Présentation

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Histoire des États
germaniques II :
D’un empire à l’autre
Quatrième cours :
De la Prusse au 2e Reich
(1860-1914)
Quatrième cours :
1 — Otto von Bismarck (1815-1898)
2 — Les guerres d’unification et la naissance
du Second Empire (1864-1871)
3 — Politique intérieure (1871-1890)
4 — Démographie et Société
5 — Économie
1 — Otto von Bismarck
(1815-1898)
• Malgré la chape de plomb imposé après le Printemps des
Peuples, les forces sociales et économiques stimulées par le
développement du capitalisme continuent de faire leur œuvre
et sous le calme apparent, le feu couve.
• En 1858, les proches du roi Frédéric-Guillaume IV,
constatant son incapacité à assurer le gouvernement,
poussent sur le trône son frère cadet, Guillaume Frédéric
Louis, qui assurera la régence, puis en 1816 la plénitude des
pouvoirs sous le nom de Guillaume 1er.
• Le nouveau roi, déjà âgé de 64 ans est conservateur, mais
l’influence de son épouse, une princesse de Saxe-Weimar
proche des idées libérales, rend sa politique plus complexe.
• Dès qu’il devint régent, il renvoya le ministre Manteuffel, très
conservateur, tentant de rompre avec le passé en rassembler
autour de lui la société, même si le successeur de
Manteuffel, le prince Karl Anton de HohenzollernSigmaringen n’était pas non plus un libéral.
• Grâce au système des « 3 classes », les élections de 1858
voient le triomphe de la bourgeoisie, mais si le roi veut
renouer le dialogue, il n’entend pas partager son pouvoir, de
sorte que la confrontation avec la Diète était inévitable.
• C’est autour de la question de la modernisation de la
structure de l’armée, héritée de la période napoléonienne,
que celle-ci va éclater. Le roi désirait accroitre la puissance
de son armée, ce qui réclamait des fonds importants, que la
Diète était prête à concéder, mais en échange d’une
réduction de la durée du service militaire obligatoire de trois à
deux ans.
Le système des trois classes
• Le conflit révélait aussi le maintien d’une dichotomie, entre un
roi se voulant absolu et un parlement, bourgeois, réclamant
son mot à dire sur la gouvernance de l’État.
• Le roi résolut de dissoudre le parlement et convoqua de
nouvelles élections, mais la confrontation avait favorisé la
radicalisation de certains députés qui formèrent, au sein de la
nouvelle Diète, le Parti allemand du progrès.
• Le nom de ce premier parti allemand, au sens moderne du
terme, illustre son ambition de constituer une base pour
l’unification allemande.
• Guillaume était donc confronté à un dilemme : ou bien
abandonner la lutte en abdiquant au profit de son fils, ou bien
lutter contre la Diète.
• Son conservatisme et le sentiment profond qu’il avait de sa
mission lui firent choisir la seconde solution. Mais pour mener
la lutte, il allait avoir besoin d’un ministre-président capable
de relever le défi.
• Il avait sous la main un tel homme, mais son caractère
inflexible inquiétait le roi, plus timoré. La situation dictait
cependant la nécessité et le 23 septembre 1862, Otto von
Bismarck fut appelé à diriger le gouvernement.
• Né en 1815 dans une famille d’ancienne noblesse peu
fortunée, Bismarck avait eu l’occasion de faire montre de ses
capacités alors qu’il représentait le gouvernement de Prusse
au sein du Conseil fédéral de Frankfort, avant d’être
ambassadeur à Saint-Péterbourg, puis à Paris.
• Conservateur, Bismarck comprend l’époque dans laquelle il
vit et sait que pour sauver l’essentiel, des compromis sont
nécessaires.
• Cela ne pose pas de problèmes à cet esprit pragmatique et
parfois au cynisme, qui lui permettra se s’allier avec des
républicains pour vaincre d’autres monarchistes.
• Dès sa nomination, Bismarck part à l’assaut : il dissout le
parlement et devant la formation d’une assemblée plus
radicale, il décide de se passer de son accord pour
gouverner,
• En même temps, il multiplie procès de censure, fermetures
de journaux et mesures administratives destinées à affaiblir
une opposition sonnée devant tant de mépris affiché pour les
institutions et la constitution.
• Mais Bismarck comprend que les problèmes du pays ne
sauraient être résolus par la force : tant que le problème de
l’unité nationale de serait pas réglé, il continuerait
d’empoisonner le climat politique et social.
• Et puisqu’il fallait régler ce problème, autant l’instrumentaliser
pour que cela se fasse dans l’intérêt de la Prusse. Mais les
solutions à ce problème dépassaient nettement les frontières
prussiennes.
2 — Les guerres d’unification et
la naissance du Second Empire
(1864-1871)
• Sans doute Bismarck ne savait pas ce qu’il devait faire, mais
il savait quelle direction prendre. Une fois engagé sur la voie,
il parviendra en quelques années à atteindre le but qu’avaient
en vain cherché à atteindre les empereurs.
• Il comprenait que la seule façon d’imposer la Prusse à la tête
de l’union allemande était de vaincre l’autre prétendant à,
l’empire autrichien.
• Qui plus est, ayant assisté impuissant à la « reculade
d’Olmutz », sans soute voyait-il ici une excellente occasion
de venger l’honneur de sa chère Prusse.
• En 1860, l’empire autrichien continuait pour de nombreux
États allemands d’être le centre du monde germanique.
• Il l’était aux yeux de la majorité des puissances européennes
: avant de s’attaquer à Vienne, il fallait l’isoler.
