Histoire des États germaniques II : D’un empire à l’autre Quatrième cours : De la Prusse au 2e Reich (1860-1914) Quatrième cours : 1 — Otto von Bismarck (1815-1898) 2 — Les guerres d’unification et la naissance du Second Empire (1864-1871) 3 — Politique intérieure (1871-1890) 4 — Démographie et Société 5 — Économie 1 — Otto von Bismarck (1815-1898) • Malgré la chape de plomb imposé après le Printemps des Peuples, les forces sociales et économiques stimulées par le développement du capitalisme continuent de faire leur œuvre et sous le calme apparent, le feu couve. • En 1858, les proches du roi Frédéric-Guillaume IV, constatant son incapacité à assurer le gouvernement, poussent sur le trône son frère cadet, Guillaume Frédéric Louis, qui assurera la régence, puis en 1816 la plénitude des pouvoirs sous le nom de Guillaume 1er. • Le nouveau roi, déjà âgé de 64 ans est conservateur, mais l’influence de son épouse, une princesse de Saxe-Weimar proche des idées libérales, rend sa politique plus complexe. • Dès qu’il devint régent, il renvoya le ministre Manteuffel, très conservateur, tentant de rompre avec le passé en rassembler autour de lui la société, même si le successeur de Manteuffel, le prince Karl Anton de HohenzollernSigmaringen n’était pas non plus un libéral. • Grâce au système des « 3 classes », les élections de 1858 voient le triomphe de la bourgeoisie, mais si le roi veut renouer le dialogue, il n’entend pas partager son pouvoir, de sorte que la confrontation avec la Diète était inévitable. • C’est autour de la question de la modernisation de la structure de l’armée, héritée de la période napoléonienne, que celle-ci va éclater. Le roi désirait accroitre la puissance de son armée, ce qui réclamait des fonds importants, que la Diète était prête à concéder, mais en échange d’une réduction de la durée du service militaire obligatoire de trois à deux ans. Le système des trois classes • Le conflit révélait aussi le maintien d’une dichotomie, entre un roi se voulant absolu et un parlement, bourgeois, réclamant son mot à dire sur la gouvernance de l’État. • Le roi résolut de dissoudre le parlement et convoqua de nouvelles élections, mais la confrontation avait favorisé la radicalisation de certains députés qui formèrent, au sein de la nouvelle Diète, le Parti allemand du progrès. • Le nom de ce premier parti allemand, au sens moderne du terme, illustre son ambition de constituer une base pour l’unification allemande. • Guillaume était donc confronté à un dilemme : ou bien abandonner la lutte en abdiquant au profit de son fils, ou bien lutter contre la Diète. • Son conservatisme et le sentiment profond qu’il avait de sa mission lui firent choisir la seconde solution. Mais pour mener la lutte, il allait avoir besoin d’un ministre-président capable de relever le défi. • Il avait sous la main un tel homme, mais son caractère inflexible inquiétait le roi, plus timoré. La situation dictait cependant la nécessité et le 23 septembre 1862, Otto von Bismarck fut appelé à diriger le gouvernement. • Né en 1815 dans une famille d’ancienne noblesse peu fortunée, Bismarck avait eu l’occasion de faire montre de ses capacités alors qu’il représentait le gouvernement de Prusse au sein du Conseil fédéral de Frankfort, avant d’être ambassadeur à Saint-Péterbourg, puis à Paris. • Conservateur, Bismarck comprend l’époque dans laquelle il vit et sait que pour sauver l’essentiel, des compromis sont nécessaires. • Cela ne pose pas de problèmes à cet esprit pragmatique et parfois au cynisme, qui lui permettra se s’allier avec des républicains pour vaincre d’autres monarchistes. • Dès sa nomination, Bismarck part à l’assaut : il dissout le parlement et devant la formation d’une assemblée plus radicale, il décide de se passer de son accord pour gouverner, • En même temps, il multiplie procès de censure, fermetures de journaux et mesures administratives destinées à affaiblir une opposition sonnée devant tant de mépris affiché pour les institutions et la constitution. • Mais Bismarck comprend que les problèmes du pays ne sauraient être résolus par la force : tant que le problème de l’unité nationale de serait pas réglé, il continuerait d’empoisonner le climat politique et social. • Et puisqu’il fallait régler ce problème, autant l’instrumentaliser pour que cela se fasse dans l’intérêt de la Prusse. Mais les solutions à ce problème dépassaient nettement les frontières prussiennes. 2 — Les guerres d’unification et la naissance du Second Empire (1864-1871) • Sans doute Bismarck ne savait pas ce qu’il devait faire, mais il savait quelle direction prendre. Une fois engagé sur la voie, il parviendra en quelques années à atteindre le but qu’avaient en vain cherché à atteindre les empereurs. • Il comprenait que la seule façon d’imposer la Prusse à la tête de l’union allemande était de vaincre l’autre prétendant à, l’empire autrichien. • Qui plus est, ayant assisté impuissant à la « reculade d’Olmutz », sans soute voyait-il ici une excellente occasion de venger l’honneur de sa chère Prusse. • En 1860, l’empire autrichien continuait pour de nombreux États allemands d’être le centre du monde germanique. • Il l’était aux yeux de la majorité des puissances européennes : avant de s’attaquer à Vienne, il fallait l’isoler. • Avec la France, la chose fut aisée, celle-ci étant désireuse de remettre en question l’ordre issu du Congrès de Vienne. • C’est d’abord grâce à l’économie qu’eut lieu le rapprochement : 1862, Paris signait avec le Zollverein un accord de