Le courant produit dans l'espace au terme «force vive». Le mot fut utilisé par James 111Omson (le environnant ce qu'on appelle un champ magnétique. Ce concept a frère de lord Kelvin) pour désigner d'une façon générale la capacité à été développé et explicité par J.e. Maxwell et il est implicite dans fournir un travail (1852). Macquorn Rankine proposa la distinction les travaux de Faraday. Selon la définition de J.e. Maxwell : «Le entre «énergie d'activité» (actuelle) et «énergie de configuration" champ électrique est la portioll (!.e l'espace \'oisille des COll'S électrisés. (potentielle ou latente) en 1853. Le terme «énergie potentielle" fut cOllsidérée au poinT de l'Ile des;phéllomèlles élecrriques. Il pel/l être adopté mais le terme «kinetic» (cinétique) fut substitué à «actuel>. par de l'air 011 par d'alltres COlpS, 011 bien peut-être par ce qlle occupé par W. Thomson et P.G. Tait (d'Arcy W. Thompson 1942). On peut lIOUS appelons le l'ide, c'est-à-dire lin espace d' 0/1 nOlis (II'ons retiré également rappeler qu'à la suite des travaux de S. Carnot et R. Clausius, toutes les sllhstancessur lesquelles nous pOlil'ons agir par les moyens le principe de l'entropie. (le plus «métaphysique» des principes de la !!lis à notre disposition. Si lin corps électrisé est introduit en un pOlllt physique selon N. Georgescu-Roegen) fut formulé. du champ électrique, en général, il déterminera un changement dalls Au plan épistémologique, la découverte du principe de conservation la distriblltion de l'électrisation à la slllface des autres COlpS» (J.e. de l'énergie donna naissance à un nouveau système d'interprétation Maxwell 1885, tome J, p. 51). La notion de champ donna naissance à théorique. L'énergétique a constitué ainsi un nouveau système de méca­ des positions méthOdologiques et épistémologiques divergentes autour nique en éliminant la notion de force, jugée anthropomorphique, pour de l'interprétation newtonienne ou pré-newtonienne (les tourbillons la remplacer par la notion «positive» d'énergie (J. Rosmorduc 1985, la notion d'éther, d'une conception cartésiens... ) du phénomène, de p. 22, W. Ostwald 1991). Les principaux représentants de ce courant dynamiste et holiste de la nature issue de Fichte et Schelling (qui était de pensée furent W. Ostwald, P. Duhem, J.W. Gibbs, H. Helmholtz. celle d'Oersted). La métaphore Ilydralllique est également présente (à Le physicien E. Mach tira les leçons méthodologiques des apports de travers la notion de flux) dans l'interprétation des phénomènes électro­ l'énergétique pour en appeler à une science phénoménologique. En magnétiques, L'interprétation dominante fut celle proposée par Faraday ce qui concerne notre propos, il est important de rappeler qu'à côté et Maxwell; pour J.e. Maxwell, l'électromagnétisme fait partie d'un de ces aspects proprement scientifiques l'énergétique donna naissance mécanisme élargi, un certain nombre d'analogies pouvant être établies à un système cosmologique essentialiste considérant l'énergie (et non entre les phénomènes électriques et le mouvement des corps matériels plus la matière) comme la substance du monde physique. W. Ostwald (comme l'eau). Ainsi: "Pour l' esprit qui a IIne fois reconnu l' analogie . et G. Helm furent les représentants les plus éminents de ce courant que présentellt-'~s phénomènes de self-induction et ~eux dumoul'ement \ de pensée (il faudrait également y ajouter, avec certaines nuances, des COlpS malenels, Il est diffiCIle de renoncer enflerement CIlI secours qu'ail peut tirer de cette analogie ou d'admettre qu'elle est superficielle (6) Voir aussi: J. Grinevald (1976, p. 59). o,u trompeuse» (J.C. Maxwell 1885, iome 2, p. 224). 62 M. lT· ~ALOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RENAULT ::~ " rl:Qrrespondances termes à termes (L. Amoroso), et/ou font référence à unité substantielle du monde (EY. Edgeworth et L. Winiarski). 'Y;ici,,: La mise en évidence des références à la physique du XIXe siècle ef­ .Y fectuées par les économistes va nous permettre de repérer ces distinc­ ;, tions. Notons cependant qu'il ne faut pas négliger les aspects «extra­ économiques» de certaines vues des économistes, notamment en ce qui concerne W.S. Jevons qui s'est intéressé à l'aspect logique des sciences et aux problèmes de méthode (c. Schmidt 1985, p. 68). Une interprétation générale de la notion de champ (et notamment \ dans les sciences humaines) en fera, du fait qu'elle implique Une certaine unité spatio-temporelle, un <dieu de formes ». En physique l'unité se réalise par des interactions de «proche en proche» (ou p~ l'intermédiaire d'un éther, notion toujours ambiguë) et les formes obéissent à des principes d'extremum (Lalande 1991, p. 137). Ce concept permet d'introduire une notion de totalité en physique. A travers ces rappels, on perçoit déjà, en schématisant, que les conceptions physiques reftètelll un dualisme entre des conceptions d'ordre purement scientifique et des intel1J1"étations métaphysiques qui rem'oient cl des systèmes d'il11erprétation cosmologiques, l'une et l'alllre n'étal11 pas exc/usil'e et apparaissant pmfois conjoimemem (c'est le cas par exemple pour W. Ostwald). Nous allons voir que ce type de dualisme (formalisme/substance) .se retrouve chez un certaIn nombre d'économistes néo-classiques. Les références physIques de ces économIstes ne son! cependant pas réductibles à la seule physique des champs et de l'énergie, les situations étant diversifiées selon les auteurs. :i'ime 1) Des analogies formelles avec la mécanique: l'économique" ne\vtonienne» de L. Walras et W.S. Jevons 0­ II. DES ANALOGIES PLUS OU MOINS NETTES ENTRE L'ÉCONOMIQUE NÉO-CLASSIQUE ET LA PHYSIQUE DES CHAMPS ET DE L'ÉNERGIE Selon Paul Chanier (1979, p. 151) : «On ne dit pas assez combien l'idée d'un équilibre général ail toutes les mriables se déterminelll simultanément est une métaphore emprul11ée à la physique des champs de forces.» De même selon P. Mirowski (1988, p. 41) : «The essence of the neo-c/assical anolysis is the appropriation ofIlle physicol concept of the field.» Il y aurait ainsi eu une !fu;continuité majeure dans la pensée économique autour des années 1870-1880 (Mirowski 1984, p. 363) liée aux innovations de la physique. Selon nous, cette généralisation est trop forte et il faut effectuer une distinction entre trois groupes d'économistes: - ceux qui demeurent attachés à l'analogie entre l'équilibre écono­ mique et la mécanique (Walras et Jevons): l'usage de l'analogie élant principalement d'ordre méthodologique (analogies formelles); - ceux qui effectuent des analogies avec la physique des champs de forces et de l'énergie sans adhérer à des interprétations métaphysiques ou en demeurant à la lisière de celles-ci (Fisher et Pareto>"; - ceux qui adoptent les fonnalismes de la physique des champs et de l'énergie (dynamique hamiltonienne) avec une volonté délibérée de 63 ~r Le système de référence analogique de L. Walras demeure at­ taché cl la mécanique lagrangienne par l'interméd,aIre des travaÏÏX ce Poinsot (1824), et si l'on peut qualifier l'économie walrasienne de «newtonienne» (S. Hollander 1989) (ou de «cartésienne» par certains aspects), on ne peut en aucun cas l'imputer à une métaphore énergéti­ que. Celà ne veut pas dire que [. Wâlr-<lS n'etaIt pas au courant des évolutions de la physique au XIXe. Ainsi, il se réfère souvent dans sa correspondance aux travaux de Fourier, Am ère, Him Clausius... (L. Walras 1987, p. 324 et . Jaffe 1965) pour justifier son ambition de faire de l'économie une branche nouvelle des mathématiques ou une science de nature physico-mathématique. Il n'y a alors pas chez Walras d'analogies formelles ou substantielles à proprement parler mais plutôt 'es analogies tjiscursives à but didactigue ou rhétorigue. Ce premier as­ pect métaphorique de l'économique néo-classique ne doit jamais être perdu de vue au risque de créer un monde qui n'a plus rien à voir avec les' vues de ceS économistes. Dans une large mesure, il s'agit de rendre a ui sur des sciences établies our justifier l'a lication des mathématiques à l'économie, et l'introduction un mode de raI­ Sonnement hypothttÎque, ce qUI à l'époque n'allait nullement de soi. Ajoutons que L. Walras n'a jamais adhéré à une conception substan­ tielle de la valeur comme le montre sa correspondance avec P. Geddes (Martinez-Allier 1987, p. 8 et p. 90), même s'il s'est parfois senti proche des vues des «énergétistes» (et notamment de E. Solvay - voir W. Jaffe 1965, lettre 1295) dans la volonté de réforme «rationnelle» de la société. Cependant, d'un autre côté, il serait dangereux de mésestimer la portée de l'analogie dans la constitution de l'économique néo-classique. On peut en effet se demander à quoi riment les correspondances systématiques établies par l'intennédiaire de tableaux entre concepts ( 7 ~ 64 " M. '~LOGIE fORMELLE ET'ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RENAULT'.": , ' 65 i,p,\~steriori physiques et concepts éCOnOmiqUeS,' On retrouve celles-ci de façon ':" ',"",. , malgré des préoccupations mécanistes largement partagées \ récurrente, alors même que les concepts mis en relation d'identité n. ' "", hl'époque). De son côté, W.S. Jevons se trouv: dans une situation large~ent \ s?nt gas d~ même nature et que la validit.