• Avec la France, la chose fut aisée, celle-ci étant désireuse de
remettre en question l’ordre issu du Congrès de Vienne.
• C’est d’abord grâce à l’économie qu’eut lieu le
rapprochement : 1862, Paris signait avec le Zollverein un
accord de libre-échange que Bismarck dut imposer aux
autres États membres.
• Avec la Russie, le rapprochement fut facilité par la rébellion
polonaise de 1863, Berlin refusant de venir en aide aux
insurgés. Les liens étroits unissant depuis longtemps les
Hohenzollern et les Romanov firent le reste.
• Mais l’Autriche n’avait pas abandonné son désir de conserver
son rôle en patronnant la réunion des États allemands grâce
à la Confédération.
• À l’été 1863, l’empereur tenta d’accroitre le pouvoir du
Conseil fédéral par une réforme, mais la Prusse refusa de
participer aux négociations
• Ce refus était risqué et son manque de bonne volonté fut
interprété négativement par l’opinion. Heureusement, la
question des Duchés danois ressurgit à ce moment pour
permettre à Berlin de s’imposer.
• Le problème des duchés était ancien et avait ressurgi à la
faveur de la crise de 1848, alors que le roi du Danemark avait
de les incorporer à son royaume.
• La guerre qui s’en était suivi s’était soldée par un compromis
faisant des trois duchés des territoires héréditaires du
Danemark, mais distincts de celui-ci.
• Lorsque Christian IX annonce en 1863 son désir d’incorporer
les trois duchés à son royaume, en violation des accords
conclus, Bismarck tient son casus belli.
• La guerre, menée par la Prusse, mais à laquelle participe
l’Autriche, est déclenchée le 1er février 1864 et s’achève le 1er
août par une victoire allemande éclatante.
• Par le traité de Gastein de 1865, les trois territoires passent
sous contrôle allemand : l’Autriche prend le Holstein, la
Prusse le Schleswig, alors que le Lauenburg est racheté par
cette dernière.
• Malgré la méfiance qu’il suscite, Bismarck réussit à rallier
même une partie des libéraux prussiens et s’impose comme
le chef politique du monde germanique.
• Le temps était venu de régler le problème autrichien :
prétextant la volonté déclarée de Vienne de tenir un
référendum sur la question de l’appartenance des duchés,
Bismarck, après une solide préparation diplomatique envoie
ses troupes dans le Holstein le 9 juin 1866.
• L’Autriche répond en mobilisant la Confédération contre la
Prusse et Bismarck annonce que Berlin la quitte.
• Trois semaines après le début du conflit, l’Europe est
abasourdie par la victoire de Sadowa, au cours de laquelle
les armées prussiennes font preuve de leur incroyable
supériorité technique et tactique.
• Contre le son roi, Bismarck veut une paix rapide qui
n’humilierait pas son adversaire et celle-ci est conclue à
Prague en 1866.
• L’Autriche doit céder à l’Italie la Vénétie et la Prusse
s’empare de la totalité des duchés danois et de plusieurs des
territoires des alliés de Vienne (Hanovre, Nassau, HesseCassel et Frankfort), permettant de créer une continuité
territoriale des terres prussiennes.
• Si l’Autriche perd peu de territoires, elle perd beaucoup
politiquement, car elle doit accepter la dissolution de la
Confédération germanique et la proclamation, le 18 août
1866, de la Confédération de l’Allemagne du Nord, menée
par la Prusse et dont bien sûr l’Autriche est exclue.
Confédération de l’Allemagne
du nord (1866)
• La solution de la « Petite Allemagne » l’emporte et Vienne est
évacué de l’univers politique de l’Allemagne.
• L’événement, renverse l’ordre en place depuis le XVe siècle
et qui faisait des Habsbourg le socle politique du monde
germanique. Le centre de gravité se déplace vers le nord et,
conséquence de la puissance de Berlin, on assistera alors à
une « prussisation » du monde germanique.
• L’ouest et du sud germanique, avec leurs traditions libérales,
leur capitalisme industriel et financier, laisse place à la
domination des traditions de l’est et du nord : centralisme,
autoritarisme, militarisme, appuyés sur une armée puissante
et une bureaucratie tatillonne.
• Malgré cette réalité, les élites libérales sont divisées sur
l’évolution de la situation et en Prusse, une part significative
des libéraux, que l’on nommera dès lors les libérauxnationaux, appuie le nouvel homme providentiel et son
programme.
• La construction institutionnelle de ce nouvel ensemble
constituera la base de l’empire allemand à venir. Bismarck,
qui en est le concepteur, parvient à faire cohabiter dans le
système l’édification d’un État central et le maintien
d’institutions locales.
• Le système bismarckien semble doté de plusieurs centres de
pouvoir, mais c’est la Prusse qui mène, à un triple titre.
• Le Conseil fédéral (Bundesrat) regroupe les représentants
des différents territoires, mais est dirigé par le roi de Prusse.
La Prusse, ne disposant que de 17 des 43 sièges, n’est pas
hégémonique, mais sa puissance réelle compense cette
faiblesse, concession de Bismarck à la diversité germanique.
• L’autre centre de pouvoir est le Reichstag, la Diète d’empire,
parlement fédéral dont les députés sont élus au suffrage
universel, direct et secret des hommes de 24 ans et plus.
• Comme la Prusse est l’État le plus peuplé (deux tiers de la
population), c’est elle qui a le poids le plus lourd.
• Enfin, le gouvernement est dirigé par un chancelier nommé
par le président du Bundestag, le roi de Prusse.
