Cancer du sein adjuvant... autour de l`histoire d`une patiente

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Le point de vue du chirurgien
(Dr Véronique Vaini-Elies, Aix-en-Provence)
Type d’intervention
Une chirurgie conservatrice est indiquée chez cette patiente, mais certaines
conditions doivent être respectées. La localisation centrale de la tumeur impose
une incision centrale passant en bordure du mamelon ; l’incision est péri-aréolaire, avec trait de refend vertical éventuel afin d’avoir un meilleur jour. Cela permet d’obtenir une cicatrice de bonne qualité tout en anticipant une éventuelle
reprise chirurgicale en vue d’une mastectomie. L’exérèse de la tumeur juxtaaréolaire peut également se faire par une aréolo-mamelonnectomie afin de
réduire au maximum le risque d’envahissement de la paroi aréolo-mamelonnaire
(75 % dans le cas de tumeurs situées à moins de 2 cm sous l’aréole). On procède
à la pose de clips de repérage dans le lit tumoral, utiles aux radiothérapeutes.
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Cancer du sein adjuvant...
autour de l’histoire
d’une patiente ménopausée RH+
● G. Mégret*
La 3e Équinoxe de la Société française de cancérologie privée (SFCP), qui
s’est déroulée à Beaune, en avril 2006, a été l’occasion de mises à jour en
termes de nouveautés thérapeutiques dans différentes pathologies cancéreuses. Dans ce contexte, la prise en charge adjuvante du cancer du
sein, et notamment l’hormonothérapie adjuvante, est riche d’actualités.
AstraZeneca s’est délibérément préoccupé de la patiente et de son vécu
face à l’annonce du diagnostic et du traitement, avec comme support
une annonce faite à une patiente filmée. Nous avons vécu avec celle-ci
les deux phases d’annonce du diagnostic et des modalités thérapeu-
Justification du curage axillaire, préféré à la technique du ganglion
sentinelle
Les consensus recommandent la pratique du ganglion sentinelle lorsque la taille
tumorale est inférieure à 2 cm et en l’absence d’adénopathies à la palpation.
Dans ce cas, la technique du ganglion sentinelle aurait pu être proposée à la
patiente. Cependant, les carcinomes lobulaires sont souvent plus volumineux
qu’il n’y paraît en radiologie ; c’est pourquoi le chirurgien a préféré effectuer un
curage axillaire d’emblée chez cette patiente.
Le cas
Une patiente âgée de 57 ans vient consulter pour la prise en charge
d’un cancer du sein de découverte récente
◗ Présentation de la patiente :
✓ Femme âgée de 57 ans, ménopausée
✓ Tumeur de 18 mm en radiologie
✓ Tumeur juxta-aréolaire
✓ Curage ganglionnaire complet en extemporané
✓ Tumorectomie : chirurgie conservatrice
◗ Résultats histologiques après microbiopsie :
✓ Carcinome lobulaire infiltrant
✓ Grade SBR 1
✓ RE+/RP✓ Index mitotique 1
Privilégier les cicatrices centrales.
Le point de vue de l’anatomo-pathologiste
(Dr L. Arnould, Dijon)
Choix de la stratégie thérapeutique optimale pour une patiente : que
peut-on attendre d’un compte rendu anatomo-pathologique ?
La décision du projet thérapeutique ne peut effectivement se définir qu’avec la
totalité des facteurs pronostiques et prédictifs que sont la taille histologique précise, le type histologique, le grade histo-pronostique (SBR modifié par Elston et
Ellis) et l’index mitotique, la recherche d’emboles vasculaires, la qualité des berges
de résection et la mesure précise des marges. Toutefois, dans le cas de carcinomes
infiltrants, si les marges sont réduites, une reprise chirurgicale ne s’impose pas forcément, puisque la patiente aura une radiothérapie avec surimpression sur le lit
tumoral. La recherche de récepteurs hormonaux par immunohistochimie est maintenant bien codifiée et est automatisée. De même, la détermination du statut de
l’oncogène HER2, bien que plus délicate, est maintenant systématiquement effectuée sur les pièces d’exérèse (la détermination sur les microbiopsies est un peu
moins précise et sujette à des faux positifs).
