Bilan de dix ans de chirurgies mutilantes oculaires à Lomé

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Article original
Médecine et Santé Tropicales 2015 ; 25 : 177-179
Bilan de dix ans de chirurgies mutilantes oculaires
à Lomé
Ten years of destructive eyeball surgery in Lomé
Vonor K.1,2, Amedome K.M.1,2, Dzidzinyo K.1,2, Ayena K.D.1,2, Santos M.K.A.1,2, Maneh N.1,2, Tete Y.1,2,
Balo K.P.2
1
2
Service d’ophtalmologie, CHU Sylvanus-Olympio Lomé, Togo
Faculté des sciences de la santé de l’université de Lomé, BP 13648, Lomé, Togo
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Article accepté le 03/12/2014
Résumé. Introduction : le but de cette étude est de
déterminer les caractéristiques des chirurgies mutilantes à Lomé. Patients et méthodes : nous avons
mené une étude rétrospective sur dossiers de
patients opérés d’éviscération, d’énucléation ou
d’exentération dans trois centres d’ophtalmologie
de Lomé entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre
2011. Résultats : sur la période, soixante-seize yeux
ont été opérés de chirurgies mutilantes sur un total
de 6 240 procédures, ce qui correspond à une
fréquence de 1,2 %. L’âge moyen était de
40,1 26,9 ans (de un jour à quatre-vingt-onze
ans). Le sex-ratio était de 1,2. Les indications étaient
dominées par le staphylome cornéen (38 %), suivi
des tumeurs orbito-oculaires (30 %) et de la phtyse
bulbaire (24 %). Le rétinoblastome représentait
52 % des tumeurs intraorbitaires. L’anesthésie
locorégionale était pratiquée dans 64 %. L’éviscération était la plus pratiquée avec 67 %, contre 24 %
pour l’énucléation et 9 % pour l’exentération. Une
prothèse de segment antérieur a été posée dans
46 % des cas. Conclusion : compte tenu du
préjudice lié à ce type de chirurgie, la prévention
primaire est indispensable et passe par une prise en
charge précoce et adéquate des affections oculaires.
Mots clés : épidémiologie, staphylome, rétinoblastome, phtyse bulbaire, éviscération, Togo.
Correspondance : Vonor K <[email protected]>
doi: 10.1684/mst.2015.0448
L’
absence ou la perte de l’œil constitue un choc psychologique pour le patient. La chirurgie mutilante de l’œil
consiste à enlever le globe oculaire avec ou sans ses
annexes que sont les muscles oculomoteurs et les paupières. Les
indications de la chirurgie mutilante sont diverses, et, selon la
pathologie causale, cette chirurgie peut être une éviscération
avec épargne de la coque sclérale, une énucléation avec exérèse
du globe entier et épargne des muscles oculomoteurs, ou une
exentération avec exérèse de tout le contenu orbitaire, périoste
compris, laissant à nu les parois osseuses, les paupières pouvant
être épargnées ou non. À l’heure où les traitements conservateurs
Abstract. Introduction: Destructive surgery of the
eyeball comprises radical procedures — evisceration, enucleation, and exenteration – with various
indications. The purpose of this study was to
determine the features of these procedures in
Lomé. Patients and methods: We conducted a
retrospective study reviewing records for all
patients undergoing these procedures in 3 ophthalmic centers in Lomé in the decade from
2002 through 2011. Results: Of 6240 eye operations, 76 involved one of these three procedures, for
a frequency of 1.2%. Patients’ mean age was
40.1 26.9 years (range: 1 day to 91 years). The
sex ratio (of men to women) was 1.2. The principal
indications were staphyloma (38%), ocular and
orbital tumors (30%), and phthisis bulbi (24%).
Retinoblastoma was the leading type of ocular/
orbital tumor (52%). Local anesthesia was performed in 64% of cases, and general anesthesia in
36%. Evisceration was practiced in 67% of cases,
enucleation in 24%, and exenteration in 9%. An
ocular prosthesis was placed in 46%. Conclusion:
Staphyloma was the leading indication for destructive surgery. Given the damage of this type of
procedure, primary prevention is important, including early and adequate management of ocular
conditions.
