LES DOULEURS DU COUDE EN RHUMATOLOGIE : approche manuelle. Physiopathologie, clinique, thérapeutique. Dr Norbert TEISSEIRE-Rhumatologue-ANGERS RESUME Les douleurs du coude mécanique « non osseux » représentent la très grande majorité des problèmes posés au rhumatologue en ambulatoire, par ce complexe fonctionnel. L’abord global du membre supérieur s’impose, avec une place privilégiée pour les réflexes neuromoteurs, incluant la physiologie rachidienne. De cette bonne compréhension, résulteront des solutions thérapeutiques, simples, régulièrement efficaces, aisément reproductibles. Les pathologies concernant le membre supérieur, ont pris depuis une quinzaine d’années une place croissante dans l’exercice quotidien de la rhumatologie en pratique ambulatoire. Si l’on excepte les pathologies traumatiques relevant de l’intervention du chirurgien, et les pathologies inflammatoires chroniques (0,2 à 0,5 % du recrutement ambulatoire rhumatologique moyen, hors exercice ciblé type rhumatologie pédiatrique), ou infectieuses l’essentiel des problèmes de coude douloureux correspond à des étiologies d’ordre mécanique, professionnelle ou sportive, et l’approche du « rhumatologue manuel » a permis ces dernières années de mieux appréhender leur physiopathologie, et ainsi affiner leur prise en charge thérapeutique. 1- PHYSIOPATHOLOGIE. A/ Rappel anatomique. (2,4,6) Disposition des axes nerveux au membre supérieur La disposition générale des éléments du plexus brachial et leurs rapports avec la clavicule, la 1° côte, les muscles scalènes et sous clavier, puis pectoraux, pourrait expliquer l’ordre d’irritation des branches terminales du plexus brachial (Médian,Cubital,Radial) Disposition des axes vasculaires Disposition des muscles. Il existe tout au long du membre supérieur des contraintes permanentes des troncs nerveux, avec des systèmes musculaires puissants et complexes, et en particulier au niveau du coude, à la face antéro-interne : L’orientation du système clavicule/première côte/omoplate. Est fondamentale à considérer à plusieurs titres : • un dysfonctionnement biomécanique à ce niveau interdit le coulissage normal des tendons de la coiffe (problème de l’épaule qui ne nous concerne pas ici) • mais également des phénomènes vasculo-nerveux associant congestion veineuse, claudication nerveuse par compression, irritation des riches réseaux sympathiques du membre supérieur syndrome du défilé cervico-thoracique à divers degrés, avant même la traduction artérielle échographique ou neurologique électrique : topo C8 notamment. L’ articulation du coude Jonction entre bras et avant-bras, permettant de porter l’extrêmité active (la main) plus ou moins loin du corps. Les muscles de l’extension du poignet et des doigts et de la supination s’insèrent tous sur l’épicondyle. Deux fonctions articulaires essentielles : pronosupination (artic. radio-ulnaire) , et flexion-extension (artic.huméro-ulnaire et huméro-radiale)… ce qui suggère l’interférence coude-poignet … retrouvée en clinique. B/ Physiopathologie des dysfonctionnements extra articulaires.(1,5,7) a/ En clinique, on rencontre fréquemment des contractures proximales (cervicoscapulo-thoraciques, à l’origine de sensation d’hyperfatigabilité et/ou paresthésies. La résolution de ces contractures fait disparaître les symptômes. Chez le sujet sain, des injections de sérum salé hypertonique en certains points musculaires peuvent provoquer des irradiations douloureuses de topographie pseudoradiculaire, ou tronculaire. Certaines unités motrices seraient particulièrement surmenées : plusieurs auteurs ont montré l’augmentation du nombre de fibres musculaires « ragged red »type 1, dans les muscles trapèzes de travailleurs exposés à des charges répétitives sur les épaules (Larsson et al.1988; Bengtsson and Herrikson 1989; Lindman et al.1991; Larsson et al.1992). Des études EMG ont par ailleurs montré des modifications du spectre de fréquence (des hautes vers les basses) dues à la diminution de la vitesse de propagation de l’onde de dépolarisation le long de la fibre musculaire, en fonction de l’état de