• Ce poste sera occupé par Bismarck, qui reste ministreprésident de la Prusse, les intérêts de cette dernière seront
donc bien défendus par le nouveau chancelier, d’autant que
celui-ci n’est responsable que devant le président du
Bundesrat...
• Sous les apparences et malgré une certaine structure
parlementaire, s’impose la tradition prussienne d’un état fort,
centralisé, dominé par l’exécutif et laissant des pouvoirs
réduits aux institutions parlementaires.
• Le roi de Prusse, président du Bundestag, est maître de la
diplomatie et dispose du droit de convoquer et dissoudre le
Reichstag et d’ajourner les travaux du Bundesrat, en plus
d’être chef d’une armée fédérale formée par 1 % de la
population.
• Les autres institutions confédérales sont chargées de
responsabilités importantes : droit migratoire, douanes,
transports, postes.
• Les États membres et leurs institutions politiques (la
constitution confédérale laisse aux membres le soin de définir
l’organisation de celles-ci) détiennent aussi des compétences
importantes : éducation, culture et fiscalité.
• La Prusse domine, mais n’écrase pas : Bismarck a tenu
compte de cette « diversité dans l’unité » si caractéristique de
l’histoire allemande et du désir des Allemands de rester euxmêmes tout en étant enfin réunis.
• Adoptée le 16 avril 1867, la constitution permet la mise en
place et le début des travaux des institutions prévues.
• Mais l’Allemagne demeure incomplète et si Bismarck ne veut
pas de l’Autriche, le reste de l’Allemagne du Sud devra
rejoindre la Confédération pour achever l’œuvre.
La constitution de 1871
• Le traité de 1866 avait prévu la formation d’une confédération
de l’Allemagne du Sud, mais pour Bismarck, il s’agissait
d’une concession faite aux puissances européennes
observant avec inquiétude la formation de l’État.
• De même, l’Autriche aux prises avec sa propre crise ne
pouvant pas piloter le projet et celui-ci n’avait aucune chance
d’aboutir.
• Rien n’illustre mieux le machiavélisme de Bismarck que la
politique qu’il suit entre 1867 et 1870 pour rallier à son projet
le reste des États allemands.
• Alors qu’il avait suggéré à Napoléon III des possibilités
d’annexion de territoires à l’ouest en compensation de sa
neutralité dans le conflit avec l’Autriche, il utilise cette
menace pour obtenir des alliances secrètes contre Paris avec
les États encore indépendants de l’ouest et du sud...
• La pression diplomatique est assortie d’une pression
économique, alors que le Zollverein s’étend à ces territoires.
• Grâce au développement d’institutions centrales exécutives
qui lui sont propres, le Zollverein s’étend alors à tous les
territoires qui deviendront l’Allemagne, à l’exception de
Hambourg et de Brême, qui sont des villes franches.
• Mais les résistances demeurent fortes et il faudra ici aussi
une occasion à Bismarck pour franchir le pas.
• L’occasion viendra de France, car après l’affaire du
Luxembourg, l’opinion allemande est à nouveau très
remontée contre l’impérialisme français, l’opinion française
ne l’étant pas moins face au révisionnisme prussien.
• La tension étant grande entre les deux pays, la crise
espagnole fera le reste.
• Le trône d’Espagne étant vacant depuis que la reine Isabelle
II en a été chassée en 1868, Bismarck propose la
candidature d’un Hohenzollern pour lui succéder, faisant
renaitre en France la hantise de l’encerclement de l’époque
de Charles Quint.
• Le candidat fit savoir son manque d’intérêt, mais la France
exigea du roi de Prusse un engagement formel, que celui-ci
se refusa poliment à donner.
• Bismarck fit alors modifier le texte de la dépêche du roi de
façon à rendre celle-ci provocante et méprisante. C’est cette
« Dépêche d’Ems », du nom de la ville où le roi se trouvait
alors, qui provoquera la guerre.
• Paris déclare alors la guerre à la Confédération, suscitant le
ralliement de tous les Allemands devant cette énième
manifestation de l’impérialisme français.
• Face aux forces de la coalition, les armés françaises seront à
leur tour humiliées et l’empereur fait prisonnier à Sedan, un
mois après le début du conflit.
• L’historiographie diverge sur les raisons qui poussent
Bismarck à abandonner sa politique visant à ne pas humilier
le vaincu.
• Certains prétendent qu’il n’avait pas le choix, le roi et
l’opinion réclamant que les erreurs de 1815, Mais peut-être
voyait-il dans cette intransigeance la meilleure façon de rallier
les États du sud à la confédération.
• Le gouvernement de Thiers acceptera des conditions très
dures, comprenant l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine,
ainsi que de lourdes indemnités de guerre à verser, lors du
traité signé le 10 mai 1871 à Frankfort.
• Alors que les combats se poursuivent, Bismarck négocie
avec la Bavière, le Wurtemberg et les autres États allemands
de l’ouest leur intégration dans la confédération. Sous son
nom de 2e Reich, l’Allemagne moderne nait.
• Comble de l’humiliation pour l’ennemi français, la
proclamation de l’empire a lieu le 18 janvier 1871 dans la
galerie des Glaces du château de Versailles, demeure de
Louis XIV qui avait tant fait pour empêcher l’unification
allemande.
3 — Politique intérieure
(1871-1890)
3.1 — L’unification de l’État (1870-1880)
• Certains changements sont apportés à la constitution, pour
faire une place plus grande aux nouveaux venus : portés à
58 membres, le Bundesrat peut voir des changements
constitutionnels bloqués non seulement par la Prusse, mais
aussi par la Bavière, la Saxe et le Wurtemberg.
• Quelques concessions sont aussi faites à ces États :
responsabilité locale pour les postes et commandement de
ses forces militaires en temps de paix, etc.