é de. ces correspondanc~8 n est lamaiS Justifiée. 11 ne peut plus s'agir uniquement d'analogies ',,: aiJaloaue à celle de L. Walras en ce qUI concerne son ouvrage majeur, discurs~v~s à but didactique. ';"ais bien d'.analog.ies au sens propre ayant 1:'La tlitorie de l' économie ~olitique. La principale image ~tilisée pour leur ongme dans une similitude formelle qUI peut tendre à devenir ! ' illustrer l'éqUilibre économique est celle de la balance que 1 on retrouve substantielle. Il faut également noter que des erreurs relevant soit \ chez Walras, il s'agit donc là encore d'une analogie avec la mécanique d'une méconnaissance de la physique soit d'une mauvaise définition i classique. Cependant, dans un autre ouvrage, Tlle principles of science, des notions émaillent ces tableaux. Ce type de correspondances termes ' W.S. Jevons révèle une grande familiarité avec la physique du XIX· et en à ~ernl:s tend ,~ identi~er l'économique à la méc.anique et ~eut, de ce particulier ~vec les travau.x de J.C. Maxwell et ceux de W. Thomson fait, onenter 1 eCOnOmlqUe vers la recherche toujours plus etendue de .(Lord Kelvm) et P.O. Tait. A travers cet ouvrage deux éléments se dégagent: correspondances en indiquant les étapes suivantes de la démarche (par exemple la recherche de l'analogue d'un principe de conservation de ' _ une conception unitaire de la nature; l'énergie par V. Pareto puis par L. Amoroso). _ une volonté de ,transposition d'éléments de la physique aux sciences humaines. Pour en revenir à L. Walras, la principale apparition de la notion En ce qui concerne le premier élément, W.S. Jevons écrivait: ------"" d'énergie se trouve dans son mémoire «Economique et mécanique» ! :tw;k (repris dans Walras 1987, p. 334) dans lequel il Identifie l'équation d'utilité maxima avec l'équation d'énergie maxima de la mécanique (dans le cas de l'équilibre de la balance romaine). Cette identification repose sur l'identité formelle des équations de l'équilibre entre méca­ nique et économique. En ce qui concerne l'interprétation énergétique, elle pose problème puisqu'en mécanique, c'est la position de mini­ mum qui est privilégiée dans le cas de l'équilibre (Lotka 1956, p. 157). De plus, l'indifférenciation fonnelle des positions de minimum et de maximum n'est pas exclusive de différences qualitatives; si maximiser ou minimiser représente une même opération, un minimum n'est pas équivalent à un maximum. La correspondance de L. Walras avec P. Boninsegni et H. Laurent révèle que de nombreux problèmes se sont posés dans l'établissement de ces correspondances, notamment en ce qui concerne des problèmes d'intégration (voir P. Mirowski 1989). On '\ trouve également dans la correspondance de L. Walras une lettre de L. Perozzo lui faisant part du formalisme de Hamilton-Poisson-Jacobi pour traiter les problèmes de dynamique économique en se basant sur les travaux de O.B. Antonelli (W Jaffe 1965, lettre 962, février 1890). Dans le cas préserité par L. Perozzo, les équations du marché exprimées «en dérivée des objets que l' 011 l'eut vendre» forment un système ja­ cobien. Selon L. Perozzo, J'économie mathématique «doit rechercher» une complète similitude avec le formalisme hamiltonien. L. Walras ne semble toutefois pas avoir donné suite à ces remarques et l'influence de la physique des champs et de l'énergie sur sa construction théori­ que est presque nulle (de plus, les analogies semblent avoir été établies II "Life seems to be notiling but a special form of energy wllicll is manifested in lieat and electricity and mecllanical force. Tlle time may come. it almost seems. wllen tlle tender mec/wnism of tlle braill will be traced out, and el'ery tllol/gllt reduced to a determinare weigllt of nitrogen and pllOspllorus. No apparent limit exists ra the Sl/ccess of scientific method in weigllillg and measuring, and reducing beneatll tlle sway of law. tlie pllellomena botll of marrer and milld" (W.S. Jevons 1958, p. 735-736). Il établissait de cette façon une analogie substantielle entre les phénomènes de la vie et les phénomènes physiques, les uns et les autres étant censés être réductibles à des interactions d'énergie. Une science de la vie purement phénoménologique serait donc possible. W.S. Je­ vons a ainsi subi l'influence de Herbert Spencer et de sa conception évolutionniste reliée à celle de C. Darwin : "1 question wlletller any sciemific works whicll /lCIve appeared since tlle principia of Newton are comparable in importance witll tl/Ose of Darwin and Spencel; revolu­ tiolling as tlley do ail our l'iews of tlle origin of bodi/y, mental. II/oral and social pllenomena" (W.S. Jevons 1958, p. 762). Ces deux exem­ ples montrent l'existence d'une tendance scientiste et réductionniste liée au concept d'énergie conçu comme le fondement d'un système d'interprétation global. Ces tendances se retrouvent dans une certaine mesure chez L. Walras dans l'«esquisse d'une doctrine économique et sociale» qui clôt les Etudes d'économie appliquée. Sully Prudhomme lui fera remarquer que ces affirmations relèvent d'une conception méta­ 66 M. physique à travers la définition d'universaux (W. Jaffe 1965, lettre 1342 mars 1898). W.S. Jevons a également signalé que, dans l'évolution de; organismes, on observe la production de formes complexes organisées gouvernées par des principes géométriques en terme d'extremum (7): Dans un ouvrage posthume, The principles of economics, W.S. Jevons écrivait que. d'après les principes de conservation de ['énergie et de la matière, ni l'énergie ni la matière ne peuvent être créées ou détruites: tout changement n'est qu'une apparence (Mirowski 1989, p. 289). De cette façon, on ne peut réellement créer de richesses mais seulement des utilités. On peut donc déjà se demander si en filigrane de celle réflexion ne se trouve pas une conception substantielle de la valeur et la recherche d'un standard absolu, cela n'étant cependant qu'une conjecture (le pas sera explicitement franchi par L. Winiarski). 2) La «théorie des dimensions" et la transposition d'éléments de la physique en économie W.S. Jevons s'est intéressé à la transposition de la «111éorie des dimen'~ions ", exprimée par J.c. Maxwell et issue des travaux de Fourier sur la chaleur (1822). Selon Jevons, les progrès récents des sciences montrent qu'il est nécessaire de faire usage de notations «dans le bw d' e.\primer d'une manière claire les natures et les relations des di l'erses espèces de quantités en jeu" (WS. Jevons 1909, p. 124). Ainsi, il existe des dimensions positives telles que la longueur L, les dimensions de surface LL ou L 2 et des dimensions négatives qui sont obtenues por division, par exemple les dimensions de la vitesse qui sont obtenues en divisant une longueur par un temps, soit LT-l, la dimension du travail étant par exemple AlUT- 2 • Un des apports de la thel1l10dynamique a consisté à montrer que les masses ou les f1u.ides inobservables, insensibles, pouvaient être liés rigoureusement par des mesures quantitatives aux phénomènes dynamiques observables à la suite de la découverte du principe de l'équivalence du travail et de la chaleur (Hammamdjian 1980, p. 189­ 190). Le problème de J.c. Maxwell était de décrire les phénomènes (7) i~LOGIE FORMELLE ET 'ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RENAULT Cc qui pourrait se rauacher à la conception des champs en terme de lieux de formes. Il faut également rappeler que Jevons a commencé par s'intéresser à la logique et notamment au système de Boole. Pour C. Schmidt, le ((programme de Jevons)! sc situe à l'intersection de deux courants d'idées: «La définirioll du domaine des plaisirs et des peines comme champs d'il/vestigatioll sc trO/ll'C dirertemem reprise de J, Bemham, qui Cil m'oit emrepris l'illl'estigatiolJ 011 débm dit X1X e siècle. Quant au modèle de calcltl, il regroupe les recherches effectuées par Jel'o1/s SU" les fondementS logiques du calcul arithmétique" (Schmidt 1985, p. 68). 67 ~.