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A
pproche cognitivo-comportementale
de la douleur chronique :
notions utiles pour les recherches actuelles
L
a prise en charge de la douleur chronique implique une évaluation des composantes psychologiques, en particulier une
prise en compte du retentissement psychologique ou du contexte.
Cet abord est le plus souvent réalisé par le médecin généraliste ou le spécialiste, partie intégrante de la relation médecin-patient. Dans certains cas,
il peut être nécessaire d’avoir une approche psychologique, voire psychiatrique spécialisée, qui n’est pas toujours acceptée par les patients, ni même
par les médecins. L’approche cognitivo-comportementale peut être très utile
dans les douleurs persistantes, pour lesquelles les limites des traitements
médicaux et psychologiques sont très vite atteintes. Cette approche, dérivée des techniques de prise en charge des phobies ou du stress, permet de
relier les éléments physiques et psychologiques intervenant dans la pérennisation des phénomènes. De nombreux concepts ont émergé de ces
recherches, notamment dans les atteintes invalidantes rhumatologiques
comme les lombalgies (Waddel et al.) ou l’arthrose, ouvrant des perspectives particulièrement intéressantes pour des spécialités comme la rhumatologie ou la rééducation. L’intérêt majeur de l’approche cognitive et comportementale est d’intégrer des variables somatiques et psychologiques et
d’atténuer la rupture entre le modèle médical et le modèle psychologique,
permettant une approche multidisciplinaire en réseau.
L’approche comportementale
La douleur, notamment chronique, est un
phénomène pluridimensionnel que l’on
définit par quatre composantes principales : la composante sensori-discriminative (mécanismes neurophysiologiques de
déafférentation ou par excès de nociception), la composante émotionnelle (la douleur est une expérience désagréable associée à des états d’anxiété, voire de
dépression), la composante cognitive (processus d’attention, d’interprétation, de
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décisions), la composante comportementale (manifestations observées liées à la
douleur, verbales et non verbales). Dans
l’approche comportementale, la douleur
chronique est envisagée comme un comportement appris et entretenu, conditionné. Cette notion est dérivée de la
notion neurophysiologique de mémorisation de la douleur, résultant des phénomènes de plasticité neuronale. Le comportement douloureux peut se maintenir
au-delà de la persistance de la cause de la
douleur. On considère que la douleur chronique est en partie un comportement
conditionné, ayant débuté lors d’une douleur aiguë, et qui pourrait persister du fait
de l’intervention de différents facteurs,
notamment comportementaux.
Les comportements appris :
un déconditionnement à long
terme
À la phase initiale du processus douloureux, les comportements d’évitement sont
le plus souvent adaptés et efficaces pour
réduire la douleur. Dans les lombalgies
aiguës, il peut être utile, voire indispensable, de s’allonger, de se reposer... À un
stade plus évolué, ces comportements, s’ils
persistent, du fait des différentes composantes, notamment affectives, vont avoir
des effets paradoxaux. À long terme, c’est
un véritable déconditionnement qui s’installe, à l’origine de conséquences négatives
multiples : réduction de la force et atrophie
musculaire, repli sur soi, perte de l’estime
de soi... Il est alors indispensable de faire
prendre conscience au patient des différents facteurs qui entretiennent sa douleur
chronique : démoralisation, réactivité au
stress, insomnie, inactivité, inoccupation,
contractures musculaires... Si l’on a fait la
preuve du rôle de ces facteurs dans la
pérennisation de la douleur, on pourra agir
de façon indirecte. Ainsi, en priorité, dans
la douleur chronique, il faut chercher à
modifier les comportements appris.
Les stratégies d’ajustement,ou
coping strategies
Chez le patient douloureux chronique qui
erre de médecin généraliste en spécialiste,
d’algologue en “pata-médecin”, il faut
repositionner le problème. Il faut cesser
d’entretenir le doute sur la cause de la
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La Lettre du Rhumatologue - n°269 - février 2001
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douleur par la réalisation de nombreux
examens complémentaires, le plus souvent
inutiles. La douleur existe, cela doit être
un postulat essentiel, alors même que sa
cause n’est plus effective et ne doit pas forcément être encore traitée. Pour soulager
la douleur, il faut essayer d’amener le
patient à “faire avec”, à gérer la situation.
Il ne faut pas nier les facteurs initiaux, mais
amener le patient à mettre en place des
stratégies pour faire face à sa douleur et à
ses conséquences, des coping strategies
telles que relaxation, planification des activités, gestion du stress...
Le comportement opérant : la
douleur est entretenue par ses
propres conséquences
Une théorisation comportementale de la
douleur a été proposée par Fordyce en
1976, utilisant le modèle du comportement
dit opérant ou skinnérien. Selon ce modèle,
un comportement peut être en partie
influencé par ses conséquences. Le comportement va “opérer” sur l’individu ou son
environnement, entraîner des suites dont
l’effet en retour induit un mécanisme d’apprentissage, ce qui tend à renforcer ou
réprimer le comportement. Il s’agit d’une
loi décrite par Skinner dans ses travaux
expérimentaux chez l’animal. Lorsque les
réponses sont données de façon intermittente (renforcement intermittent), l’acquisition du comportement opérant inapproprié sera plus longue, mais également plus
résistante à s’éteindre. Dans la lombalgie
chronique, on retrouve les comportements
inadaptés face à la douleur, tels que le
recours au repos pour la réduire, ou l’évitement de l’activité physique pour ne pas
l’augmenter.
