DOCUMENT 7 Les nombres décimaux Dans l’introduction du document 6, l’origine des nombres rationnels a été liée à des problèmes de mesure en géométrie. En sciences expérimentales, le résultat d’une mesure est aussi un nombre rationnel mais ce nombre n’est pas quelconque (on ne parle pas d’une intensité d’un tiers d’ampère). En général, ce résultat exprime le fait que la grandeur que l’on mesure contient un nombre entier de fois l’unité, plus un certain nombre de dixièmes, de centièmes,... de cette a1 an unité. Autrement dit, le résultat de la mesure se présente sous la forme a0 + + ··· + n, 10 10 les ai étant des entiers qui, en dehors de a0 , sont compris entre 0 et 9. L’objet de ce document est l’étude de ce type de nombres rationnels et de leurs applications, l’une des plus importantes étant l’approximation des nombres réels. 1. L’anneau des nombres décimaux 1.1. Définition et caractérisations des nombres décimaux. Un nombre réel d est appelé un nombre décimal s’il existe un entier n tel que 10n d ∈ Z. On designe par D l’ensemble des nombres décimaux et le plus petit entier n tel que 10n d ∈ Z est parfois appelé l’ordre du nombre décimal d. . Tout entier relatif est un nombre décimal et si d est un nombre décimal alors il existe n tel que a = 10n d ∈ Z d’où d = a10−n ce qui montre que d est un nombre rationnel. On a donc Z ⊂ D ⊂ Q. La proposition suivante va impliquer que ces inclusions sont strictes. Proposition 7.1. Un nombre rationnel non nul, écrit sous la forme d’une fraction irréductible p x = , p ∧ q = 1, est un nombre décimal si et seulement si q = 2m 5n avec m ∈ N et n ∈ N. q p Preuve. Si x = m n , m ∈ N et n ∈ N, et si k = max(m, n) alors 10k x ∈ Z et x est donc un 2 5 nombre décimal. Réciproquement, soit d un nombre décimal. Si d ∈ Z alors son écriture sous d d la forme d’une fraction irréductible est = 0 0 . Si d 6∈ Z, alors supposons que l’écriture de d 1 2 5 p sous la forme d’une fraction irréductible soit d = m n où p1 est un nombre premier distinct 2 5 p1 q de 2 et 5. Il existe un entier k tel que 10k d = a soit un entier. On a 10k p = a2m 5n p1 q et comme p1 est premier avec 10k , le théorème de Gauss entraine que p1 divise p ce qui contradictoire. p Donc d = m n . 2 5 Remarque. Tout nombre rationnel d dont une écriture est d = 2m 5n p, p ∈ Z et (m, n) ∈ Z2 , est un nombre décimal et tout nombre décimal peut se décomposer de cette façon. Si de plus on impose que p ∧ 2 = p ∧ 5 = 1 alors toute décomposition d’un nombre décimal sous cette forme est unique et on dira que c’est son écriture canonique. Il est parfois plus agréable de présenter p l’écriture canonique d’un nombre décimal sous la forme m n . 2 5 59 60 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX n Remarquons encore que tout nombre décimal d peut s’écrire d = m avec n ∈ Z et m ∈ N 10 et que tout nombre de cette forme est un nombre décimal. 1.2. L’anneau des nombres décimaux. Proposition 7.2. L’ensemble des nombres décimaux forme un sous-anneau intègre du corps Q. n1 n2 et d2 = m2 , ni ∈ Z, deux nombres décimaux. On a : m 1 10 10 n1 n2 n1 10m2 − n2 10m1 • d1 − d2 = m1 − m2 = 10 10 10m1 +m2 n2 n1 n2 n1 • d1 .d2 = m1 . m2 = m1 +m2 10 10 10 ce qui montre que D est un sous-anneau de Q. Il est unitaire car 1 ∈ D et donc intègre. 1 1 Remarques. 1). D est le sous-anneau de Q engendré par { }. En effet ∈ D et si un sous10 10 1 1 1 anneau de Q contient alors il contient tous les entiers car il contient 1 (1 = + ... + ) 10 10 10 n et il contient donc aussi tous les rationnels de la forme m , avec n ∈ Z et m ∈ N. Il contient 10 donc tous les nombres décimaux. 