( &ant été identifiés comme relevant de l'électromagnétisme et de ;'~'iriontrer «comment on peut les soumettre à la mesure et (de) rechercher '~'{Ïës relations mathémaliques qui existent entre les quantités mesurées» ;"fcJ.c. Maxwell 1885, p. IX). C'est dans ce but qu'il faut définir -")'précisément les dimensions des unités de mesure. ik I.C. Maxwell s'est servi de celte «théorie des dimensions» pour jus­ Utifier le transfert analogique entre domaines de la physique (par exemple 'entre la mécanique et l'électromagnétisme) en posant le principe que deux concepts sont analogues s' ils ont les mêmes dimènsions (8), Par exemple, le produit d'une force généralisée par un déplacement généra­ 'lisé doit avoir la dimension d'un travail mais chacun des termes méta­ phoriques (Hammamdjian 1980) pris séparément ne doit pas forcément avoir la dimension d'une force pour l'un, d'un déplacement pour l'au­ , Ire. Jevons indiquera que les quantités dont traite l'économique sont le "plaisir et l'effort et <<llOtre lâche la plus difficile sera d'exprimer correctement leurs dimensions» (W.S. Jevons 1909, p. 332). Pour lui, la 'seule dimension appartenant en propre à la sensation est l'intensité. Elle représente «/' état instantané causé par une quantité élémentaire ou in­ finitésimale du produit consommé», L'intensité d'iè sensation est un autre nom du degré d'utilité (on voit alors s'opérer le déplacement métapho­ rique au sens de Maxwell) qui représente «/' effet fal'oraiJ/e produit sur le COlpS humain par la consommation d'un produit, c'est-cl-dire d'une quantité élémentaire ou injinirésimale de ce produit». Celte dimension peut être désignée par U. Selon Jevons, pour jouir d'une «condition de grand plaisin>, une personne doit avoir besoin d'une certaine quan­ tité de produit et doit en être bien approvisionnée. Cet approvisionne­ , . ment est représenté par le taux d'approvisionnement (nous sommes en . données instantanées, on parle donc de vitesses). On doit donc multi­ plier U par MT- 1 et UMT-l doit être interprété comme "la quantité de produil donnant un certain montant de plaisir par unité de temps». Pour obtenir les dimensions de l'utilité, on dbit multiplier UMT- 1 par T, ce qui se réduit à MU; cela reviendrait à obtenir une surface à partir d'unités n'ayant pas la dimension de longueurs. o (8) J.C. Maxwell écrivait: ({La caractéristique d'ull nai s)'stème scientifique de métaphores est qIle chaque terme dalls SOli sells métaphorique retiellt tolites les , relations/ormel/es arec les alitres termes qll' il omit da1/s SOli sens origillal. La méthode \ - es~ alors scientifique - c'est-à-di,.e qu'el/e est 1/011 sC/Ilemellf ml produit légitime de la 1 SCIence, mais ((II' elle est capable d'engendrer de la science à son toun. "The scienlific '; papersof J.C. MaxwCfr cile par ammamdjian 1980 p. . n peu! alors comprendre , comment l'analogie tend à orienter un programme de recherche par identificalions , successives de relations fonnelles à partir de correspondances initiales. 68 M. RENAULT'" , lE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE 69 A partir de ce type de considérations, il est facile d'effectuer un ,'ièrvoi; de moulin ou d'un pont suspendu), c'est la réalisation des transfertanalogi.qu~ d'un domaine dans l'autre et l'utilité marginale~p,J~i~io.ns q~i minimisent le'p0t~~tiel» (1. Fis~er 191:,' p. 10~). Ceci sera souvent asslml.lée.à la force: On ~otera cepe?dant que la nO~ation-;'J,~ralt IdentIque au cas ?e .1. éqUlhb.re économIque qUI s.e réahse pour r de Jevons est amblgue car la dimenSIOn 111 déSIgnant la quantité de .1:; l'arrangement donnant 1 utlhté maxImum. Le cadre de raIsonnement de biens est identique à celle désignant la masse en mécanique; on peut . {Fisher est donc constitué par une analogie formelle avec la physigue alors se demander si masse et quantité économique sont de même des champs et de l'énergie (il faut rappeler que ce fut J.W. Gibbs qui nature. L'homogénéité dés concepts est difficile à vérifier et repose Sur lé fit s'mtéresser à l'économie). Les analogies établies par 1. Fisher se \ 1 un postulat de dépan : l'assimilation de l'utilité marginale à la force. 1 trouvent rassemblées dans le chapitre III de la partie II des Recherches U En fait, il semble souvent que ces réflexions amènent à poser la i intitulé «Analogies mécaniques». L'équilibre est réalisé quand il y a compensation entre utilité et désutilité et cela correspondrait exactepossibilité de mesurabilité de l'utilité selon des unités physiques et une hésitation est perceptible entre une unité méthodologique des sciences ment selon Fisher au cas de la physique pour laquelle, à l'équilibre, la et une unité substantielle (mais alors comment exprimer l'utilité à panir compensation des forces implique la réalisation d'un maximum d'éner­ des unités de longueur, de masse et de temps ?). gie, l'énergie étant alors égale au produit de la force par l'espace, de ' même quele bénéfice est le roduit de l'utilité mar inale ar la uan­ Ajoutons que des considérations similaires se retrouvent chez lV\dv Q v 1. Fisher' : pour lui, les mathématiques offrent un camp considérable tité de bien. Cette identification directe est mala rolte : en effet c'est ud "'" d'investigations pour la Ihéorie pure et permettent de faire la distinction le travail effectué au cours d'un déplacement qui est égal à la force '1 entr~ ~n grix élevé e.t un prix s'é.leva~t, ce qui es~ aussi important que multipli.éeyar I:espac~, même ~i le trav~il t~tal peut s'exprimer comme la dlstmctlon entre vItesse et accelératlon en phYSique. Les mathématiune vanatlon d énergIe potentIelle ou cmétlque (91. ques aident aussi à rendre claires les dimensions des grandeurs traitées: . La notion de"potentiel est également employée de façon analogique "Thus Ihe quall1il)' of \\'heal, ils price, and ils l'aille are Ihree magni· par V. Pareto. Cela ne va pas sans poser de problèmes, notamment en ludes as IInlike ill dimensionalil)' as lime, relocil)' and dislance. The ce qui concerne l'intégration de certaines fonctions lorsqu'on considère raIe of inleresllws Ihe simplesl dimensionalily, being precisely like 011plus de deux biens. Dans le Cours d'économie politique (1964), Pareto gular velocity in physics, of dimension T- I " (1. Fisher 1941, p. 190). ~onsidère le cas d'un équilibre dynamique de la société. Dans ce 1. Fisher s'est lui aussi attaché à mettre en correspondances concepts (9) Par exemple si une force F agissant sur une particule lui confère un déplacement physiques et concepts économiques, son parcours l'ayant conduit d'une dr le travail es! alors défini par: science à l'autre. On trouve alors une analogie formelle largement dW=F·dr présente en économie: l'identification de la fonction d'utilité totale à un potentiel. Le travail total effectué par un champ de force F déplaçant une particule d'un point Pt à un point Pz le long d'une courbe C est donné par l'intégrale: 3) J. Fisher, V. Pareto et la notion de potentiel W= Dans ses Recherches malhémaliques, sur la Ihéoi"ie de la l'Gleur et des prix, 1. Fisher introduit la notion de potentiel lorsqu'il examine le point de tangence entre une droite de budget et une ligne d'indifférence donnant le maximum de satisfaction (1. Fisher 1917, p. 109) et déter­ minant une position d'équilibre pour le consommateur. Selon lui, on obtient l'équilibre du consommateur pour deux biens Il et B lorsque les prix et les quantités des autres articles restent inchangés et ce cas est comparable à un savant cherchant à étudier l'équilibre d'un pendule en limitant le mouvement à un seul plan: «Le principe sur lequel repose l'équilibre d' 1111 pendille 011 1111 éqllilibre mécaniqlle (comme ceilli d' 11/1 r Je r Jpl P2 F.dr= F.dr de plus le travail total effectué dans le déplacement est donné par: W= 1 1 SI· on noie: T, = ~ VI2 (énergie cinétique à P,) T2 = 1 2 vi 2 2 F·dr= - m(V2 -VI) G 2 , (énergie cinétique à Pz) alors: IV = T 2 - T, (Spiegel 1967. p. 34-36) S"ç, p-,. /l.vo4p ­ 7-1­ (. 70 ;.' " 1 M:RENAUL1Ü' cas, l'ophélimité totale, quand elle existe, correspond à la fonction des forces en mécanique, c'est-à-dire une fonction dont les dérivées partielles il>a, il>b, <1>" ... représentent les forces qui sollicitent le point matériel. Selon V. Pareto, si l'on indique par L une somme qui s'étend à tout le système de points matériels ou d'individus et qu'on pose: J = il> la fonction des forces est -J et J représente "ce qu'oll appelle dans la théorie'mécanique de la chaleur l'énergie potentielle» (V. Pareto 1964, tome l, p. ID). Rappelons qu'en mécanique on L '1 -.JO' ~'I distingue entre l'énergie cinétique (~mV2) et l'énergie potentielle qui est la fonction des forces (ou le potentiel) changé(e) de signe. L'analogue économique du potentiel serait donc l'ophélimité totale. En physique une fonction des forces est une fonction qui s'écrit: U {f~) J..; U= J F(U),dU 1.