Chimiothérapie des tumeurs germinales de stade I : pour qui

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Chimiothérapie des tumeurs germinales
de stade I : pour qui ? Comment ?
S. CULINE
Tumeurs germinales non séminomateuses. Pour qui ?
L’objectif d’une chimiothérapie chez un patient présentant une tumeur germinale non séminomateuse (TGNS) de stade I est la destruction des micrométastases potentiellement présentes au diagnostic, afin de limiter les risques
de récidive ultérieure. D’après l’expérience acquise des curages ganglionnaires
rétropéritonéaux de stadification ou des cohortes de surveillance après orchidectomie, 25 à 30 % des patients présentant un tableau clinique de TGNS de
stade I sont porteurs de micrométastases (1). Dans la mesure où il n’existe
aucun moyen actuel de détection de la maladie micrométastastatique, l’objectif médical doit être l’évaluation optimale du risque micrométastatique, afin
de limiter l’indication de la chimiothérapie aux patients à haut risque et de
ne pas surtraiter les patients à faible risque. La présence d’emboles tumoraux
intravasculaires (veineux et / ou lymphatiques) et de carcinome embryonnaire
dans la tumeur primitive ont été les deux principaux paramètres histologiques
indépendants les plus fréquemment associés à un risque micrométastatique
élevé dans les analyses multifactorielles publiées (2). Toutes les études rapportées à ce jour dans la littérature ont donc analysé l’apport de la chimiothérapie chez des patients chez qui au moins l’un de ces deux paramètres
étaient présents sur les pièces d’orchidectomie (tableau I). L’hétérogénéité de
la sélection des patients doit cependant être soulignée, dans la mesure où le
risque micrométastatique lié à la présence d’emboles vasculaires ou de carcinome embryonnaire n’est pas identique à celui lié à la présence des deux facteurs associés. De plus, l’importance du contingent de carcinome embryonnaire n’a pas souvent été précisée. Ainsi, dans l’expérience de Moul et al., le
risque de dissémination métastatique microscopique ganglionnaire rétropéritonéale a été estimé entre 10 et 20 % pour un contingent de carcinome
embryonnaire non prédominant (représentant moins de 50 % de la tumeur
primitive) sans embole vasculaire associée, à 30 % en cas d’emboles vasculaires sans carcinome embryonnaire associé, à 60 % en cas de carcinome
embryonnaire exclusif sans embole vasculaire, et supérieur à 70 % en cas de
carcinome embryonnaire prédominant associé à des emboles vasculaires (12).
Les études de chimiothérapie adjuvante rapportées dans la littérature ont donc
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Cancer du testicule
Tableau I – Expériences de chimiothérapie dans les tumeurs germinales non séminomateuses
de stade I.
Auteur
Nombre
de patients
Facteurs
de risque
Chimiothérapie
Médiane
de suivi
(mois)
Rechute
3 PVB
36
0
Madej (3)
30
EV ou pT>1
Oliver (4)
22
EV et/ou CE
et/ou absence
de tumeur vitelline
2 BE360P
43
1 RA
Cullen (5)
114
EV et CE et/ou
absence de tumeur
vitelline
2 BE360P
48
1 RA
Pont (6)
29
EV
2 BE500P
79
1 RA + 1 TM
Chevreau (7)
38
EV ou CE
2 PVB/
2 BE360P
36
0
Klepp (8)
32
EV et AFP sérique
normal
3 BE360P
40
1 TM
Dearnaley (9)
115
EV et CE et/ou
absence de tumeur
vitelline
2 BOP
14
2 RA
Ondrus (10)
18
EV et CE
2 BE360P
36
0
Böhlen (11)
58
EV et/ou CE
2 PVB/2 BE360P
et/ou pT>1
93
1 TM
Total
456
5 RA (1 %)
+ 3 TM
EV: emboles vasculaires ; CE: carcinome embryonnaire ; B: bléomycine ; E: étoposide ; P: cisplatine ; V: vinblastine ; O: vincristine ; RA: rechute active ; TM: tératome mature.
inclus des patients dont les risques de maladie micrométastatique étaient clairement inégaux.
Comment ?
La majorité des auteurs a limité le nombre de cycles de chimiothérapie à deux,
en utilisant principalement le cisplatine, la bléomycine et la vinblastine ou
l’étoposide (protocoles PVB et BEP). Il semble possible de limiter la dose totale
d’étoposide à 360 mg/m2 par cycle sans diminuer l’efficacité.