libre-échange que Bismarck dut imposer aux autres États membres. • Avec la Russie, le rapprochement fut facilité par la rébellion polonaise de 1863, Berlin refusant de venir en aide aux insurgés. Les liens étroits unissant depuis longtemps les Hohenzollern et les Romanov firent le reste. • Mais l’Autriche n’avait pas abandonné son désir de conserver son rôle en patronnant la réunion des États allemands grâce à la Confédération. • À l’été 1863, l’empereur tenta d’accroitre le pouvoir du Conseil fédéral par une réforme, mais la Prusse refusa de participer aux négociations • Ce refus était risqué et son manque de bonne volonté fut interprété négativement par l’opinion. Heureusement, la question des Duchés danois ressurgit à ce moment pour permettre à Berlin de s’imposer. • Le problème des duchés était ancien et avait ressurgi à la faveur de la crise de 1848, alors que le roi du Danemark avait de les incorporer à son royaume. • La guerre qui s’en était suivi s’était soldée par un compromis faisant des trois duchés des territoires héréditaires du Danemark, mais distincts de celui-ci. • Lorsque Christian IX annonce en 1863 son désir d’incorporer les trois duchés à son royaume, en violation des accords conclus, Bismarck tient son casus belli. • La guerre, menée par la Prusse, mais à laquelle participe l’Autriche, est déclenchée le 1er février 1864 et s’achève le 1er août par une victoire allemande éclatante. • Par le traité de Gastein de 1865, les trois territoires passent sous contrôle allemand : l’Autriche prend le Holstein, la Prusse le Schleswig, alors que le Lauenburg est racheté par cette dernière. • Malgré la méfiance qu’il suscite, Bismarck réussit à rallier même une partie des libéraux prussiens et s’impose comme le chef politique du monde germanique. • Le temps était venu de régler le problème autrichien : prétextant la volonté déclarée de Vienne de tenir un référendum sur la question de l’appartenance des duchés, Bismarck, après une solide préparation diplomatique envoie ses troupes dans le Holstein le 9 juin 1866. • L’Autriche répond en mobilisant la Confédération contre la Prusse et Bismarck annonce que Berlin la quitte. • Trois semaines après le début du conflit, l’Europe est abasourdie par la victoire de Sadowa, au cours de laquelle les armées prussiennes font preuve de leur incroyable supériorité technique et tactique. • Contre le son roi, Bismarck veut une paix rapide qui n’humilierait pas son adversaire et celle-ci est conclue à Prague en 1866. • L’Autriche doit céder à l’Italie la Vénétie et la Prusse s’empare de la totalité des duchés danois et de plusieurs des territoires des alliés de Vienne (Hanovre, Nassau, HesseCassel et Frankfort), permettant de créer une continuité territoriale des terres prussiennes. • Si l’Autriche perd peu de territoires, elle perd beaucoup politiquement, car elle doit accepter la dissolution de la Confédération germanique et la proclamation, le 18 août 1866, de la Confédération de l’Allemagne du Nord, menée par la Prusse et dont bien sûr l’Autriche est exclue. Confédération de l’Allemagne du nord (1866) • La solution de la « Petite Allemagne » l’emporte et Vienne est évacué de l’univers politique de l’Allemagne. • L’événement, renverse l’ordre en place depuis le XVe siècle et qui faisait des Habsbourg le socle politique du monde germanique. Le centre de gravité se déplace vers le nord et, conséquence de la puissance de Berlin, on assistera alors à une « prussisation » du monde germanique. • L’ouest et du sud germanique, avec leurs traditions libérales, leur capitalisme industriel et financier, laisse place à la domination des traditions de l’est et du nord : centralisme, autoritarisme, militarisme, appuyés sur une armée puissante et une bureaucratie tatillonne. • Malgré cette réalité, les élites libérales sont divisées sur l’évolution de la situation et en Prusse, une part significative des libéraux, que l’on nommera dès lors les libérauxnationaux, appuie le nouvel homme providentiel et son programme. • La construction institutionnelle de ce nouvel ensemble constituera la base de l’empire allemand à venir. Bismarck, qui en est le concepteur, parvient à faire cohabiter dans le système l’édification d’un État central et le maintien d’institutions locales. • Le système bismarckien semble doté de plusieurs centres de pouvoir, mais c’est la Prusse qui mène, à un triple titre. • Le Conseil fédéral (Bundesrat) regroupe les représentants des différents territoires, mais est dirigé par le roi de Prusse. La Prusse, ne disposant que de 17 des 43 sièges, n’est pas hégémonique, mais sa puissance réelle compense cette faiblesse, concession de Bismarck à la diversité germanique. • L’autre centre de pouvoir est le Reichstag, la Diète d’empire, parlement fédéral dont les députés sont élus au suffrage universel, direct et secret des hommes de 24 ans et plus. • Comme la Prusse est l’État le plus peuplé (deux tiers de la population), c’est elle qui a le poids le plus lourd. • Enfin, le gouvernement est dirigé par un chancelier nommé par le président du Bundestag, le roi de Prusse. • Ce poste sera occupé par Bismarck, qui reste ministreprésident de la Prusse, les intérêts de cette dernière seront donc bien défendus par le nouveau chancelier, d’autant que celui-ci n’est responsable que devant le président du Bundesrat... • Sous les apparences et malgré une certaine structure parlementaire, s’impose la tradition prussienne d’un état fort, centralisé, dominé par l’exécutif et laissant des pouvoirs