• La constitution du 16 avril 1871 réunit 25 États au sein d’un
empire fédéral :
• 4 royaumes, 6 grands-duchés, 5 duchés, sept principautés et
trois villes libres, en plus de l’Alsace-Lorraine, dont la gestion
relève directement du centre politique.
• Le titre porté par le roi de Prusse est désormais celui
d’empereur allemand, mais jusqu’en 1890, Bismarck
demeurera le véritable maitre politique du pays.
• En plus de son prestige personnel, Bismarck continue de
diriger la Prusse et ses 25 millions d’habitants sur les 41 que
compte le Reich. La « prussisation » s’accélère.
• D’autant que l’État central dispose de peu de moyens
financiers pour développer des politiques fédérales, ce qui
favorise le maintien des particularismes régionaux.
• En dépit de la puissance de l’exécutif, les institutions
parlementaires joueront des rôles importants au cours de
l’ère bismarckienne, le chancelier devant tenir compte des
changements sociaux et politiques qui surviendront.
• Les premières élections (mars 1871) verront la formation
d’une structure partisane moderne et la domination des
forces soutenant le chancelier, réunis au sein du parti
national libéral ou de l’un des deux partis conservateurs.
• De ce moment jusqu’en 1890, Bismarck se préoccupera de la
consolidation d’un État qu’il sait fragile, tentant d’accroître le
pouvoir du centre et de réduire celui des particularismes.
• L’accroissement du pouvoir central doit passer par
l’augmentation de ses revenus, mais c’est un combat difficile,
car les États membres en comprennent les raisons : plus le
centre disposera de moyens financiers, plus il deviendra
interventionniste et centralisateur.
• En plus des taxes qu’il s’emploie à augmenter (avec
difficultés), Bismarck recours au protectionnisme, instaurant
des barrières tarifaires sur certains produits, mais cette
politique
suscite aussi l’opposition, des
pouvoirs
économiques, cette fois.
• La centralisation passe aussi par l’uniformatisation : Code
civil commun, monnaie commune (le mark), chemins de fer
ou loi militaire de 1871, qui impose à l’Armée fédérale le
commandement prussien en temps de guerre.
• Mais c’est par la lutte contre le maintien des particularismes
que Bismarck envisage la consolidation de l’État. Cela
concerne d’abord les minorités nationales.
• L’Allemagne est assez homogène ethniquement : quelques
millions de Polonais, quelques centaines de milliers de
Tchèques, une communauté juive assez importante et bien
les francophones d’Alsace et de Lorraine.
• Bismarck va s’employer à lutter contre ces minorités,
pratiquant une germanisation des zones à fortes population
non-germanophones, surtout en Poznanie et en AlsaceLorraine, par le biais de l’enseignement de l’allemand et de
mesures limitatives imposées à l’enseignement des langues
locales, sans vraiment parvenir à les faire reculer.
• Cette lutte fut le point de départ du grand combat, qui
marquera la première décennie du règne de Bismarck, contre
la minorité catholique : le Kulturkampf.
• Constituant plus du tiers de la population, les catholiques
suscitent la méfiance du chancelier, car leur fidélité religieuse
peut aller en contradiction avec leur fidélité politique.
• En froid avec Pie IX, le chancelier, sous couvert d’une refonte
des principes de l’État, soit l’affirmation de la séparation de
l’Église et de l’État, fait adopter une série de lois destinées à
affaiblir les institutions catholiques.
• Ces lois adoptées entre 1872 et 1875 comprennent la
fermeture de couvents et de monastères, l’expulsion des
jésuites, l’obligation aux futurs prêtres catholiques d’étudier
dans une université d’État et la laïcalisation de l’État civil.
• Il va sans dire que ces mesures suscitent une intense levée
de boucliers de la part des catholiques.
• Mais Bismarck sait choisir ses combats et le Kulturkampf
sera stoppé à la fin de la décennie, d’autant qu’il suscite la
division, car les forces catholiques font bloc derrière leurs
institutions et le zentrum.
• Or, lors des élections de 1874, ce parti augmente son appui,
obtenant 28 % des suffrages, pour 90 députés.
• Les élections suivantes voient un certain tassement de
l’appui au zentrum, mais la concentration de ses votes lui
permet d’augmenter un peu le nombre de sièges qu’il détient.
• De sorte qu’à la fin des années 1870, les priorités du
chancelier changent, d’autant que de Léon XIII va permettre
une sortie de crise et le rétablissement du dialogue avec les
catholiques.
• Dès 1880, le gouvernement abroge la majorité des lois
adoptées précédemment et la réconciliation sera scellée par
la conclusion d’un concordat entre la Prusse et le Vatican.
• Ce renversement de situation met en évidence le
pragmatisme et l’intelligence politique du chancelier de Fer,
car à la fin des années 1870, le zentrum, dont la majorité des
membres est de sensibilité conservatrice, devient
incontournable dans l’adoption des mesures protectionnistes
souhaitées par Bismarck
• Cet appui est d’autant plus nécessaire que, si les
conservateurs l’appuient, son autre soutient traditionnel, le
parti national-libéral, toujours premier parti en chambre est
forcément contre.
• La seconde décennie du règne de Bismarck voit ainsi une
reconfiguration des forces politiques et le fait que le zentrum
devienne aux élections de 1881 le premier parti du Reichstag
témoigne de la justesse du calcul du chancelier, qui pourra
compter sur l’appui des catholiques avec qui il s’est si
opportunément réconcilié.