2). D n’est pas un idéal de Q car, Q étant un corps, ses seuls idéaux sont {0} et Q. Preuve. Soit d1 = 1.3. Eléments remarquables et idéaux de l’anneau D. Proposition 7.3. Un élément de l’anneau D est inversible si et seulement si il est de la forme ε2m 5n avec (m, n) ∈ Z2 et ε ∈ {−1, 1}. Preuve. Tout élément de la forme ε2m 5n appartient à D et, comme ε2m 5n .ε2−m 5−n = ε2 = 1, p1 p2 tous les éléments de ce type sont inversibles. Réciproquement, soit d1 = m1 n1 et d2 = m2 n2 , 2 5 2 5 pi ∈ Z, deux nombres décimaux non nuls écrits sous forme canonique. Si d1 d2 = 1 alors p1 p2 = 2m1 +m2 5n1 +n2 et donc 2m1 +m2 5n1 +n2 ∈ N ce qui impose m1 + m2 ≥ 0 et n1 + n2 ≥ 0 (car 2 ne divise pas 5 et 5 ne divise pas 2). Alors, par le théorème de Gauss, pi ∈ {−1, 1}. Dans un anneau unitaire A, on désigne en général par A∗ l’ensemble des éléments inversibles de A, appelés parfois les unités de A. L’ensemble A∗ est toujours un groupe pour la multiplication de A. Ici on a donc D∗ = {ε2m 5n |(m, n) ∈ Z2 , ε ∈ {−1, 1}}. L’application ε2m 5n ∈ D∗ 7→ (m, n) ∈ Z2 est un morphisme surjectif du groupe (D∗ , .) sur le groupe (Z2 , +), de noyau {−1, 1}, et donc D∗ /{−1, 1} et Z2 sont des groupes isomorphes. Avant d’étudier les idéaux de D, donnons deux propriétés, liées aux éléments inversibles, des idéaux d’un anneau intègre. Considérons un idéal I d’un anneau intègre A. • si ua ∈ I avec u ∈ A∗ , alors a ∈ I car a = u−1 ua. On a donc, pout tout u ∈ A∗ , a ∈ I qui équivaut à ua ∈ I. • si I est un idéal principal engendré par un élément a alors I est aussi engendré par tout élément ua, u ∈ A∗ (aA = uaA). Réciproquement, si I = aA = bA, I 6= {0}, alors il existe u ∈ A∗ tel que a = ub. En effet, a = a.1 ∈ aA et donc a ∈ bA. Il existe a0 ∈ A tel que a = ba0 . De même, on a b = ab0 d’où a = a(a0 b0 ). L’anneau A étant intègre, a0 b0 = 1 (a0 b0 − 1)a = 0 et a 6= 0 car I 6= {0}), et a0 est donc un élément inversible. 1. L’ANNEAU DES NOMBRES DÉCIMAUX 61 Proposition 7.4. L’anneau D est un anneau principal. Pour tout idéal I de D, distinct de {0}, il existe un unique entier positif n tel que I = nD et n ∧ 2 = n ∧ 5 = 1. p Preuve. Si d = m n est un élément non nul de I alors |p| = ±d2m 5n est encore dans I et I 2 5 contient donc des entiers strictement positifs. Soit n le plus petit d’entre eux. Si n = 2p 5q n0 , avec n0 ∈ N, alors on a p = q = 0 car sinon n0 ∈ I, et 0 < n0 < n. On a donc n ∧ 2 = n ∧ 5 = 1, n > 0 et nD ⊂ I. a Soit x = p q un élément de I écrit sous forme canonique. Par la division euclidienne, 2 5 b r 1 a = nb + r avec 0 ≤ r < n d’où x = n p q + p q . De x ∈ I, n ∈ I et p q ∈ D∗ on déduit 2 5 2 5 2 5 b r b nb ∈ I et x − n p q = p q ∈ I d’où r ∈ I. Par définition de n, r = 0 et x = n p q ∈ nD. 2 5 2 5 2 5 Finalement nD = I. Supposons que I = n0 D avec n0 ∈ N, n0 ∧ 2 = n0 ∧ 5 = 1. Il existe 2p 5q ∈ D∗ tel que 0 n = n2p 5q . Cette égalité est contradictoire si p 6= 0 ou q 6= 0 et donc n = n0 . Les anneaux euclidiens (voir la définition dans le document 3) sont toujours des anneaux principaux. On peut donc se demander si l’anneau des décimaux est euclidien. La proposition suivante apporte une réponse positive à cette question. Proposition 7.5. L’anneau des nombres décimaux est un anneau euclidien. Plus précisemment , soit φ l’application de D − {0} dans N qui au nombre décimal non nul d, écrit sous forme canonique d = p 2n 5m , fait correspondre φ(d) = |p|. On a φ(d) ≤ φ(dd0 ), (d, d0 ) ∈ D∗2 , et pour tout couple (a, b) ∈ D × (D − {0}) il existe (q, r) ∈ D2 tel que a = bq + r, r = 0 ou φ(r) < φ(b). Preuve. Il est clair que φ(d) ≤ φ(dd0 ). Si a = 0 alors (q, r) = (0, 0) convient. Supposons a 6= 0 m n et soit k l et s t les écritures canoniques respectives de a et b. Par la division euclidienne 2 5 2 5 dans Z, on a m = ξn + ρ avec 0 ≤ ρ < |n|. On obtient a= ξ ξn + ρ n ρ = s t k−s l−t + k l . k l 2 5 2 5 2 5 2 5 ρ0 ξ et r = . 