réduits aux institutions parlementaires. • Le roi de Prusse, président du Bundestag, est maître de la diplomatie et dispose du droit de convoquer et dissoudre le Reichstag et d’ajourner les travaux du Bundesrat, en plus d’être chef d’une armée fédérale formée par 1 % de la population. • Les autres institutions confédérales sont chargées de responsabilités importantes : droit migratoire, douanes, transports, postes. • Les États membres et leurs institutions politiques (la constitution confédérale laisse aux membres le soin de définir l’organisation de celles-ci) détiennent aussi des compétences importantes : éducation, culture et fiscalité. • La Prusse domine, mais n’écrase pas : Bismarck a tenu compte de cette « diversité dans l’unité » si caractéristique de l’histoire allemande et du désir des Allemands de rester euxmêmes tout en étant enfin réunis. • Adoptée le 16 avril 1867, la constitution permet la mise en place et le début des travaux des institutions prévues. • Mais l’Allemagne demeure incomplète et si Bismarck ne veut pas de l’Autriche, le reste de l’Allemagne du Sud devra rejoindre la Confédération pour achever l’œuvre. La constitution de 1871 • Le traité de 1866 avait prévu la formation d’une confédération de l’Allemagne du Sud, mais pour Bismarck, il s’agissait d’une concession faite aux puissances européennes observant avec inquiétude la formation de l’État. • De même, l’Autriche aux prises avec sa propre crise ne pouvant pas piloter le projet et celui-ci n’avait aucune chance d’aboutir. • Rien n’illustre mieux le machiavélisme de Bismarck que la politique qu’il suit entre 1867 et 1870 pour rallier à son projet le reste des États allemands. • Alors qu’il avait suggéré à Napoléon III des possibilités d’annexion de territoires à l’ouest en compensation de sa neutralité dans le conflit avec l’Autriche, il utilise cette menace pour obtenir des alliances secrètes contre Paris avec les États encore indépendants de l’ouest et du sud... • La pression diplomatique est assortie d’une pression économique, alors que le Zollverein s’étend à ces territoires. • Grâce au développement d’institutions centrales exécutives qui lui sont propres, le Zollverein s’étend alors à tous les territoires qui deviendront l’Allemagne, à l’exception de Hambourg et de Brême, qui sont des villes franches. • Mais les résistances demeurent fortes et il faudra ici aussi une occasion à Bismarck pour franchir le pas. • L’occasion viendra de France, car après l’affaire du Luxembourg, l’opinion allemande est à nouveau très remontée contre l’impérialisme français, l’opinion française ne l’étant pas moins face au révisionnisme prussien. • La tension étant grande entre les deux pays, la crise espagnole fera le reste. • Le trône d’Espagne étant vacant depuis que la reine Isabelle II en a été chassée en 1868, Bismarck propose la candidature d’un Hohenzollern pour lui succéder, faisant renaitre en France la hantise de l’encerclement de l’époque de Charles Quint. • Le candidat fit savoir son manque d’intérêt, mais la France exigea du roi de Prusse un engagement formel, que celui-ci se refusa poliment à donner. • Bismarck fit alors modifier le texte de la dépêche du roi de façon à rendre celle-ci provocante et méprisante. C’est cette « Dépêche d’Ems », du nom de la ville où le roi se trouvait alors, qui provoquera la guerre. • Paris déclare alors la guerre à la Confédération, suscitant le ralliement de tous les Allemands devant cette énième manifestation de l’impérialisme français. • Face aux forces de la coalition, les armés françaises seront à leur tour humiliées et l’empereur fait prisonnier à Sedan, un mois après le début du conflit. • L’historiographie diverge sur les raisons qui poussent Bismarck à abandonner sa politique visant à ne pas humilier le vaincu. • Certains prétendent qu’il n’avait pas le choix, le roi et l’opinion réclamant que les erreurs de 1815, Mais peut-être voyait-il dans cette intransigeance la meilleure façon de rallier les États du sud à la confédération. • Le gouvernement de Thiers acceptera des conditions très dures, comprenant l’abandon de l’Alsace et de la Lorraine, ainsi que de lourdes indemnités de guerre à verser, lors du traité signé le 10 mai 1871 à Frankfort. • Alors que les combats se poursuivent, Bismarck négocie avec la Bavière, le Wurtemberg et les autres États allemands de l’ouest leur intégration dans la confédération. Sous son nom de 2e Reich, l’Allemagne moderne nait. • Comble de l’humiliation pour l’ennemi français, la proclamation de l’empire a lieu le 18 janvier 1871 dans la galerie des Glaces du château de Versailles, demeure de Louis XIV qui avait tant fait pour empêcher l’unification allemande. 