fatigue (Lindström and Petersen 1983). La mesure de la fréquence moyenne pourrait ainsi servir d’indicateur objectif de la fatigue musculaire. b/ Une respiration de mauvaise qualité (ampliation réduite) ne favorise pas la relaxation musculaire proximale, et encourage l’installation de tensions chroniques des muscles respiratoires accessoires (scalènes,pectoraux, grand dentelé). De nombreuses études convergent vers l’idée qu’un défaut de relaxation est probablement un problème beaucoup plus important que le niveau absolu de contraction ou la fréquence de l’activation musculaire. Ceci étant vrai pendant, et après l’effort; dans ce dernier cas les facteurs psychosociaux et psychologiques personnels auraient un rôle certain. L’on peut ici inclure le rôle de facteurs cognitifs et du stress mental, capables également de produire un excès de tension musculaire : stress diminution P CO2 augmentation pH sanguin hyperventilation alcalose tension musculaire et diminution activité parasympathique augmentation la dominante sympathique amplifie la réponses aux catécholamines(10) c/ Des déficits à systématisation radiculaire peuvent s’y rajouter (en cas de souffrance cervicale), avec leur cortège de tensions musculaires réflexes : - Sterno-cléido-mastoïdien (+perte de mobilité de la sterno-claviculaire) ( C2 à C4)) - angulaire de l’omoplate ( C4++) - trapèze-rhomboïde ( C5 à C7 ) - Sous clavier, pectoraux (C7 à T1) Au total 3 groupes de phénomènes (+ ou - intriqués) peuvent être dégagés : • Les réflexes pseudoradiculaires (avec pour support clinique les syndromes cellulo-téno-myalgiques de Maigne, et les points sonnettes musculaires) ; au niveau du coude l’on retrouve aisément les correspondances C6 (épicondyle antérieur), C7 (épicondyle postérieur), C8 (épitrochlée). • Les syndrômes circulatoires (ou défilés fonctionnels) et la cascade pathogène : Claudication ….. crampes ….. contractures ….. mobilité articulaire réduite et contraintes tronculaires. • Le système sympathique (rôle sur macro et microcirculation) est un vecteur de douleurs dont la systématisation ne recouvre pas toujours exactement les trajets radiculaires classiques. 2- EXAMEN CLINIQUE PROGRAMME (8) A- Recherche d’une souffrance proximale au membre supérieur -Examen local : *le cou : mobilité globale, manœuvres combinées (extension + Rotation G par exemple) recherche de points douloureux et infiltrés (Articulaires postérieures, insertions sous-occipitales, sus claviculaires internes, angulaire, scalènes aux apophyses transverses) * Algie InterScapulo Vertébrale : palper rouler, recherche du point sonnette cervical antérieur * Plan de la 1° côte / clavicule : scalènes, sous clavier, pectoraux. - Manœuvres facilitatrices Point Sonnette cervical antérieur, sonnette sus claviculaire, permettant de suspecter une névralgie cervico-brachiale, ou un syndrome du défilé cervicothoracique B- Recherche de signes périphériques * Syndrome cellulo-téno-myalgique de MAIGNE. * Etude neurologique de chaque territoire tronculaire : Median : troubles sensitifs et moteurs, Tienel ,Phalen Cubital : troubles sensitifs et moteurs (Warttemberg) * Etude des mobilités articulaires passives, huméro-ulnaire, radio-humérale, mais également du carpe (translation antéro-postérieure ++) * Le repérage minutieux des groupes musculaires contracturés est essentiel au bon déroulement du traitement périphérique. A l’issue de cet examen, l’on distinguera les grands cadres suivants : * une névralgie cervico-brachiale * un syndrome de MAIGNE * un syndrome canalaire : le syndrome du nerf radial apparaît comme exceptionnel dès lors que l’on dirige l’enquête selon les principes de la médecine manuelle ; de même pour le syndrome du cubital (l’immense majorité des épitrochléalgies + paresthésies cubitales sont à participation cervicale et leur traitement (simple) en des mains entrainées résout très rapidement le problème…. sauf si les choses ont été négligées plusieurs années(!) * les « épicondylites » : la plupart des enquêtes récentes révèlent l’absence de manifestations inflammatoires locales. Le terme doit donc