Tamponnade à J17 d`une lobectomie pour cancer

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cas clinique
Tamponnade à J17 d’une lobectomie
pour cancer bronchique T2N0 : la rupture
du ventricule droit après un infarctus presque
« silencieux » oublié !
Laura Haddad, Joao-Carlos Das-Neves-Pereira, Alex Arame, Françoise Le Pimpec-Barthes*
RÉSUMÉ L’hémopéricarde, par rupture de la paroi libre du ventricule, après un infarctus du myocarde (IDM), est une complication connue mais exceptionnelle
après une lobectomie pour cancer bronchopulmonaire (CBP). Nous rapportons le cas d’un patient de 84 ans opéré en urgence d’une tamponnade à J17
d’une lobectomie, initialement compliquée d’un IDM silencieux. Une rupture myocardique fut découverte en peropératoire et l’absence d’anticipation a
nui à une prise en charge optimale, conduisant au décès du patient.
Mots clés : hémopéricarde, infarctus du myocarde, lobectomie, cancer bronchique.
ABSTRACT Tamponade at D17 from a lobectomy for lung cancer T2N0: rupture of the right ventricular free wall after a silent myocardial infarction
The haemopericardium, by rupture of the ventricular free wall, is a known lethal complication after myocardial infarction (MI), but rare after lobectomy
for lung cancer. We report the case of an 84-year-old patient who underwent emergency surgery at D17 after lobectomy, because of a tamponade by
myocardial rupture, complicating MI revealed at D4. The lack of early diagnosis of post-MI complication precluded optimal therapeutic intervention
strategy leading to the death of the patient.
Keywords: hemopericardium, myocardial infarction, lobectomy, lung cancer.
1. INTRODUCTION
La tamponnade péricardique par hémopéricarde dans les suites
d’une lobectomie pour un cancer bronchique peut survenir dans
les stades avancés de CBP et correspond le plus souvent à une
carcinose péricardique [6]. Le drainage en urgence par une voie
sous-xiphoïdienne permet alors de faire le diagnostic et de lever
la compression cardiaque. Lorsque la lobectomie initiale a été
faite sans ouverture péricardique et qu’il s’agit d’un CBP de stade
précoce, une étiologie non tumorale à la tamponnade doit être
recherchée afin de proposer une prise en charge thérapeutique
optimale.
Nous rapportons le cas d’un patient ayant présenté un hémopéricarde par rupture myocardique contenue et méconnue, à J17
d’une lobectomie inférieure droite simple, avec curage hilaire et
médiastinal radical, pour un cancer non à petites cellules (CNPC)
classé T2N0. Le traitement de la tamponnade par voie sous-xiphoïdienne, omettant l’IDM postopératoire précoce passé inaperçu, n’a pas permis de contrôler une rupture sur un infarcissement cardiaque étendu.
2. OBSERVATION
Un patient de 84 ans est réadmis en urgence à J17 d’une lobectomie inférieure droite pour un CNPC de type épidermoïde
bien différencié classé T2N0, dans un tableau de tamponnade
péricardique. À J4 de l’intervention initiale, un œdème aigu du
poumon (OAP) sur arythmie complète par fibrillation auriculaire
Service de chirurgie thoracique et transplantation pulmonaire,
hôpital européen Georges-Pompidou, Paris, France.
* Auteur correspondant : [email protected]
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
(AC/FA) avait révélé un infarctus du myocarde (IDM) sans douleur
clinique (sus-décalage de ST en inférolatéral sur l’ECG avec une
troponine à 0,16 µg/l pour une normale à 0,01). À J6, un épanchement péricardique circonférentiel était diagnostiqué avec
une majoration à 14 mm à l’IRM à J9 sans trouble de la cinétique
segmentaire.
Le patient, transfusé de 3 culots globulaires à J6 et J13, était
autorisé à sortir à J14 sous bi-agrégation plaquettaire et anticoagulation efficace. Réadmis à J17 (J13 post-infarctus) pour
une tamponnade péricardique avec un épanchement de 3 cm
circonférentiel et compressif, avec constriction de l’oreillette
droite, un drainage fut immédiatement décidé.
Réalisé par voie sous-xiphoïdienne, cela permit d’évacuer 700 ml
de liquide sérosanglant. Après la phase initiale de l’évacuation
du liquide, ce dernier devint de plus en plus sanglant et abondant, témoignant d’un saignement actif d’origine cardiaque.
Afin de contrôler le saignement majeur, une sternotomie médiane fut immédiatement réalisée. De multiples ruptures de la
paroi antérieure du ventricule droit furent observées. L’évolution
fut rapidement défavorable devant l’impossibilité de suturer le
myocarde, infarci dans plusieurs zones, responsable d’une hémorragie majeure.