[1] Symposium AstraZeneca.
* Paris.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
IIIe Équinoxe de la SFCP
(Beaune, 1er avril 2006)[1]
Le point de vue du radiothérapeute
(Dr P. Janoray, Dijon)
tiques. Spectateurs attentifs, nous avons pu observer ses réactions, ses
interrogations, son anxiété lors de ces deux visites chez le chirurgien et
l’oncologue. Sur le dispositif d’annonce, les commentaires de la salle ont
été nombreux, témoignant de l’intérêt et du souci permanent avec lesquels nous appréhendons cette phase de la prise en charge.
Autre originalité de cette rencontre centrée sur le cas de cette patiente : une
réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) durant laquelle ont été discutés les différents aspects du traitement locorégional et systémique de cette
patiente selon les caractéristiques cliniques et histologiques de la tumeur.
La radiothérapie des carcinomes lobulaires infiltrants ne diffère pas de celle
des canalaires, que ce soit dans ses indications ou dans sa technique. Les
objectifs sont toujours identiques : il s’agit de réduire le risque de récidive
locale et ganglionnaire ainsi que le risque de métastase et, de ce fait,
d’améliorer le pronostic.
Le délai entre la radiothérapie et la chirurgie n’est pas formellement établi,
mais elle doit être commencée après l’éventuelle chimiothérapie et avant le
début de l’hormonothérapie.
D’après les différentes recommandations, dont les SOR, les volumes irradiés
doivent comprendre la glande mammaire et la paroi thoracique ainsi que la
chaîne mammaire interne (3). Cette dernière est envahie dans 28,4 % des
cas, en cas de tumeur centrale avec curage axillaire positif (4).
Le creux sus-claviculaire interne sera également irradié, en l’absence de chimiothérapie, malgré les recommandations de la SFRO, qui ne préconisent pas
d’irradiation dans le cas de curage axillaire négatif. Le creux axillaire ne sera
pas irradié, car le curage axillaire a été satisfaisant (d’après les SOR et les
recommandations de Saint-Paul-de-Vence).
Sur l’ensemble du volume, la dose sera de 50 Gy avec surimpression du lit
tumoral de 10 Gy selon une dosimétrie en 3D afin de respecter au mieux les
organes voisins.
◗ Résultats de l’histologie après chirurgie :
✓ Carcinome lobulaire infiltrant de 23 mm
✓ Grade SBR 1
✓ RE+/RP✓ Index mitotique 1
✓ Emboles vasculaires négatifs
✓ Berges saines
✓ HER-2 (-)
✓ Pas d’envahissement ganglionnaire (N-),
Le dossier de Mme F. est présenté en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire.
Vue des faisceaux en 3D.
Les classifications de Saint-Paul-de-Vence (1) et de Saint-Gallen (2) utilisent ces
critères histopathologiques pour classer les tumeurs en groupes de risques évolutifs différents, la classification de Saint-Gallen incorporant de façon récente les
emboles néoplasiques et la surexpression de HER2. On peut également déterminer plus précisément le risque de rechute et de mortalité par cancer grâce à des
logiciels tels que Adjuvant Online. Celui-ci tient compte des caractéristiques de
la tumeur : la taille tumorale, l’histologie, le nombre de ganglions envahis et le
grade SBR ; il est pondéré par l’âge de la patiente et ses éventuelles pathologies
associées.
Dans le cas de notre patiente, la présence de berges saines avec marges suffisantes permet de ne pas discuter la reprise chirurgicale. Dans la classification de
Saint-Gallen, la maladie est classée en risque intermédiaire avec un seul facteur
de mauvais pronostic (taille supérieur à 2 cm). Cette lésion est très peu proliférante, puisqu’elle appartient aux tumeurs de grade 1 ayant un index mitotique
à 1. À noter : le diagnostic de ce type de carcinome (lobulaire) peut, dans certains cas de morphologie non typique, être confirmé par la perte d’expression de
la E-cadhérine.
Analyse de l’index mitotique.
