Quoi de neuf dans le cancer de l`estomac ?

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DOSSIER THÉMATIQUE
XXIIe Journée scientifique
FFCD-PRODIGE
Quoi de neuf dans le cancer
de l’estomac ?
Gastric cancer: what’s new?
R. Guimbaud*
Classification
La classification TNM est le principal facteur pronostique et joue un rôle fondamental dans les choix
thérapeutiques. L’année 2010 a vu la validation de
sa septième édition (American Joint Committee on
Cancer-Union internationale contre le cancer [AJCCUICC]) incluant des modifications pour le cancer
gastrique. Ainsi, le stade T2 se limite à l’atteinte
de la musculeuse, le stade T3 à celle de la sousséreuse (il inclut donc l’ex-stade T2b) et le stade T4
à celle de la séreuse (ex-T3) et des structures adjacentes (ex-T4)… Finalement, le stade T gastrique
se simplifie en se superposant à la classification
T en cours dans le cancer du côlon ! C’est un peu
plus compliqué pour le stade N. En effet, N1 = 1
ou 2 N+, N2 = 3 à 6 N+ (ex-N1), et N3 est divisé
en 2 groupes : N3a, qui va de 7 à 15 N+ (ex-N2),
et N3b, ≥ 16 N+.
En réduisant le stade N1 à l’atteinte maximale de
2 N+, cette classification identifie le groupe des
cancers gastriques précoces (stade IA : T1N0, et
stade IB : T2N0 ou T1N1) comme un groupe homogène à très bon pronostic justifiant une prise en
charge et une surveillance à part. Pour le reste, il
est encore difficile d’en tirer une conséquence dans
nos pratiques cliniques.
Facteurs pronostiques
* Service d’oncologie digestive, pôle
digestif, CHU Rangueil, Toulouse.
De toute évidence, la présence d’un envahissement
ganglionnaire est un facteur pronostique majeur
de risque évolutif des cancers gastriques opérés à
visée curative. Néanmoins, l’absence d’envahissement ganglionnaire n’est pas, pour sa part, garante
de non-récidive. Un travail rétrospectif italien a
70 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011
étudié les caractéristiques clinico-pathologiques de
301 cancers gastriques N0 après curage de type D2
(comportant au moins 15 ganglions examinés) [1].
Les 2 seuls facteurs pronostiques indépendants identifiés étaient classiquement la profondeur de l’invasion pariétale (pT, notamment l’atteinte séreuse) et
le type histologique (intestinal versus diffus). Une
étude japonaise, menée chez 277 malades N0 opérés,
a aussi retrouvé ces 2 mêmes facteurs indépendants,
ainsi que la taille tumorale (> 7 cm) [2].
On regrette bien sûr de ne toujours pas disposer de
l’étude de caractères biologiques et moléculaires plus
poussés et plus finement discriminants.
Chirurgie
Le Dutch Trial, étude princeps européenne sur
l’étendue du curage ganglionnaire au cours de la
gastrectomie à visée curative du cancer gastrique,
avait démontré que le curage D2 ne permettait pas
d’assurer une meilleure survie que le curage D1 ; le
surcroît de morbi-mortalité de la splénopancréatectomie caudale liée à D2 avait notamment été mis
en cause. Les résultats à long terme de cette étude
randomisée (n = 711) ont été publiés en 2010 (3).
Après 15 ans de suivi médian, il n’y a toujours pas
de différence significative de survie globale entre les
2 groupes (D1 versus D2) ; cependant, la mortalité
par cancer gastrique et les taux de récidives locale
et régionale étaient plus élevés dans le groupe D1,
alors que les taux de mortalité, de complications
et de réintervention étaient plus élevés dans le
groupe D2. Ces résultats plaident donc en faveur
d’un curage qui aurait les avantages carcinologiques
du curage D2 sans ses inconvénients morbides. Ils
confortent donc les recommandations formulées
Résumé
L’année 2010 a été relativement riche en enseignements concernant le cancer de l’estomac. Des modifications de la classification TNM ont été réalisées. L’efficacité d’une chimiothérapie adjuvante est suggérée
par une méta-analyse, et l’intérêt de l’irinotécan est confirmé par les résultats de l’étude intergroupe
française ; en revanche, celui des biothérapies reste à démontrer.