3 — Politique intérieure (1871-1890) 3.1 — L’unification de l’État (1870-1880) • Certains changements sont apportés à la constitution, pour faire une place plus grande aux nouveaux venus : portés à 58 membres, le Bundesrat peut voir des changements constitutionnels bloqués non seulement par la Prusse, mais aussi par la Bavière, la Saxe et le Wurtemberg. • Quelques concessions sont aussi faites à ces États : responsabilité locale pour les postes et commandement de ses forces militaires en temps de paix, etc. • La constitution du 16 avril 1871 réunit 25 États au sein d’un empire fédéral : • 4 royaumes, 6 grands-duchés, 5 duchés, sept principautés et trois villes libres, en plus de l’Alsace-Lorraine, dont la gestion relève directement du centre politique. • Le titre porté par le roi de Prusse est désormais celui d’empereur allemand, mais jusqu’en 1890, Bismarck demeurera le véritable maitre politique du pays. • En plus de son prestige personnel, Bismarck continue de diriger la Prusse et ses 25 millions d’habitants sur les 41 que compte le Reich. La « prussisation » s’accélère. • D’autant que l’État central dispose de peu de moyens financiers pour développer des politiques fédérales, ce qui favorise le maintien des particularismes régionaux. • En dépit de la puissance de l’exécutif, les institutions parlementaires joueront des rôles importants au cours de l’ère bismarckienne, le chancelier devant tenir compte des changements sociaux et politiques qui surviendront. • Les premières élections (mars 1871) verront la formation d’une structure partisane moderne et la domination des forces soutenant le chancelier, réunis au sein du parti national libéral ou de l’un des deux partis conservateurs. • De ce moment jusqu’en 1890, Bismarck se préoccupera de la consolidation d’un État qu’il sait fragile, tentant d’accroître le pouvoir du centre et de réduire celui des particularismes. • L’accroissement du pouvoir central doit passer par l’augmentation de ses revenus, mais c’est un combat difficile, car les États membres en comprennent les raisons : plus le centre disposera de moyens financiers, plus il deviendra interventionniste et centralisateur. • En plus des taxes qu’il s’emploie à augmenter (avec difficultés), Bismarck recours au protectionnisme, instaurant des barrières tarifaires sur certains produits, mais cette politique suscite aussi l’opposition, des pouvoirs économiques, cette fois. • La centralisation passe aussi par l’uniformatisation : Code civil commun, monnaie commune (le mark), chemins de fer ou loi militaire de 1871, qui impose à l’Armée fédérale le commandement prussien en temps de guerre. • Mais c’est par la lutte contre le maintien des particularismes que Bismarck envisage la consolidation de l’État. Cela concerne d’abord les minorités nationales. • L’Allemagne est assez homogène ethniquement : quelques millions de Polonais, quelques centaines de milliers de Tchèques, une communauté juive assez importante et bien les francophones d’Alsace et de Lorraine. • Bismarck va s’employer à lutter contre ces minorités, pratiquant une germanisation des zones à fortes population non-germanophones, surtout en Poznanie et en AlsaceLorraine, par le biais de l’enseignement de l’allemand et de mesures limitatives imposées à l’enseignement des langues locales, sans vraiment parvenir à les faire reculer. • Cette lutte fut le point de départ du grand combat, qui marquera la première décennie du règne de Bismarck, contre la minorité catholique : le Kulturkampf. • Constituant plus du tiers de la population, les catholiques suscitent la méfiance du chancelier, car leur fidélité religieuse peut aller en contradiction avec leur fidélité politique. • En froid avec Pie IX, le chancelier, sous couvert d’une refonte des principes de l’État, soit l’affirmation de la séparation de l’Église et de l’État, fait adopter une série de lois destinées à affaiblir les institutions catholiques. • Ces lois adoptées entre 1872 et 1875 comprennent la fermeture de couvents et de monastères, l’expulsion des jésuites, l’obligation aux futurs prêtres catholiques d’étudier dans une université d’État et la laïcalisation de l’État civil. • Il va sans dire que ces mesures suscitent une intense levée de boucliers de la part des catholiques. • Mais Bismarck sait choisir ses combats et le Kulturkampf sera stoppé à la fin de la décennie, d’autant qu’il suscite la division, car les forces catholiques font bloc derrière leurs institutions et le zentrum. • Or, lors des élections de 1874, ce parti augmente son appui, obtenant 28 % des suffrages, pour 90 députés. • Les élections suivantes voient un certain tassement de l’appui au zentrum, mais la concentration de ses votes lui permet d’augmenter un peu le nombre de sièges qu’il détient. • De sorte qu’à la fin des années 1870, les priorités du chancelier changent, d’autant que de Léon XIII va permettre une sortie de crise et le rétablissement du dialogue avec les catholiques. • Dès 1880, le gouvernement abroge la majorité des lois adoptées précédemment et la réconciliation sera scellée par la conclusion d’un concordat entre la Prusse et le Vatican. • Ce renversement de situation met en évidence le pragmatisme et l’intelligence politique du chancelier de Fer, car à la fin des années 1870, le zentrum, dont la majorité des membres est de sensibilité conservatrice, devient incontournable dans l’adoption des mesures protectionnistes souhaitées par Bismarck • Cet appui est d’autant plus nécessaire que, si les conservateurs l’appuient, son autre soutient traditionnel, le parti national-libéral, toujours premier parti en chambre est forcément contre. • La seconde décennie du règne de Bismarck voit ainsi une reconfiguration des forces politiques et le fait que le zentrum devienne aux élections de 1881 le premier parti du Reichstag témoigne de la justesse du calcul du chancelier, qui pourra compter sur l’appui des catholiques avec qui il s’est si opportunément réconcilié. 