Key words: epidemiology, staphyloma, phtysis,
retinoblastoma, evisceration, Togo.
sont de plus en plus proposés à la place des chirurgies mutilantes,
nous avons initié cette étude en vue de déterminer les aspects
épidémiologiques des chirurgies mutilantes, en vue d’adopter les
actions préventives.
Matériels et méthodes
Nous avons mené une étude rétrospective entre le 1er janvier
2002 et le 31 décembre 2011 soit une période de dix ans. Nous
avons étudié les dossiers de patients ayant subi une chirurgie
mutilante, dans trois centres d’ophtalmologie de Lomé, un CHU,
Pour citer cet article : Vonor K, Amedome KM, Dzidzinyo K, Ayena KD, Santos MKA, Maneh N, Tete Y, Balo KP. Bilan de dix ans de chirurgies mutilantes oculaires à Lomé.
Med Sante Trop 2015 ; 25 : 177-179. doi : 10.1684/mst.2015.0448
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K. VONOR, ET AL.
Tableau 1. Les indications de la chirurgie mutilante en fonction du sexe
Table 1. Indications for destructive surgery by sex
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Indication
Staphylome cornéen
Phtyse bulbaire
Rétinoblastome
Tumeur orbitaire
Éclatement de globe
Glaucome absolu
Total
Masculin
17
10
4
6
4
1
42
un centre confessionnel et un cabinet privé. La collecte et
l’analyse des données ont été faites grâce au Logiciel SPSS 21.
Les données étudiées étaient l’âge, le sexe, l’indication de la
chirurgie, l’œil opéré, le type d’anesthésie, le type de chirurgie
et la pose de prothèse.
Résultats
Sur la période, soixante-seize chirurgies mutilantes ont été
effectuées sur un total de 6 240 opérations chirurgicales, soit
une fréquence de 1,2 %. La chirurgie mutilante était pratiquée
sur un seul œil dans tous les cas : l’œil droit dans trente-neuf cas
(51 %), l’œil gauche dans trente-sept (49 %). Il y avait une
prédominance masculine dans la population étudiée, avec
quarante-deux hommes contre trente-quatre femmes, soit un
sex-ratio de 1,2. L’âge moyen était de 40,1 26,9 ans avec des
extrêmes de un jour et de quatre-vingt-onze ans. Le nouveau-né
d’un jour a été victime d’un éclatement de globe par forceps lors
de l’accouchement. Le staphylome cornéen était la première
indication de chirurgie mutilante avec vingt-huit cas, soit 37 %
des cas. Ces staphylomes étaient causés par des pathologies
infectieuses dans vingt-quatre cas (86 %) et par des brûlures
chimiques dans quatre cas (14 %). Le tableau 1 résume les
différentes indications de la chirurgie mutilante en fonction du
sexe. L’anesthésie péribulbaire était pratiquée dans quaranteneuf cas, soit 64 %, contre vingt-sept cas d’anesthésie générale,
soit 36 %. L’anesthésie générale était surtout pratiquée chez
les enfants. L’éviscération était le type de chirurgie la plus
pratiquée, avec cinquante et un cas (soit 67 %), suivie de
l’énucléation, dans dix-huit cas (soit 24 %) et de l’exentération
dans sept cas (soit 9 %). Les tumeurs étaient les indications
les plus fréquentes des énucléations et des exentérations
(tableau 2). L’éviscération était plus pratiquée sous anesthésie
péribulbaire (48/51) alors que l’anesthésie générale était le type
d’anesthésie la plus adoptée en cas d’énucléation (17/18) et
Féminin
11
9
8
5
1
0
34
Total (%)
28 (37 %)
19 (25%)
12 (16 %)
11 (14 %)
5 (7 %)
1 (1 %)
76 (100 %)
d’exentération (7/7). L’adaptation de prothèse oculaire était
acceptée par les patients dans trente-cinq cas, soit 46 %.
Discussion
La fréquence de la chirurgie mutilante dans notre étude, 1,2 %,
est légèrement inférieure à celles relevées par Pandley et al. [1]
au Népal et par Eballé et al. [2] au Cameroun, qui étaient
respectivement de 1,4 %, et de 1,6 %. La prédominance
masculine peut s’expliquer par une plus forte exposition des
hommes aux traumatismes ou une plus grande acceptation de
ce type de chirurgie. Le staphylome cornéen était la première
indication de chirurgie mutilante dans notre étude, suivi du
rétinoblastome et des phtyses bulbaires. Les causes des
chirurgies mutilantes varient en fonction des études. Ce sont
les endophtalmies et les tumeurs selon Eballé et al. [2], les
infections et les traumatismes selon Gyasi et al. [3] et Epée et al.
