Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique 2ème année, 1er semestre, 2010/11 Examen de Macroéconomie Stéphane Gauthier 2 heures, sans document ni calculatrice Questions de cours (/5) Vous répondrez très brièvement (en deux ou trois phrases) aux questions suivantes : 1. (/1) 2. (/1) 3. (/1) 4. (/1) 5. (/1) Problème. Liquidité et stabilité d’une économie de marché (/15) Selon un banquier nantais, « disposer de placements liquides, c’est un basique de la gestion de patrimoine. C’est un peu comme avoir la petite robe noire dans sa garde robe. » (L’Express 3092 du 6 octobre 2010). La liquidité est souvent perçue comme désirable. L’objectif de ce problème est d’étudier comment elle peut compromettre la stabilité d’un marché, et s’il peut être opportun d’imposer des règles prudentielles aux institutions financières. Il s’inspire de D. Diamond et P. Dybvig (1983), Bank runs, deposit insurance, and liquidity, Journal of Political Economy 91, 401-19. Il reprend la cadre du modèle de cycle de vie vu dans les cours 2 et 3, mais décrit plus précisément les actifs qui permettent de transférer le revenu au cours du temps. Le temps est discret. Il y a trois périodes, t = 0, 1, 2. Il y un continuum de consommateurs dont la masse totale est normalisée à 1. Chaque consommateur possède 1 bien initialement (en t = 0). Il ne sait alors à quel moment il aura besoin de liquidité : une proportion λ voudra consommer lors de la période 1 (ce sont les « impatients ») tandis que les 1 − λ agents restants (les « patients ») voudront consommer lors de la période 2. Chaque agent apprend s’il est impatient ou patient au début de la période 1 (en t = 1). Soit ct la consommation d’un agent en t. L’utilité d’un consommateur impatient est u(c1 ), et celle d’un patient est u(c2 ), avec u0 < 0 et u00 < 0. Il y a deux actifs différents pour transférer de la richesse au cours du temps : un actif « court » procure 1 bien en t + 1 si l’on a placé 1 bien en t (t = 0, 1), et un actif « long » qui procure R > 1 biens en t = 2 si l’on a placé 1 bien en t = 0. L’actif long peut être vendu prématurément, en t = 1, mais il ne rapporte dans ce cas que r < 1 bien lors de cette période. Les consommateurs n’ont pas accès directement au marché financier. Ils doivent passer par l’intermédiaire d’une banque. Cette banque est supposée se comporter de façon concurrentielle. 1 Pour attirer les consommateurs, on supposera qu’elle maximise l’utilité espérée (en t = 0) des consommateurs. Chaque consommateur lui confie le bien qu’il possèdent en t = 0. La banque récupère donc 1 bien en t = 0. Elle le place sur les marchés financiers : elle convertit ce bien en actifs. On notera x et y les quantités d’actifs longs et courts, respectivement, que souhaite détenir la banque en t = 0, et θ la proportion d’actifs longs qu’elle liquide en t = 1. En contrepartie, la banque propose aux consommateurs un « contrat » qui prévoit de livrer c1 biens à un consommateur se présentant à son guichet en t = 1, et c2 biens à un consommateur qui se présente en t = 2. La banque n’observe pas si le consommateur qui s’adresse à elle est patient ou impatient : un consommateur patient peut très bien se présenter au guichet en t = 1 et réclamer c1 ; de même, un impatient peut attendre la période 2 pour se présenter et réclamer c2 à la banque. Un même consommateur ne peut cependant pas se présenter à son guichet deux fois : la banque connaı̂t bien l’état de notre compte ! 