2k−s 5l−t 2k−u 5l−v 0 On a a = bq + r. Si r = 6 0 alors ρ 6= 0 et φ(r) = |ρ | = |ρ| < |n| = φ(b). Soit ρ0 ∈ N tel que ρ = 2u 5v ρ0 avec ρ0 ∧ 2 = ρ0 ∧ 5 = 1. Posons q = Remarques. 1). En utilisant la division euclidienne dans D on peut montrer que tout idéal de D est principal par une preuve semblable à celle que l’on fait dans le cas de Z. 2). Si I = nD, n ≥ 0, est un idéal de D alors I ∩ Z est un idéal de Z mais tout idéal de Z n’est pas l’intersection d’un idéal de D avec Z et si c’est le cas les générateurs peuvent être distincts (Penser à 2Z, 15Z, 15D ∩ Z = 3Z,...). 3). On a nD ⊂ mD, m et n étant les entiers définis dans la proposition 7.4, si et seulement si m divise n. Les idéaux maximaux de D sont donc les idéaux de la forme pD avec p premier, différent de 2 et 5. Pour tout nombre premier p, distinct de 2 et 5, le corps D/pD est isomorphe au corps Z/pZ. ni Preuve. Considérons deux nombres décimaux d1 et d2 écrits sous la forme di = avec 10mi m m m ni ∈ Z et mi ≥ 0. Si d1 = d2 alors n1 10 2 = n2 10 1 et donc, dans Z/pZ, n1 (10) 2 = n2 (10)m1 . 62 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX L’entier p étant premier, Z/pZ est un corps et, après avoir noté que 10 et p sont premiers entre eux, l’égalité précédente peut s’écrire n1 (10 −1 )m1 = n2 (10 −1 )m2 . On peut donc définir une application f de D dans Z/pZ en posant n f ( m ) = n(10 −1 )m . 10 Cette application est un morphisme d’anneau : f( n1 n2 n1 10m2 + n2 10m1 + ) = f ( ) 10m1 10m2 10m1 +m2 m m = (n1 10 2 + n2 10 1 )(10 −1 )m1 +m2 = n1 (10 −1 )m1 + n2 (10 −1 )m2 = f ( f( n2 n1 n2 n1 . ) = f ( ).f ( ) m m m 10 1 10 2 10 1 10m2 n1 n2 ) + f ( ) m 10 1 10m2 n Il est clair que l’application f est surjective (f (n) = n). On a f ( m ) = n(10 −1 )m = 0 si 10 n λ et seulement si n = 0 ce qui équivaut encore à = p m avec λ ∈ Z. Il en résulte que 10m 10 ker(f ) = pD d’où finalement l’isomorphisme de D/pD et Z/pZ. 4) L’anneau D étant principal on peut, comme dans Z, définir le pgcd et le ppcm de deux éléments et décomposer tout élément non nul en un produit de facteurs premiers (ou irréductibles). L’unicité est à un facteur inversible près. 2. Application : représentation des nombres réels par une suite décimale b Soit a = m , m > 0 et b ∧ 10 = 1, un nombre décimal non entier, a0 et r le quotient et 10 le reste de la division euclidienne de b par 10m . De 0 ≤ r < 10m on déduit qu’il existe des a0 10m + r = entiers a1 , . . . , am tels que 0 ≤ ai ≤ 9 et r = a1 10m−1 + . . . + am . Ainsi a = 10m a1 am a0 + + . . . + m , ce qui montre que a est déterminé par la suite finie d’entiers (ai ) où 10 10 0 ≤ ai ≤ 9 si 1 ≤ i ≤ m. Nous allons obtenir un résultat analogue pour tout nombre réel mais dans ce cas la suite (ai ) ne sera plus finie. Définition 7.1. On appelle suite décimale toute suite d’entiers (an ) telle que pour tout n > 0, 0 ≤ an ≤ 9. On appelle représentation décimale de x ∈ R, toute suite décimale (an ) telle que x = n X ak . On dit aussi dans ce cas que (an ) représente x. lim n→∞ 10k k=0 On a montré au début de ce paragraphe que tout nombre décimal possède un représentation décimale (an ) avec an = 0 à partir d’un certain rang. Réciproquement, toute suite décimale, dont les termes sont nuls à partir d’un certain rang, représente un nombre décimal. Proposition 7.6. Toute suite décimale est la représentation décimale d’un nombre réel. n X ak Plus précisemment, si a = (an ) est une suite décimale et si ξn = alors la suite (ξn ) 10k k=0 2. REPRÉSENTATION DÉCIMALE DES NOMBRES RÉELS 63 converge vers un nombre réel s(a) tel que, pour tout n ∈ N, ξn ≤ s(a) ≤ ξn + 1 10n . an+1 Preuve. La suite (ξn ) est croissante car ξn+1 − ξn = n+1 ≥ 0. D’autre part, pour n ≥ 1, 10 n X 1 1 ξn ≤ a0 + 9 = a0 + 1 − n < a0 + 1. 