3.2 — Bismarck et la social-démocratie (1880-1890) • L’importance que le chancelier à l’évolution des forces politiques au Reichstag est bien illustré par la politique qu’il mènera de 1880 à 1890 envers le mouvement ouvrier et les forces sociale-démocrates, qui deviendront jusqu’à la guerre le principal facteur de l’évolution politique du Reich. • Bismarck ne peut pas partager la vision du monde défendu par ces derniers, mais pragmatisme oblige, il devra tenir compte de leurs revendications. • La lutte entre se poursuivra tout au long des années 1890 et en fin de compte, ce sont ces forces nouvelles qui triompheront du chancelier de fer. • Car la croissance du nombre d’ouvriers et les difficiles conditions de vie qu’ils connaissent a évidemment favorisé l’émergence d’organisations politiques. • Les syndicats et autres organisations d’entraides formées lors du printemps des Peuples ont été interdits et démantelés, mais les conditions leur ayant donné naissance se perpétuant, ils réapparaissent progressivement sur les territoires germaniques, la Saxe ayant été la première, dès 1861, à les autoriser, avant qu’elles le deviennent (quoique temporairement) sur tout le territoire du Reich en 1871. • Bien sûr, la légalisation des associations ouvrières va favoriser la diffusion des idéaux socialistes et sociodémocrates. • L’une des sources de la social-démocratie allemande, Ferdinand de Lassalle, publie en 1863 son Programme ouvrier et fonde l’Association générale des travailleurs, proposant l’unification des diverses associations ouvrières. • Marxiste hétérodoxe, Lassalle, sans remettre en question les bases du marxisme, croit préférable de proposer aux ouvriers un programme évolutionniste plutôt que révolutionnaire. • Même s’il meurt en duel en 1864, Lassalle induit dès lors une tendance parlementaire et légaliste au mouvement ouvrier allemand, qui le distingue des mouvements analogues en Europe. • Dans la foulée de la formation de la 1ère internationale, l’Allemagne se dote, en 1869, d’un parti plus radical et plus marxiste, croyant à la révolution. • Ce parti ouvrier social-démocrate empiétant sur la clientèle du mouvement lassalien, pousse l’un de ses fondateurs, Wilhelm Liebknecht, à proposer la fusion des deux organisations. • Celle-ci sera réalisée en 1875, avec la fondation du SPD. Dans son programme fondateur, les idées lassaliennes prennent le pas, car les partisans de Lasalle sont beaucoup plus nombreux dans le nouveau parti, sans pour autant évacuer les forces minoritaires. Ce compromis original et originaire marquera toute l’histoire du SPD. • L’efficacité du compromis ne tardera pas à se manifester et dès les premières élections auxquelles il prend part, en 1877, le SPD obtient 9 % de suffrages et envoie une députation de 12 membres au parlement. • Ce n’est que le début : malgré des reculs ponctuels, lors des élections de 1890, le SPD deviendra le premier parti du Reichstag en terme de suffrages. • Avec son sens aigu de la politique, Bismarck, qui réagit d’abord par la force, en interdisant la majeure partie des activités publiques du SPD et en ordonnant la dissolution des syndicats en 1878, comprend qu’il n’a rien à gagner à s’opposer de front à l’évolution sociale et sans abandonner le bâton, va dès lors favoriser la carotte, le dialogue. • C’est dans cette optique qu’il donne naissance aux prémisses de l’État providence allemand : en 1883, une loi d’assurance maladie est adoptée, programme financé conjointement par les ouvrières et les patrons. • Après avoir fait adopter une loi sur les accidents de travail (1884) faisant porter la responsabilité sur l’employeur et le forçant à indemniser les accidentés, il obtient l’accord du Reichstag pour une loi sur l’invalidité et la vieillesse (1889), qui met en place un système de retraite financé par les employés et les employeurs et dont les prestations sont versées à partir de 65 ans. • Malgré leurs limites, ces mesures très innovatrices fondent le socialisme d’État bismarckien et explique la modération des mouvements ouvriers allemands, qui constatent la possibilité du dialogue avec l’État et les patrons, et préfèrent la politique du compromis à celle de la rupture. • Ainsi, Bismarck parvient à faire admettre aux forces politiques centristes et conservatrices qui dominent le Reichstag la nécessité de partager les fruits de la croissance avec le reste de la population. La base de ce que l’on nomme le « capitalisme rhénan » est ainsi posée. 3.3 — L’Allemagne wilhelmienne (1890-1914) • Après la mort en 1888 de Guillaume 1er, son fils Frédéric III lui succède pour une courte période de 3 mois et sa mort à 56 ans laisse le trône au petit-fils du fondateur, Guillaume II, alors âgé de 27 ans seulement. • Rapidement, Bismarck se retrouve en opposition avec Guillaume II, qui supporte mal l’influence du chancelier et désirer assurer davantage de pouvoir. • Si leurs désaccords sur la politique extérieure constituent la première cause de leurs différends, c’est la situation intérieure qui va permettre à Guillaume de contraindre Bismarck à la démission. • Car ni la carotte, ni le bâton ne sont venus à bout de l’ascension du SPD, l’habilité tactique de ses dirigeants et le contexte économique difficile lui permettant d’obtenir son meilleur résultat aux élections de 1890. • Même si le mode de scrutin ne lui donne qu’une quarantaine de députés, cela sera suffisant pour empêcher, grâce au Zentrum, la reconduction des lois d’exception de 1878. • Alors que l’empereur envisage d’élargir les lois sociales, Bismarck propose à l’empereur d’engager une procédure de modification constitutionnelle heurtant de front le SPD et les forces semi-syndicales. • Devant les réactions et les manifestations inévitables de la part de ces derniers, il serait alors aisé d’évoquer la sécurité de l’État pour briser le mouvement ouvrier. • Guillaume II