Chimiothérapie des tumeurs germinales de stade I : pour qui ? Comment ?
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Les résultats, rapportés dans le tableau I, témoignent d’une importante efficacité puisque le taux de rechutes actives est de 1 %. Les données de toxicité
à long terme de deux cycles de BEP ne sont pas connues. Les rares études
rapportées à ce jour n’ont pas soulevé de problèmes significatifs, notamment
en ce qui concerne la fertilité et les risques de leucémie secondaire (13).
Commentaires
L’analyse de la littérature sur les données de la chimiothérapie adjuvante dans
les TGNS de stade I est pauvre et contraste avec les (trop) fréquentes indications retenues dans la pratique quotidienne en France. Le seul protocole
recommandable est deux cycles de BEP en l’absence de données concernant
d’autres alternatives potentielles (un seul cycle de BEP ou deux cycles d’étoposide et cisplatine par exemple). Les indications doivent être réservées aux
seuls sujets à haut risque, c’est-à-dire pour lesquels l’expertise anatomopathologique de la pièce d’orchidectomie a mis en évidence une composante
majoritaire de carcinome embryonnaire et des emboles vasculaires. L’apport de
l’analyse des marqueurs de prolifération (comme le MIB-1) reste à valider (2).
Tumeurs germinales séminomateuses pures
Position du problème
Pour les tumeurs séminomateuses pures (TSP), le risque de dissémination
métastatique microscopique est de l’ordre de 15 à 20 %. Les deux principaux
paramètres histologiques significativement associés à la dissémination métastatique ont été la taille de la tumeur primitive et l’invasion du rete testis dans
une population de 638 patients surveillés après l’orchidectomie première. Selon
la présence de zéro, une ou deux de ces variables, les taux d’évolutivité métastatique ont été de 12 %, 16 % et 31 % (14). Historiquement, les attitudes
proposées chez les patients ont été la radiothérapie prophylactique (20 à
25 Grays) des aires ganglionnaires iliaques homolatérales et lombo-aortiques
et la surveillance, sans tenir compte des facteurs pronostiques histologiques.
Les résultats à long terme de la radiothérapie attestent d’une remarquable efficacité, avec des taux de récidive, essentiellement sus-diaphramatiques ou
osseuses, de l’ordre de 5 %. La surveillance a pour avantage de ne proposer
un traitement (médical ou radiothérapique) que chez les patients qui le nécessitent lors de l’évolutivité métastatique. Les résultats à long terme sont identiques à ceux de la radiothérapie prophylactique avec des survies de 95 % à
100 % (15).
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Cancer du testicule
La chimiothérapie
Quels sont dans ce contexte les arguments pour développer la chimiothérapie ?
La radiothérapie est associée à un risque faible, mais significatif, d’ulcères
gastroduodénaux et de tumeurs secondaires. La surveillance présente pour
principaux inconvénients de devoir être prolongée sur plusieurs années (au
moins cinq ans) et d’induire un surcoût (16). Le protocole optimal de chimiothérapie n’est pas déterminé, mais les expériences rapportées ont utilisé le
carboplatine seul (17, 18, 19). Dans une population autrichienne de
107 patients traités par deux cycles de carboplatine (400 mg/m2) sans tenir
compte des facteurs pronostiques histologiques, aucune rechute ni toxicité à
long terme n’a été détectée (18). Le groupe espagnol a évalué une stratégie
basée sur les facteurs pronostiques histologiques : 143 patients jugés à faible
risque (stade pT1) ont été surveillés alors que 60 patients jugés à haut risque
(stade pT2 au moins) ont reçu une chimiothérapie adjuvante sous forme de
deux cycles de carboplatine (400 mg/m2). Les rechutes tumorales ont respectivement concerné 23 (16 %) et 2 (3 %) patients et ont toutes été traitées avec succès par une chimiothérapie à base de cisplatine (19). Il semble
donc qu’une chimiothérapie adjuvante par carboplatine soit efficace dans la
réduction du risque métastatique. Le Medical Research Council a récemment
mené une étude de phase III comparant l’efficacité et la toxicité d’une radiothérapie et d’une chimiothérapie par carboplatine. Les résultats permettront
de mieux évaluer la place de la chimiothérapie comme troisième option dans
la prise en charge des TSP de stade I.
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Chimiothérapie des tumeurs germinales de stade I : pour qui ? Comment ?
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