PDF hosted at the Radboud Repository of the Radboud University Nijmegen The following full text is a publisher's version. For additional information about this publication click this link. http://hdl.handle.net/2066/45451 Please be advised that this information was generated on 2017-05-24 and may be subject to change. Natures Sciences Sociétés 13, 327-331 (2005) © NSS Dialogues, EDP Sciences 2005 DOI: 10.1051/nss:2005051 Natures Sciences S ociétés Vie scientifique De la sociologie rurale à la sociologie de l'environnement : Fred Buttel, un trajet exemplaire Pieter Leroy Sociologue, Nijmegen University, Departm ent of Political Sciences of the Environment, PO Box 9108, 6500 HK Nijmegen, Pays-Bas Fred Buttel, professeur en sociologie rurale à l'U niver­ sité d u W isconsin, M adison, EU, est décédé le 14 jan­ vier 2005. En Europe, bien plus q u 'en sa qualité de sociologue rural, il était connu com m e l'u n des pères fondateurs de la sociologie de l'environnem ent. Pieter Leroy, non seulem ent évoque la personnalité de Fred Buttel, m ais s'attard e avant tout sur les thèm es cen­ trau x de sa carrière scientifique, qu'il juge exem plaires p o u r les développem ents q u 'a connus l'approche socioscientifique de l'environnem ent d u ra n t ces trente d er­ nières années. Étant jeune chercheur (dans les années 1970 et à l'aube des années 1980), je m e dem andais ce que p o u ­ vaient ap p o rter les sciences sociales en m atière d 'en v i­ ronnem ent. Très vite, je rencontrai alors le nom de Fred Buttel. Il était l'au teu r de divers articles où il tentait de lier l'environnem ent à la sociologie générale (Buttel, 1976 et 1978), coauteur d 'u n livre traitant des nouveaux défis de la sociologie rurale (Buttel et Newby, 1980), d 'u n autre su r l'environnem ent, l'énergie et la société (H um phrey et Buttel, 1982), ainsi que de divers articles su r le m ouvem ent écologiste (Buttel et Larson, 1980), et su r « l'agro-environnem entalism e » (Buttel et al., 1981), un m ouvem ent lancé principalem ent p ar les jeunes paysans am éricains en faveur d 'u n e agriculture écologique. com m e le père fondateur de la sociologie de l'environ­ nem ent, actif en tant que président d u Com ité de re­ cherche 24, « Environm ent and Society », de l'in tern a­ tional Sociological Association. De ces rencontres, il me reste, ainsi q u 'à beaucoup d'autres, l'im age de sa forte personnalité su r le plan intellectuel, ainsi que de sa gen­ tillesse et de sa m odestie. Toutefois, c'est une conversa­ tion que nous avons eue dans u n collège à C am bridge (RU) qui m 'a le plus m arqué ; nous y parlâm es très ou­ vertem ent et librem ent de sa m aladie - il a lutté contre le cancer p en d an t plus de dix ans - , de ce que cela si­ gnifiait que d'être souffrant, de la m ort, d u sens et d u non-sens de la vie et de l'am our. M ais en m êm e tem ps, nous discutâm es des sciences sociales qu'il défendait et de ce que devrait être l'ordre d u jour de la sociologie de l'environnem ent. Ce qu'il fit avec conviction et hum ilité. Il ne se vanta jam ais de sa célébrité. Une célébrité qui, elle aussi d'ailleurs, avait ses limites : la com paraison entre le Google anglophone (.com) et le Google francophone (.fr) m ontre que Fred Buttel est bel et bien une célébrité dans les pays anglo-saxons, m ais qu'il reste relativem ent inconnu dans le m onde francophone - m algré quelques apparitions et publications en France et au Québec. Vu sa m odestie et son hum our, Fred aurait certainem ent p u apprécier de tels résultats su r les limites de sa célébrité. La carrière scientifique Fred Buttel : l’homme Ce ne fut que plus tard, au cœ ur des années 1990, que je le rencontrai à plusieurs reprises et en différents endroits. Il était devenu entre-tem ps u n professeur re­ nom m é à l'U niversité de Cornell et, plus tard, à M adison, à l'U niversité d u Wisconsin. Il me fut présenté surtout Auteur correspondant : [email protected] D ivers « in Memoriam » ont, à juste titre, tout de suite après son décès, rendu à l'hom m e Fred Buttel l'hom m age qu'il m éritait. Je ne m 'y attacherai donc pas davantage. M on propos a u n objectif bien plus am bitieux : en p as­ sant en revue sa carrière et les thèm es qu'il a abordés, je suis frappé de constater à quel point ceux-ci sont re­ présentatifs p o u r le développem ent de m a spécialité, à savoir l'approche socio-scientifique de l'environnem ent. Article published by EDP Sciences and available at http://www .edpsciences.ora/nss or http://dx.doi.ora/10.1051 /nss:2005051 328 P. Leroy : Natures Sciences Sociétés 13, 327-331 (2005) Le sim ple fait que ce soit à p artir de la sociologie rurale q u'il ait contribué de façon prim ordiale à la sociologie de l'environnem ent est déjà en soi fort significatif, car cela dépasse de beaucoup sa sim ple personne. Ce sera là le thèm e central de m on propos. En tentant d 'in tro ­ duire une sorte de catégorisation dans sa carrière et dans les m ultiples sujets qu'il a traités, j'ai p u y distinguer un triple parcours, présenté ici chronologiquem ent, m ais de fait constam m ent entrem êlé : u n parcours em pirique, un p arcours théorique et u n parcours m ultidisciplinaire. Un trajet empirique Fred Buttel fit ses études en sociologie rurale à M adison, dans le Wisconsin. A ussi traite-t-il, dans sa re­ cherche em pirique, essentiellem ent des développem ents de l'agriculture et, plus généralem ent, d u « m onde » ru ­ ral. D ans ce dom aine, le cham p de sa recherche s'élargit graduellem ent d u W isconsin et de ses environs à la p ro ­ blém atique m ondiale de l'application de la biotechnolo­ gie à l'agriculture. Ses prem ières publications traitent de la m odernisa­ tion graduelle, p ar m om ents saccadée, de l'agriculture am éricaine. Il étudie les forces m otrices qui sont derrière cette m odernisation : de nouvelles m atières prem ières, u ne autre consom m ation énergétique et de nouvelles technologies. D ans son esprit, ce sont ces forces m êm es qui sont à la base des pratiques agricoles ém ergentes. En m êm e tem ps qu'ils dom inent l'époque, ces thèm es de la sociologie rurale sem blent annoncer le term e de celle-ci : à cause de la m odernisation rapide, il n 'y aura bientôt p lu s de « dom aine » rural. En collaboration avec N ew by et d 'au tres, Fred Buttel fait valoir la nécessité d 'u n nou­ v eau program m e de recherche p o u r la sociologie rurale. Il soulève non seulem ent la question des causes de cette m odernisation, d u rôle des inputs et des transform ations de la production agricole qui en résultent, m ais aussi celle de ses effets et de ses im plications, n otam m ent la concen­ tration des exploitations qu'elle entraîne, la dépendance vis-à-vis de la technologie et de l'expertise, les incidences su r les conditions de travail et su r l'avenir de l'entreprise familiale ainsi que su r la qualité de l'environnem ent ru ­ ral. C 'est une dém arche qui conduit Buttel (et d'autres avec lui), de façon presque autom atique, de la sociologie rurale à la sociologie de l'environnem ent, cette dernière p o rtan t avant to u t su r l'analyse des effets secondaires de la m odernisation agricole. Longtem ps avant l'insti­ tutionnalisation, dans la politique de l'environnem ent, de l'évaluation des im pacts sur les m ilieux naturels des transform ations de l'agriculture, Fred Buttel plaide p o u r une analyse des effets de la m odernisation agricole : de ses effets environnem entaux, certes, m ais, plus im portant encore, de ses effets sociaux. Ce faisant, Buttel rejoint en partie les prises de po­ sition