1. Rappelons que, par convention, les unités d’actifs sont définies de sorte que la banque peut convertir une unité de bien (qu’un consommateur lui confie) en une unité d’actif court ou une unité d’actif long. Elle fait donc face à la contrainte x + y ≤ 1 en t = 0. Ecrivez les deux autres contraintes de la banque, en t = 1, 2. λc1 ≤ y + θrx, (1) (1 − λ)c2 ≤ (1 − θ)Rx + (y + θrx − λc1 ) . (2) 2. Ecrivez l’objectif de la banque en t = 0, c’est-à-dire avant que les consommateurs sachent s’ils sont patients ou impatients. Vous supposerez que la loi des grands nombres s’applique, de sorte que la probabilité d’être impatient est égale à λ. λu(c1 ) + (1 − λ)u(c2 ) 3. Montrez que θ = 0 à l’optimum. Supposons au contraire θ > 0. On considère la modification de portefeuille suivante : dx+dy = 0 de sorte à assurer que (??) est satisfaite, et dθ < 0 telle que dy + θrdx + rxdθ = 0. Par hypothèse, la ressource en t = 1 ne change pas. La ressource totale en t = 2 varie de (1 − θ)Rdx − Rxdθ. Avec dθ < 0, il suffit de prendre dx > 0 : la banque doit substituer l’actif court à l’actif long, plutôt que de liquider ce dernier en t = 1 (au prix d’un plus faible rendement). 4. Après avoir justifié que la banque sature les contraintes auxquelles elle fait face, montrez que le portefeuille optimal (x∗ , y ∗ ) qu’elle choisit est tel que u0 (c∗1 ) = Ru0 (c∗2 ) , où c∗1 et c∗2 sont les consommations optimales d’un consommateur impatient et patient, respectivement. Déduisez-en que c∗1 < c∗2 . 2 La contrainte de t = 2 doit être saturée à l’optimum. Celle de t = 1 l’est aussi : sinon, une modification dy < 0 telle que dx + dy = 0 implique que la ressource en t = 2 (avec θ = 0) varie de d (Rx + y) = (R − 1)dx > 0. Il s’ensuit que λc1 = y et (1 − λ)c2 = R(1 − y). Le portefeuille optimal comporte donc y ∗ actifs courts, avec 1−y y ∗ + (1 − λ)u R , y = arg max λu y λ 1−λ soit, u0 (c∗1 ) = Ru0 (c∗2 ). En utilisant la concavité de u, on a : u0 (c∗1 ) = Ru0 (c∗2 ) > u0 (c∗2 ) ⇒ c∗1 < c∗2 . 5. (5a) Quelle est la quantité maximale de biens que peut livrer la banque en t = 1 ? (5b) Les consommateurs impatients ont-ils intérêt à attendre t = 2 pour se présenter au guichet ? (5c) Un consommateur patient en t = 1 qui anticiperait que tous les autres patients vont réclamer c∗1 en t = 1 (pour le consommer en t = 2) a-t-il intérêt à se ruer au guichet ? Vous supposerez que, si la banque ne peut pas honorer ses engagements, elle partage ses ressources également entre tous les consommateurs (réclamant des biens en t = 1). (5d) Se rue-t-il au guichet s’il anticipe que tous les autres patients vont attendre t = 2 pour consommer c∗2 . Qu’a-t-il intérêt à faire en t = 1 ? Interprétez les résultats (c) et (d) en termes de « paniques » bancaires ? (a) La banque peut livrer au maximum y ∗ + rx∗ . (b) Si un consommateur impatient décide d’attendre t = 2 pour consommer, son utilité est nulle : il se présente toujours au guichet en t = 1. (c) Si tous les consommateurs réclament c∗1 , la banque doit livrer λc∗1 + (1 − λ)c∗1 = c∗1 > y ∗ = ∗ c1 /λ. Elle doit donc liquider des actifs longs. Si c∗1 < y ∗ + rx∗ , il reste suffisamment de ressources en t = 2 pour livrer c∗2 > c∗1 à un consommateur patient (infinitésimal) qui déciderait d’attendre t = 2 pour retirer ses avoirs. Sinon, c’est-à-dire si c∗1 ≥ y ∗ + rx∗ , la banque livre à chacun y ∗ + rx∗ . Il ne lui reste rien en t = 2 (elle a liquidé tous ses actifs longs). Un consommateur patient qui déciderait d’attendre pour consommer c∗2 n’aura donc plus rien en t = 2 ! Au total, si c∗1 < y ∗ + rx∗ , le consommateur patient décidera d’attendre pour consommer c∗2 ; ∗ si c1 ≥ y ∗ + rx∗ , il ira réclamer c∗1 en t = 1. Comme tous font le même raisonnement, la banque est mise en défaut si et seulement si c∗1 ≥ y ∗ + rx∗ . (d) S’il se prétend impatient, il consomme c∗1 ; sinon, il consomme c∗2 > c∗1 . Il a donc intérêt à attendre t = 2 pour retirer ses avoirs. Il y a donc deux équilibres de Nash lorsque c∗1 ≥ y ∗ + rx∗ : l’un où chaque consommateur patient « panique » et décide de retirer ses avoirs dès t = 1, ce qui met la banque en faillite, et l’autre où ces consommateurs attendent pour retirer leurs avoirs au moment où ils en ont effectivement besoin. 