-- li- - '1-,­ dont les dérivées partielles 6Uj6x, 6Uj6y, 6Uj6z sont égales aux composantes de la force appliquée aux points (x,y, z), coordonnées prises par rapport aux trois axes de At qui est un point,matériel. En économie l'analogue estl'ophélimité totale qui s'écrit: <1>(q) = j<p(q) dq <p(q) = utilité marginale De plus, si on suppose qu'il existe une fonction scalaire V telle que F = -'V V, alors on peut montrer qu'un champ de force Fest conservalif si et seulement si il existe un champ scalaire continûmeat différentiable tel que : F = - 'VV ou de façon équivalente si et seulement si : v F = curl F = 0 (M.R. Spiegel 1967 p. 35). Ainsi un champ de force continûment différentiable Fest conservatif si et seulement si pour toute courbe close sans intersection e: fa F· d,' = 0, c'est-à-dire que le travail total effectué en déplaçant une particule selon une courbe fermée est nul. Ces éléments se retrouvent chez Fisher et il est permis de s'interroger à ce propos sur le statut de l'analogie hydraulique chez ce dernier. En effet, il faut rappeler que l'origine de la notion de fonction de force provient de l'hydrodynamique. C'est Clairault qui introdUISit cette notion en établissant que l'équilibre d'un liquide n'est en général possible que lorsque ce liquide est soumis, en chaque point, à des forceS qui peuvent être expriméès par les dérivées partielles d'une même fonction généralisée U des cordonQ~u..j~pint (E. Mach 1904, p. 3771. ',;LooIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE 71 1tt ",zjôsi, chez I.e. Maxwell, comme deux variables dans deux domaines ~yant les mêmes dimensions sont analogues, on peut leUr appliquer le :~1nême cadre interprétatif: l'électricité est ainsi «analogue» à l'eau dans '!"Ia' théorie hydrodynamique. On peut alors se demander si la maquette 1 ?2~iJstruite par I. Fisher pour représenter le fonctionnement d'un système j"économique à partir d'un système de vases communicants constitue un simple modèle pédagogique ou si elle est la conséquence d'une démarche analogique transitant par les fonnalismes de la physique 1 1 des champs. La réponse n'est pas claire mais il faut rappeler que : la métaphore des vases cominunicants ou celle de la surface d'un lac se retrouve chez L. Walras, V. Pareto, A. Marshall, lB. Clark, L. Amoroso... (10). I. Fisher note dans ses Recherches que l'expression: VUI = F(I) traduit l'existence d'une ligne de niveau relative à un ni,veau d'utilité (1917, p. 125). On peut ainsi considérer des surfaces de niveau voisines du type U = e, U = e + de, U = C + 2dC... Le déplacement sul' celte surface n'exige aucun travail (ou plutôt on dëvrait dire que le travail est nul), ce qui est le cas en économie pour les lignes d'indifférences (la métaphore topographique des lignes de niveau est bien connue). En mécanique, l'ensemble des points pour lesquels U a même valeur (U = constante) est appelé une surface de niveau. On obtient également l'assimilation de la force à l'utilité marginale par le biais de celte analogie. . Le problème qui se pose alors est celui de l'existence d'une telle fonction U et V. Pareto l'avait bien perçu. En effet, dans le Ma­ nuel d'éco/1omie politique, il note que, s'il est possible de montrer que 1'0phélimité totale est une différentielle exacte, elle pourra être identifiée avec la fonction potentiel de l'énergétique (V. Pareto 1963, ~;,556). L'équilibre pourrait alors être conlll1e u/1ea/1/1ulatio/1 de po­ tentiel. En effet, dans un champ conservatif avec un potentiel U, une condition nécessaire et suffisante pour qu'une particule soit en équilibre ~st que: 'VV =0 soit: Wj6x = 6Uj6y = 6Uj6z = 0 V. Pareto n'ira cependant pas jusque-là, car selon lui rien ne per­ met de penser que l'on puisse trouver une fonction d'ophélimité to­ tale et qu'elle soit une différentielle exacte. En économie, l'analo­ gue de la fonction potentiel est donné par une fonction U (U = (0) Pour J. Grinevald : «L'Europe est mie cÎl'ilisa(ioll de l'eau jusqu'à la révollllioli comorienne( ...). Bien plus, la philosophie mécaniste ail sein de laqllelle se CO/lstitua la s.ciellce :moderne est colllemporaine el élroitemellt liée à l'ingénierie hydraulique» (Gnnevald 1976, p. 74. Voir aussi M. Renault 1991, p. 34 et suivantes) , 72 . '- ..i . M~ RENAUt/" U(XI, X2, xa, .. , ,xn » représentant l'utilité totale pour un individu pro. curée par la consommation de n biens en quantités x" X2, Xa,. ", x . Si on écrit la différentielle de U en termes des utilités marginales, o~ obtient de façon usuelle: dU = U,dx, + U2dx2 + ... + Undx" Ui =6U/6x i L'utilité tOlale peut être alors définie par l'intégrale: U= fa U,dx, + U2dx 2 + ... + U"dx n C étant un chemin dans l'espace des biens entre une position initiale A et une seconde position B (H.T. Davis 1941, p. 78). Rien n'assure ue tout chemin entre A et B donne une valeur unique à U. Les questions soulevées par la présentation de l'utilité comme une intégrale furent posées par V. Pareto (Mirowski 1988 et Davis 1941) à la suite des remarques faites par Vito Volterra (Chipman, Hurwicz, Richter, Sonnensheh, 1971, p. 370-385). Dans le Manuel V. Pareto considère en effet de~ «cycles clos» et des «cycles ouverts» : - si on considère un chemin suivi par un consommateur qui, partant d'un point x, Y,·,·, t, fait retour à ce point, on dira qu'on parcourt un cycle fermé; - si on revient à ce point avec le même indice d'ophélimité que celui avec lequel on était parti, il y a indifférence dans l'ordre de consommation; - on dira qu'on parcourt un c cie ouven si on revient au point de départ a~ec un indice d'ophélimité 1 erent e celui avec lequel on était parti. Ce cas correspond à celui dans lequel l'ordre des consommations influe sur le plaisir qu'elles procurent (V. Pareto 1963, p. 555). ~ Un retrouve donc le problème de mécanique qui correspondait au travail effectué en parcourant un chemin clos, si le travail est indépendal1t du chemin parcouru C (path independency), alors le champ de force est dit conservatif. Il faut pour cela que l'intégrale: fa F·dr=O ou encore selon les notations économiques usuelles: Jer U,dx, + U2dx2 + .. ,+ Undx n =0 ~~: ,LOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE . 73 l~;' ,dilr que la différentielle : :~ llP dU = U,dx, + U2dx 2 + ... + ,.. + Undx" i~oit une différentielle exacte il faut que : ,:.;:.< Wil6ec; - 6U;/6xi =0 i,j = 1,2, ... , n Le problème est formellemel1t analogue cl la détermination d'un «champ d'utilité» consen'atif, dans les'mêmes termes que ceux posés par I. Fisher. Dans ce cas, en effet, on définit une ,digne de niveau» du type: \IV = F(I). Comme le signale justement P. Mirowski, celle considération provient d'une analogie avec la mécanique: "/n a closed cycle tlle initial and final states of a system are independel1t of path ; in mecllGllics this is isomorphic to a statemel1t of the cOllsen'ation 'of eJiergy. Olle recognizes that a mechallical system can be brought aroulld a closed cycle by thefact that the expression.' J Fxdx+Fydy+ F,dz ... is imegrable and is on exact differential (. ..)" (Mirowski 1988, p. 36). Ces problèmes d'intégration se posent avant tout lorsque l'on a plus de deux biens. Ainsi, la tentative de V. Pareto pour preoore en compte des cycles ouverts dans le cas de deux biens, pour montrer que l'on peut malgré tout trouver les valeurs des ophélimités élémentaires par intégration, n'a pas une grande signification (Chipman ... 1971, p. 370-385). r En résumé, à travers ces exemples, il serait hasardeux d'affirmer que la théorie a été une simple transposition terme à terme de la J mécanique et il semble gue pour L. Walras et W.S. Jevons l'analogie ~it eu avant tout un usage méthodologigue. Cependant, la récurrence (J'identificatiolls a pu elltraÎller /Ill certaill Ilombre de déril'es el la mécanique peut alors paraÎlre comme ayant stmcturé le programme de recherche des économistes, le cas de V. Pareto et de I. Fisher est à cet égard beaucoup plus ambigu. C'est le cas par exemple en ce qui COncerne la recherche d'un principe de conservation de l'énergie en économie. D'autre part la similitude des formalismes, qui ne signifie rien tant que l'on ne nomme pas les variables et les fonctions en cause, peut tendre vers une identification substantielle, n'est-ce pas le cas lorsque H.T. Davis déclare que ; "The direct measuremel1l of uti/ity llowever, is admiledly a very difftcult mattel: There is some illdiCaliOIl, lIevel'/lleless, tlIat fUl'/her developmem fil tiie field of biochemistry ma)' . t~lI'ow COllsiderable light 011 Ihe malter (...)" (Davis 194 l, p. 76)? Ainsi, SI I~ statut de la maximisation de·l'utilité a subi une transformation radicale en Jlassant d'une hypothèse empirique sur des motifs de \ 74 , M R' • " d ENAULT+ choix économiques à une sim le théorie formelle de la cohérence des choix (Meidinger 1983, p. 17- ), i! demeure cepen ant un certain nombre d'ambiguïtés chez les initiateurs de cette théorie. Le cas de la transposition du principe de moindre action nous semble démonstratif. III. LE PRINCIPE DE MOINDRE ACTION DE LA PHYSIQUE À L'ÉCONOMIQUE: DES ANALOGIES FORMELLES AUX ANALOGIES SUBSTANTIELLES Avant le principe de l'entropie, le principe de moindre action a constitué un des principes les plus métaphysiques de la physique. Il est en partie lié à la formulation du principe de conservation de l'énergie. Une interprétation anthropomorphique de formalismes a permis son transfert dans le domaine des sciences humaines. Ce principe est fomlellement connexe à la minimisation d'un potentiel et plus généralement il est lié aux principes de maximum/minimum. 