1 10 10k k=1 La suite (ξn ), croissante et majorée, converge vers un réel s(a) avec, pour tout n ∈ N, ξn ≤ s(a). Pour p ≥ n + 1 on a ξp = ξn + p X k=n+1 p X 1 1 1 ak ≤ ξn + 9 = ξn + n − p k k 10 10 10 10 k=n+1 1 . 10n Remarques. 1) On conserve les notations de la proposition précédente. S’il existe n tel que 1 1 an+1 1 1 s(a) = ξn + n alors s(a) ≤ ξn+1 + n+1 entraine ξn + n ≤ ξn + n+1 + n+1 d’où 10 10 10 10 10 1 1 10 ≤ an+1 + 1 et an+1 = 9. On en déduit que ξn+1 + n+1 = ξn + n = s(a). 10 10 1 Soit n0 le plus petit entier tel que s(a) = ξn0 + n0 . Une récurrence immédiate montre que 10 1 n ≥ n0 + 1 implique an = 9 et s(a) = ξn + n . 10 Réciproquement, soit (an ) une suite décimale telle que an = 9 pour tout n ≥ n0 . Si n > n0 alors n X 1 1 1 = ξn0 + n0 − n ξn = ξn0 + 9 k 10 10 10 d’où s(a) ≤ ξn + k=n0 +1 1 ce qui montre que (an ) représente le nombre décimal x = ξn0 + n0 . On remarque aussi que 10 1 1 pour n > n0 , ξn + n = ξn0 + n0 = x. 10 10 1 . Cette suite est décroissante et ((ξn ), (ξn0 )) 10n 1 forme un couple de suites adjacentes. Il en résulte que (ξn ) converge et ξn ≤ s(a) ≤ ξn + n . 10 2) On peut aussi introduire la suite ξn0 = ξn + Les suites décimales formées de 9 à partir d’un certain rang ne sont donc pas intéressantes car elles représentent des nombres décimaux et ces nombres possèdent déjà une représentation décimale dont le terme général est nul à partir d’un certain rang. n p+1 1On utilisera souvent l’égalité q n +. . .+q p = q − q (p ≥ n, q 6= 1) d’où 9( 1−q et 1 1 1 + ... + p < n. 10n+1 10 10 1 1 1 1 +. . .+ p ) = n − p 10n+1 10 10 10 64 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX Définition 7.2. Une suite décimale (an ) est dite propre si, pour tout n, il existe m ≥ n tel que am 6= 9 et finie s’il existe un entier n0 tel que n ≥ n0 implique an = 0. Une suite décimale finie est propre et on a remarqué qu’une suite décimale (an ) représentant n X 1 ak x est propre si et seulement si, pour tout n, x < ξn + n (ξn = ). 10 10k k=0 Nous avons vu que toute suite décimale est la représentation décimale d’un nombre réel. Pour étudier la réciproque considérons d’abord l’exemple de x = 3, 14159. On a 3 = E(x), 1 = E(10x)−10E(x), 4 = E(100x)−10E(10x), 1 = E(1000x)−10E(100), 5 = E(104 x)−10E(103 x), 1 5 9 1 4 9 = E(105 x) − 10E(104 x) et x = 3 + + 2 + 3 + 4 + 5. 10 10 10 10 10 Proposition 7.7. 1). Soit x ∈ R. La suite d(x) = (dn (x)) définie par d0 (x) = E(x), et dn+1 (x) = E(10n+1 x) − 10E(10n x) si n > 0 est une suite décimale propre qui représente x. 2). L’application d qui à x ∈ R fait correspondre la suite décimale d(x) est une bijection de R sur l’ensemble des suites décimales propres. En particulier, tout nombre réel possède une et une seule représentation décimale propre. Preuve. 