e cancer est toujours une crise existentielle grave qui

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Qu’est-ce que la psycho-oncologie ?
● I. Piollet-Calmette*
L
e cancer est toujours une crise existentielle grave qui
touche en premier lieu le patient, mais aussi sa famille
et ses soignants. En cancérologie, il y a un double
enjeu : en priorité, tout faire pour obtenir la guérison du patient,
mais aussi, lui permettre de traverser au mieux cette douloureuse
expérience de maladie, avec la meilleure qualité de vie possible.
Le recours à des thérapeutiques de plus en plus lourdes, de haute
technicité, souvent éprouvantes pour le malade, ne se conçoit pas
sans un soutien relationnel de bonne qualité, dès l’annonce du
diagnostic.
Ce soutien relationnel est l’affaire de tous les acteurs de soins en
cancérologie : c’est un élément constitutif de la prise en charge
globale du patient.
La psycho-oncologie est une discipline qui étudie les difficultés
psychologiques et sociales pouvant survenir à tous les stades de
la maladie cancéreuse, aussi bien pour les patients et leur famille,
que pour les soignants. Son but est d’assurer au malade un confort
psychologique de qualité, incorporé à l’ensemble des soins. La
psycho-oncologie se situe donc à l’interface de l’oncologie,
d’une part, et de la psychiatrie et de la psychologie, d’autre part.
La complexité et la largeur de son champ d’action sont telles que
cette discipline nécessite l’intervention de professionnels, psychiatres et psychologues, ayant des connaissances et une pratique spécifiques. Durant ces dernières années, des postes se sont
ouverts pour ces professionnels au sein des équipes des grands
centres de traitement du cancer, mais on peut déplorer qu’ils
soient encore en nombre insuffisant.
Les psycho-oncologues interviennent principalement auprès des
patients en difficulté et sont régulièrement amenés à rencontrer
les familles.
Il ne s’agit pas de considérer le patient atteint de cancer comme
un malade psychiatrique, mais il ne faut pas non plus sous-estimer
la psychopathologie qui peut être présente à certains moments
de la maladie.
Il s’agit d’aider le patient :
– à faire face à “l’événement cancer”, qui peut constituer une
“situation limite” sur le plan psychologique, en regard du traumatisme toujours présent et des représentations mentales qui
peuvent lui être associées ;
– à accepter et supporter au mieux des traitements parfois lourds,
eux aussi très chargés d’images plus ou moins mythiques ;
– à se réintégrer dans une vie familiale et socioprofessionnelle,
ce qui est d’autant plus difficile que les séquelles des traitements,
en particulier chirurgicaux, sont importantes ;
– à communiquer avec sa famille et ses soignants : le malade est
en permanence au cœur de relations parfois difficiles. Les pièges
relationnels sont nombreux en cancérologie et il faut les prévenir,
les dépister et les déjouer avant qu’ils ne se traduisent par des
* Institut Sainte-Catherine, Avignon.
La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
ruptures relationnelles majeures ou des symptômes psychopathologiques chez le patient.
En parallèle de cette démarche menée auprès des patients, les
psycho-oncologues ont un travail au sein même des équipes de
soins et participent, en réunions pluridisciplinaires, à la prise en
compte de tous les problèmes psychologiques, comportementaux,
mais aussi éthiques et sociaux pouvant se poser dans des contextes
très divers : information, prévention et dépistage, oncogénétique,
prises de décisions en fin de vie, protocoles expérimentaux de
traitement, etc.
LE PATIENT FACE À SA MALADIE
Le cancer fait brutalement irruption dans la vie du sujet, parfois
dans un contexte d’irréalité, le patient n’en ayant pas perçu les
symptômes jusque-là. Dans tous les cas, ce diagnostic génère
une forte angoisse, qui peut s’exprimer de façons très diverses.
Ce choc psychologique peut provoquer une véritable sidération
psychique, le patient étant comme tétanisé par ce qui lui arrive,
incapable de réagir ou de se comporter de façon adaptée. Peu à peu,
des sentiments plus ou moins inconfortables peuvent s’installer,
augmentant le niveau anxieux. Ce sont : l’incertitude (intérêt de
la planification du futur immédiat), la perte de contrôle de soi et
de sa vie, la perte des repères, tant au niveau du corps (trahison
de soi envers soi-même), au niveau du temps (perte de la capacité
d’anticipation de l’avenir), qu’au niveau des relations (redéfinition
des rôles).
Face à cette crise, le malade est obligé de faire face, de s’adapter.
Pour cela, il va développer une série de réactions cognitives,
émotionnelles et comportementales lui permettant : dans un premier temps, d’évaluer les difficultés (menaces actuelles et
futures, ressources…), puis de réagir, selon le modèle de coping
des Anglo-Saxons. Certaines réactions semblent plus efficaces
que d’autres : attitude combative ou de déni, recherche active de
soutien social. Les manifestations anxieuses ou dépressives sont
fréquentes, mais ne sont pas toujours l’expression d’un trouble :
elles peuvent être la conséquence des efforts continus réalisés
pour faire face. Même si ces réactions sont “normales”, une aide
psychologique peut être nécessaire.
Un bon nombre de patients arrivent à faire face à “l’événement
cancer”. Toutefois, les problèmes psychosociaux et les troubles
psychiatriques ont une prévalence importante en cancérologie :
les troubles de l’adaptation, les troubles anxieux, les troubles
affectifs majeurs (l’incidence de la dépression, qui est d’environ
6 % dans la population générale est de 20 % en cancérologie), les
troubles mentaux d’origine organique, les états de stress posttraumatique.