1) Origine et développement du principe en physique (rappels) L'origine du principe de moindre action en tant que principe phy­ sique remonte aux travaux d'optique effectués par Maupertuis et présentés dans un mémoire en 1744 (\1). Dans ce mémoire, Maupertuis exposait ulle nouvelle interprétation du phénomène de la réfraction de la lumière. en critiquant le principe du moindre temps de Fermat qui affirmait que la lumière lorsqu'elle traverse différents milieux passe par le chemin le plus rapide. Maupertuis proposa de considérer que le chemin suivi par la lumière est celui pour lequel la quantité d'action est moindre (voir P. Brunet, 1938); l'action étant définie comme le produit de la masse du corps par la vitesse et l'espace parcouru. En fait, ce principe est issu de la phYSIque d'Aristote et il s'apparente à un principe d'économie de la nature (parcimonie), démontrant sa rationa­ lité. Il a pu être formulé sous la forme: «Dieu et la nature ne font rien inutilement». Ce principe, inhérent à la vision mécaniste du monde, in­ troduit en physique des considérations téléologiques, des causes finales (Il) Cc principe avait été rOTmul~ auparavant par le (%5-1039) (H.J. Wimcr 1952. p. 72-73) savalll 'M-OGIJ' fORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE ,­ ",,- I:J /IX: _Ir. rapport aux causes efficientes (Rosmordue 1985, p. 39-110, Thui!­ I~r' 1991, p. 547). Il constitue également une première approche des :iirincipes conserl'arifs de la mécanique.et il s'applique aux cas d'équ!­ et d.e chocs des corps. En ce qU!. concerne le choc, MaupertuIs 111rremarquaJt que la somme des forces vIves (mv ou mv2) se conserve 'i';"dprès le choc mais uniquement dans le cas où les corps sont élastiques, ;.ce qui sera généralisé par le principe de conservation de l'énergie. ·c',.,;. Au plan épistémologique, le principe de moindre action permet de prendre en compte l'équilibre sous foni1e d'un principe de maximum­ minimum, ce qui est d'une très grande importance notamment en science économique (voir P.A. Samuelson 1972) (12) et a contribué à la généralité du principe. Au-delà de cet aspect formel, il faut rappeler aussi que le propos de Maupertuis était cosmologique et voué à ].'universalité. 11 en voyait la manifestation aussi bien dans le mouvement des animaux, la végétation des plantes ou la révolution des astres. Il était censé refléter la rationalité de la nature et la sagesse du créateur dont la finalité est l'économie et la conservation de la création. Pour d'Alembert, le principe de Maupertuis est plus qu'un principe vague qui indiquerait la route la plus facile: il représellle une expression permettant de~. calculs rigoureux et reflète parfaitement la simplicité de la nature. Léibniz fut le véritable introducteur d'une rationalité économique de la nature en affirmant qu'il y a toujours dans les choses un principe de détermination qui doit être tiré d'un maximum ou d'un minimum, en sorte que le maximum d'effet soit obtenu avec le minimum de dépense (Séris 1987). Ce principe a revêtu une grande importance en mécanique dans l'étude des machines et en particulier dans les phénomènes liés à la communication de la force, aux déchets et au rendement (L. Carnot en fera le principe de base de sa mécanique). Ajoutons qu'avec le développement de la physique le principe ·a tendu à se débarrasser de toute considération métaphysique en termes de causes finales. J.-L. Lagrange développa le principe en le regardant comme '( ml résultat simple et général des lois de la mécanique» (Lagrange 1989, p. 189). En combinant ce principe avec celui des forces vives, on obtient une solution simplifiée des problèmes de mécanique. La formule générale de l'équilibre posée par Lagrange était: Pdp+Qdq+Rdr+ ... = (P,Q,R = forces; p,q,r = directions). A partir de là, on peut supposer que ces forces soient exprimées de façon à ce que la quantité: Pdp+ Qdq + Rd,' +... soit une différentielle exacte d'une fonction de p,q,r que l'on notera <I? telle que l'on ait: dif> = Pdp + Qdq + Rdr + ... On aura à l'équilibre d<I? = 0, ce qui 'W,'Jibre ° aïabc Ibn El Huytham (12) Cc principe sera aussi associé au problème de la slabilité (Samuelson 1983) ~i" ~ALOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE 76 77 R'" montre que «le système doit être disposé de manière à ce que la fonction cf> y soit généralement parlant un maximum ou un minimum» , (Lagrange 1989, p. 36). Hamilton et Jacobi développeront ensuite ce principe à partir du calcul des variations largement utilisé en économie. L'intégrale : / (T + U)dt sera appelée «action hamiltonienne» et le principe hamiltonien de la moindre action exprime que cette action est en général un minimum pour le chemin pris par une particule (T = énergie cinétique pour un chemin de A à B et U = potentiel). Le principe est ici dépourvu de toute connotation métaphysique ou anthropomorphique. Cependant, malgré cela, ce principe reste très lié à la physique aristotélicienne par l'intermédiaire de la notion de forme (détermination des structures en terme d'extrema chez D'Arcy W. Thompson et R. Thom). D'une façon générale, les principes de maximum-minimum sont souvent liés au refus de croire au hasard dans la détermination des formes. Le principe de moindre action a également pu être interprété comme un principe méthodologique d'économie de la pensée par E. Mach (E. Mach 1904) (13). En théorie économique et en sociologie, de nombreuses analogies ont été effectuées entre le principe de moindre action et la rationalité économique. Il a même été identifié à un principe de progrès (voir Ferrière 1915). 2) Rationalité économique et principe de moindre action : analogie formelle ou analogie substantielle? En ce qui concerne la rationalité, à partir du moment où on formule les comportements en terme de maximisation ou de minimisation, on retrouve au point de l'lie formel des énoncés homologues aux e~pressions du principe de moindre action (la similitude des équations de l'équilibre économique avec les équations de Lagrange a déjà été largement soulignée). Il n'y a alors aucune identification substantielle mais simplement une identité analytique. Cependant, une fois encore la frontière entre similitude formelle et analogie substantielle est parfois ténue, nous allons en donner quelques illustrations. Dans un article intitulé «L'inle1prétation mathématique de l'unil'ers économique", L. Amoroso a livré la clef de sa démarche économique. (13) Celle approche l(économique" est également présente chez C.S. Peirce el la notion lcibnizicnne du ,(meilleur») sera en partie reprise,par les économislcs américains à la suite de J. Dewey (voir Renault 1991). Sur les principes de maximum cl la stabilité voir C. Schmidt (1985. p. 156·157) . 11 rappelle qu'en 1834 Hamilton a déduit les équations de la méca­ " . !nique d'un princi e de minimum: le principe de moindre action. Le , . "pro me, selon L. Amoroso, étaIt claIrement de transférer ce principe ( ".dans le domaine économique; la démarche analogique est donc af­ firmée d'emblée. Il essaya ainsi tout d'abord de formuler un principe îY'qui jouerait en économie un rôle analogue à celui de l'inertie (Amoroso .~,' 1924). Ces tentatives Se soldèrent par un échec et il décida de suivre '" une voie inverse lorsqu'il s'aperçut «que la construction d' une tlléo­ rie dynamique des phénomènes économiques apparaît immédiatemelll à l'esprit quand on prend le chemin inverse. En effet je m'aperçus que le principe du moindre moyen (minimo mezzo), qui inspire la conduite de tous les opérateurs économiques, est analogue au principe de la moindre action (minima azione) .. (Amoroso 1962, p. 4). L. Amoroso ne justifie en aucune façon la validité de cette analogie et de ce transfert qui ne saurait se faire directement sans précautions.. Par ailleurs, dans le domaine des sciences humaines, les analogies avec ce principe ont souvent été confuses; l'action physique a ainsi été identifiée au moyen, à la peine, à l'effort... sans que l'homogénéité des concepts ait été précisée. L. Amoroso, lui, a transposé de façon " . complète le formalisme hamiltonien en économie en lui conférant ; 1 dans une certaine mesure une interprétation substantielle. Selon lui, le principe de la conservation de l'énergie peut même s'interpréter de façon marginaliste (Amoroso 1942, p. 162-163) : si dans un processus physique une certaine quantité d'énergie thermique dXI et une certaine quantité dtén~rgie électromagnétique dX 2 se transfonnent complètement en une quantité d'énergie mécanique dZ, le principe de conservation de l'énergie dit que: "k dZ = qldX I + q2 dX 2 ql et q2 représentent les unités respectives de .l'énergie thermique et électromagnétique. Ces équivalents mécaniques peuvent être in­ terprétés, selon L. Amoroso, comme des prix constants (taux d'échange constant entre formes d'énergie) et le second membre de l'équation peut être interprété comme un coût de production. On pourrait alors interpréter la formule comme l'expression d'une équivalence entre la «valeur marginale du produit .. et la «valeur marginale du colÎt de pro­ duction ..o'). Cela signifierait que «dans le processus de transformation d'une énergie en une autre, la nature opère comme opérerait un pro­ ducteur qui. dans un établissemelll économique en régime stationnaire (14) Le modèle de Lcontieff a d'une certaine façon systématisé l'aspect conservatif et atemporel de ('analyse économique (voir O. Godard el J.