dans le Thésaurus national de cancérologie digestive
(accord d’experts) : curage D2 pour les localisations
de l’antre (le curage D2 ne nécessitant pas, pour ces
localisations, de splénopancréatectomie) et curage
“D1,5” (curage D1 associé à un curage pédiculaire
des artères hépatique commune, gastrique gauche
et splénique proximale) pour les localisations du
corps ou du tiers supérieur de l’estomac. Ils engagent
même à envisager un réel curage D2 dans toutes les
situations, sous couvert d’une technique préservant la rate. Une étude italienne de non-infériorité,
publiée en 2010, a randomisé 267 malades entre
D1 et D2 ; elle n’a retrouvé aucune différence de
mortalité et que peu de différence de morbidité entre
les 2 types de curage (4). L’expertise des centres
chirurgicaux est mise en avant.
Traitements complémentaires
à la chirurgie
En Occident, 2 stratégies sont validées dans le traitement complémentaire des cancers gastriques :
➤➤ la radio-chimiothérapie postopératoire, validée
par l’étude INT0116 publiée il y a 10 ans (5) ;
➤➤ la chimiothérapie périopératoire (pré- et postopératoire) suivant le schéma ECF, validée par l’étude
de D. Cunningham et al. (6).
La chimiothérapie adjuvante (postopératoire seule),
hors Asie, n’est pas recommandée, les résultats,
souvent négatifs, des essais étant discordants. Les
résultats d’une nouvelle étude de phase III ayant
évalué 3 cycles d’étoposide, adriamycine et cisplatine (EAP) en postopératoire versus chirurgie seule,
chez 309 malades, se sont révélés négatifs (7).
Cependant, une méta-analyse récente de bonne
qualité a repris les données individuelles relatives à 3 838 malades inclus dans différents essais
randomisés ayant évalué l’intérêt d’une chimiothérapie postopératoire versus une chirurgie seule
(soit environ 60 % de l’effectif des malades de tous
les essais randomisés dans ce domaine) [8]. Cette
méta-analyse met en évidence un bénéfice significatif de la chimiothérapie adjuvante en termes de
survie (HR = 0,82 ; p < 0,001), sans qu’aucun type
de chimiothérapie spécifique n’émerge. Si ce résultat
ne suffit pas à faire de la chimiothérapie un standard
thérapeutique, il apporte des arguments en faveur
de son usage dans les cas où aucun des standards
reconnus ne peut être appliqué. Il n’est cependant
pas possible de préciser le type de chimiothérapie
qu’il faudrait alors privilégier.
Chimiothérapie des formes
avancées
Chimiothérapie cytotoxique
À côté des schémas de référence anciens mais
toujours valides (5-FU-cisplatine et ECF) se sont
développés, au cours des dernières années, des
schémas incluant de nouveaux cytotoxiques tels que
les taxanes (docétaxel), l’oxaliplatine, l’irinotécan
et les 5-FU oraux. Dans ce domaine, de nouvelles
données sont disponibles depuis 2010.
Mots-clés
Cancer gastrique
Chimiothérapie
adjuvante
Chimiothérapie
palliative
Abstract
Year 2010 give some new data
about gastric cancer. A new
TNM classification has been
published. The efficacy of an
adjuvant chemotherapy was
suggested by a metanalysis.
The interest of irinotecan is
confirmed by the results of
the intergroup French study. The
efficacy of targueted therapy
remains to be demonstrated.
Keywords
Gastric cancer
Adjuvant chemotherapy
Palliative chemotherapy
◆◆ 5-FU oral
Le S1 est un 5-FU oral associant le tégafur, prodrogue
du 5-FU, au giméracil, un inhibiteur de la DPD,
prolongeant ainsi sa demi-vie, et à l’otéracil potassium (limitant les effets digestifs toxiques du 5-FU).
Au Japon, où le cancer gastrique est prédominant,
le S1 est le traitement de référence en monothérapie en situation adjuvante ou en association avec
d’autres cytotoxiques (notamment le cisplatine,
l’irinotécan, le docétaxel) en situation avancée. Il
était donc logique que cette molécule soit testée
dans la population occidentale. C’est ce qui fut fait
dans l’étude FLAGS (9)… sans succès. Il s’agissait
de comparer l’association S1-cisplatine (S1 : 50 mg/
m2/j × 21 jours et cisplatine : 75 mg/m2 J1, tous
les 28 jours) au standard 5-FU-cisplatine (5-FU :
1 000 mg/m2 de J1 à J5 et cisplatine : 100 mg/m2 J1
tous les 28 jours). La survie globale (objectif principal) n’était pas différente : 8,6 versus 7,9 mois (HR
= 0,92 ; p = 0,20), mais la tolérance était significativement meilleure dans le bras S1-cisplatine. Cette
étude a cependant sonné le glas du développement
du S1 en Occident.