6. Les règles de Bâle prévoient que les banques doivent conserver un certain ratio d’actifs longs par rapport à leurs actifs courts. Retrouveriez-vous les résultats de la question 5 si la banque ne pouvait pas du tout liquider ses actifs longs en t = 1 ? Si la banque ne peut pas du tout liquider ses actifs longs, elle détient forcément Rx∗ en t = 2, de sorte que les consommateurs patients n’ont pas intérêt à se prétendre impatients en t = 1. Seule la situation où personne ne « panique » de la question 7 se retrouve. 3 Jusqu’à présent, nous avons implicitement supposé que la banque proposait le contrat optimal (c∗1 , c∗2 ) sans prendre en compte le comportement des consommateurs patients, tel que décrit question 5. Supposons maintenant que les consommateurs patients réclament avec la probabilité π la quantité de biens promise à un consommateur patient en t = 1. On cherche si, lorsque la banque prend en compte ce comportement de retrait, il est possible qu’elle soit parfois mise en défaut et ne puisse pas honorer ses engagements. 7. Sous quelle condition la banque ne peut pas honorer ses engagements lorsque tous les patients réclament la quantité c1 promise aux impatients ? Sous quelle condition un patient n’a pas intérêt à se ruer au guichet en t = 1 s’il pense que tous les autres patients attendront t = 2 pour retirer la quantité qui leur a été promise par la banque ? (a) y + rx ≤ c1 , (b) c1 ≤ c2 , 8. Ecrivez le nouveau programme de la banque en t = 0 (qui prend en compte le comportement de retrait des consommateurs) et les contraintes auxquelles elle fait face en t = 0, 1, 2. Montrez que le portefeuille y ∗∗ qu’elle choisit satisfait y ∗ < y ∗∗ . Comment la banque se prémunit-elle contre la possibilité d’une panique bancaire ? L’objectif de la banque est de choisir un portefeuille qui maximise πu(y + rx) + (1 − π) [λu(c1 ) + (1 − λ)u(c2 )] sous les contraintes x + y ≤ 1, λc1 ≤ y, (1 − λ)c2 ≤ Rx. Le portefeuille choisi est 1−y y ∗∗ + (1 − λ)u R . y = arg max πu(y + r(1 − y)) + (1 − π) λu y λ 1−λ Ainsi, 0 ∗∗ π(1 − r)u0 (y ∗∗ + r(1 − y ∗∗ )) + (1 − π) [u0 (c∗∗ 1 ) − Ru (c2 )] = 0. (3) L’objectif est concave en y. Au point y ∗ , sa dérivée première est π(1 − r)u0 (y ∗ + r(1 − y ∗ )) > 0. Le résultat s’ensuit. La banque se prémunit contre la possibilité d’une panique en augmentant la quantité d’actifs courts qu’elle détient. 9. Quel portefeuille la banque choisit-elle si elle anticipe que les consommateurs patients n’auront pas intérêt à réclamer la quantité de biens promise aux patients en t = 1, et que tel est effectivement le cas. Vous supposerez que c∗1 ≤ r . 1 − (1 − r)λ La banque choisit (x, y) et (c1 , c2 ) qui maximisent λu(c1 ) + (1 − λ)u(c2 ) 4 sous les contraintes x + y ≤ 1, λc1 ≤ y, (1 − λ)c2 ≤ Rx + (y − λc1 ) , c1 ≤ y + rx, (4) c1 ≤ c2 (5) Les contraintes peuvent se réécrire plus simplement, en utilisant x = 1 − y et λc1 = y, Rλc1 + (1 − λ)c2 ≤ R c1 ≤ r 1 − (1 − r)λ c1 ≤ c2 Si c∗1 ≤ r , 1 − (1 − r)λ alors la solution de ce problème est l’optimum (c∗1 , c∗2 ) obtenu question 5. Sinon, à l’optimum, c1 = r R , c2 = 1 − (1 − r)λ 1 − (1 − r)λ 10. Décrivez finalement la politique optimale de la banque en fonction de π : quand doit-elle se préoccuper d’une panique possible de ses clients ? La banque se cherche pas à se protéger contre une panique possible de ses clients (patients) si et seulement si ∗∗ λu(c∗1 ) + (1 − λ)u(c∗2 ) > πu(y ∗∗ + rx∗∗ ) + (1 − π) [λu(c∗∗ 1 ) + (1 − λ)u(c2 )] . (6) Le membre de gauche ne dépend pas de π. En utilisant le théorème de l’enveloppe, le membre de droite est décroissant avec π puisque sa dérivée première en π est ∗∗ u(y ∗∗ + rx∗∗ ) − [λu(c∗∗ 1 ) + (1 − λ)u(c2 )] < ∗∗ ∗∗ u(c∗∗ 1 ) − [λu(c1 ) + (1 − λ)u(c2 )] = ∗∗ (1 − λ)(u(c∗∗ 1 ) − u(c2 )) < 0, ∗∗ où la dernière inégalité suit de c∗∗ 1 < c2 . Il existe par conséquent π̄ ∈ [0, 1] tel que (6) est satisfaite si et seulement si π > π̄. La banque se cherche pas à se protéger contre une panique possible de ses clients si ces paniques se produisent plutôt rarement. 5