être réservé aux véritables manifestations inflammatoires (rhumatismes inflammatoires chroniques, ou métaboliques notamment). Trois formes peuvent être individualisées : à composante triple (rachis cervical + coude + poignet), double (RC + coude ou poignet), simple (RC, poignet, coude plus exceptionnellement ce qui peut paraître surprenant mais ressort de la très récente enquête auprès des membres de la SOFMMOO). * les épitrochléalgies : essentiellement « cervico-thoraciques » comme on l’a vu. * le chapitre des ostéochondroses telle la maladie de Panner, est à part, mais doit être connu, car touchant de plus en plus de sujets jeunes pratiquant un sport de contact (sports de combat) ou à sollicitations intenses (gymnastique, haltérophilie). 3- APPROCHE THERAPEUTIQUE.(8) A/ Régler les dysfonctionnements proximaux 1-Détente des groupes musculaires contracturés Pétrissages tenus, exercices myotensifs, décordages. 2-Traitement des dérangements cervicaux et dorsaux Préparation par techniques de mobilisations progressives, plus volontiers techniques dites en dissociation. Puis manipulations si absence de contre indication : au rachis cervical techniques en latéroflexion, au rachis dorsal techniques en appui sternal ou appui postérieur, en associant le cas échéant une action sur les articulations costo-vertébrales B/ Régler les dysfonctionnements distaux 1-Les contractures musculaires: décordage, myotensif, .. 2-Les dysfonctions articulaires: mobilisations, manipulations. 3-Les points d’ancrage périarticulaire + cellulalgies: massage transverse profond, palper rouler, ondes de choc radiales (OCR) C/ L’Autorééducation est essentielle. Postures en étirements, décordages, palper rouler. Correction technique du geste (professionnel ou sportif) La présence d’un syndrôme proximal bien caractérisé, imposera de traiter ce dernier en priorité, avant toute idée d’examen complémentaire électrique ou échographique, sans négliger pour autant les techniques de myorelaxation et renforcement périphériques . L’on doit être en mesure en 6 à 8 semaines soit de mettre en route des techniques de prévention (travail respiratoire, renforcement proximal pour limiter les contraintes de fermeture cervico-thoracique), soit de proposer des mesures complémentaires médicales (infiltrations canalaires, massages réflexes périphériques, physiothérapie adaptée (OCR), ou chirurgicales, en gardant comme priorité le retour pour le patient à son niveau antérieur d’activité. L’évolution générale reste parfois longue, mais il semble que l’on puisse aujourd’hui ne plus annoncer au patient que « quoiqu’il advienne il guérira en 18 à 24 mois ». BIBLIOGRAPHIE. 1-Armstrong Thomas J and al A conceptual model for work related neck and upper-limb musculoskeletal disorders Scand.J.Work Environ.Health 1993 ;19 ;73-84 2-Brizon J. et Castaing J. Les Feuillets d’Anatomie- Fascicule IVLibrairie Maloine S.A. 1967 3-De Krom M.C.T.F.,Kester A.D.M.and al Risk factors for carpal tunnel syndrome Am. J.Epidemiol. 1990 ;132 :1102-10 4-Lazorthe Guy Le Système Nerveux Périphérique-2° Edition Masson et Cie 1971 5-Pekka Waris and al Epidemiologic screening of occupational neck and upper limb disorders Scand.J.Work Environ.and Health 5(1979) : suppl.3 , 25-38 6-Perlemuter L., Waligora J. Cahiers d’Anatomie- N°9 et 10 - 2°édition Masson et Cie 1967 7- IV° Congrès de la SOFMMOO (Sté Française de Médecine Manuelle Orthopédique- Ostéopathie)-PARIS Val de Grâce Sept. 2009-10-13. Secr. Général : [email protected] 8- Syndrome d’hypersollicitation du membre supérieur Site web : www.mediosteo.fr (« maladies professionnelles ») LES POINTS FORTS L’essentiel des problèmes de coude douloureux correspond à des étiologies d’ordre mécanique, professionnelle ou sportive. L’approche du « rhumatologue à orientation manuelle » est essentielle. La physiopathologie implique une considération du rachis, du coude, du poignet. Le recours à l’EMG doit rester exceptionnel, en regard du très faible nombre de « vrais » syndromes canalaires au coude. L’auto rééducation est incontournable pour une efficacité à long terme.