-M. Salles 1989: p. 1·2) 78 -~ALOGiE j":- M. ~ENAULT est anime du désir de produire avec un rendement maximum» (Amo­ roso 1942, p. 163). L'interprétation du principe de moindre action en . terme de minimisation d'un «coat énergétique» relève d'une anthropo_ morphisation (15) de ce principe qui n'a pas de justification excepté la croyance ultime en une unité de la nature. On risque, de plus, de s'enfer­ mer dans le cadre d'un discours circulaire, très fréquent dans le cas du mode de raisonnement analogique. Pour L. Von Bertalanffy : «L'erreur conceptuelle faite par lIIre interprétation anthropomOiphiste est faciie à découl'ril: Le principe de lIIoilldre acrion et ceux qui en sont proches résultent de ce que, si 1111 système aueint 1111 état d'équilibre, la dérivée devient mt/le .. c'est ce qui impliqlle 'Ille cerraines l'Griables oTTeigllem un extremum, minimum ou maximum . ce Il' est qu.e quand ail donne à ces variables des noms anthropomOiphisTes, efforr, contrainte, travail, etc., qU'lIl1e Téléologie apparente des processus physiques ressort dalls l'actioll physiqlle» (Bertalanffy 1973, p. 74). Ce type d'interprétation est pourtant courant chez un certain nombre d'économistes. Ainsi, pour EY. Edgeworth, l'analogie énergétique s'intègre dans une vision évolutionniste (proche de celle de H. Spencer); il utilise dans Mathematical psychics le calcul des variations afin d'étudier la réalisation d'un maximum de plaisir d'~ns le temps en minimisant les efforts (Edgeworth 1881, p. VIl) : .. By a principle discovered or improl'ed b)' Lagrallge. each pm"tie/e of the IlOwel'er cOlllplex whole is continllal/y sa moving That The aCCllllllllation of ellergy which is constituted by addillg ta each others the energies of the mechanism existing at each instant of time (tee/lllically termed aCTion - t/,e time integral of ellergy) sllOuld be a minimllm. By The discol'ery of Sir William Rowall Hamilton, the subordinaTion of The part ta the wllOle is more IIseflilly e.\pressed, The l'e1ociTy of eacll part is regarded as deril'Gble from the action of The wllOle .. tl,e acTion is connected hy a single, altllOught not an explicit or in general easil)' intelpretable, relation with the given lalV of force" (Edgeworth 1881, p. Il). On retrouve alors l'analogie topographique avec les champs de forces et selon Edgeworth, d'après les principes de Lagrange, la totalité dynamique (<<conserl'ative») peut être analysée «comme 1111 problème (15) ScIon EA. Hayek il s'agit là d'un des obslacJes les plus imponants qu'a renconlrés la science moderne: <1( .. ) L'homme a partout commencé a interpréter les él'é"eme/ils du monde extérieur d'après sa propre image comme s'i1s éraient animés par un esprit semblable ail sien: les sciences de la nature rellcomr8ellt dOliC partolll des explicatiolls obtellues par allalogie al'ec le fOllctionnemem de l'esprit humain. des théories «olllhropomol1J!liquesl) ou ((animistes» recherch"ll1 /Ill dessein intelllionne! et elles étaiell1 satisfaites quand elles)' OI'aielll déco/ll'err la preul'e de la présence d'une Îmelligence ordonnatrice» (Hayek 1986, p. 16- J7). FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE 79 t' 'de maximum .. s'il n'y a pas de gain, il n' y a pas de perte» (Edgeworth ";881, p.12). Il y a donc bien chez Edgeworth, au-delà de la simple rhétorique, une analogie substantielle comme il l'affirme lui-même; en l'~ffet, ?~ns M.ar/le~natical psychics, la comparaison ellfre l' é~lergie et '?1t"/e plalSlr rele\'e dune. «reel!e et 1'0 onde analogIe», le maximum de .(~I plaisir étant associé avec un maximum d' nergle p ysique (Edgeworth ,;" 1881, p.80). Cette comparaison s'appuie en partie sur les travaux de ;?i psycho-physique bien connus de Weber et Fechner. /' 3) Une anologie substantielle: le principe de moindre action et la .. notion de progrès c'. t Une analogie substantielle souvent présente chez les économistes et les sociologues des années 1880-1900 est l'identification du principe de moindre action à un principe de progrès, d'évolution. Ainsi, d'une , façon proche de celle de H. Spencer, EY. Edgeworth a mis en avant le conflit (concurrence) comme un moyen d'obtenir un accroissement de rendement considéré comme une expression rationnelle du progrès éco­ nOmique (Groenewegen 1990, p. 32); cela de la même façon qu'une tra­ . jectoire est déterminée, entre toutes celles possibles, par le principe de moindre action. On considère alors le principe d'un point de vue téléo­ logique. Dans ce cas, le principe de moindre action devient un principe goul'ernant f' é\'ollition des sociétés. Il est associé à la maximisation du plaisir (connexion plaisir-utilité) (\6). "Capacity for pleasure is a pro­ perty of e\'Olwion, an essellliai alfribllte of ci\'i1isation" (Edgeworth 1881, p. 77). Cette «physique sociale» implique des différenciations entre individus selon leur capacité au meilleur rendement, non seule­ ment productif mais également en ce qui concerne le plaisir. Le jeu de la lutte pour la vie devrait être encouragé, car il permettrait le progrès de la société tout entière. Il faut rappeler que ce type de réflexion, trait commun de toutes les «énergétiques sociales », n'a pas que des conséquences sémantiques et que les «théoriciens» du nazisme et pl us généralement de l'eugénisme ont pu s'inspirer de ces thèses (A.L. Cot 1989) (17). Par exemple, chez L. Winiarski, les différences entre races sont assimilées à des différences de potentiel qui permettent le mou­ vement dans le système, l'homogénéisation est assimilée à l'action du (16) Celle connexion plaisir-utililé provient d'une approche uÙlitariste de l'évolution. Pour H. Spencer: "Les douleurs SOllt lIécessairemellt corrrJatires il des actiolls mtisiIJ/es pO/lr l'organisme, raI/dis qlle les plaisirs sollt con-é/atlls à des actiolls cO/lrrilmQIIl au bien·êrrel> (H. Spencer 1901, p. 67 ·68). (l7) 1. Fisher a fait partic du courant eugéniste aux Elut,s-Unis. Sur les d;1ngers de l'ingénielic sociale, voir F.A. Hayek (1986). 80 " M, ,.J, iÂLOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RENAULT second principe de la thennodynamique (Winiarski 1967, p. 182). Chez ;Winiarski comme chez Edgeworth, le conflit dans l'évolution, suivant la connexion plaisir-utilité, est perçu comme un moyen de triompher du second principe de la thennodynamique (Edgeworth 1881, p. 80). Ce fait a été reconnu, mais selon un tout autre système de pensée, par A.A. Cournot, H. Bergson, A.J. Lotka... Par l'intermédiaire du prin, cipe de moindre action, la notion de progrès était censée s'abstraire de tout jugement subjectif et pouvait devenir le «fondement de la science sociale» (Winiarski 1903)! L'économiste Y. Guyot a ainsi pu écrire dans son Economie de l'effort: «Qu'est-ce que le progrès? C'est la loi du moindre effort (...) et tolIIe l'histoire de l'inl'elltion hllmaine obéit à cette loi: l' I/Omme cherche la moindre résistance; plus il est ingénie/LI', plus il cherche à diminuer son effort. (...) Nous l'o)'ons se réaliser par conséquent, dans tonte l'histoire de l'inl'ention, la ten­ dance pe/pétnelle de l'homme à rechercher les moyens d'exercer un moindre effort pour obtenir des utilités égales» (Guyot 1896, p. 32-33 et A. Ferrière p. 246-260). De même, L. Winiarski affinne que «(, ..) en vertu du principe suprême de la mécanique, les agrégats sociaux ten­ dent.·ers le maximum de leur rendemelll (. .. )>> (Winiarski 1967, p. 255). Le principe fondamental (<<productil'isme») de l'énergétique sociale de E. Solvay a repris des considérations similaires (Solvay 1904). On rappellera que le problème qui se pose alors est de savoir de quel rendement on pmle : rendement énergétique ou rendement éco­ nomique (productIOn par homme par heure, par exemple)? Dans le premier cas, il est facile de voir que le «progrès» ou du moins l'évo­ lution sociale observée ne va pas dans ce sens. Comme l'a souligné N. Georgescu-Roegen, la maximisation du rendement énergétique impli­ que une lenteur infinie, or on consta,te de façon générale un accroisse­ ment des vitesses. Il y a donc plutôt une tendance évolutive allant dans le sens d'une'dégradation croissante de l'énergie, ce qu'avait montré AJ. Lotka. Cette idée est pourtant largement répandue dans la so­ ciologie de l'époque (voir par exemple L.E Ward 1906) et l'analogie établie sans précautions et de façon substantielle entre des phénomènes de nature différente ne peut conduire qu'à des impasses scientifiques. L'un des seuls mérites de l'analogie énergétique aura peut-être été de faire prendre conscience de l'importance du temps, de la dynamique pour la théorie économique, sans que cela débouche sur un traitement approprié. L'identification substantielle de l'économique à l'énergétique a, en outre, pu s'inscrire dans le cadre d'une interprétation cosmologique postulant l'identité fondamentale des phénomènes du monde physique 81 i: t'dU monde de la vie 'autour du concept d'énergie. Des «énergétiques 'sociales» ont ainsi pu se développer à la marge en suivant une démarche 'lYpiquement scientiste et réductionniste. 'r~ '~."..~," :~W':) 1:: :;!