d u m ouvem ent dit « agro-environnem entaliste », qu'il étudie p ar ailleurs. Il en analyse les bases, les vi­ sions, la stratégie et l'im pact politique et social (Buttel et al., 1981). C 'est précisém ent parce que, m oi aussi, je publiais au m êm e m om ent des articles sur le m ouvem ent écologiste, que j'ai p u com prendre que ce que Fred Buttel considérait com m e le m ouvem ent écologiste, au sens res­ treint d u term e (et « l'agro-environnem entalism e » en p ar­ ticulier), appartenait en fait à u n m ouvem ent social et culturel beaucoup plus large qui tentait de se m anifester sur le plan politique. L'essentiel de ce m ouvem ent rési­ dait dans sa résistance aux effets secondaires d 'u n e m o­ dernisation im pulsée surtout p ar des innovations tech­ nologiques. En ce sens, p o u r Fred Buttel, la sociologie de l'environnem ent se situait naturellem ent dans le prolon­ gem ent de la sociologie rurale. Le po n t em pirique entre les deux a été évoqué ci-dessus. Sur u n plan plus théo­ rique, ce fut avant tout la sociologie des sciences et de la technologie qui servit de base à cette filiation, passage qu'il opéra en particulier lors de son séjour à l'U niversité de Cornell. Tout ceci perm et de com prendre pourquoi Fred Buttel, dès 1985, publie su r les questions de la biotechno­ logie (Buttel et Barker, 1985). L'injection des horm ones de croissance aux bovins et, plus tard, l'introduction d u gé­ nie génétique devenaient les thèm es d 'u n nouvel agenda de recherche p o u r la sociologie rurale qui, de plus en plus, se consacrait à l'analyse des rapports réciproques entre l'agriculture, la technologie, l'environnem ent et la santé. Fred Buttel accorda beaucoup d'im portance à la m anière dont les nouvelles technologies p ouvaient influencer - et, p ar là, institutionnaliser progressivem ent - les pratiques sociales, ainsi q u 'à la m anière dont ces institutions p o u ­ vaient ensuite déterm iner à leur to u r ces pratiques so­ ciales. A u déb u t avec réserve, m ais ensuite de m anière de plus en plus prononcée, il se m êla aux controverses sociales et politiques sur ces développem ents techno­ logiques (Buttel, 1995) et plaida p o u r une éthique en m atière de biotechnologie (dans le dom aine agricole). Jusqu'à sa m ort, il p rit publiquem ent position dans ces controverses ; ici aussi, son attention se déplaça g rad u el­ lem ent des répercussions locales aux im plications m on­ diales, et plus précisém ent aux relations N ord-Sud. Bref, c'est m al connaître Fred Buttel que de ne voir en lui, com m e en Europe de l'O uest, q u 'u n sociologue de l'environnem ent. La plus grande partie de son tra­ vail em pirique se rapporte à la sociologie rurale, qui influence fortem ent sa conception de la sociologie de l'environnem ent. Ses contributions dans ce dernier do­ m aine, nous le verrons ci-dessous, sont plus théoriques. En m êm e tem ps, sa sociologie de l'environnem ent est très inspirée p ar une sociologie des pratiques agricoles, de « l'espace » naturel où cette agriculture se développe, des changem ents technologiques qu'elle subit et des réper­ cussions tan t économ iques qu'institutionnelles de ceuxci. Aussi, dans sa sociologie de l'environnem ent, Fred P. Leroy : Natures Sciences Sociétés 13, 327-331 (2005) Buttel a-t-il toujours accordé une attention particulière aux bases m atérielles de la production agricole (les m a­ tières prem ières et l'énergie, la technologie) et aux réper­ cussions institutionnelles des m odifications de cette base m atérielle. Un trajet théorique Dès son origine, la sociologie de l'environnem ent a dû s'affirm er contre les courants dom inants de la sociologie p ro p rem en t dite. D u point de vue intellectuel et cognitif, cette lutte était centrée su r le paradigm e durkheim