O. MUNDLER Tomoscintigraphie myocardique et risque cardiaque opératoire O. MUNDLER Hôpital de la Timone - Service Central de Biophysique et Médecine Nucléaire - Marseille La Tomoscintigraphie myocardique (TSM) sous stimulation est un examen particulièrement adapté dans le cadre dune stratégie de recherche préopératoire dischémie myocardique. Elle doit cependant être réservée à certaines indications bien ciblées et non pas utilisée de façon systématique pour tous les patients devant bénéficier dune chirurgie, même vasculaire. Cette stratégie est conditionnée en dehors de lurgence par deux paramètres essentiels qui sont la nature du risque opératoire, fonction du type dintervention, et la prévalence de la maladie coronaire chez le patient devant bénéficier de cette chirurgie. Avant détudier plus en détails, linfluence de ces deux paramètres sur les indications de la TSM, je me permettrais de faire un rappel sur linsuffisance coronarienne aiguë périopératoire. Insuffisance coronarienne aiguë périopératoire Il faut noter que cest surtout lors du réveil, qui constitue une véritable épreuve deffort, que la fréquence des épisodes dischémies myocardiques, non majorée pendant lanesthésie est plus que doublée chez lopéré coronarien. Plusieurs études épidémiologiques ont permis de définir la nature et la gravité des complications qui menacent lopéré coronarien adressé pour chirurgie générale (1-2-3). La plus grave des complications coronaires post-opératoires est linfarctus du myocarde qui compromet lespérance de vie à court et moyen terme des opérés. La plus fréquente est la survenue dépisodes dischémies myocardiques qui dune part, joue un rôle important dans létiopathogénie des nécroses myocardiques aiguës post-opératoire et qui dautre part, par leurs effets délétères sur la fonction ventriculaire favorise la survenue dune insuffisance cardiaque gauche congestive. Lischémie myocardique qui survient chez le malade sous anesthésie est par définition silencieuse. Ainsi, lincidence peropératoire des épisodes dischémies myocardiques est, chez les patients coronariens opérés de chirurgie vasculaire ou de chirurgie générale, identique à celle dont souffre le patient en dehors de toutes interventions chirurgicales (sous réserve bien sûr que létat circulatoire soit contrôlé pendant lintervention et que la technique danesthésie ninfluence par le risque dischémie). Lischémie myocardique peropératoire est un facteur prédictif indépendant de linfarctus du myocarde. Ainsi, dans létude de Mangano (3) si lon considère les 83 patients qui ont développé une complication cardiaque post-opératoire, on note que la survenue dun épisode dischémie myocardique pendant lintervention ou lors de la période post-opératoire, est majorée de façon hautement significative et multiplie par 9 le risque dinfarctus du myocarde postopératoire. Il est également démontré que la survenue dune ischémie myocardique post-opératoire diminue de 93 à 70 % la survie à deux ans des opérés (4) ; celle dune nécrose myocardique sous endocardique postopératoire multiplie par 7 la mortalité dans les deux années qui suivent lintervention. Dans la même étude, le suivi pendant 3 ans après intervention de chirurgie générale de 424 opérés suspects dinsuffisance coronaire, montre que plus de 70 % des opérés ayant développé une nécrose myocardique aiguë sous endocardique au décours de lopération décèdent. Une étude de Wallace (5) confirme ces données, notant une mortalité de 26 % chez les opérés ayant développé une ischémie postopératoire, alors quelle est de 13% chez ceux qui nont pas présenté de sous décalage du segment ST pendant cette période. Lincidence de linfarctus periopératoire varie de 1,3 à 6 % en fonction des études, mais sa morbidité et sa mortalité sont donc indiscutables. En effet, à la mortalité postopératoire immédiate, il faut ajouter le retentissement de la nécrose sur lespérance de vie des opérés. Dans la constitution des nécroses myocardiques aiguës postopératoires deux mécanismes essentiels sont impliqués: lhypercoagulabilité