~': ;~r 4/ IV. UNE DÉRIVE DE L'ANALOGIE : L'ÉNERGÉTIQUE SOCIALE ET LES INTERPRÉTATIONS MÉTAPHYSIQUES DE LA PHYSIQUE r.::, Avec la diffusion de versions «vulgarisées» de l'énergétique, notam­ 'B'ment par l'intennédiaire de Herbert Spencer, le passage des analogies ',f; fonnell es aux analogies substantielles devient très clair et les travaux 'C" de celtains économistes sujets à caution. L'exemple de EY. Edgeworth " est significatif du passage à un système d'interprétation global et l'ana­ logie devient substantielle et presque caricaturale chez L. Amoroso et L. Winiarski. \ ­ 1) Edgeworth et le «champ de concurrence» 1 L'approche de EY. Edgeworth se réfère selon l'auteur à deux , 1 \, i ,1 fondements physiques principaux: _ la théorie des forces naturelles et de l'énergie; , _ le calcul des variations initié par Hamilton. L'énergie constitue une notion centrale et «l'énergie maximum» est l'objet principal d'investigation des Marllematica/ psycllics (Edgeworth 1881, p." 9). Il introduit dans cet ouvrage la notion de «c!lamp de concurrence» qui regroupe les individus prêts à contracter ou à recon­ tracter. La métaphore hydrodynamique occupe là encore une grande place par référence aux travaux de Thomson et Tait (Edgeworth 1881, p. 5). Ainsi, on retrouve en économie le caractère de continuité et le caractère de fluidité du marché. En ce qui concerne l'analogie avec les champs de forces, Edgeworth note que, dans le cas où il y a un commissaire-priseur, le «champ diminue constamment à mesure que les transactions atteignent la détennination et disparaît finalement, mais ce n'est pas le cas général: "Tlllis if one cllose ta de/Ille t!le field offO/'CC as Ille celltres of Ille forces sensibly acting on a system of bodies, tllen in a contillllOus medium of artracting /1Iatter, Ille field might !Je continually of indefinite extelll, ··r·· 82 , M. ''(ALOGIE FORMEl.LE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE RENAULT 83 " might change as the system moved, might be said ta vanish when the {iii gouveme l'allocation de cette énergie pour des individus est le system reached equilibrium" (Edgeworth 1881, p. 18). Edgeworth a 71'incipe de moindre action : «L'énergie biologique est dirigée dans \ donc ajouté des hypothèses afin de définir un champ de concurrence 'chaque individu et dans chaque groupe d'individus par la tendance au parfait. ,k1Gxinlllm de plaisir ou de bonheur possible» (Winiarski 1967, p. 163). Ce faisant, il a repris la philosophie de l'unité de la nature (Edge­ 'L'intêret de l'introduction d'équivalents énergétiques est la possibi­ worth 1881, p. 39) qui sous-tend l'ensemble de la théorie de l'éner­ ,lité de prendre en compte «empiriquement» les comparaisons d'utilité gie, chel:chant ainsi à un,ifier la théorie de l'économie politique avec ~, interpersonnelles. Selon Winiarski, l'économie pure, compte tenu de ces ses détermina11ls physiques afin de compléter la «mécanique sociale». fondements, cherche les conditions d'équilibre d'un système matériel Dans l'ensemble de sa construction, la dynamique du marché est donc '!i~ où les «molécules» sont reliées les unes aux autres pal' des forces représeniée par le mouvement des particules dans un champ de force, \'( d'attraction et de répulsion. L. Winiarski reprend alors les méthodes leur action étant guidée par le principe de moindre action, Dans ce ;', formelles introduites par L. Walras, W.S. Jevons et V. Pareto en dédui­ champ, un certain nombre d'imperfections peuvent exister (monopoles, sant les équations de l'équilibre économique à partir du principe des syndicats...); de cette façon: u(. ..) If it should appem' thot the field of i'. vitesses virtuelles et du principe de d'Alembert (19). II identifie les forces competition is deficie11l in thot continuity of fluid, tllOt multiplicity of 'sollicitant les individus au besoin et les forces d'inertie aux peines, aux atoms that constifme tl,e fouildation of the uniformities of physics : :'~ efforts. Ces efforts représenteraient des «pertes d'énergie biologique».. if competition is found ll'a11ling not only the regularity of 1011', but ~,: Pour passer du cas des individus au cas d'un système social, il suffirait even the impartialiry of chance-the throw of a die loaded with villainy­ " de procéder à la «généralisation des coordonnées», méthode mécani­ economics M'ould be indced a "dismal science" and the reverence fol' ".. que initiée par Lagrange et améliorée par Hamilton (Winiarski 1967, competition M'ould be no more" (Edgeworth 1881, p. 50). II apparaît p. 168-169). L'équilibre social général est aussi défini comme «quelque donc que chez Edgeworth l'analogie purement rhétorique se superpose " chose d'aniilogue au nil'eau idéal de l'océan» (Winiarski 1967, p. 170). à un certain nombre d'identifications substantielles, phénomène assez L. Winiai'ski reprend en grande partie les thèses développées par général chez les premiers économistes néo-classiques. H. Spencer dans ses Premiers principes (chap. XII à XVII) : l'ensemble des changements qui se produisent dans un système conservatif ne 2) V«énergie sociale» de L. Winiarski seraient que des réarrangements, des redistributions, de matière et d'énergie jusqu'à l'établissement d'un équilibre parfait. Le système Un exemple beaucoup plus caricatural est donné par l'économiste économique considéré par Winiarski est conserl'Oti[, car les utilités Léon Winiarski, membre de l'école de Lausanne et proche de L. Wal­ de l'indi\'idu ne fOIll que se transformer les unes dans les autres ras, qui a établi une analogie complète entre l'économique etl'énergéti­ sans gain ni déchet sur les qualllités, le système réagissant comme que envisagée comme une doctrine cosmologique. Son «Essai sur la un système fenné de vases communicants. Les prix représentent les mécanique sociale», paru en 1898 dans la RenIe Philosophique, est taux d'échanges (facteurs de conversion) de l'énergie, c'est alors bien caractéristique des dérives qui peuvent se produire à la suite d'identi­ le problème de la communication de la force ou de l'énergie sans dications terme à terme fondées sur un certain nombre de conceptions perte qui est mis en avant comme le laissait présager le «programme a priori et sans réel fondement scientifique; cette œuvre marginale est de CounlOt» (20). «(. .. ) les prix des biens (...) comme rapports de donc significative ((8). Chez L. Winiarski, l'égoïsme et l'altruisme sont travaux ne représentent donc pas autre chose que les différents taux considérés Comme deux manisfestations de «l'énergie biologique» qui (19) Le plillcipe des déplacements virtuels conceme le mouvement qu'un système possède des équivalents mécaniques dont la science devra préciser la en équilibre prendrait si un déplacement devait se produire, ce déplacement étanL nature (?). Comme chez E. Haeckel (1899), l'énergie biologique est seulement imaginé (E. Mach 1904, p. 53). Le principe de d' AlcmbcI1 permet (cn simplifianl) de ramener la dynamique à la statique. considérée comme un produit de "" énergie cosmique universelle». Ce AJ te: tr L. Winiarski est un économiste ct un sociologue mineur au sein de J'école de Lausanne: il est cependallt représenlalif de certaines tendances scientistes existant chez les membres de cette école (ccla au même titre que L. Amoroso qui Cil esl proche). (18) (20) L'approche de Coumot a défini un «programme de recherches» orienté dans le sens d'une Illathémalisation de J'économie et d'une démarche hypothétique (Pdbram 1986, p. 197). Il a également effectué la distinction entre économie pure ct économie appliquée. Avec certaines réserves, on peut dire que l'économique néo-classique s'insclit dans la ligne de ces travaux. L'analogie mécanique occupe une place certaine 84 M. ~~NAULT de transformation de l'énergie biologique» (Winiarski 1967, p. 271). . L'or sera même considéré comme l'analogue économique de l'énergie. l~' Cette identification des prix à des taux de conversion de l'énergie Se il retrouve aUSSI chez L. Amoroso. Le grand biologiste AJ. Lotka (qui lui aussi s'est attaché à la recherche d'un standard absolu de valeur) a souligné le caractère erroné de celle analogie. Il a fait remarquer que, dans le cas de systèmes physiques, il peut existef un lien entre le facteur extensif (volume) et le facteur intensif (pression) selon la relation: dv ~ dt< quand > Pi <Pe pression exteme. Cela suggère une analogie avec le mécanisme économique de l'offre et de la .demande et les prix ont ainsi pu être identillés comme des facteurs d'intensité d'une énergie alors même que les phénomènes ne sont pas de même nature. "Nol\' energy is a pelfecrly, measllrable t!ling, ai definite dimensions. Those who speak liS of a special form ~f :'ec~nomic ener?y" should. be prepared ta give. us at least some ' md/callon hall' tills energy /s ta be measured. III fiJe customory / units of energy. No sucf/ indication is forlhcoming" . (Lotka 1956, p. 303). De plus, l'équivalent économique d'une forme d'énergie est variable et non constant ce qu'a remarqué L. Amoroso sans en tirer de réelles conséquences puisqu'il ne s'est intéressé qu'au cas d'un état stalionnaire à prix constant. Du fait de la nature différente des phénomènes, on n'aboutit qu'à la formulation de