1). La suite d(x) est formée d’entiers et, par définition de la partie entière de 10n+1 x et de 10n x on a : 10n+1 x − 1 < E(10n+1 x) ≤ 10n+1 x −10n+1 x ≤ −10E(10n x) < −10n+1 x + 10. d’où −1 < dn+1 (x) < 10 et donc 0 ≤ dn+1 (x) ≤ 9. Si n = 0, d0 (x) = E(x) d’où d0 (x) ≤ x < d0 (x) + 1 ou encore ξ0 ≤ x < ξ0 + 1. Maintenant si n ≥ 1, ξn = n X dk (x) k=0 10k = E(x) + n X E(10k x) E(10k−1 x) E(10n ) . ( − ) = 10n 10k 10k−1 k=1 1 (1) 10n suite décimale d(x) représente x et (1) implique qu’elle est propre. Mais E(10n x) ≤ 10n x < E(10n x) + 1 entraine ξn ≤ x < ξn + d’où lim ξn = x. La n→∞ n X 1 ak . On a ξn ≤ x < ξn + n k 10 10 k=0 n n n n n n d’où 10 ξn ≤ 10 x < 10 x + 1 et donc E(10 x) = 10 ξn (10 ξn ∈ N). Il en résulte que d0 (x) = E(x) = ξ0 = a0 et dn+1 (x) = E(10n+1 x) − 10E(10n x) = 10n+1 ξn+1 − 10n+1 ξn = an+1 . L’application d est donc surjective. Elle est aussi injective car si d(x) = d(y) alors n n X X dk (x) dk (y) x = lim = lim = y. k n→∞ n→∞ 10 10k 2) Soit (an ) une représentation décimale propre de x et ξn = k=0 k=0 Remarque. L’application réciproque de d est l’application qui à la suite décimale propre n X ak a = (an ) fait correspondre s(a) = lim . n→∞ 10k k=0 2. REPRÉSENTATION DÉCIMALE DES NOMBRES RÉELS 65 Définition 7.3. Soit x ∈ R et (an ) la suite décimale propre qui représente x. Le nombre n X ak décimal ξn = est appelé l’approximation décimale par défaut à 10−n près de x et le 10k k=0 1 nombre décimal ξn + n , l’approximation décimale par excès à 10−n prés de x. 10 Remarques. 1). Tout nombre réel est la limite d’une suite croissante de nombres décimaux (la 1 suite (ξn )) et aussi la limite d’une suite décroissante de nombres décimaux (la suite (ξn + n )). 10 Il en résulte que l’ensemble des nombres décimaux est dense dans R. A fortiori, Q est dense dans R. Cette propriété est souvent utilisé en analyse. 1 2). Les approximations de x, ξn et ξn + n , sont des nombres décimaux d’ordre au plus n 10 5 qui approchent x avec une erreur inférieure à 10−n . Soit ξn0 = ξn si ξn ≤ x < ξn + n+1 et 10 5 1 1 5 0 ξn0 = ξn + n si ξn + n+1 ≤ x < ξn + n . On a |x − ξn | ≤ n+1 et le nombre décimal 10 10 10 10 d’ordre au plus n, ξn0 , est appelé la valeur décimale de x arrondie au plus près à l’ordre n. C’est en général cette valeur qui est donnée par les calculatrices. 2.1. Caractérisation des nombres décimaux. Proposition 7.8. Soit x ∈ R. Il y a équivalence entre : (1) Le nombre x est un nombre décimal ; (2) La représentation décimale propre de x est finie ; (3) Le nombre x admet une représentation décimale impropre. Preuve. 1)⇒ 2). Cette implication à été démontrée au début du paragraphe. 2) ⇒ 3). Soit m le plus petit entier ≥ 1 tel que n ≥ m implique dn (x) = 0. On définit une suite décimale impropre (d∗n (x)) par : d∗k (x) = dk (x) si 0 ≤ k ≤ m − 2 d∗m−1 (x) = dm−1 (x) − 1 d∗k x) = 9 si k ≥ m. Soit ξn∗ = n X d∗ (x) k k=0 . Si n ≥ m alors 1 = ∗ ξm−1 n X 1 1 ∗ +9 . Or ξm−1 = x − m−1 d’où 10 10k 1 = x − m−1 + m−1 − n et lim ξn∗ = x. n→∞ 10 10 10 3) ⇒ 1). Voir la remarque précédant la définition 30.4. ξn∗ 1 10k ξn∗ k=m Remarque. Dans la démonstration de 2) ⇒ 3) on a fait correspondre à la suite décimale propre (dn (x)) représentant le nombre décimal non nul x une suite décimale impropre (d∗n (x)). Soit φ cette correspondance. Il est clair que φ est injective. Pour montrer que φ est surjective soit (an ) une suite décimale impropre et n0 le plus petit entier ≥ 1 tel que n ≥ n0 implique an = 9. On définit une suite décimale finie (bn ) par : 66 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX bn = an si n < n0 − 1; bn0 −1 = an0 −1 + 1; bn = 0 si n ≥ n0 . L’entier n0 − 1 est le plus petit entier tel que n > n0 − 1 implique bn = 0 d’où φ((bn )) = (an ). L’application φ est donc une bijection entre l’ensemble des suites décimales finies et l’ensemble des suites décimales impropres. De plus (an ) et φ((an )) représente le même nombre décimal ce qui entraine en particulier qu’un nombre décimal possède une seule représentation décimale impropre. 