sanguine et les troubles circulatoires. Ces deux mécanismes sont favorisés par les contraintes hémodynamiques et surtout métaboliques de la période opératoire. Ils surviennent isolément ou plus généralement en association. En fait, chaque mécanisme favorise et/ou potentialise les effets délétères de lautre sur loxygénation 110 Revue de l'ACOMEN, 2000, vol.6, n°2 Tomoscintigraphie myocardique et risque cardiaque opératoire myocardique. En effet, les troubles de la coagulation limitent la perfusion des couches sous-endocardiques ( les plus menacées par lischémie) en favorisant la formation de thrombus au niveau des petites artères coronaires ou des artérioles intra-myocardiques. Dautre part, la stimulation sympathique qui augmente la consommation du myocarde en oxygène favorise lhypercoagulabilité sanguine. La constitution dune thrombose au niveau dune sténose coronaire nest sûrement pas le seul mécanisme à lorigine de linfarctus du myocarde postopératoire. Plusieurs études établissent la relation de cause à effet qui existe entre les épisodes dischémies myocardiques péri-opératoires et linfarctus du myocarde postopératoire, suggérant que des épisodes dischémies myocardiques naboutissant pas à une nécrose cellulaire lorsquils surviennent isolément peuvent, par leurs effets délétères cumulatifs sur le métabolisme myocardique, provoquer une nécrose irréversible (6,7). Il apparaît ainsi que lischémie myocardique nest pas une complication transitoire et totalement réversible mais que dans la plupart des cas, elle induit des anomalies cellulaires prolongées par des foyers de nécroses. Les lésions anatomiques coronaires, mises en évidence par la coronarographie réalisée avant lintervention chez les opérés de chirurgie non cardiaque ayant développé une complication coronarienne aiguë post opératoire, étayent le rôle joué par les ischémies myocardiques dans létiopathogénie de linfarctus du myocarde postopératoire. En revanche, cest essentiellement labsence de circulation collatérale en aval dune sténose coronaire qui semble être la cause de la nécrose cellulaire myocardique (8). Cependant, les malades les plus à risque de développer une nécrose myocardique aiguë post opératoire sont ceux dont les lésions coronaires sont les plus sévères et qui, de ce fait, sont les plus exposés à un épisode dischémie myocardique. Ceci, ajouté au fait que 80% des nécroses myocardiques aiguës péri-opératoires ne sont pas accompagnées de douleurs thoraciques et sont limitées au sous endocarde, rend compte de lutilité du dépistage de tous patients coronariens susceptibles de développer de telles complications, bien que la prise en charge anesthésique de ces opérés se soit grandement améliorée grâce en particulier à lemploi prophylactique de latenolol (5). Risques cardiovasculaires et chirurgie non cardiaque On distingue la chirurgie lourde avec des risques jusquà 6% daccidents cardio-vasculaires concernant en particulier la chirurgie vasculaire avec clampage aortique, des chirurgies à risques intermédiaires de 2 à 5%, il sagit de chirurgies orthopédiques en particulier dintervention sur les hanches, enfin, des risques faibles, cest à dire avec des risques inférieurs à 2% daccidents cardiaques, il sagit cette fois ci de la chirurgie ophtalmologique, des explorations endosco-piques sous anesthésie générale Revue de l'ACOMEN, 2000, vol.6, n°2 Evaluation du risque cardiovasculaire du patient hors chirurgie vasculaire Après avoir estimé le risque inhérent à la chirurgie, il convient de faire une évaluation qui sera essentiellement clinique. Hormis les patients graves pour lesquels une stabilisation de leur pathologie coronaire devra être réalisée avant intervention chirurgicale et les patients chez lesquels les risques sont très minimes ne justifiant daucune exploration complémentaire, il faut distinguer les patients dits à risques intermédiaires tel que la défini Eagle (9). Ces patients sont ceux qui présentent 2, ou plus, des facteurs de risques suivants : diabète, hypertension artérielle avec altération de