3.2 — Bismarck et la social-démocratie (1880-1890)
• L’importance que le chancelier à l’évolution des forces
politiques au Reichstag est bien illustré par la politique qu’il
mènera de 1880 à 1890 envers le mouvement ouvrier et les
forces sociale-démocrates, qui deviendront jusqu’à la guerre
le principal facteur de l’évolution politique du Reich.
• Bismarck ne peut pas partager la vision du monde défendu
par ces derniers, mais pragmatisme oblige, il devra tenir
compte de leurs revendications.
• La lutte entre se poursuivra tout au long des années 1890 et
en fin de compte, ce sont ces forces nouvelles qui
triompheront du chancelier de fer.
• Car la croissance du nombre d’ouvriers et les difficiles
conditions de vie qu’ils connaissent a évidemment favorisé
l’émergence d’organisations politiques.
• Les syndicats et autres organisations d’entraides formées
lors du printemps des Peuples ont été interdits et
démantelés, mais les conditions leur ayant donné naissance
se perpétuant, ils réapparaissent progressivement sur les
territoires germaniques, la Saxe ayant été la première, dès
1861, à les autoriser, avant qu’elles le deviennent (quoique
temporairement) sur tout le territoire du Reich en 1871.
• Bien sûr, la légalisation des associations ouvrières va
favoriser la diffusion des idéaux socialistes et sociodémocrates.
• L’une des sources de la social-démocratie allemande,
Ferdinand de Lassalle, publie en 1863 son Programme
ouvrier et fonde l’Association générale des travailleurs,
proposant l’unification des diverses associations ouvrières.
• Marxiste hétérodoxe, Lassalle, sans remettre en question les
bases du marxisme, croit préférable de proposer aux ouvriers
un programme évolutionniste plutôt que révolutionnaire.
• Même s’il meurt en duel en 1864, Lassalle induit dès lors une
tendance parlementaire et légaliste au mouvement ouvrier
allemand, qui le distingue des mouvements analogues en
Europe.
• Dans la foulée de la formation de la 1ère internationale,
l’Allemagne se dote, en 1869, d’un parti plus radical et plus
marxiste, croyant à la révolution.
• Ce parti ouvrier social-démocrate empiétant sur la clientèle
du mouvement lassalien, pousse l’un de ses fondateurs,
Wilhelm Liebknecht, à proposer la fusion des deux
organisations.
• Celle-ci sera réalisée en 1875, avec la fondation du SPD.
Dans son programme fondateur, les idées lassaliennes
prennent le pas, car les partisans de Lasalle sont beaucoup
plus nombreux dans le nouveau parti, sans pour autant
évacuer les forces minoritaires. Ce compromis original et
originaire marquera toute l’histoire du SPD.
• L’efficacité du compromis ne tardera pas à se manifester et
dès les premières élections auxquelles il prend part, en 1877,
le SPD obtient 9 % de suffrages et envoie une députation de
12 membres au parlement.
• Ce n’est que le début : malgré des reculs ponctuels, lors des
élections de 1890, le SPD deviendra le premier parti du
Reichstag en terme de suffrages.
• Avec son sens aigu de la politique, Bismarck, qui réagit
d’abord par la force, en interdisant la majeure partie des
activités publiques du SPD et en ordonnant la dissolution des
syndicats en 1878, comprend qu’il n’a rien à gagner à
s’opposer de front à l’évolution sociale et sans abandonner le
bâton, va dès lors favoriser la carotte, le dialogue.
• C’est dans cette optique qu’il donne naissance aux
prémisses de l’État providence allemand : en 1883, une loi
d’assurance maladie est adoptée, programme financé
conjointement par les ouvrières et les patrons.
• Après avoir fait adopter une loi sur les accidents de travail
(1884) faisant porter la responsabilité sur l’employeur et le
forçant à indemniser les accidentés, il obtient l’accord du
Reichstag pour une loi sur l’invalidité et la vieillesse (1889),
qui met en place un système de retraite financé par les
employés et les employeurs et dont les prestations sont
versées à partir de 65 ans.
• Malgré leurs limites, ces mesures très innovatrices fondent le
socialisme d’État bismarckien et explique la modération des
mouvements ouvriers allemands, qui constatent la possibilité
du dialogue avec l’État et les patrons, et préfèrent la politique
du compromis à celle de la rupture.
• Ainsi, Bismarck parvient à faire admettre aux forces
politiques centristes et conservatrices qui dominent le
Reichstag la nécessité de partager les fruits de la croissance
avec le reste de la population. La base de ce que l’on nomme
le « capitalisme rhénan » est ainsi posée.
3.3 — L’Allemagne wilhelmienne (1890-1914)
• Après la mort en 1888 de Guillaume 1er, son fils Frédéric III
lui succède pour une courte période de 3 mois et sa mort à
56 ans laisse le trône au petit-fils du fondateur, Guillaume II,
alors âgé de 27 ans seulement.
• Rapidement, Bismarck se retrouve en opposition avec
Guillaume II, qui supporte mal l’influence du chancelier et
désirer assurer davantage de pouvoir.
• Si leurs désaccords sur la politique extérieure constituent la
première cause de leurs différends, c’est la situation
intérieure qui va permettre à Guillaume de contraindre
Bismarck à la démission.
• Car ni la carotte, ni le bâton ne sont venus à bout de
l’ascension du SPD, l’habilité tactique de ses dirigeants et le
contexte économique difficile lui permettant d’obtenir son
meilleur résultat aux élections de 1890.
• Même si le mode de scrutin ne lui donne qu’une quarantaine
de députés, cela sera suffisant pour empêcher, grâce au
Zentrum, la reconduction des lois d’exception de 1878.