rejette ce plan et accable de reproche son chancelier, qui n’a d’autre voie de sortie que la démission. Le 20 mars 1890, le fondateur du 2e Reich annonce à l’empereur sa retraite. • Il vivra encore huit ans, qu’il consacrera à critiquer les décisions de ses successeurs, devenant de son vivant l’objet d’un véritable culte. • Désireux de gouverner lui-même, les chanceliers que Guillaume II choisira seront beaucoup plus effacés. • Quatre hommes se partageront ce poste du couronnement de Guillaume jusqu’en 1914 : von Caprivi (1890-1894), von Hohenlohe-Schillingsfürst (1894-1900), von Bülow (19001909) et von Bethmann Hollweg (1909-1917). • Le règne de Caprivi est le plus agité, car la tension sociale n’est pas résorbée par le départ de Bismarck. • C’est pourquoi l’empereur confie à son chancelier le soin de poursuivre sur la voie du « socialisme d’État » : limitation du temps de travail des femmes et des enfants, interdiction du travail dominical, obligation faite aux entreprises minières de construire des logements, nouveau code du travail protégeant mieux les ouvriers, etc. • Parallèlement, le chancelier élabore un nouveau régime fiscal, qui introduit le principe de l’impôt progressif en fonction des revenus. • Mais l’appui au SPD continue de croitre. Pour cette raison ou à cause d’une diminution des tensions sociales, Caprivi est remercié en 1894 et son départ marque la fin des innovations sociales. • La période 1894-1914 est pauvre sur le plan de la politique intérieure : préoccupés par la politique étrangère, l’empereur et ses chanceliers laissent le pays se développer sur la voie choisit par Bismarck, aidé en cela par le redressement économique. • L’empereur s’emploie à ne pas tenir compte du parlement, suscitant peu à peu la colère des parlementaires et à la veille de la guerre, la situation atteint un point critique, alors que la parlement dernier est dominé depuis les élections de 1912 par une coalition anti-gouvernementale. • Le SPD n’a cessé de faire des progrès, car à l’exception des élections de 1907, son soutien croit de façon continue jusqu’à son triomphe lors des élections de 1912. • Lors du scrutin de janvier 1912, le SPD obtient le plus fort pourcentage de toute l’histoire du Reich et devient le premier parti du Reichstag, avec 110 députés sur 397. • Ce succès s’explique aussi par la pénétration du mouvement syndical par le SPD : sur les 4 millions de syndiqués que compte le pays en 1913, plus de la moitié sont directement affiliés au SPD. • Enfin, il convient d’évoquer l’élargissement de la clientèle du parti : par sa montée en puissance, les éléments doctrinaux les plus radicaux font place à une conception proche de la social-démocratie moderne. • Car le SPD est devenu une entreprise qui, à la veille de la guerre, emploie plus de 15 000 personnes. En outre, 20 000 de ses membres siègent dans divers conseils municipaux du pays et les coopératives ouvrières qui lui sont affiliées emploient 1,6 millions de personnes, pour un chiffre d’affaire de 500 millions de marks. • Les spécialistes qui intègrent alors le parti modifient sa doctrine dans un sens plus centriste : plus question de faire la révolution, mais plutôt d’intégrer le jeu politique et améliorer la situation économique des classes ouvrières. • Cette reconversion ne fait pas l’unanimité la guerre provoquera un schisme dont l’origine se situe dans cette mutation qui a fait d’un parti ouvrier marginal la première puissance politique du Reich. • Lorsque celui-ci s’effondrera en 1918, c’est tout naturellement que le SPD recueillera la succession. • La puissance que développe l’Allemagne au cours de ces décennies présente un envers de la médaille. • Car après avoir souffert longtemps d’un complexe d’infériorité face à la France ou au Royaume-Uni, la société allemande, fière de ses succès et consciente de sa puissance, fait montre d’une certaine arrogance envers les autres nations, les autres États, les autres cultures. • Les manifestations de cette attitude, dont certains éléments ne sont par ailleurs pas unique à l’Allemagne, vont des déclarations grandiloquentes de certains de ses représentants (aux politiques de germanisation intensive de ses minorités. • Bien qu’il soit impossible de préciser le degré d’adhésion de la population à la politique triomphaliste menée par le gouvernement (la Weltpolitik), l’enthousiasme d’une partie significative (quoique sans doute non majoritaire) de la population devant l’entrée en guerre du pays témoigne d’une réalité, celle d’une Allemagne aux mieux trop confiante, au pire, franchement arrogante. • Du reste, la société allemande de l’époque n’est pas seule dans ce cas, en cette ère de nationalisme intransigeant. 