2.2. Caractérisation des nombres rationnels. Proposition 7.9. Soit x ∈ R. Il y a équivalence entre : (1) Le nombre x est rationnel ; (2) La représentation décimale propre de x est périodique à partir d’un certain rang. p Preuve. 1) ⇒ 2). Soit x = un nombre rationnel avec p ∧ q = 1. On définit, en utilisant la q division euclidienne, deux suites d’entiers (an ) et (rn ) par : p = a0 q + r0 et 0 ≤ r0 < q ; 10rn−1 = an q + rn et 0 ≤ rn < q si n ≥ 1. On va prouver que (an ) est la représentaton décimale propre de x. Montrons d’abord par n X ak rn récurrence que x = + n . 10 q 10k k=0 n X p r0 ak rn Pour n = 0, on a x = = a0 + . Si x = + n alors 10rn = an+1 q + rn+1 entraine k q q 10 q 10 k=0 n+1 X rn an+1 rn+1 ak rn+1 = n+1 + n+1 d’où x = + n+1 ce qui achève la preuve par récurrence. 10n q 10 10 q 10 q 10k k=0 r0 r0 p p Comme 0 ≤ < 1 on a a0 ≤ a0 + < a0 + 1 d’où a0 ≤ < a0 + 1 et a0 = E( ) = d0 (x). q q q q n−1 n X X rn 10n−1−k ak = 10n−k ak car 0 ≤ < 1 et 10E(10n−1 x) = 10 Pour n ≥ 1, E(10n x) = q k=0 n−1 X k=0 10n−k ak d’où k=0 dn (x) = E(10n x) − 10E(10n−1 x) = an . Il reste à montrer que le suite (an ) est périodique à partir d’un certain rang. Pour cela considérons l’application ϕ de [0, q] dans [0, q − 1] définie par ϕ(n) = rn . Cette application n’étant pas injective, il existe deux entiers k et l tels que 0 ≤ k < l ≤ q et rk = rl . Montrons par récurrence que si p = l − k alors on a an+p = an et rn+p = rn pour tout n ≥ k + 1 ce qui signifie que la représentation propre de x est périodique à partir du rang k + 1. La propriété est vraie pour n = k + 1 car 10rk = ak+1 q + rk+1 , 10rl = al+1 q + rl+1 et 10rl = 10rk entrainent ak+1 = al+1 = ak + 1 + p et rk+1 = rl+1 = rk+1+p . 2. REPRÉSENTATION DÉCIMALE DES NOMBRES RÉELS 67 Si on suppose maintenant que la propriété est vraie pour n ≥ k + 1 une démonstration analogue montre qu’elle est encore vraie pour n + 1. 2) ⇒ 1). Soit (an ) une suite décimale périodique à partir d’un certain rang. Désignons par p une période et par N un entier tel que n > N implique an = an+p . n X ak Posons ξn = et considérons la suite (ψn ) extraite de (ξn ) et définie par ψn = ξN +np . 10k k=0 On a : aN +(n+1)p aN +np+1 aN +p 1 aN +1 1 ψn+1 − ψn = N +np+1 + . . . + N +(n+1)p = np ( n+1 + . . . + N +p ) = np (ξN +p − ξN ). 10 10 10 10 10 10 Il en résulte que ψn+1 n X 1 . = ψ0 + (ξN +p − ξN ) 10np k=0 On a ψ0 = ξN et lim ξn = lim ψn = ξN + (ξN +p − ξN ) n→∞ n→∞ 10p ξN +p − ξN 10p = p 10 − 1 10p − 1 ce qui montre que lim ξn ∈ Q. n→∞ 2.3. Ecriture décimale des nombres réels. 2.3.1. Le cas des nombres décimaux. Si x est un nombre décimal non nul alors dn (x) est nul à partir d’un certain rang n + 1 et x est entièrement déterminé par la suite finie d’entiers E(x) = d0 (x), d1 (x),...,dn (x). Si x > 0 alors l’écriture en base 10 de x est formée de gauche à droite par : • l’écriture en base 10 de l’entier positif d0 (x) = E(x) ; • une virgule ; • l’écriture en base 10 de l’entier positif 10n−1 d1 (x) + · · · + dn (x). Cette écriture est formée des chiffres symbolisant les entiers d1 (x), . . . , dn (x). L’écriture d’un décimal négatif x est l’écriture de −x précédée du signe −. Il faut remarquer que dans ce cas, les chiffres de l’écriture de x ne sont pas les chiffres symbolisant les dk (x). Par 352 exemple, si x = − alors on écrit x = −3, 52 et d0 (x) = −4, d1 (x) = 4, d2 (x) = 8. Il existe 100 cependant un algorithme simple qui permet de passer des dk (x) à l’écriture de x. 2.3.2. Le cas des réels non décimaux. Si x est un nombre rationnel non décimal alors il existe une infinité