◆◆ Irinotécan
Les résultats de l’analyse finale de l’étude intergroupe
française (FFCD-FNCLCC-GERCOR) ont été commuLa Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 71
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niqués récemment à l’ESMO (10). Quatre cent seize
malades avaient été randomisés entre FOLFIRI en
première ligne (puis épirubicine-cisplatine-capécitabine [ECX] en deuxième ligne) et la séquence inverse :
ECX en première ligne (puis FOLFIRI en deuxième
ligne). L’objectif principal était le temps jusqu’à échec
thérapeutique (Time to Treatment Failure [TTF]) en
première ligne, incluant, comme paramètres d’échec,
le décès et la progression mais aussi l’arrêt thérapeutique (quelle qu’en soit la raison : toxicité, tolérance,
demande du malade, etc.). L’étude est positive, avec
un TTF en faveur du bras FOLFIRI en première ligne
(HR = 0,77 ; p = 0,008) ; la survie sans récidive et
la récidive globale (objectifs secondaires) n’étaient
pas différentes et les toxicités de haut grade étaient
significativement moins fréquentes. Ces résultats
montrent donc que la balance bénéfice-risque est en
faveur du FOLFIRI et que ce schéma a toute sa place
dans le traitement des cancers gastriques avancés.
Thérapies ciblées
L’ère des thérapies ciblées en pratique clinique dans
le traitement du cancer gastrique avancé s’ouvre
avec le trastuzumab, anticorps anti-HER2, pour les
tumeurs surexprimant cette cible (soit environ 15 %
des cancers gastriques). L’essai ToGA, étude randomisée présentée à l’ASCO en 2009 et publiée dans le
Lancet en 2010, a en effet démontré un bénéfice en
survie de l’association 5-FU (ou capécitabine)-cisplatine + trastuzumab versus 5-FU (ou capécitabine)cisplatine, avec une médiane de survie de 13,8 mois
versus 11 mois (HR = 0,74 ; IC95 : 0,60-0,91 ; p =
0,0046) [11]. Pour la première fois, la médiane
de 1 an de survie globale a été franchie. Selon une
analyse exploratoire en fonction du niveau de positivité de HER2, la meilleure efficacité du traitement
était observée chez les patients à forte expression
de HER2 (tumeur FISH+/IHC 2+/3+). La survie
médiane était alors de 16 mois avec la combinaison
chimiothérapie-trastuzumab versus 11,8 mois avec
la seule chimiothérapie ! L’association 5-FU-cisplatine-trastuzumab s’impose donc comme nouveau
standard de chimiothérapie de première ligne des
cancers gastriques surexprimant fortement HER2.
La recherche d’une surexpression de HER2 doit donc
être demandée chez les malades aptes à recevoir
ce traitement.
Aucune autre thérapie ciblée n’a pour l’instant
démontré d’efficacité dans cette indication. Notamment, le bévacizumab (anticorps anti-VEGF) a été
testé dans l’étude AVAGAST, de façon randomisée
(n = 774), en association avec capécitabine et cisplatine, sans amélioration significative de la survie sur
l’ensemble de la population de l’étude (12,1 versus
10,1 mois ; HR = 0,87 ; p = 0,1) [12]. Cependant, la
tolérance était bonne, et l’on peut regretter l’hétérogénéité des populations traitées (différences
importantes entre les populations et les systèmes
de soins des centres asiatiques, européens et sudaméricains ayant participé à l’étude), qui a peut-être
altéré les résultats.
Pour ce qui est des thérapies ciblées anti-EGFR, elles
font l’objet d’études dont le recrutement est tout juste
clos (étude EXPAND, évaluant le cétuximab en association avec un schéma 5-FU-cisplatine) ou encore
en cours (étude REAL 3, évaluant le panitumumab en
association avec un schéma épirubicine-oxaliplatinecisplatine [EOX]). Les résultats sont à venir.
■
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