• Alors que l’empereur envisage d’élargir les lois sociales,
Bismarck propose à l’empereur d’engager une procédure de
modification constitutionnelle heurtant de front le SPD et les
forces semi-syndicales.
• Devant les réactions et les manifestations inévitables de la
part de ces derniers, il serait alors aisé d’évoquer la sécurité
de l’État pour briser le mouvement ouvrier.
• Guillaume II rejette ce plan et accable de reproche son
chancelier, qui n’a d’autre voie de sortie que la démission. Le
20 mars 1890, le fondateur du 2e Reich annonce à
l’empereur sa retraite.
• Il vivra encore huit ans, qu’il consacrera à critiquer les
décisions de ses successeurs, devenant de son vivant l’objet
d’un véritable culte.
• Désireux de gouverner lui-même, les chanceliers que
Guillaume II choisira seront beaucoup plus effacés.
• Quatre hommes se partageront ce poste du couronnement
de Guillaume jusqu’en 1914 : von Caprivi (1890-1894), von
Hohenlohe-Schillingsfürst (1894-1900), von Bülow (19001909) et von Bethmann Hollweg (1909-1917).
• Le règne de Caprivi est le plus agité, car la tension sociale
n’est pas résorbée par le départ de Bismarck.
• C’est pourquoi l’empereur confie à son chancelier le soin de
poursuivre sur la voie du « socialisme d’État » : limitation du
temps de travail des femmes et des enfants, interdiction du
travail dominical, obligation faite aux entreprises minières de
construire des logements, nouveau code du travail
protégeant mieux les ouvriers, etc.
• Parallèlement, le chancelier élabore un nouveau régime
fiscal, qui introduit le principe de l’impôt progressif en
fonction des revenus.
• Mais l’appui au SPD continue de croitre. Pour cette raison ou
à cause d’une diminution des tensions sociales, Caprivi est
remercié en 1894 et son départ marque la fin des innovations
sociales.
• La période 1894-1914 est pauvre sur le plan de la politique
intérieure : préoccupés par la politique étrangère, l’empereur
et ses chanceliers laissent le pays se développer sur la voie
choisit par Bismarck, aidé en cela par le redressement
économique.
• L’empereur s’emploie à ne pas tenir compte du parlement,
suscitant peu à peu la colère des parlementaires et à la veille
de la guerre, la situation atteint un point critique, alors que la
parlement dernier est dominé depuis les élections de 1912
par une coalition anti-gouvernementale.
• Le SPD n’a cessé de faire des progrès, car à l’exception des
élections de 1907, son soutien croit de façon continue jusqu’à
son triomphe lors des élections de 1912.
• Lors du scrutin de janvier 1912, le SPD obtient le plus fort
pourcentage de toute l’histoire du Reich et devient le premier
parti du Reichstag, avec 110 députés sur 397.
• Ce succès s’explique aussi par la pénétration du mouvement
syndical par le SPD : sur les 4 millions de syndiqués que
compte le pays en 1913, plus de la moitié sont directement
affiliés au SPD.
• Enfin, il convient d’évoquer l’élargissement de la clientèle du
parti : par sa montée en puissance, les éléments doctrinaux
les plus radicaux font place à une conception proche de la
social-démocratie moderne.
• Car le SPD est devenu une entreprise qui, à la veille de la
guerre, emploie plus de 15 000 personnes. En outre, 20 000
de ses membres siègent dans divers conseils municipaux du
pays et les coopératives ouvrières qui lui sont affiliées
emploient 1,6 millions de personnes, pour un chiffre d’affaire
de 500 millions de marks.
• Les spécialistes qui intègrent alors le parti modifient sa
doctrine dans un sens plus centriste : plus question de faire
la révolution, mais plutôt d’intégrer le jeu politique et
améliorer la situation économique des classes ouvrières.
• Cette reconversion ne fait pas l’unanimité la guerre
provoquera un schisme dont l’origine se situe dans cette
mutation qui a fait d’un parti ouvrier marginal la première
puissance politique du Reich.
• Lorsque celui-ci s’effondrera en 1918, c’est tout
naturellement que le SPD recueillera la succession.
• La puissance que développe l’Allemagne au cours de ces
décennies présente un envers de la médaille.
• Car après avoir souffert longtemps d’un complexe d’infériorité
face à la France ou au Royaume-Uni, la société allemande,
fière de ses succès et consciente de sa puissance, fait
montre d’une certaine arrogance envers les autres nations,
les autres États, les autres cultures.
• Les manifestations de cette attitude, dont certains éléments
ne sont par ailleurs pas unique à l’Allemagne, vont des
déclarations
grandiloquentes
de
certains
de
ses
représentants (aux politiques de germanisation intensive de
ses minorités.
• Bien qu’il soit impossible de préciser le degré d’adhésion de
la population à la politique triomphaliste menée par le
gouvernement (la Weltpolitik), l’enthousiasme d’une partie
significative (quoique sans doute non majoritaire) de la
population devant l’entrée en guerre du pays témoigne d’une
réalité, celle d’une Allemagne aux mieux trop confiante, au
pire, franchement arrogante.
• Du reste, la société allemande de l’époque n’est pas seule
dans ce cas, en cette ère de nationalisme intransigeant.
4 — Démographie et Société
• Les puissances européennes se sont opposées à l’unification
allemande car elles comprenaient que la réunion de ces
territoires signifiait l’apparition d’une puissance si importante
qu’elle redéfinirait l’ordre européen et mettrait fin au
« condominium » franco-austro-britannique.
• Et en effet, grâce à sa vitalité démographique et ses
structures économiques, l’Allemagne va s’imposer comme
l’une des principales puissance économique du monde.