Analyse de 10 champs consécutifs dans la zone la plus active.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
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Le point de vue de l’oncologue
(Dr Eric-Charles Antoine, Neuilly)
Chez cette patiente, le risque de mortalité à 10 ans est de 8,8 % sans traitement,
d’après Adjuvant Online.
Le bénéfice absolu de la chimiothérapie est de 2,6 % ; celui de l’hormonothérapie
est de 3,7 % et il est de 5,2 % lors d’un traitement combiné (5). On peut discuter
de l’intérêt de ces deux traitements adjuvants compte tenu du pronostic relativement bon de cette tumeur.
Détermination du risque de mortalité.
En ce qui concerne la chimiothérapie, les carcinomes lobulaires infiltrants sont moins
chimiosensibles que les carcinomes canalaires qui sont quasi résistants à la chimiothérapie, fait établi par différentes études (6, 7). Les bénéfices de la chimiothérapie sont
plus importants chez les patientes RH+. De même, dans une étude de l’IGR ayant
regroupé 2 essais menés chez 937 patientes avec ou sans envahissement ganglionnaire
traitées par une chimiothérapie à base d’anthracyclines ou n’ayant fait l’objet que d’une
simple observation, l’impact de la chimiothérapie est très fortement corrélé à l’index
mitotique élevé, alors qu’il est quasiment nul en cas d’index mitotique bas (8). Compte
tenu de l’index mitotique bas et du statut RH+ de cette patiente, la chimiothérapie
semble a priori inefficace et le traitement par hormonothérapie est à privilégier. Ainsi,
elle recevra une hormonothérapie exclusive d’emblée par un inhibiteur de l’aromatase
et, dans ce cas, on tiendra compte du facteur prédictif majeur que représente l’hormonosensibilité de la tumeur. En effet, chez les patientes ménopausées hormonosensibles,
l’anastrozole prévient le risque de rechute en comparaison au tamoxifène (9). Cette
démonstration est confortée par les résultats de l’essai ATAC, qui ont démontré le bénéfice de l’administration de l’anastrozole d’emblée par rapport au tamoxifène.
Il s’agit d’une étude internationale randomisée de phase III, contrôlée, en double
insu et multicentrique menée chez des femmes ménopausées RH+/RH- ou au statut inconnu, avec un cancer du sein invasif opérable localisé et qui n’ont pas reçu
d’hormonothérapie préventive ou adjuvante.
Les 9 366 patientes étaient réparties en 3 bras : tamoxifène 20 mg/j + placebo
(n = 3 116) ; anastrozole 1 mg/j + placebo (n = 3 125) ; anastrozole 1 mg/j +
tamoxifène 20 mg/j (n = 3 125), pour une durée totale de traitement de 5 ans.
L’association anastrozole + tamoxifène étant contre-indiquée, les résultats n’ont pas
été exploités.
Les critères d’évaluation principaux étaient la survie sans événement (récidives locales ou
à distance, cancer du sein controlatéral, décès toutes causes confondues) et la tolérance.
Les critères d’évaluation secondaires étaient la survie sans récidive (récidives
locales ou à distance, cancer du sein controlatéral, décès liés au cancer du sein),
l’incidence du cancer du sein controlatéral, le temps sans récidive à distance et la
survie globale.
Dans cette étude, les résultats à 68 mois montrent que l’anastrozole apporte un bénéfice
significatif en termes de survie sans récidive par comparaison au tamoxifène (1,7 % à
3 ans et 3,7 % à 6 ans). Ce bénéfice s’accroît avec le temps. Le traitement par anastrozole,
comparativement au traitement par tamoxifène, s’est soldé par un bénéfice significatif en
termes de survie sans événement avec 575 versus 651 événements, respectivement (HR =
0,87, IC95 : 0,78-0,97 ; p = 0,01), et de délai jusqu’à la récidive (HR= 0,79, IC95 : 0,70-0,90 ;
p = 0,0005). Un avantage accru a été observé dans la population RH+ : réduction du
risque de survie sans événement de 17 % (HR = 0,83, IC95 : 0,73-0,94 ; p = 0,005), bénéfice de 26 % en termes de délai jusqu’à la récidive (HR = 0,74 ; IC95 : 0,64-0,87 ;
p = 0,0002) et réduction du risque de rechute à distance de 16 % (HR = 0,84 ; IC95 : 0,701,0 ; p = 0,06 [NS]).