la fonction ventriculaire gauche, antécédent dinfarctus du myocarde, dangine de poitrine, anomalies de lélectrocardiogramme de repos (onde Q ou anomalies du segment ST), souffle vasculaire. La présence de 2 ou plus de ces facteurs doit déclencher une évaluation préopératoire par épreuve deffort ou scintigraphie sauf dans le cas dune chirurgie à faible risque. A noter, selon la task force ACC,AHA (10), que les patients coronariens, mais asymptomatiques, et qui ont bénéficié dans les 5 ans dune revascularisation myocardique avec succès , ne sont pas considérés comme à risques de même que ceux qui ont bénéficié dune évaluation coronarienne moins de deux ans auparavant et dont létat clinique est stable. Pour les patients autres et présentant au moins deux des facteurs de risque précités, la première exploration à envisager est lélectrocardiogramme deffort qui permet dapporter des renseignements à la fois sur laptitude du patient à faire un effort et dautre part sur une éventuelle ischémie myocardique (sous décalage de ST supérieur ou égal à 2 mm). Dans tous les cas où lépreuve deffort ne pourra être satisfaisante du fait de son niveau de stimulation, la TSM pourra trouver sa place, sensibilisée par un test au dipyridamol qui sera pratiqué dès le début de leffort aux doses actuellement préconisées de 0.7 à 0,8 mg/ kg. Seuls les patients présentant dimportants marqueurs de risque clinique cardiaque doivent bénéficier dune scintigraphie myocardique de perfusion. La réalisation dune coronarographie napparaîtra justifiée quà la condition que cette évaluation révèle une ischémie étendue. Il ne faut en effet pas perdre de vue que la coronarographie a elle-même des risques inhérents qui se surajoutent au risque thérapeutique sanglant éventuel et à la chirurgie. Evaluation du risque cardiovasculaire du patient pour chirurgie vasculaire La chirurgie vasculaire expose à un risque particulièrement élevé daccidents cardio-vasculaires péri ou postopératoires; ces complications étant les premières causes de décès. Concernant ces patients, il faut remarquer que les facteurs de risques responsables de latteinte vasculaire sont également ceux de la coronaropathie, la présence dune 111 O. MUNDLER artériopathie des membres inférieurs limite lactivité physique et donc masque la possibilité dune symptomatologie angineuse, enfin la fréquence de latteinte coronarienne chez ces patients est reconnue. Dans une étude déjà mentionnée de 1996 Paul et al (8), un tiers des patients vasculaires présentaient à la coronarographie des lésions tritronculaires, mais en fait ne relevaient dun traitement chirurgical quun peu moins de 14% de ces patients. Dautre part les risques inhérents à une revascularisation coronaire chez ces patients particuliers sont très élevés du fait du terrain défavorable. Cependant Eagle en 1997 (9), en suivant le registre CASS, note que la mortalité des quelques 1960 patients préalablement revascularisés est inférieure à celles des patients du groupe traités médicalement lorsquils sont soumis à une chirurgie à haut risque. Chez ces patients, lépreuve deffort conventionnelle est souvent difficile, impossible, voir contre-indiquée, et la scintigraphie myocardique de perfusion a été largement proposée et étudiée à visée préopératoire. Boucher (11) , Mangano (12) ont démontré la valeur pronostique de la présence dun defect de perfusion réversible notamment lorsque ce defect est étendu et siège dans un territoire antérieur. Les populations alors étudiées par ces équipes étaient des patients à prévalance coronarienne maximale puisque tous étaient coronariens! Létude prospective que nous avons effectuée avec Baron (13) et réalisée sans sélection clinique préalable des patients avant chirurgie vasculaire na pas démontré lutilité dune TSM sous dipyridamole, systématique pour tous ces patients. Une étude prospective récente Vanzetto 1996 (14), du pronostic de 517 patients vasculaires soumis à une chirurgie de clampage aortique et reposant sur une stratégie dexploration preopératoire proche de celle