• À la base de cette puissance, il y a la démographie: le boom
démographique ne date pas de l’unification, mais l’union, la
modification des structures politiques et la coopération
économique qu’elle induit accentue le phénomène.
• De 1871 à 1914, la population passe de 41 à 67 millions
d’habitants, soit une hausse de plus de 50 % en moins d’un
demi-siècle, ce qui fait du pays le plus peuplé, et de loin, de
l’Europe.
• À titre de comparaison, au cours de cette période, la France
connait une hausse modeste de sa population, qui passe de
38 à 41 millions (8 %).
• Si la démographie britannique est plus dynamique (de 27 à
41 millions, pour une croissance de 50 %), la population
totale demeure nettement inférieure.
• Puisque les territoires de l’Allemagne occupent un espace
plus petit que ceux de la France (540 000 et 600 000
kilomètres carrés, respectivement), la densité de population
est beaucoup plus importante.
• Cela s’explique par une très forte urbanisation et en effet, dès
la fin du siècle, le seuil de 50 % de population urbaine est
franchi.
• À la veille de la Grande Guerre, déjà plus de 60 % de la
population du pays est urbaine et le pays compte déjà 45
villes de plus de 100 000 habitants.
• La natalité est en baisse, mais demeure robuste, avec en
1910 3,6 naissances pour 100 habitants.
• La diminution de la mortalité et l’allongement de l’espérance
de vie sont sensibles, comme partout en Europe, mais en
Allemagne, cette situation s’explique par l’amélioration des
conditions de vie grâce au « socialisme d’État ».
• La population est très jeune (34 % de la population a moins
de 15 ans) et scolarisée, grâce à une alphabétisation
débutée depuis longtemps, même si l’enseignement
universitaire demeure l’apanage des classes supérieures.
• Mais les jeunes des nouvelles classes moyennes ont un
accès de plus en plus grand aux institutions d’enseignement
secondaire et spécialisé, dont les célèbres écoles
d’ingénieurs.
• Il faut aussi compter avec le solde migratoire : pendant
longtemps, le caractère précoce de la transition
démographique a entrainé une saturation du territoire, car
l’abolition du servage a entrainé un chômage rural qui a incité
la population des campagnes a quitter pour d’autres cieux.
• Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les villes allemandes étaient
incapables d’absorber le trop-plein démographique des
campagnes. Cette situation, ajoutée aux politiques
autoritaires et répressives des gouvernements, fit des
territoires allemands des terres d’émigration.
• De sorte qu’avant la guerre, l’émigration ralentit, passant de 2
millions de départs entre 1880 et 1895 à 400 000 pour les 15
années suivantes. De plus, le dynamisme économique du
pays, et malgré des périodes moins faste, attire désormais
des populations étrangères.
• Tout cela fait en sorte que la balance migratoire penche de
plus en plus en faveur de l’Allemagne.
• Les migrations concernent aussi les mouvements intérieurs,
les zones urbaines et industrielles de l’Ouest bénéficiant d’un
accroissement de la mobilité des populations, qui va
permettre au trop-plein des zones rurales de l’est de se
déverser à l’ouest.
• L’équilibre ainsi créé permet l’amélioration des conditions de
vie de tout le monde, en plus d’assurer l’apport en main
d’œuvre si nécessaire à la croissance industrielle.
• Avec le temps, le clivage socio-économique est-ouest va
s’estomper et la politique de Bismarck, qui s’appuie sur
l’union des classes dominantes de l’est et de l’ouest (va
favoriser la consolidation de la classe dominante.
• Malgré la tendance allant dans le sens d’une diminution de la
puissance des premières au bénéfice des seconds, ces deux
catégories dont le nombre de membre ne dépasse pas le
demi-million de personnes, s’entendent pour se partager le
contrôle économique et politique de l’État.
• D’autres catégories bénéficient de l’essor économique, car
une partie des classes moyennes sont aussi gagnantes,
même le pouvoir politique leur échappe, ce qui constitue la
grande différence avec la 3e République française
• À cette strate supérieure de la classe moyenne, (3 millions
de personnes), il faut ajouter les autres membres de la
catégorie médiane (20 à 25 % de la population), dont la
situation est plus difficile, car la concentration capitalistique
qui caractérise la période favorise sa paupérisation et fait
peser sur elle la menace d’une prolétarisation.
• Les classes inférieures, soit le prolétariat urbain et la
paysannerie, forment environ 70 % de la population totale.
• Si la situation dans les campagnes demeure précaire, la
situation des ouvriers des villes, très difficile au début de la
période, s’améliore au cours des décennies, ce qui
s’explique par la politique menée par Bismarck et l’action des
organisations syndicales.
• Sans exagérer le phénomène, on assiste en Allemagne à un
« embourgeoisement » de la classe ouvrière beaucoup plus
fort que partout ailleurs en Europe.
• Peu importe la cause de cette situation, elle rend la classe
ouvrière peu révolutionnaire et partisan de l’évolutionnisme,
ce qui explique par ailleurs l’évolution des forces politiques
qui les représentent.
• Quant aux paysans, leur situation est difficile et la
dépendance économique a pour une bonne part remplacé la
dépendance personnelle.
• Devenus souvent de simples ouvriers agricoles, ils sont alors
soumis à des réglementations sévères, qui les obligent à
obéir et les empêchent de porter plainte devant les tribunaux.
• La situation des paysans de l’ouest est un peu meilleure, car
ils sont plus souvent propriétaires. Mais pour les ouvriers
agricoles, le temps passant, les conditions de vie et de travail
tendent à ressembler à celle de leurs confrères orientaux.