Renforcement positif et négatif : bénéfices secondaires et
désinsertion progressive
Le renforcement positif a été formulé par
Fordyce de la façon suivante : “les bonnes
choses arrivent quand j’ai mal et n’arriveraient pas autrement”. Cette notion dérive
vers celle des bénéfices secondaires. Dans
ce cas, l’entourage va être plus attentif,
manifester de la sympathie, de la compassion. Les avantages financiers ou sociaux
peuvent également être importants et renforcer le comportement douloureux ; c’est
le syndrome du revenu paradoxal : les revenus du patient sont plus importants lorsqu’il est malade. Par ailleurs, si la situation
perdure, l’entourage peut au contraire
développer une attention négative : incompréhension, réprimande, culpabilisation...
Le renforcement négatif se formule lui de
la façon suivante : “quand j’ai mal, les
mauvaises choses n’arrivent pas”. Les
conséquences se situent ici dans l’évitement de situations aversives, souvent dans
un contexte professionnel d’insatisfaction
au travail. Les deux types de renforcement
ont autant d’importance dans le phénomène
chronique, sont aussi néfastes l’un que
l’autre. Les implications thérapeutiques
seront de supprimer les conséquences positives qui renforcent le comportement douloureux et de renforcer les comportements
bien-portants, enfin d’apprendre au patient
à gérer les conséquences aversives.
Le comportement répondant
Le modèle répondant, également appelé
comportement pavlovien, intervient aussi
de façon importante dans la douleur chronique. On rappelle qu’au départ un stimulus nociceptif va entraîner une réaction à
la douleur. Si ce stimulus est associé régulièrement à un stimulus indépendant non
nociceptif, cette association répétée va
induire un apprentissage. L’application du
stimulus neutre non douloureux seul sera
alors capable d’induire un comportement
douloureux. Ce type de comportement
répondant se retrouve dans la peur conditionnée, les réactions d’anticipation avant
des soins ou avant un effort, dans les douleurs post-traumatiques. Cette notion est à
la base des travaux sur la kinésiophobie
(Vlayen et al).
Le catastrophisme
Le patient douloureux chronique met en
place différentes stratégies pour gérer la
douleur, mais aussi les conséquences de sa
douleur. Ces stratégies d’ajustement ou
d’adaptation pour faire face sont désignées
sous le terme de coping par les AngloSaxons. Pour évaluer les stratégies de
coping, différents questionnaires sont mis
en place : on distingue les stratégies
actives des stratégies passives ou maladaptées. Un nouveau concept est actuellement développé : le catastrophisme (catastrophizing), qui correspond à une vision
pessimiste de l’évolution des problèmes.
On trouve une corrélation entre les scores
de catastrophisme et les niveaux de dépression ou d’incapacité. La prise en compte
de ce facteur est importante dans la prise
en charge comportementale et la réactivation physique du malade douloureux : les
stratégies d’évitement, les phobies du
mouvement, de l’activité ou kinésiophobie .
Conclusion
Les théories comportementales représentent une nouvelle approche intéressante
dans la prise en charge des douleurs chroniques, notamment en rhumatologie, où
l’on traite autant la douleur que ses conséquences fonctionnelles, sociales ou professionnelles. De façon approfondie, ces
théories peuvent s’appliquer à une prise en
charge multidisciplinaire, en particulier
dans des centres d’évaluation et de traitement de la douleur ou dans des consultations multidisciplinaires, dévolues par
exemple au rachis ou à la polyarthrite.
Dans l’exercice médical quotidien, qu’il
soit libéral ou hospitalier, il est malgré tout
important de connaître ce type d’évaluation et de prise en charge, très utile dans
les situations non exceptionnelles de mise
S. Perrot, service de rhumatologie A
et Centre de traitement de la douleur,
hôpital Cochin-Tarnier, Paris
Pour en savoir plus...
en échec thérapeutique.
❏ Boureau F, Luu M, Doubrère JF, Morel-Fatio M.
Réactivations physique et comportementale chez le
patient douloureux chronique. Modalités pratiques
selon les principes du conditionnement opérant.
Doul Anal 1993 ; 3 : 67-73.
❏ Cadet B. Psychologie cognitive. In : Press Editions,
Paris, 1998.
❏ Fordyce, Lansky D, Calsyn DA et al. Pain measurement and pain behaviour. Pain 1984 ; 18 : 5369.
❏ Keefe FJ, Salley AN, Lefebvre JC. Coping with
pain : conceptual concerns and future directions.
Pain 1992 ; 51 : 131-4.
❏ Richardson IH, Richardson PH, Williams AC,
Featherstone J, Harding VR. The effects of a cognitive-behavioural pain management program on the
quality of work and employment status of severely
impaired chronic pain patients. Disability and Rehabilitation 1994 ; 16 : 26-34.
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