L’Information psychiatrique 2007 ; 83 : 441-3 ÉDITORIAL Bipolarité et trouble de la personnalité Marie-France Gisselmann-Patris* L’ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. histoire de la médecine et de la psychiatrie nous démontre que les grands courants de pensée qui traversent les sociétés exercent une influence décisive, bien que parfois insidieuse, sur les idées et les pratiques propres à ces institutions. Ainsi peut-on s’interroger sur le sens de l’évolution du langage et des concepts de la psychiatrie à propos de la question particulière de l’écart entre la psychose maniacodépressive (PMD) et les troubles bipolaires. Cette construction moderne s’est faite sous la pression conjuguée du pragmatisme psychiatrique nord-américain, d’études épidémiologiques récentes, de travaux d’experts... auxquels s’ajoute l’influence d’associations d’usagers, de l’industrie pharmaceutique, de nouveaux enjeux médicolégaux et de santé publique qui ne restent pas sans effet sur le devenir des représentations de cette pathologie et de sa prise en charge. La nosologie de Kraepelin, objet de bien des critiques dès son élaboration, reposait sur des traits cliniques distinctifs essentiellement évolutifs. Les thérapeutiques balbutiantes laissaient les pathologies parcourir une trajectoire supposée naturelle : rechute saisonnière des PMD, destin déficitaire des demandes précoces. Nul n’était totalement dupe de la relativité du système classificatoire, l’évolution imprévisible des troubles en montrant les faiblesses pronostiques. doi: 10.1684/ipe.2007.0210 Le développement moderne des nosographies par critère voulait répondre au départ à l’attente d’un système totalement objectif. Ses manques de nuances, on le constate aujourd’hui, ont nécessité sa continuelle complexification. La pathologie selon le DSM s’atomise en de plus en plus nombreuses catégories (de troubles bipolaires notamment). Dans le spectre de la bipolarité, la clinique est fragmentée, le diagnostic catégoriel étant posé sur des listes de signes recueillis à un moment donné : sorte de clinique de l’instant. Or, déjà Fabret, dans sa célèbre introduction à son traité, préconisait l’observation dans le temps de l’organisation du symptôme avec la remise en question du concept de « structure psychopathologique », organisation qui se modifie au cours de l’évolution. Si la question des troubles de la personnalité est contemporaine du début de la nosographie, elle est traitée de façon variable. Il y a encore 50 ans, les troubles * Établissement public de santé Alsace-Nord (EPSAN), 141, avenue de Strasbourg, 67170 Brumath. <[email protected]> L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N° 6 - JUIN-JUILLET 2007 441 M.-F. Gisselmann-Patris de la personnalité étaient considérés comme inaccessibles aux soins et comme fond des altérations permanentes du moi, à savoir les personnalités pathologiques. Cette vision contrastait avec les modifications pathologiques liées à l’expérience actuelle avec possibilité d’une seconde lecture des symptômes devenus refuge de la psychopathologie et seuls accessibles aux traitements. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Certains auteurs soulignent la difficulté diagnostique du trouble bipolaire chez les personnalités pathologiques, mais le trouble de la personnalité est fréquemment abordé sous l’angle de la comorbidité avec cette idée que deux tiers des patients atteints présenteront tôt ou tard d’autres problèmes : certains développeront des troubles de la personnalité, d’autres une angoisse maladive et beaucoup abuseront d’alcool ou de stupéfiants. Une majorité de patients présentera des troubles alimentaires et nombre d’entre eux auront des difficultés de concentration et d’hyperactivité. Le trouble bipolaire est classé dans l’axe I du DSM4 en tant que « trouble de l’humeur caractérisé par la périodicité de troubles dépressifs et maniaques ou hypomanes ». Les troubles de la personnalité, classés dans l’axe II du DSM4, sont définis comme « des comportements ou traits caractéristiques à la fois du comportement récent et du comportement au long cours depuis l’âge adulte », définition qui mélange les notions de personnalité pré ou postmorbide. Cette comorbidité complique à la fois le tableau clinique de la bipolarité, le repérage diagnostique et la prise en charge. Différentes hypothèses sont évoquées pour discuter la pathogénie, l’étiopathogénie et les liens qui unissent trouble bipolaire et personnalité. Sont discutées les notions de personnalité prémorbide (exemple : antisociale avec tendance dysphorique, la cyclothymie ou les troubles de la personnalité limite que Akiskal classe d’ailleurs dans le spectre des troubles de l’humeur) et de personnalité postmorbide. La littérature distingue trois types de modifications postmorbide de la personnalité : – les modifications durant l’épisode affectif lui-même comme la labilité émotionnelle, la tension anxieuse, la confiance en soi ; – les modifications à court terme (< 1 an) avec fréquence du mauvais ajustement personnel et de difficultés relationnelles conjugales ; – les modifications à long terme (> 2 ans) à type de perte de confiance en soi, dépendance personnelle et sentiment d’insécurité (mais ces symptômes ne sont pas spécifiques et se retrouvent dans d’autres pathologies chroniques). Il est bien connu en clinique que les caractéristiques de la personnalité influencent le cours évolutif des troubles de l’humeur, les problèmes d’observance aux soins tout comme les conséquences psychosociales de deux troubles (problèmes affectifs, financiers, sociaux). Cette approche clinique soulève différentes questions non tranchées : Les caractéristiques de la personnalité constituentelles des séquelles des troubles bipolaires ? Prédisposent-elles aux troubles de l’humeur ? Influencent-elles son cours évolutif ? Sont-elles une forme atténue de la bipolarité (exemple : cyclothymie) ? La clinique de la bipolarité montre que le regard change tant en pédopsychiatrie qu’en psychiatrie sur la question de la personnalité avec l’émergence d’une 442 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N° 6 - JUIN-JUILLET 2007 Bipolarité et trouble de la personnalité conception plus psychodynamique de l’approche des troubles de la personnalité. On souligne la difficulté des soins autour de psychopathologies fréquemment vécues comme frontière avec la psychiatrie comme les troubles de la personnalité, les addictions, les troubles du comportement. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. A Strasbourg, les 26es journées de l’Information Psychiatrique consacrées à la question des troubles de la personnalité permettront de débattre de ces nouvelles approches cliniques, théoriques et de soins tout en restant attentifs à ne pas médicaliser toute déviance par rapport à une norme (de la personnalité) dont les contours sont bien difficiles à tracer, comme le mettent en relief les débats en psychiatrie médicolégale entre autres. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N° 6 - JUIN-JUILLET 2007 443