de dk (x) non nuls et on ne peut pas écrire tous les chiffres qui les symbolisent. Cependant, comme la suite (dn (x)) est périodique à partir d’un certain rang on peut représenter x sans trop d’ambiguité par une écriture contenant des pointilllés. Exemple : x = 2, 12546546546......... Dans le cas des nombres rationnels, il existe une écriture avec un nombre finie de symboles, c’est l’écriture déduite de la forme fractionnaire. Si maintenant x n’est pas rationnels alors la suite (dn (x)) n’est pas périodique et on peut seulement écrire, pour chaque entier n, une approximation décimale de x à 10−n près. Il est d’ailleurs vain de vouloir chercher une méthode permettant d’écrire avec un nombre fini de symboles tous les nombres réels car l’ensemble des suites finies d’un ensemble fini est dénombrable et R n’est pas dénombrable. 68 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX 3. Autres applications 3.1. Une méthode de construction de R. L’écriture décimale des nombres réels donne l’idée d’une construction de R qui est peut-être la plus naturelle de celles qui existent. Elle n’est cependant pas exempte de difficultés techniques. Dans cette construction, on suppose la connaissance de Q et des nombres décimaux. On appelle nombre réel toute suite décimale propre et on désigne par R leur ensemble. En particulier, tout nombre décimal est un nombre réel et donc D ⊂ R. Il est facile de définir sur R une relation d’ordre total. Proposition 7.10. Soit r = (rn ) et s = (sn ) deux nombres réels. La relation binaire sur R, ≤, définie par r ≤ s ⇔ r = s ou il existe n ∈ N tel que rn < sn et rk = sk si k < n. est une relation d’ordre total sur R, pour laquelle toute partie non vide de R majorée possède une borne supérieure. Preuve. Il est facile de vérifier que ≤ est une relation d’ordre total. Soit X une partie non vide de R, majorée par m = (mn ). On définit la borne supérieure (sn ) de X par récurrence sur n. • L’ensemble des premiers termes des éléments de X est majorée par m0 . Cet ensemble d’entiers possède donc un plus grand élément s0 . • On suppose s0 , . . . , sn définis et tels que, pour 1 ≤ k ≤ n, sk est le plus grand (k + 1)ième terme des élément de X commençant par s0 , . . . , sk−1 . Le terme sn+1 est alors défini comme étant le plus grand (n + 2)-ième terme des éléments de X commençant par s0 , . . . , sn . La suite (sn ) est une suite décimale mais elle peut être impropre (Penser à X = {0, 9, 0, 99, 0, 999, . . .} où (sn ) = 0, 9999 . . .). Dans ce cas on la remplace par la suite propre qui représente le même nombre décimal. On vérifie ensuite que (sn ), ou la suite propre qui l’a remplacée, est la borne supérieure de X. Il faut ensuite définir sur R une addition et une multiplication. Ces définitions sont naturelles mais la vérification que (R, +, .) est un corps est techniquement difficile. Nous ne donnerons ici que la définition des opérations . Soit (rn ) et (sn ) deux nombres réels. Pour tout n ∈ N, on désigne par Rn et Sn les deux suites décimales propres définie par Rn = (r0 , r1 , . . . , rn , 0, . . . , 0, . . .) Sn = (s0 , s1 , . . . , sn , 0, . . . , 0, . . .). (Intuitivement, ces suites sont les approximations décimales par défaut de (rn ) et (sn ).) Ces deux suites représentent des nombres décimaux et on peut donc définir Rn +Sn et Rn .Sn comme étant les suites décimales propres représentant la somme et le produit des décimaux représentés par Rn et Sn . Par exemple et plus explicitement, Rn + Sn est la suite décimale qui n n X X sk rk + . Ce n’est pas la somme au sens usuel des suites Rn et Sn . représente k 10 10k k=0 k=0 On remarque que X = {Rn + Sn |n ∈ N} est majoré par m = (s0 + r0 + 1, 0, . . . , 0, . . .) et donc on peut poser 3. AUTRES APPLICATIONS 69 (rn ) + (sn ) = sup{Rn + Sn |n ∈ N}. (La somme de deux nombres réels est la borne supérieures des sommes des approximations par défaut.) Supposons maintenant (rn ) et (sn ) positifs (i.e. r0 ≥ 0 et s0 ≥ 0). L’ensemble Y = {Rn .Sn |n ∈ N} est majoré par m0 = (s0 .r0 + s0 + r0 + 1, 0, . . . , 0, . . .) et donc on peut poser (rn ).