ien, selon lequel les phénom ènes sociaux ne doivent être ex­ pliqués que p ar d 'au tres phénom ènes sociaux. M êm e si, au jo u rd 'h u i, nous som m es parfaitem ent conscients du fait que ce postulat a avant tout été dicté p ar u n be­ soin d'ém ancipation des sciences sociales vis-à-vis des sciences de la n ature et d u déterm inism e physique, pour certains c'est toujours u n obstacle intellectuel. De p ar ses origines de sociologue rural, Fred Buttel n 'en était guère incom m odé, son approche de la question environ­ nem entale intégrant, dès le début, une base technique et m atérielle, et les im plications sociales des m odifications de celle-ci. Avec son collègue Riley D unlap, à l'origine psycho­ sociologue, Fred Buttel a joué u n rôle m ajeur dans la reconnaissance et l'institutionnalisation de la sociologie de l'environnem ent com m e dom aine d 'é tu d e spécifique au sein de la sociologie am éricaine et, plus tard, interna­ tionale. Cette institutionnalisation s'est principalem ent déroulée dans les années 1980 et 1990. Elle im pliqua des efforts intellectuels, bien sûr, m ais aussi des efforts organisationnels, à savoir la création de com ités de recherche, l'organisation de congrès, la définition et la dém arcation d 'u n savoir com m un à la sociologie de l'environnem ent, la rédaction de synopsis sur cette sociologie, etc. Aux États-Unis com m e à l'extérieur, Fred Buttel a fait des ef­ forts énorm es p o u r la reconnaissance et l'indépendance de la sociologie de l'environnem ent. Sur le plan m ondial, ce qui com pte le plus, c'est son travail p o u r l'Internatio­ nal Sociological Association, avec la fondation d u Comité de recherche 24, « Environm ent and Society », dont il fut p en d a n t des années, le président et l'inspirateur. Toute u ne série de publications en tém oigne (Buttel, 1986,1987, 1996,1997, 2000a, 2000b et 2002). Il m 'est im possible de p résenter ici u n résum é de ces innom brables publica­ tions. Il en ém ane toutefois u n double souci. Le prem ier fut de lier la nouvelle sociologie de l'en ­ vironnem ent aux bases les plus traditionnelles de la so­ ciologie. Selon lui, l'innovation que représentait la socio­ logie de l'environnem ent exigeait u n enracinem ent dans la tradition sociologique com patible avec la construction de son autonom ie. D ans cet esprit, il a défendu une socio­ logie de l'environnem ent attentive aux développem ents socio-structurels, la m odernisation en prem ier lieu, m ais 329 aussi consciente de l'im portance des pratiques sociales concrètes et attachée à leur analyse. Ceci im plique une sociologie de l'environnem ent attentive à l'agent comme à la structure, au contenu com m e à la forme. Son deuxièm e souci fut de ne pas enferm er la sociolo­ gie de l'environnem ent sur elle-même, m ais au contraire de lui m énager des ouvertures su r d 'au tres approches et d 'a u tres paradigm es. Ce faisant, il rendit possible, dans les années 1990, l'introduction d'approches com m e celles su r la société d u risque, la m odernisation écologique ou le constructivism e social. Cela ne veut pas dire q u'il ac­ cepta p urem ent et sim plem ent ces nouveaux courants. Bien au contraire, dans de m ultiples articles, com m e nous pouvons le constater p ar exem ple dans l'unique article p a ru dans N S S (Buttel, 2000a), il adopta à leur égard une position critique, attitude dictée p ar sa connaissance approfondie de la sociologie générale, p ar son désir d 'y ancrer ferm em ent la sociologie de l'environnem ent, p ar son intérêt p o u r la problém atique institutionnelle, p ar sa large connaissance em pirique et p ar son aspiration à une théorie qui serait capable d 'a p p o rter une v aleu r ajoutée em pirico-analytique. Il n 'est pas su rp ren an t que, com pte tenu de