Étude ATAC : survie sans récidive dans la population RH+.
Diminution de 26 % du risque de récidive.
Le profil de tolérance est dans l’ensemble différent de celui du tamoxifène et plutôt
en faveur de l’anastrozole, notamment en ce qui concerne les effets et symptômes
gynécologiques et vasculaires vitaux. Les événements cérébrovasculaires ischémiques sont en faveur de l’anastrozole (2,8 % versus 2 %, réduction de 29 % ;
p = 0,003) et les événements cardiovasculaires ischémiques sont présents dans
3,4 % et 4,1 % des cas respectivement pour le tamoxifène et l’anastrozole (NS); les
événements thromboemboliques veineux sont également en faveur de l’anastrozole
(4,5 % versus 2,8 %, réduction de 38 % ; p = 0,0004). Sur le plan gynécologique,
les bouffées de chaleur ont été moindres sous anastrozole (35,7 % versus 40,9 %,
p = 0,0001), de même que les pertes et les saignements vaginaux, et ce, de
manière significative.
Enfin, le risque de cancer de l’endomètre est très significativement réduit de 75 %,
avec une incidence de 0,8 % pour le tamoxifène et de 0,2 % pour l’anastrozole
(p = 0,02) (10).
Le risque de majoration d’une ostéoporose est réel compte tenu de la castration
chimique majeure que déclenchent les inhibiteurs de l’aromatase, avec 11 % versus 7,7 % de fractures pour le tamoxifène (p < 0,0001). Cependant, une prophylaxie ou un traitement efficace est recommandé chez les patientes déjà atteintes
d’ostéoporose[1].
En conclusion, chez cette patiente, le traitement choisi d’un commun accord entre
les différents membres de la RCP a ainsi comporté une irradiation de clôture sur
la glande mammaire, la chaîne mammaire interne et le creux sus-claviculaire.
Une hormonothérapie adjuvante exclusive par anastrozole a constitué le seul traitement annoncé et expliqué à la patiente.
Références bibliographiques
1. Goldhirsch A, Glick JH, Gelber RD et al. Panel members. Meeting highlights: international expert consensus on the primary therapy of early breast cancer 2005. Ann Oncol 2005;16(10):1569-83.
2. Recommandations pour la pratique clinique de Saint-Paul-de-Vence. Oncologie 2005;7:342-79.
3. SOR adjuvant rapport intégral 2001;2e édition : 126-43.
4. Shahar KH, Buchholz TA, Delpassand E et al. Lower and central tumor location correlates with lymphoscintigraphy drainage to the internal mammary lymph nodes in breast carcinoma. Cancer 2005;103(7):1323-9.
5. Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group (EBCTCG). Effects of chemotherapy and hormonal therapy for early breast cancer on recurrence and 15-year survival: an overview of the randomised
trials. Lancet 2005;365:1687-717.
6. Cristofanilli M, Gonzolez-Angulo A, Sneige N et al. Invasive lobular carcinoma classic type: response to primary chemotherapy and survival outcomes. J Clin Oncol 2005;23(1):41-8.
7. Tubiana-Hulin MJ, Stevens DM, Guinebretière JMR et al. Response to primary chemotherapy in breast carcinoma depends on histological tumor type: a study on 860 patients from one institution. SABCS 2005,
Abstr 5063.
8. André F, Khalil A, Slimane K et al. Mitotic index and benefit of adjuvant anthracycline-based chemotherapy in patients with early breast cancer. J Clin Oncol 2005;23(13):2996-3000.
9. ATAC Trialists' Group. Results of the ATAC (Arimidex, Tamoxifen, Alone or in Combination) trial after completion of 5 years' adjuvant treatment for breast cancer. Lancet 2005;365(9453):60
10. Résumé des Caractéristiques produit Arimidex.
[1]
Les autres effets indésirables signalés dans l'étude ATAC et dans la RCP sont : bouffées de chaleur, sécheresse vaginale et raréfaction des cheveux.
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