Les néo-classiques Économie néo-classique : courant de pensée actuellement dominant dont les origines sont conventionnellement datées des années 1870 en référence à la publication des ouvrages des trois pères fondateurs du mouvement : -Menger, Principes d’économie (Vienne, 1871) -Jevons, Théorie de l’économie politique (Manchester, 1871) -Walras, Eléments d’économie politique pure (Lausanne, 1874) Il y a apparition de manière simultanée de trois écoles dites « originaires ». 1. Le cadre historique Le contexte est donc celui du tournant de la révolution industrielle (on parle parfois de deuxième révolution industrielle) mais aussi du triomphe du scientisme. La perspective historique est de construire l’économie politique sur de nouvelles bases : S’adapter à la réalité économique (Jevons utilise le calcul marginal pour étudier la tarification des chemins de fer). « Le travail, une fois qu’il a été dépensé, n’a pas d’influence sur la valeur future d’un objet : il a disparu et est perdu pour toujours ». La théorie est donc compréhensible dans le cadre des crises récurrentes au XIX°. Il y a une remise en cause des théories de la répartition des économies classiques fondées sur l’existence de classes et la position de ces classes les unes par rapport aux autres. Walras veut construire une science capable de distinguer dans l’activité humaine ce qui est le résultat des activités proprement économiques (concurrence) et ce qui relève de la morale. La science économique (≠ économie politique) ne doit s’occuper que de ce qui permet de comprendre l’activité humaine pour construire une « économie pure » dont l’essence est que la valeur d’échange prend le caractère d’un fait naturel. Elle évacue ainsi les problèmes de justice sociale (objet d’un autre combat). La pensée néo-classique se fonde sur une analyse marginaliste et cherche donc à donner une légitimité scientifique à l’économie (voir Marx), à la fonder sur de nouvelles bases. Elle part donc d’une analyse microéconomique et agrège les comportements individuels, à la différence des classiques et de Marx. Ce formalisme mathématique soulève l’enjeu scientifique et politique des mathématiques en économie. Trois écoles néoclassiques coexistent : L’école de Lausanne (Walras – Pareto – Arrow – Debreu – Allais) centrée sur la formalisation mathématique (courbe d’optimum de Pareto). Arrow présentera une présentation mathématique élaborée du modèle d’équilibre général. L’école autrichienne (Menger – von Böhm-Bawerk – von Hayek – von Mises) : individualisme méthodologique et naissance du concept d’homo œconomicus L’école de Cambridge (Jevons – Marshall – Pigou - Edgeworth) : pragmatisme et valeur liée à l’utilité. 2. Les hypothèses du courant néoclassique. L’économie néo-classique se démarque de l’économie classique, mais conserve son axiomatique avec une volonté de la rénover. Les phénomènes économiques sont fonction des intérêts poursuivis par chaque individu. La main invisible oriente l’action de l’individu dans un sens favorable à l’intérêt général. Les néoclassiques mettent au centre de leur analyse l’individu rationnel, « homo œconomicus » (sujet épistémologique) qui effectue un calcul économique pour atteindre ses objectifs sous les contraintes qui s’imposent à lui => problème d’optimisation. Il y a donc un rejet de tout interventionnisme étatique suivant la formule de Gournay : « laisser faire les hommes, laisser passer les marchandises ». Musgrave définit trois fonctions principales de l’Etat : -fonction d’affectation (satisfaire les besoins collectifs et internaliser les effets externes) -fonction redistributive (répartir les revenus à la suite d’un jugement normatif) -fonction de stabilisation (assurer la régulation de l’économie par la régulation de la demande globale pour obtenir le plein-emploi sans inflation). Une philosophie utilitaro-hédoniste : satisfaire au mieux ses besoins en minimisant ses efforts. Il existe un clivage concernant le nombre de marchés pris en compte : Équilibre partiel (Marshall – Ecole de Cambridge) : pas de prise en compte des effets sur les autres marchés des modifications de l’équilibre sur un autre marché Équilibre général (Walras – Pareto –Ecole de Lausanne) : envisage les multiples interdépendances entre les marchés 3. L’analyse néoclassique La science économique est la science des comportements calculés. Tous les âges de la vie peuvent être l’objet d’un calcul économique. L’analyse est faite en termes de marché. Les prix sont des informations par rapport auxquelles les individus fixent leur comportement (« signaux »). Les prix doivent donc être établis sans biais pour être les plus efficaces possible dans l’ajustement => tout est prix. Le rôle de la monnaie est controversé : Pour les premiers auteurs néoclassiques, idée classique de la neutralité de la monnaie est maintenue (la monnaie n’affecte pas la production, le revenu réel, l’investissement, l’épargne ou les prix relatifs). Fisher reconnaît qu’il ne fait « qu’apporter une restauration et une amplification de la vielle théorie quantitative de la monnaie » avec son équation (1911) : MV = PT (M = masse monétaire, V = vitesse de circulation de la monnaie, P = niveau général des prix, T = volume des transactions). La monnaie est un simple lubrifiant, un voile qui masque les échanges (double troc au lieu d’un troc simple, loi de Say qui résulte de l’interdépendance entre offre et demande). Pour les monétaristes (Hayek, Friedman), la monnaie perturbe la sphère réelle et les comportements des agents économiques (≠ Keynes). L’inflation est un biais, un moyen de perturber l’information. La théorie de la valeur est subjective : l’utilité ressentie par le consommateur fonde véritablement la valeur des biens (désintérêt pour la quantité de travail fourni). La