4 — Démographie et Société • Les puissances européennes se sont opposées à l’unification allemande car elles comprenaient que la réunion de ces territoires signifiait l’apparition d’une puissance si importante qu’elle redéfinirait l’ordre européen et mettrait fin au « condominium » franco-austro-britannique. • Et en effet, grâce à sa vitalité démographique et ses structures économiques, l’Allemagne va s’imposer comme l’une des principales puissance économique du monde. • À la base de cette puissance, il y a la démographie: le boom démographique ne date pas de l’unification, mais l’union, la modification des structures politiques et la coopération économique qu’elle induit accentue le phénomène. • De 1871 à 1914, la population passe de 41 à 67 millions d’habitants, soit une hausse de plus de 50 % en moins d’un demi-siècle, ce qui fait du pays le plus peuplé, et de loin, de l’Europe. • À titre de comparaison, au cours de cette période, la France connait une hausse modeste de sa population, qui passe de 38 à 41 millions (8 %). • Si la démographie britannique est plus dynamique (de 27 à 41 millions, pour une croissance de 50 %), la population totale demeure nettement inférieure. • Puisque les territoires de l’Allemagne occupent un espace plus petit que ceux de la France (540 000 et 600 000 kilomètres carrés, respectivement), la densité de population est beaucoup plus importante. • Cela s’explique par une très forte urbanisation et en effet, dès la fin du siècle, le seuil de 50 % de population urbaine est franchi. • À la veille de la Grande Guerre, déjà plus de 60 % de la population du pays est urbaine et le pays compte déjà 45 villes de plus de 100 000 habitants. • La natalité est en baisse, mais demeure robuste, avec en 1910 3,6 naissances pour 100 habitants. • La diminution de la mortalité et l’allongement de l’espérance de vie sont sensibles, comme partout en Europe, mais en Allemagne, cette situation s’explique par l’amélioration des conditions de vie grâce au « socialisme d’État ». • La population est très jeune (34 % de la population a moins de 15 ans) et scolarisée, grâce à une alphabétisation débutée depuis longtemps, même si l’enseignement universitaire demeure l’apanage des classes supérieures. • Mais les jeunes des nouvelles classes moyennes ont un accès de plus en plus grand aux institutions d’enseignement secondaire et spécialisé, dont les célèbres écoles d’ingénieurs. • Il faut aussi compter avec le solde migratoire : pendant longtemps, le caractère précoce de la transition démographique a entrainé une saturation du territoire, car l’abolition du servage a entrainé un chômage rural qui a incité la population des campagnes a quitter pour d’autres cieux. • Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les villes allemandes étaient incapables d’absorber le trop-plein démographique des campagnes. Cette situation, ajoutée aux politiques autoritaires et répressives des gouvernements, fit des territoires allemands des terres d’émigration. • De sorte qu’avant la guerre, l’émigration ralentit, passant de 2 millions de départs entre 1880 et 1895 à 400 000 pour les 15 années suivantes. De plus, le dynamisme économique du pays, et malgré des périodes moins faste, attire désormais des populations étrangères. • Tout cela fait en sorte que la balance migratoire penche de plus en plus en faveur de l’Allemagne. • Les migrations concernent aussi les mouvements intérieurs, les zones urbaines et industrielles de l’Ouest bénéficiant d’un accroissement de la mobilité des populations, qui va permettre au trop-plein des zones rurales de l’est de se déverser à l’ouest. • L’équilibre ainsi créé permet l’amélioration des conditions de vie de tout le monde, en plus d’assurer l’apport en main d’œuvre si nécessaire à la croissance industrielle. • Avec le temps, le clivage socio-économique est-ouest va s’estomper et la politique de Bismarck, qui s’appuie sur l’union des classes dominantes de l’est et de l’ouest (va favoriser la consolidation de la classe dominante. • Malgré la tendance allant dans le sens d’une diminution de la puissance des premières au bénéfice des seconds, ces deux catégories dont le nombre de membre ne dépasse pas le demi-million de personnes, s’entendent pour se partager le contrôle économique et politique de l’État. • D’autres catégories bénéficient de l’essor économique, car une partie des classes moyennes sont aussi gagnantes, même le pouvoir politique leur échappe, ce qui constitue la grande différence avec la 3e République française • À cette strate supérieure de la classe moyenne, (3 millions de personnes), il faut ajouter les autres membres de la catégorie médiane (20 à 25 % de la population), dont la situation est plus difficile, car la concentration capitalistique qui caractérise la période favorise sa paupérisation et fait peser sur elle la menace d’une prolétarisation. • Les classes inférieures, soit le prolétariat urbain et la paysannerie, forment environ 70 % de la population totale. • Si la situation dans les campagnes demeure précaire, la situation des ouvriers des villes, très difficile au début de la période, s’améliore au cours des décennies, ce qui s’explique par la politique menée par Bismarck et l’action des organisations syndicales. • Sans exagérer le phénomène, on assiste en Allemagne à un « embourgeoisement » de la classe ouvrière beaucoup plus fort que partout ailleurs en Europe. • Peu importe la cause de cette situation, elle rend la classe ouvrière peu révolutionnaire et partisan de l’évolutionnisme, ce qui explique par ailleurs l’évolution des forces politiques qui les représentent. • Quant aux paysans, leur situation est difficile et la dépendance économique a pour une bonne part remplacé la dépendance personnelle. • Devenus souvent de simples ouvriers agricoles, ils sont alors soumis à des réglementations sévères, qui les obligent à obéir et les empêchent de porter plainte devant les tribunaux. • La situation des paysans de l’ouest est un peu meilleure, car ils sont plus souvent propriétaires. Mais pour les ouvriers agricoles, le temps passant, les conditions de vie et de travail tendent à ressembler à celle de leurs confrères orientaux. 