ses centres d'intérêt, Fred Buttel ait aussi étudié le m ouvem ent éco­ logiste (que l'on dénom m e égalem ent m ouvem ent « environnem entaliste ») com m e un m ouvem ent social, et com m e u n courant ayant une im portance culturelle et politique. N ous com prenons pourquoi il fut intéressé p ar son im portance institutionnelle et p ar son impact. Vu sa connaissance de la sociologie rurale et celle des sciences et de la technologie, nous com prenons aussi pourquoi la sociologie de l'environnem ent « à la Buttel » prête tant d'attention à la m odernité et à la m odernisa­ tion, au rôle q u 'y jouent la connaissance scientifique et la technologie. Sans p o u r au tan t nier le progrès scien­ tifique et technologique, il souligna l'usage stratégique et instrum ental q u 'en fait la société m oderne. Il sut p er­ cevoir le rôle culturel de la science : « Le rôle princi­ pal joué p ar la science, écrit-il, est souvent déterm iné p ar la façon dont elle est représentée, et p ar la m a­ nière dont on s'en sert au sein des m ouvem ents sociaux, des groupes d'intérêt, des organism es régulateurs, des com m unautés épistém ologiques, des organisations in­ ternationales et de divers régim es, etc. » (Buttel, 2000b, p. 28). C aractéristique de cette prise de position interm é­ diaire est son exposé sur la notion de « changem ent glo­ bal » (Buttel et al., 1990 ; Buttel et Taylor, 1992), dans lequel il se livre à l'analyse d u discours sur la globalisation de la problém atique de l'environnem ent, sans p o u r autant ignorer le rôle (changé) de l'État-nation (Mol et Buttel, 2002). P eu de tem ps après, il collaborera à u n ouvrage (Mol et al., à paraître) dans lequel il exam inera de quelle m anière la sociologie de l'environnem ent p eu t contribuer au débat su r la globalisation. 330 P. Leroy : Natures Sciences Sociétés 13, 327-331 (2005) Un trajet multidisciplinaire? Une épistémologie pluraliste D ans le contexte de N SS, il est im portant de s'attard er su r la position q u 'a adoptée Fred Buttel dans le débat sur l'interdisciplinarité. De prim e abord, on p o u rrait croire qu'il ne s'y est guère intéressé. Il reste avant tout un sociologue actif dans sa discipline. En outre, nous savons qu'il n 'a jam ais plaidé p o u r l'entrecroisem ent de divers dom aines scientifiques, tel que l'ont fait M arcel Jollivet en France et bien d 'a u tres au niveau international. P ar contre, u n regard plus approfondi nous perm et d'affirm er que sa m anière de faire était clairem ent m ul­ tidisciplinaire. En tan t que sociologue rural, il s'intéresse à l'économ ie de l'entreprise et à la politique internatio­ nale, ainsi q u 'à la sociologie des sciences et de la tech­ nologie. Com m e sociologue de l'environnem ent, il met en avant aussi bien les ressources m atérielles et l'énergie que les courants culturels et politiques. Donc, m êm e si Fred Buttel est avant tout sociologue, il a une vision très large et m ultidisciplinaire de cette discipline. Sur le plan épistém ologique, son ouverture m ulti­ disciplinaire est indéniable. En tém oigne son pluralism e p arad ig m atiq u e qui place la sociologie de l'environne­ m ent p arm i les divers courants de la sociologie. Ainsi, il défricha u n espace de travail p o u r des approches contem ­ poraines. A ussi bien son approche de la société d u risque que celle de la m odernisation écologique m ériteraient d 'être appliquées et d 'être jugées su r la base de leurs m é­ rites, de la m êm e façon que lui-m êm e ne m anqua pas de ju g er et d 'an aly ser d 'u n e m anière critique la v aleur ajoutée de ces diverses approches. Son pluralism e épistém ologique ressort aussi de sa prise de position dans le débat, fort vif depuis 1990, op­ po san t les tenants d u réalism e social à ceux d u constructi­ vism e social. P our résum er : une position réaliste accepte la base m atérielle de la problém atique de l'environne­ m ent telle qu'elle est définie p ar les sciences naturelles. Ce qui p eu t réduire le rôle des sciences sociales à celui d 'u n e sim ple élaboration de stratégies visant à trouver des solutions. Une prise de position constructiviste, au contraire, s'attache su rto u t à analyser la m anière dont la problém atique de l'environnem ent est socialem ent et po­ litiquem ent construite. Le risque, p o u r les chercheurs en sciences sociales, étant alors de négliger les bases m até­ rielles et de ne pas prêter assez d'attention aux rapports de force qui sont derrière les constructions sociales. J'ai souvent v u Fred Buttel réagir à ce débat avec un haussem ent d 'ép au les quelque p eu m éprisant. N on pas parce q u'il le sous-estim ait ou qu'il ne le trouvait pas pertinent, m ais plutôt parce qu'il estim ait qu'il s'agis­ sait là d 'u n e contradiction seulem ent apparente et en quelque sorte déjà dépassée. C 'est la raison p o u r laquelle il adopta, non pas au nom d u consensus, m ais préci­ sém ent au nom d 'u n pluralism e épistém ologique, une position interm édiaire : la sociologie de l'environnem ent devait, selon lui, d 'u n e p art être attentive aux forces m o u ­ vantes de la m odernisation, de la science et de la tech­ nologie, etc. (c'est-à-dire aux bases m atérielles de la p ro­ blém atique de l'environnem ent), et, d 'a u tre part, p rêter au tan t d'attention à la rhétorique de la m odernisation et de la « scientifisation » (c'est-à-dire aux bases culturelles de la problém atique de l'environnem ent). Il estim ait que les forces m otrices com m e les discours m éritaient d'être analysés. Le réalism e et le constructi­ vism e ne devaient donc pas s'exclure, m ais être com ­ plém entaires. Par son passé de sociologue rural, Fred Buttel était convaincu de l'im portance des bases m até­ rielles (l'énergie, les ressources, la technologie) dans la problém atique de l'environnem ent. En m êm e tem ps, il fut tellem ent formé p ar la sociologie des sciences et de la technologie qu'il adopta presque de façon naturelle une attitude critique vis-à-vis d u rôle que pouvaient jouer la connaissance et la technologie, non seulem ent au sens m atériel, m ais aussi au sens culturel. Un trajet méritoire, un homme exemplaire A u m om ent où l'on s'est ren d u com pte que son dé­ cès était im m inent, le d épartem ent de Sociologie rurale de l'U niversité d u W isconsin organisa, lors de l'été 2004, un colloque en l'honneur de Fred Buttel. Trois sessions y furent consacrées aux dom aines de l'agriculture, de la technologie et de l'environnem ent. Ce faisant, le col­ loque résum ait les thèm es les plus im portants de la re­ cherche et des publications de Fred Buttel. C hem in que j'ai em prunté ici, en essayant d 'être le plus cohérent pos­ sible. J'espère ainsi avoir rendu au travail de Fred Buttel l'hom m age qu'il m érite. Il dem eurera dans notre souve­ nir com m e u n véritable apôtre d 'u n e sociologie de l'en ­ vironnem ent à la fois spécifique et enracinée dans la so­ ciologie générale, p rêtan t sim ultaném ent attention aux pratiques sociales concrètes, aux développem ents struc­ turels, aux im plications locales et m ondiales, à l'analyse des m odifications institutionnelles et, finalem ent, à une réflexion su r les liens entre ces dom aines. En guise de conclusion, je dirai que Fred Buttel a eu u n chem inem ent, en tan t que pionnier de la sociologie de l'environnem ent, qui illustre fort bien les développe­ m ents de cette discipline et que, parallèlem ent, comme professionnel et com m e hom m e, il dem eure exemplaire. Références Buttel, F.H., 1976. 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