question de la rareté se pose (Walras) puisque les néoclassiques croient en les vertus du marché : « l’interaction sur les marchés produit le meilleur des mondes possibles » Stoffaës, Fins de mondes (1987). Le prix d’un bien est fonction de l’utilité de ce bien (Jevons). Pour Walras, « le prix du blé ne résulte ni de la volonté du vendeur, ni de la volonté de l’acheteur, ni d’un accord entre les deux. La valeur d’échange prend le caractère d’un fait naturel ». Le prix est à la fois égal au coût marginal (effort consenti pour la fourniture de la dernière unité produite) et à l’utilité marginale. Donc, à l’équilibre, l’utilité marginale est égale au coût marginal. Il y a un ajustement des comportements en fonction des prix qui permet l’équilibre général walrassien, c’est-à-dire un équilibre simultané sur les trois marchés interdépendants. Cet équilibre est le résultat de l’interdépendance générale des marchés et de tâtonnements que permet le marché au même titre que le commissaire-priseur assure l’équilibre entre offre et demande dans une salle de ventes. Pour Pareto, l’équilibre général est un optimum, on ne peut pas améliorer la satisfaction de l’un sans détériorer la situation de l’autre. 4. Un courant critiqué La critique est d’abord positive : le modèle est devenu dominant dans l’analyse économique par son caractère pragmatique : pour Alfred Marshall, il faut « mettre la théorie économique à la portée des hommes d’affaires ». La Théorie de la classe de loisirs de Veblen contredit le paradigme de l’homo œconomicus, contradiction corroborée par les faits, du moins partiellement (pas de vérification du modèle du cycle de vie de Modigliani). La naissance du keynésianisme entre les deux guerres met au jour un mode de régulation autre que le marché et rejette certains des axiomes néoclassiques en étudiant la structure macroéconomique sans passer par les comportements microéconomiques. À la même époque (crise de 1929), la planification socialiste, anti-néoclassique au possible, rencontre un réel succès à l’Est en faisant du pays sous-développé qu’était la Russie avant 1914 une grande puissance industrielle : il y a donc un modèle de régulation alternatif au marché. Le développement de grandes entreprises et la mise en place de situations peu concurrentielles empêchent l’atomicité et l’indifférenciation. Des critiques internes apparaissent du fait de la possibilité de concurrence imparfaite (monopoles et oligopoles). Les hypothèses néoclassiques sont bouleversées, ce qui permet d’affiner le modèle et de l’adapter à son temps. La théorie d’Adolphe Cournot du monopole et du duopole est reprise par P. Sraffa ; Chamberlin élabore des modèles monopolistiques. Les prix ne sont plus égaux aux coûts marginaux => salaire ≠ valeur marginale du travail ; l’optimum parétien n’est pas réalisé. Pigou étudie les différents états de l’économie à l’angle du bien-être général (théorie du bienêtre). Le bien-être ne peut être atteint tant qu’une certaine redistribution générale n’est pas effectuée. On poursuit donc la recherche de l’ophélimité parétienne qui peut être atteint quand l’équilibre général est réalisé. Mais les conditions extrêmement restrictives de la réalisation de l’optimum ouvrent la porte à l’intervention de l’Etat (notamment pour les biens collectifs, produits dont la consommation est indivisible comme l’éclairage public ou la pollution, bien aux effets externes). Il existe des situations de concurrence imparfaite où l’intervention de l’Etat peut s’avérer nécessaire. Cet interventionnisme est cependant combattu par les autres néoclassiques : -Risque de passager clandestin (Samuelson) : individu qui profite des biens collectifs sans en payer le coût (même principe que le pacte de stabilité). -« Logique du tout ou rien » : si une condition de l’optimum de Pareto n’est pas remplie, il est inutile de satisfaire les autres, on ne peut pas créer de situation d’ophélimité. Paradoxe de Condorcet : pour Arrow (1951), même si les préférences individuelles sont toutes cohérentes, on ne peut pas en déduire une relation de préférence collective cohérente par un procédé démocratique. Si les jugements de valeur peuvent être représentés par un grand nombre d’ordres individuels, l’idéologie de la souveraineté du travailleur est incompatible avec l’hypothèse de rationalité collective. Pour l’école optimaliste de Kantorovitch, théoricien de la réforme socialiste des années 60 et partisan d’une mathématisation de l’économie (prix Nobel en 1975), la planification remplace le marché tout en restant dans une logique parétienne (le planificateur remplace le commissaire-priseur walrassien). La pensée néoclassique est donc compatible avec une intervention importante de l’État. 5. Naissance de la microéconomie On distingue l’approche cardinale de l’utilité (marginalistes) de l’approche ordinale (néomarginalistes avec Pareto) => difficulté de considérer l’ophélimité comme une quantité : seul un classement est possible. « L’homme peut savoir si le plaisir que lui procure une certaine combinaison I de marchandises est égal au plaisir qu’il retire d’une autre combinaison II, ou s’il est plus grand ou plus petit ». Pareto, Manuel d’économie politique (1906). La nouvelle microéconomie classique : application dans les années 60 et 70 des méthodes d’analyse microéconomique à des champs de plus en plus étendus (économie de la famille et du mariage, économie du marché politique, économie de l’éducation, économie des attitudes religieuses, économie des suicides…). On aboutit à la microéconomie hyper-rationaliste de Becker « Aujourd’hui, le champ de l’analyse économie s’étend à l’ensemble des comportements humains et des décisions qui y sont associées », « A theory of the allocation of time » dans Economic Journal (1965).