5 — Économie • L’évolution économique de l’Allemagne suit les grands mouvements mondiaux, mais la relative faiblesse de l’intégration économique du pays et le rôle limité de l’agriculture la rend d’abord moins dépendant de la situation économique extérieure que d’autres. • Les années 1873-1896 correspondent à un fléchissement de la croissance, mais elle est moins marquée qu’ailleurs sur le continent. • Et lorsque l’économie redémarrera dans la dernière décennie du siècle, le développement de l’Allemagne sera favorisé par la réorientation de la politique étrangère de Guillaume II. • La caractéristique la plus évidente de l’économie allemande en 1870 reste la dualité entre les territoires agricoles de l’est et les zones industrielles de l’est. • Les raisons de cette dualité ancienne sont politiques plus qu’économiques, même si ces dernières ont leur importance, car en fait, les terres de l’ouest (et du sud) sont de meilleure qualité que celle du nord-est. • L’abolition du servage au nord-est a renforcé la grande propriété terrienne, alors que dans l’ouest, l’éclatement territorial a empêché l’émergence d’une grande agriculture noble et favorisé le développement de la bourgeoisie commerçante et industrielle. • Les grands domaines de 100 hectares et plus constituent la majorité des propriétés terriennes de l’est et leurs propriétaires refusent que l’on touche à l’assise de leur pouvoir, d’où les grandes difficultés de mener des réformes. • Les Junkers font valoir qu’ils ont besoin de vastes terres pour y introduire les techniques modernes, ce qu’ils ont commencé à faire depuis un certain temps, et une partie de la production agricole est transformé sur place. • Les propriétaires exploitent rarement leurs terres, confiant celles-ci à des fermiers et consacrant leur existence aux carrières administratives et militaires. • La production agricole double entre 1880 et 1914 et grâce aux engrais et aux nouvelles technologies, la productivité croit de près de 80 %. • L’Allemagne occupe en 1914 le 4e rang en matière de production agricole, mais compte tenu de sa démographie, cette production ne suffit pas à nourrir la population et le pays doit recourir à l’importation. • Dès cette époque, l’économie allemande développe (ou consolide, car certaines de ces caractéristiques existaient déjà au moment de l’unification) les traits spécifique qui la caractérise aujourd’hui, dont sa puissance exportatrice et sa maitrise de l’innovation technologique. Et même si l’agriculture progresse, c’est véritablement l’industrie qui devient le moteur de cette économie. • En 1913, l’Allemagne occupe des positions de tête dans plusieurs secteurs industriels : 3e rang mondial pour le charbon, 2e pour la fonte et 2e pour l’acier et 1ère dans les industries chimiques et électriques. • Quatre zones géographiques se partagent cette industrie : la Ruhr, plus vieille zone industrielle du pays, la Silésie, (pour la houille), puis la Saxe et la région berlinoise, où prédominent les industries de transformation. • La capital financier accumulé dans l’ouest donne naissance à un secteur bancaire très dynamique, dont le rôle est fondamental dans l’essor industriel. Le secteur se caractérise par une très forte concentration : quatre plus grandes banques détiennent la moitié du capital bancaire. • Cette concentration et une orientation très favorable à l’industrie dans la politique d’investissement des institutions bancaires ont donné naissance à une interpénétration remarquable de l’industrie et de la finance. • L’industrie obtient ainsi des banques les fonds nécessaire en échange de titres et de actions de la première. • Autre caractéristique de l’industrie allemande, sa grande concentration, qui prend la forme, sur le plan de l’intégration verticale, d’immenses konzern. • C’est le cas de celui d’Ugo Stinnes, qui, avec ses mines de charbon de la Ruhr, ses mines de fer de Lorraine, ses usines de fonte et d’Acier de la Rhénanie et sa compagnie de transport contrôle les sources, la production et le commerce de ses produits industriels. Les entreprises Krupp et Thyssen sont d’autres bons exemples. • La concentration horizontale est moins poussée et varie selon les secteurs, mais la dépression des années 18731895 et à laquelle n’échappe par l’Allemagne favorise la prise de contrôle des petites et entreprises par les géants. • Siemens, qui se spécialise dans les industries électriques, prend son essor dans ce contexte. • Dans d’autres secteurs, (charbon et acier), de nombreuses petites entreprises, plutôt que d’être absorbées, vont former des cartels, dont l’exemple type est celui du « comptoir charbonnier » en Westphalie, qui en 1913 produit plus de 50 % du charbon du pays et réunit 64 entreprises. • La croissance démographique ne suffit pas à absorber la croissance de l’industrie et dès la fin du XIXe siècle, l’économie allemande développe une forte dépendance aux exportations. • Les exportations se développent considérablement, grâce à la qualité et aux prix raisonnables de la production allemande (conséquence d’une forte productivité), mais aussi à une politique commerciale agressive et efficace. • La balance commerciale excédentaire sera résorbée à partir des années 1890 et de l’internationalisation de la politique allemande par des investissements importants hors des frontières. • Celles-ci feront avant la guerre de l’Allemagne l’un des principaux acteurs économiques de certaines puissances en devenir, dont l’empire ottoman et l’empire russe. • À ce moment, à 22 milliards de marks investis, les investissements internationaux de l’Allemagne ne cèdent en importance que devant ceux du Royaume-Uni.