5 — Économie
• L’évolution économique de l’Allemagne suit les grands
mouvements mondiaux, mais la relative faiblesse de
l’intégration économique du pays et le rôle limité de
l’agriculture la rend d’abord moins dépendant de la situation
économique extérieure que d’autres.
• Les années 1873-1896 correspondent à un fléchissement de
la croissance, mais elle est moins marquée qu’ailleurs sur le
continent.
• Et lorsque l’économie redémarrera dans la dernière décennie
du siècle, le développement de l’Allemagne sera favorisé par
la réorientation de la politique étrangère de Guillaume II.
• La caractéristique la plus évidente de l’économie allemande
en 1870 reste la dualité entre les territoires agricoles de l’est
et les zones industrielles de l’est.
• Les raisons de cette dualité ancienne sont politiques plus
qu’économiques, même si ces dernières ont leur importance,
car en fait, les terres de l’ouest (et du sud) sont de meilleure
qualité que celle du nord-est.
• L’abolition du servage au nord-est a renforcé la grande
propriété terrienne, alors que dans l’ouest, l’éclatement
territorial a empêché l’émergence d’une grande agriculture
noble et favorisé le développement de la bourgeoisie
commerçante et industrielle.
• Les grands domaines de 100 hectares et plus constituent la
majorité des propriétés terriennes de l’est et leurs
propriétaires refusent que l’on touche à l’assise de leur
pouvoir, d’où les grandes difficultés de mener des réformes.
• Les Junkers font valoir qu’ils ont besoin de vastes terres pour
y introduire les techniques modernes, ce qu’ils ont
commencé à faire depuis un certain temps, et une partie de
la production agricole est transformé sur place.
• Les propriétaires exploitent rarement leurs terres, confiant
celles-ci à des fermiers et consacrant leur existence aux
carrières administratives et militaires.
• La production agricole double entre 1880 et 1914 et grâce
aux engrais et aux nouvelles technologies, la productivité
croit de près de 80 %.
• L’Allemagne occupe en 1914 le 4e rang en matière de
production agricole, mais compte tenu de sa démographie,
cette production ne suffit pas à nourrir la population et le pays
doit recourir à l’importation.
• Dès cette époque, l’économie allemande développe (ou
consolide, car certaines de ces caractéristiques existaient
déjà au moment de l’unification) les traits spécifique qui la
caractérise aujourd’hui, dont sa puissance exportatrice et sa
maitrise de l’innovation technologique. Et même si
l’agriculture progresse, c’est véritablement l’industrie qui
devient le moteur de cette économie.
• En 1913, l’Allemagne occupe des positions de tête dans
plusieurs secteurs industriels : 3e rang mondial pour le
charbon, 2e pour la fonte et 2e pour l’acier et 1ère dans les
industries chimiques et électriques.
• Quatre zones géographiques se partagent cette industrie : la
Ruhr, plus vieille zone industrielle du pays, la Silésie, (pour la
houille), puis la Saxe et la région berlinoise, où prédominent
les industries de transformation.
• La capital financier accumulé dans l’ouest donne naissance à
un secteur bancaire très dynamique, dont le rôle est
fondamental dans l’essor industriel. Le secteur se caractérise
par une très forte concentration : quatre plus grandes
banques détiennent la moitié du capital bancaire.
• Cette concentration et une orientation très favorable à
l’industrie dans la politique d’investissement des institutions
bancaires ont donné naissance à une interpénétration
remarquable de l’industrie et de la finance.
• L’industrie obtient ainsi des banques les fonds nécessaire en
échange de titres et de actions de la première.
• Autre caractéristique de l’industrie allemande, sa grande
concentration, qui prend la forme, sur le plan de l’intégration
verticale, d’immenses konzern.
• C’est le cas de celui d’Ugo Stinnes, qui, avec ses mines de
charbon de la Ruhr, ses mines de fer de Lorraine, ses usines
de fonte et d’Acier de la Rhénanie et sa compagnie de
transport contrôle les sources, la production et le commerce
de ses produits industriels. Les entreprises Krupp et Thyssen
sont d’autres bons exemples.
• La concentration horizontale est moins poussée et varie
selon les secteurs, mais la dépression des années 18731895 et à laquelle n’échappe par l’Allemagne favorise la prise
de contrôle des petites et entreprises par les géants.
• Siemens, qui se spécialise dans les industries électriques,
prend son essor dans ce contexte.
• Dans d’autres secteurs, (charbon et acier), de nombreuses
petites entreprises, plutôt que d’être absorbées, vont former
des cartels, dont l’exemple type est celui du « comptoir
charbonnier » en Westphalie, qui en 1913 produit plus de
50 % du charbon du pays et réunit 64 entreprises.
• La croissance démographique ne suffit pas à absorber la
croissance de l’industrie et dès la fin du XIXe siècle,
l’économie allemande développe une forte dépendance aux
exportations.
• Les exportations se développent considérablement, grâce à
la qualité et aux prix raisonnables de la production allemande
(conséquence d’une forte productivité), mais aussi à une
politique commerciale agressive et efficace.
• La balance commerciale excédentaire sera résorbée à partir
des années 1890 et de l’internationalisation de la politique
allemande par des investissements importants hors des
frontières.
• Celles-ci feront avant la guerre de l’Allemagne l’un des
principaux acteurs économiques de certaines puissances en
devenir, dont l’empire ottoman et l’empire russe.
• À ce moment, à 22 milliards de marks investis, les
investissements internationaux de l’Allemagne ne cèdent en
importance que devant ceux du Royaume-Uni.
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