quasi-dynamiqlles centrées sur l'état stationnaire et la conservation de l'énergie (Lotka 1956, p. 321, voir aussi Peirce 1965, p. 15-16). p, = Il i:iXLOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE "r-, 85 'hdentification d'un principe de conservation de l'énergie dans le do­ /lUaine économique le prouve. Ainsi, pour L. Winiarski, si on appelle ,ffv l'énergie potentielle d'un système social (intensité de plaisir et de­ inan~e d'un produit dépendant des ~ttractions mutuelle.s) et? l'~nergie hi;;;, cinétIque dépensée dans la production de la marchandise; Il eXIste en­ l, Ire T, V et le prix courant de cette marchandise «une illlerdépendance .' compliquée» qui est exprimée par l'équation de Lagrange-Hamilton (Winiarski 1967, p. 271-272) : I; L=T-V ;.. L étant la fonction lagrangienne du système. Ces affirmations ne sont bien entendu fondées sur aucune base sérieuse et constituent- au mieux simples métaphores. Chez L. Amoroso, le principe de conservation dè l'énergie est posé comme (Amoroso 1942, p. 154-155) : ~ de dT+dV=O Selon lui, dans le cas où le mouvement est slationnaire, l'énergie cinétique coïncide avec la valeur T de la production et le coût de 'i. la production est identifié à une énergie potentielle : le postulat .. d'égalisation du coût marginal à la valeur de la production s'identifierait à un théorème de conservation de l'énergie! (Amoroso 1942, p. 154 et suivantes). L'économie pure décrivant un monde sans frottements dans lequel le rendement des machines égale un, le système économique est conservatif et la valeur se communique par l'échange en changeant de forme; dans une large mesure cela est conforme au «programme de Cournot» qui comparait l'échange à un processus mécanique de transmission de la force. 3) Le principe de conservation de l'énergie et de l'économique Le passage d'analogies formelles ou de rhétoriques à des analo­ gies substantielles est donc une tentation permanente et, si V. Pareto et F.Y. Edgeworth ont hésité à franchir complètement le pas, L. Wi­ niarski, et L. Amoroso (économist~s malgré tout mineurs) l'on fait; chez lui; ainsi, il écrivait: t.Dans J'acte d' écha/lge .. comme dans la transmission du moll\'ement par les machilles, il y a des frorremellts à \'Qincre, des pertes à slI/)ir, des [imites à Ile poilll dépassen~ (Coumol 1983, p. 3). L'économie pure de Walras comme l'approche de J.B. Clark fOl1t référence à celte «économie sans frottements)). Dès l'origine, l'usage de l'analogie avec la mécanique (ct en particulier la mécanique appliquée) va révéler les tâtonncmenlS liés à l'émergence d'un domaine nouveau du savoir qui doit, pour rendre intelligibles ses cal~gories, les rclier au similaire ou à ce qui semble lei (Ménard 1980, p. 140). CONCLUSION Pour nous, les travaux de L. Winiarski et de L. Amoroso sont si­ gnificatifs de l'aboutissement d'une logique analogique d'identification terme à terme. Le statut de l'analogie revient souvent dans ce cas à postuler .une unité générale des phénomènes de la nature et on voit comment elle peut tendre à structurer un programme de recherche en calquant la démarche d'une science sur l'évolution d'une autre,l'iden­ lité des formalismes conduisalll à des illlerprélations semblables. Dans le cas de la recherche de l'analogue d'un principe de conservation de l'énergie, il s'agit d'une démarche essellliafiste cherchant au-delà 86 M. RENAULT des transformations apparentes ce qui perdure et se conserve. Comme l'écrivait G. Bamich, émule de l'énergétiste E. Solvay: <,li y a quel­ que cl/ose qui se consen'e entre l'état alllérieur d'un phénomène et l'état suivant. Le premier disparaît, l'énergétique démontre que quel­ que chose a passé du premier dans le delLrième : ce qui a passé d'ull phénomène antérieur subséquent, c'est une entité bien définie. un inl'a~ riant indestructible et incréable que l'on dénomme l'énergie» (Bamich 1919, p" 90). La phrase de Jevons selon laquelle on ne crée pas de richesses mais seulement des utilités pourrait ainsi recevoir une in. terprétation essentialiste conforme à l'idéal du mécanisme cartésien. Ainsi, si la réduction de l'économique néo-classique à une simple phy­ sique sociale est exagérée, il ne faut pas oublier que la frontière entre analogie formelle et analogie substantielle a été parfois floue chez cer­ tains économistes. En effet, si l'une des innovations fondamentales de l'économique néo-classique a été de s détacher, à travers la mathéma­ (is;;tion, d'assertions essentjalistes, on ne saurait pour autant négTIger l'influence malgré tout persistante de celles-ci (telles que le révèlent par exemple l'interprétation anthropomorphique du principe de moindre action et la recherche d:un standard absolu dE valeur). Il nous semble à ce propos que le «Progl"amme de Cournot» portait peut-être en germe quelques-uns des travers liés à l'analogie. L'assimilation de la force vive à une «mail/laie mécanique» et la nécessité de l' optimisotioll du rendement mécanique mais aussi social, ont pu conduire à une approche technicienne du type du socialisme de L. Walras ou L. Winiarski, de la sociocratie de L.F. Ward (D. Ross 1991), de l'énergétique de Solvay, du mouvement technocratique américain ... Dans cette tradition, l'idéo­ logie du progrès a pu s'incarner à travers des modèles (ou plutôt des systèmes) normatifs tels que l'économie pure, qui, il faut le rappeler, représente chez A. Cournot, comme chez L. Walras ou J.B. Clark, ce qui se réalisera dans l'avenir quand, du fait du progrès, on aura vaincu les «[rollemellts». Ainsi, «ce qui caractérise celle philosophie de l'op­ timum, cet optimisme, c'est la conviction que la science des engins, comme science de l'ordre, est en mesure d'augmenter asymptotique­ ment l'efficience des dispositifs et lellr lI/ilisation, de les rationaliser par retouches calculées et inten'entions éclairées» (Seris 1987, p. 157). Dans une certaine mesure, l'économie des machines a bien constitué un des fondements analogiques de l'économique walrasienne. La prolifération d'analogies formelles, qui ne peut être justifiée uniquement d'un point de vue didactique, conceptuel ou rhétorique, l.} doit pas faire oublier que l'analogie est de nature profondément métaphysique et que sa dimension mathématique est souvent liée au ~ . "l. ,-, ). ~~NALOGIE FORMELLE ET ANALOGIE SUBSTANTIELLE EN ÉCONOMIE 87 ~,. . thème de l'harmonie du monde, de l'unité fondamentale de la nature; ,\fil,":,'" en ce seris, elle n'est jamais neUlre (Secretan 1984, p. 77) (21). La théorie :~N! c1es systèmes, cependant, a pu montrer que l'on pouvait passer d'une ·~r· unité substantielle à une unité de méthode,):JlOmologie remplaçant .. ainsi l'analogie. Elle désigne les cas où les facteurs qui agissent sont dIfférents mais où les lois sont identiques sur le plan formel : «L' homologie entre les caracténstiques des systèmes n'implique pas la réduction d' une discipline à une autre de niveau infériew: Il ne s'agit pas simplement d'une simple image. d'une analogie .. c'est plutôt une cOlTespandance formelle qui existe dans la réalité, ceci dans la mesure où on peut lëiConsidérer comme formée de «systèmes» de tOll/es sortes'> (Bertalanffy 1973, p. 83). Des systèmes de nature différente, soumis à des contraintes, peuvent réagir de façon homologue (voir Fayat 1980) sans qu'il soit nécessaire de postuler une quelconque unité de la nature. 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Les trcw.'i/ormalions d'un clJamanisme urbain CATALYSEUR OU DÉRIVE IDÉOLOGIQUE? ToornarSllk Olt te chamanisme sens desslls dessous R61e ("Ioncrions at'fuels des clJamanes erl Asie dll Sud. Est: les états alternés de la conscience PHILIPPE MITRANI Aperpi critiqlle d('s approches ps)'chiatriques du cha. mall'sme ]. BARBIER Regard sur la critique de Ph. Mi/ralli: c!JallulIlisme et el C. DAROIER·LocQUt\RD ps)'chanalyse MICHEL MATAR....SSO ~ RUTH-INGI; HEINZE ROOERTE N. H.... M.... YON MICliEL PERRIN ~; .. ~~; i.' Postfat'e lion; texte. Poétique de Set/llmw, cfJamalle gl/ajiro Diogène. Unesco, 1, rue Miollis, Paris XV e - TCI. (l) 45'68-27·34 - Télécopie (1) 40-65.94.80 L'ëdition française esl publiée par les Éditions Gallimard, 5, rue Sêbastien-Bouin, Paris VII'\ Les abonnem('nts SORl souscrits auprès du Service abonnemeRlS, 49, rue de la Vanne, 92120 Montrouge (1) 41-17·13-93) (C.C,P. 169-33 L, Paris). 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Box 98 1000 AB Amsterdam (Pays-Bas) Moïse SIDIROPOULOS B.E.T.A. - Université Louis Pasteur 38 boulevard d'Anvers -' B.P. 1032JF 67070 Strasbourg cedex .- In ;~ 'lit' ' l-." -;~. ~~:.: ~';' , '~) ",1: " '::.,. -':) }' 1 1 ;~: j ~1 ':iï: Massimo PIVETTI Universita Degli SlUdi di Roma ::~ "Tor Vergata" Istituto di Economia e Finanza: :,t' Facolta di Giurisprudenza Via Orazio Raimondo S'Il', 00173 Roma (Italie) 'te Alexis JACQUEMIN Conseiller ::'~. Cellule de Prospective J' Commission des communautés européennes "? 200 rue de la L o i , ! B. 1049 Bruxelles (Belgique) ~ au 1cr octobre 1992 : MERlT Rijksuniversiteit Limburg, PO Box 616. >Il "'(!~- ij 6200 MD, Maastricht, Pays-Bas. , ,