dEagle (présence dau moins 2 facteurs de risque) a été réalisée sur une période de 3 ans. Parmi ces patients, 67% présentaient moins de 2 facteurs de risques et ont bénéficié dune chirurgie vasculaire demblée sans exploration complémentaire. Le taux de décès cardio-vasculaire a été particulièrement bas (1,2%) de même que le taux dévénement cardiovasculaire durant la phase hospitalière (3,4%). Trente trois pour cent des patients présentant plus de 2 des facteurs de risque, ont bénéficié dune TSM sous dipyridamole. Aucun de ces patients asymptomatiques na été revascularisé par pontage ou angioplastie à la vue du résultat de la scintigraphie. Chez ces patients à haut risque clinique, le taux de décès cardio-vasculaires est statistiquement plus élevé que chez les patients du groupe précédent à faible risque 4,5% vs 1,2% de même que le taux dévénement cardiovasculaire majeur 9% vs 3,4%. Ce travail confirme la très bonne valeur prédictive négative de la scintigraphie myocardique normale lorsquelle est utilisée avant chirurgie vasculaire chez des patients à haut risque clinique. Inversement une scintigraphie anormale et plus particulièrement lexistence dun defect réversible est associée à un haut risque péri-opératoire et chez de tels patients, une stratégie invasive apparaît donc justifiée . Cette stratégie dévaluation du risque avant chirurgie vasculaire, basée sur des éléments cliniques simples, permet ainsi dopérer en sécurité pratiquement 70% des patients sans exploration scintigraphique. Parmi les 30% de patients identifiés à hauts risques cliniques, la scintigraphie myocardique justifie que 10% de ces patients ait une coronarographie préopératoire. A ma connaissance, aucune étude na été actuellement réalisée pour mettre en évidence leffet bénéfique prophylactique du pontage coronarien, pour baisser le risque cardiaque peropératoire. Cependant, une revue de 1600 patients de la CASS (15) qui ont subi des interventions chirurgicales à haut risque non cardiaque (7 % de vasculaire), a mis en évidence une mortalité de 2,4 % des patients avec pathologie coronaire connue et non chirurgicalement traitée, mais significativement plus haute que pour les patients sans coronaropathie (0,5 %) ou ceux qui avaient bénéficié dun pontage (0,9 % registre CASS). Ceci ne tient pas compte de la mortalité due au pontage lui-même (2,3 %). Ainsi, puisque le risque de pontage coronarien peut lui-même être supérieur au risque chirurgical, ce pontage est généralement rarement justifié pour les patients qui ont un risque cardiaque faible. Mais, la stratégie de lexploration des risques coronariens peut conduire à mettre en évidence des patients qui devront bénéficier à long terme dune chirurgie coronarienne. Ainsi en évaluant lurgence de lacte chirurgical et létat cardiaque du patient, un pontage preopératoire peut être envisagé chez ceux ayant une sténose de la coronaire gauche, une pathologie tritronculaire et une dysfonction ventriculaire gauche, une atteinte bitronculaire incluant une atteinte de lIVA et ne pouvant être contrôlée par un traitement médical adapté (10, 16). En conclusion, la TSM de stress qui couplera épreuve deffort et dipyridamol (de préférence à la dose de 0.8 mg/ .kg/4 min.) ou adénosine, ne nous paraît indiquée que dans un faible nombre de cas en préopératoire pour chirurgie non vasculaire : les patients pour lesquels existent dimportants critères de risque et ne pouvant bénéficier dun ECG d effort de bonne qualité. Par contre il paraît licite avant chirurgie vasculaire que les patients à risque intermédiaire (avec au moins deux facteurs de risques associés) bénéficient dune TSM, sachant que seuls ceux chez qui sera trouvé un defect dau moins deux segments et réversibles iront à la coronarographie. Références bibliographiques 1. Coriat P. Les complications cardiaques postopératoires. In Les contraintes circulatoires et le risque cardiaque de lanesthésie. Arnette Edit. Paris, 1997. 2 Mangano DT Perioperative cardiac morbidity (review). 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