Actuellement, un patient cancéreux sur deux se trouvera en
phase palliative. La prise en compte des difficultés psychologiques participe à ces soins continus et aide à considérer le
malade dans sa souffrance globale. Les psycho-oncologues sont
donc régulièrement amenés à être présents dans l’accompagne9
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ment de ces malades et de leur famille. Ils soutiennent aussi les
équipes de soins qui ont souvent, dans ce contexte, des sentiments de culpabilité, d’impuissance, de blessure en regard d’un
idéal soignant.
LES MOYENS THÉRAPEUTIQUES
Ils sont multiples. L’utilisation des psychotropes est courante en
cancérologie, qu’il s’agisse, surtout, de tranquillisants et d’hypnotiques, ou d’antidépresseurs. Il faut rester vigilant dans cette
prescription : ne pas en abuser en les substituant à un besoin relationnel, ne pas la sous-estimer non plus.
Les moyens non pharmacologiques sont également largement
utilisés.
Toutes les approches psychothérapeutiques, quel que soit leur
support théorique, sont bénéfiques, en augmentant la qualité de
vie des malades. En revanche, si quelques travaux laissent
supposer que certaines psychothérapies pourraient allonger la
survie des malades, cela reste à démontrer.
On peut repérer quatre grands axes de soins :
– l’information et l’éducation du malade et de sa famille facilitent beaucoup l’adaptation. Elles sont l’affaire de tous ;
– les approches comportementales, en particulier la relaxation,
associée ou non à l’utilisation d’images mentales ;
– les psychothérapies individuelles. Quelle que soit la référence
théorique utilisée, elles aident le patient à s’adapter émotionnellement à la maladie et à tenter de trouver un sens à ce qui lui
arrive ;
– les psychothérapies de groupe sont encore peu utilisées en
France. Leur grand intérêt va les conduire à se développer.
LE PATIENT ET SA FAMILLE
Un diagnostic de cancer est toujours traumatisant au sein d’une
famille. Les membres de cette famille ont, eux aussi, recours à
des mécanismes de défense qui peuvent les faire osciller entre
deux pôles réactionnels : le rejet ou le maternage. La souffrance
du malade, la durée des traitements et leurs répercussions fonctionnelles peuvent perturber dramatiquement le système de relation au sein de la famille, parfois de façon définitive. Or, la qualité
du soutien familial est un indice pronostique de l’adaptation du
patient.
LE PATIENT ET L’ÉQUIPE DE SOINS
Les difficultés de communication sont souvent au premier plan,
en cancérologie. Elles altèrent les capacités adaptatives du
patient et augmentent donc sa détresse psychologique. Elles
alourdissent aussi la charge émotionnelle des soignants. Ces difficultés se tissent autour de “non-dits”, “mal-dits” ou “malentendus”.
C’est, dès le départ, le problème de l’information puisqu’il s’agit
de dire à son patient ce qu’on ne voudrait pas lui dire et qu’il ne
voudrait pas entendre. La qualité de ces temps d’information est
déterminante pour la relation soignant-soigné ultérieure. Cette
relation est souvent “parasitée” par un niveau d’angoisse élevé
des deux côtés : l’angoisse du malade, mais aussi celle du médecin,
qui a sa propre problématique vis-à-vis du cancer, problématique
pouvant faire écho à celle du patient (phénomènes de projection,
d’identification).
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Les psycho-oncologues sont largement concernés par ces relations soignants-soignés. Ils ont un travail institutionnel à mener
auprès des équipes de soins, qui souffrent de leurs propres
angoisses et de ces communications difficiles, ce qui peut
induire un véritable burn-out professionnel, surtout lors des
phases palliatives de la maladie.
Le soutien des équipes de soins a pour but principal de restaurer
chez chaque soignant, la confiance en soi et en sa qualité de
travail, ce qui retentit immédiatement sur la qualité des soins
relationnels prodigués aux malades.
LE PATIENT GUÉRI
La régression de la maladie est souvent nuancée par des difficultés
psychologiques : peur de la rechute (syndrome de Damoclès),
niveau d’anxiété élevé, diminution de l’estime de soi, vécu difficile d’une récupération incomplète (séquelles). Le patient doit
quitter son rôle de malade pour reconstruire un autre système de
fonctionnement au niveau familial, professionnel et social. Cela
peut générer une véritable psychopathologie. L’intervention des
psycho-oncologues dans cet “après” pourra être d’autant plus
souhaitable que le patient aura alors le sentiment d’être abandonné de l’équipe de soins. Les associations d’anciens malades
jouent là un rôle primordial, par une entraide active tant sur le
plan psychologique que pratique. La réhabilitation de ces patients
pose en fait un véritable problème de société.
CONCLUSION
Rappelons que prendre en charge un patient atteint d’un cancer
passe par une double nécessité : en premier lieu, tout faire pour
lui apporter une guérison, mais aussi lui assurer le meilleur
confort psychologique et relationnel possible tout au long de ses
soins. La psycho-oncologie s’inscrit directement dans cette
démarche. Dans les équipes où cette discipline est introduite, les
bénéfices pour les patients, l’équipe de soins et… l’assurance
maladie sont nets. La réduction du niveau d’angoisse influe sur
la durée et le nombre des hospitalisations, améliore l’observance
des malades, diminue l’absentéisme des infirmières, renforce la
qualité des soins et donc, la satisfaction de tous.
En France, l’intégration des psycho-oncologues est encore insuffisante et très inégale. Toutefois, depuis les 1ers États généraux
des malades atteints de cancer (novembre 1998), où ces malades
ont dit qu’ils étaient plutôt bien soignés, mais pas assez soutenus par les médecins, cette nécessité d’un soutien psychologique
s’impose de plus en plus dans les attentes des citoyens, dans
l’organisation des soins cancérologiques et dans le discours des
décideurs politiques.
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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
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