[4], et les traumatismes et les tumeurs selon Tahri et al. [5]. La
forte fréquence des staphylomes dans la présente étude peut
s’expliquer par une prise en charge inadaptée des kératites à
leur phase active par des collyres corticoı̈des en automédication
et par des préparations traditionnelles à base de plantes. Aucun
cas d’opacité cornéenne due au trachome n’a été objectivé dans
notre étude car Lomé, qui est une ville côtière, ne constitue pas
une zone endémique du trachome au Togo. Le rétinoblastome
était la seconde cause de chirurgie mutilante dans notre étude,
à cause du retard de consultation qui fait qu’il y a une
prédominance de formes extraoculaires. Il n’y a eu aucun cas de
reprise chirurgicale après confirmation anatomopathologique.
Ces formes excluent tout traitement conservateur et se soldent
souvent par des décès malgré la chirurgie de propreté, surtout
en l’absence de chimiothérapie ou de radiothérapie. Le défi
dans nos milieux pour le rétinoblastome est le diagnostic
précoce en vue du traitement conservateur. L’anesthésie
péribulbaire a été la plus pratiquée dans notre étude pour la
Tableau 2. Type de chirurgie en fonction des indications
Table 2. Type of surgery by indication
Staphylome cornéen
Rétinoblastome
Tumeurs orbitaires
Phtyse bulbaire
Éclatement de globe
Glaucome absolu
Total
178
Éviscération
28
0
0
19
3
1
51
Énucléation
0
10
6
0
2
0
18
Exentération
0
2
5
0
0
0
7
Total
28
12
11
19
5
1
76
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 2 - avril-mai-juin 2015
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Chirurgies mutilantes oculaires
chirurgie mutilante ; l’anesthésie générale était le plus pratiquée
chez l’enfant. Selon Calenda et al. [6], l’anesthésie péribulbaire est
sûre et génère une analgésie optimale en per- et postopératoire
en cas d’éviscération ou d’énucléation. Dans notre étude,
l’éviscération était le type de chirurgie mutilante le plus pratiqué,
suivi de l’énucléation et de l’exentération, conformément aux
données de la littérature [1, 2]. Les indications des éviscérations
sont les complications cornéennes des traumatismes ou des
infections, et il existe plusieurs techniques opératoires selon que
l’on veut conserver ou non la cornée [7]. Les énucléations
concernent surtout les pathologies tumorales et les traumatismes
[1, 8]. L’adaptation d’une prothèse oculaire a été effectuée
dans 46 % des cas dans notre étude. La mise en place de la
prothèse est indispensable pour atténuer le préjudice esthétique,
mais l’entretien de la prothèse nécessite une éducation et
une coopération du patient en vue d’éviter les complications
infectieuses. Chez l’enfant, pour éviter ces préjudices et permettre
une bonne continuité du développement orbitaire, il est conseillé
la greffe dermograisseuse [9]. La chirurgie mutilante est une
décision radicale qui doit être prise après avoir éliminé toutes les
alternatives comme la kératotomie lamellaire, le recouvrement
conjonctival ou le tatouage cornéen. Le tatouage cornéen par
utilisation du dermatographe est une alternative présentant des
résultats esthétiques satisfaisants en cas leucome cornéen [10].
Conclusion
La prévention des chirurgies mutilantes passe par le diagnostic
précoce et le traitement adapté des pathologies infectieuses, des
traumatismes et des tumeurs. Dans tous les cas, la décision
d’une chirurgie mutilante doit être prise de manière collégiale
après avoir épuisé toutes les alternatives.
Conflits d’intérêt : aucun.
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8. Tahri H, benatya AD, Chefchaouni CM, El Bakkali M, Berraho A.
Enucléations : enquête épidémiologique marocaine à propos de 183 cas.
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Lac Assal (Djibouti), le lac le plus salé du monde # A. Trignol
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 25, N8 2 - avril-mai-juin 2015
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