3. DISCUSSION
Les trois principales causes de décès après un infarctus du myocarde sont le choc cardiogénique, la fibrillation ventriculaire et la
rupture myocardique [2]. Cette dernière survient habituellement
environ 7 à 8 jours après un infarctus et s’accompagne d’une
mortalité de 40 % [3].
Certains facteurs de risque prédisposent à cette rupture myocardique et trois d’entre eux étaient présents dans le cas rapporté :
l’âge supérieur à 60 ans, l’absence d’antécédent coronarien et les
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10 premiers jours post-infarctus [3]. L’absence de douleur thoracique soutenue ou de défaillance cardiaque [3] dans la période
péri-infarctus a fait sous-estimer les complications possibles
post-IDM.
Pourtant, le doublement de volume de l’épanchement péricardique en 3 jours à l’IRM et la déglobulisation à J6 auraient dû faire
évoquer le diagnostic.
L’introduction à J9 d’une bi-anti-agrégation plaquettaire a probablement aussi aggravé l’hémopéricarde et précipité l’évolution
défavorable du patient.
Ces situations sont cependant extrêmement rares après chirurgie d’exérèse pulmonaire pour cancer. Peu de cas ont été rapportés dans la littérature [5], et les étiologies de ces cas d‘hémopéricarde étaient différentes du cas rapporté ici. Il s’agissait
du saignement intrapéricardique postopératoire d’une artère
bronchique, à deux reprises de l’hémorragie d’une veine pulmonaire rétractée après section dans le péricarde, d’une plaie
myocardique par un agrafage scissural mal appliqué, incluant la
paroi cardiaque, et d’une plaie accidentelle de l’aorte ascendante
liée à un curage médiastinal extensif [5]. Dans notre cas clinique,
la tamponnade hémorragique était due à une rupture myocardique post-infarctus, une cause très connue après infarctus du
myocarde, mais rarissime pour un stade précoce de CBP, surtout
après lobectomie pulmonaire.
Le premier diagnostic évoqué, devant l’aspect modéré de l’épanchement, était celui d’un syndrome de Dressler, péricardite auto-­
immune survenant dans 3 à 4 % des cas, le plus souvent une
semaine après un IDM.
L’autre diagnostic possible à évoquer était le « syndrome postpéricardiotomie », un épanchement péricardique réactionnel à
l’ouverture du péricarde [4]. Ceci est observé après dissection
de volumineuses adénopathies médiastinales inflammatoires,
comme dans notre cas.
En cas de rupture de la paroi libre du ventricule, situation rarissime, la réparation chirurgicale par sternotomie est la seule option pour « sauver » le patient [1]. Seule la réparation de la plaie
par la mise en place d’un patch de péricarde renforcé par de la
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colle biologique [1] permet de contrôler l’hémorragie. L’utilisation d’une circulation extracorporelle (CEC) doit être prévue et
anticipée avant la mise au bloc, mais n’est pas toujours nécessaire au cours de l’intervention.
Avec ces mesures préventives, la rupture myocardique peut ne
pas être fatale à condition d’évoquer le diagnostic et de mettre
toutes les mesures en œuvre pour contrôler rapidement le saignement [2].
4. CONCLUSION
L’hémopéricarde par rupture cardiaque est une complication
rare et bien connue après IDM qui doit être évoquée dans un
contexte de tamponnade après une lobectomie pulmonaire
simple pour un CBPNPC de stade pécoce. Sa prise en charge en
urgence par sternotomie d’emblée, et le plus souvent sous CEC,
est la seule façon de pouvoir obtenir la survie du patient.
RÉFÉRENCES
1.
Montavini V, Vanoli D, Chelazzi P, Lepore V, Ferrarese S, Sala A.
Post-infarctioncardiac rupture: surgicaltreatment. Eur J Cardiothorac
Surg 2002;22(5):777-80.
2. Ekim H, Tuncer M, Basel H. Repair of ventricle free wall rupture after
acutemyocardialinfarction: a case report. Cases Journal 2009,2:9099.
3. Chemnitius J-M, Schmidt T, Wojcik J, Ruschewsky W, Kreuzer H. Successful surgical management of left ventricular free wall rupturein the
course of myocardial infarction. Eur J Cardio Thorac Surg 1991;5:51-5.
4. Eguchi T, Yoshida K, Hamanaka K, Kurai M. Colchicine as an effective
treatment for postpericardiotomy syndrome following a lung lobectomy. Interact CardioVasc Thorac Surg 2010;11(6):869-71.
5. Jain Bhaskara P, Sion B. Cardiac tamponade: a rare complication after
pulmonary lobectomy. Interact CardioVasc Thorac Surg 2003;2(4):
657-9.
6. Thomas C, Lane K, Cecconi M. Pulmonary embolism with haemorrhagic pericardial effusion and tamponade: a clinical dilemma. BMJ
Case Rep 2014 Sep 11;2014.
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