(sn ) = sup{Rn .Sn |n ∈ N}. Pour définir ensuite le produit de deux nombres réels de signe quelconque, on utilise la règle des signes. 3.2. Applications aux cardinaux. 3.2.1. 1) R n’est pas dénombrable. Il suffit de montrer que le cardinal de [0, 1[ n’est pas dénombrable. Pour cela on va prouver que si (xn )n>0 est une suite d’élément de [0, 1[ alors {xn |n ∈ N∗ } est strictement inclus dans [0, 1[. (Autrement dit, aucune application de N dans [0, 1[ n’est surjective.) Identifions un nombre réel avec la suite décimale propre qui le représente et posons xn = (xkn )k∈N avec 0 ≤ xkn ≤ 9. Soit y = (yn ) la suite décimale propre définie par y0 = 0 et, pour n > 0, yn = xnn − 1 si xnn > 0 et yn = 1 si xnn = 0. Il est clair que y ∈ [0, 1[ et que la n-ième décimale de y diffère de la n-ième décimale de xn d’où y 6∈ {xn |n ∈ N}. 3.2.2. 2) Card (R) = Card P(N).. Remarquons d’abord que deux intervalles ouverts I et J de R ayant plus d’un point sont en bijection, une bijection pouvant être construite en utilisant des fonctions affines et la fonction tangente. Comme tout intervalle de R ayant plus d’un point est compris entre deux intervalles ouverts ayant plus d’un point, tous les intervalles de R avec plus d’un point ont le même cardinal. Il suffit donc de montrer que Card[0, 1[= Card P(N). A toute partie X de N on peut faire correspondre un développement décimal propre (xn ) d’un élément de [0, 1[ de la façon suivante : x0 = 0 et pour n > 0, xn = 1 si n−1 ∈ X et xn = 0 sinon. Il est clair que X 7→ (xn ) est une injection de P(N) dans [0, 1[ et donc Card P(N) ≤ Card ([0, 1[. Considérons maintenant le développement (xn ) en base 2 d’un élément de [0, 1[. L’application qui à (xn ) fait correspondre la partie de N ayant pour fonction caractéristique n 7→ xn est une bijection de [0, 1[ sur l’ensemble des parties de N n’ayant pas un complémentaire fini. (Les fonctions caractéristiques des parties de N ayant un complémentaire fini correspondent aux développements impropres.) Il en résulte que Card [0, 1[≤ Card P(N) et finalement Card (R) = Card [0, 1[= Card P(N). 3.3. Applications à l’analyse et à la topologie. 3.3.1. 1) Une fonction vérifiant le théorème des valeurs intermédiaires et continue en aucun point. Dans le document ”Image d’un intervalle par une fonction continue” (fascicule II), on construit à partir des développements décimaux, une fonction de [0, 1] dans lui-même qui est continue en aucun point et qui vérifie : pour tout a, b ∈ [0, 1], a < b, et tout c ∈ [0, 1], il existe une suite (xn ) de points de [a, b], ayant tous ses termes deux à deux différents , telle que f (xn ) = c. 3.3.2. 2) L’ensemble triadique de Cantor. Il est formé des éléments de [0, 1] dont le développement en base 3 ne contient pas le chiffre 2. On trouve dans tout bon ouvrage de topologie ou d’analyse une description des curieuses propriétés de cet ensemble. Il est en particulier compact, de même cardinal que R et son complémentaire dans [0, 1] est une réunion dénombrable d’intervalles ouverts deux à deux disjoints dont la somme des longueurs est égale à 1. 70 7. LES NOMBRES DÉCIMAUX