La douleur de l’enfant expérience, émotions, conséquences, mémorisation Elisabeth Fournier-Charrière CETD CHU Bicêtre, groupe Pédiadol 2014 De quoi parle-t-on? Douleur physique Souffrance morale Définition internationale de la douleur « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion » International Association for the Study of Pain (IASP) Est douleur ce que le patient dit être douleur Composantes de la douleur Sensori-discriminative : correspond à ce que ressent le patient Affectivo-émotionnelle : correspond à ce que le patient ressent sur le plan émotionnel (colère, peur, anxiété, angoisse, etc..) Cognitive : analyse, signification donnée par le patient Comportementale : expression (attitudes physiques, expression verbale ou non, retrait, etc.) Les voies de la douleur, quoi de neuf ? Descartes 1664 Descartes 1664 Un parcours en 6 étapes Perception : la matrice de la douleur Aires somesthésiques • • • • qualité (brûlure, torsion …) La durée (brève, continue …) L’intensité La localisation Cortex frontal préfrontal aspect désagréable, souffrance, angoisse Système limbique, aires associatives, hypocampe, cortex cingulaire Mémorisation, analyse cognitive, attention, apprentissage Système hypothalamohypophysaire : stress Les systèmes de contrôle modulateurs Contrôles inhibiteurs descendants Substance grise péri aqueducale, Sérotonine noyaux du raphé Nor adrénalineLocus coeruleus Gate control Sensibilisation Récepteurs NMDA MODULATION DE LA DOULEUR PAR LA RÉALITÉ VIRTUELLE Notions d’ontogenèse L’enfant ressent la douleur dès la naissance Les mécanismes neurophysiologiques de perception et transmission des influx nociceptifs maturent pendant les 2 premiers trimestres de la vie intrautérine et dès la 24-26ième semaine de grossesse la « perception » est possible (jonction thalamocorticale ), et même avant (sous cortical) Les mécanismes de contrôle (voies inhibitrices) sont par contre immatures à la naissance Quand l ’enfant rencontre -t- il la douleur ? A la maison percées dentaires chutes et blessures otites, angines, viroses, maladies aiguës sport A l ’hôpital vaccinations prises de sang céphalées douleurs abdominales coliques du nourrisson douleur des soins traumatismes, fractures, brûlures maladies aiguës maladies chroniques : cancer, SIDA, mucoviscidose, hémophilie, drépanocytose, polyhandicap chirurgie : VG, amygdales, sphère uro-génitale, Les différentes douleurs Douleur aiguë Douleur chronique Cause évidente nc ou np : Maladie Chirurgie Soins Quelques minutes à quelques jours ou semaines À évaluer avec les échelles validées À prévenir et traiter prioritairement par les antalgiques (modèle bio médical classique) Cause souvent disparue ou disproportionnée ou introuvable Céphalées, DAR, dl musculosquelettiques, SRDC > 3 mois Facteurs psycho-sociaux au premier plan Évaluer le retentissement plus que l’intensité (surcotation) Prise en charge globale (modèle bio psycho social) Y a -t- il des douleurs utiles ? OUI ! La douleur protège la vie ! La douleur participe à des apprentissages : Schéma corporel Gestion des situations difficiles Confiance dans les adultes protecteurs Confiance en soi Contrôle de l ’expression des émotions, courage « Choix » d ’un comportement de douleur Mais passé un certain seuil, la douleur devient délétère Du point de vue du « client », quel est le ressenti de l’enfant : les étapes en fonction du développement aspects psycho-affectifs et cognitifs Perception de la douleur chez le bébé Impression de toute puissance Pas de schéma corporel Pas de notion du temps Pas de notion de la cause, pas de compréhension Pas de notion du soulagement possible Pas de contrôle possible Douleur Détresse globale, angoisse, hostilité, repli le bébé douloureux est complètement démuni, envahi propositions enveloppe contenante : cocon, posture, portage, paroles réflexion sur les soins, le respect des rythmes présence des parents Perception de la douleur chez le petit enfant (2-7 ans) Pensée centrée sur lui même, sur son point de vue, croyances non remises en cause ( l’infirmière est méchante) Ici et maintenant Pas de lien entre cause et conséquence Raisonnement magique : quelqu’un est responsable Sentiment de punition Pensée dominée par les sensations, « inconsciente », pas de distance Pensée finaliste : stade des pourquoi Monde imaginaire !! angoisse et confusion, culpabilité Douleur (associe méchanceté et douleur) réaction de repli propositions expliquer simplement le jour même (déjà accessible aux explications) présence des parents accès à l’imaginaire : distraire avec… La douleur des soins chez le nourrisson et le petit enfant Un vécu traumatique Une agression incompréhensible Peur, anxiété, parfois phobie Pas de lien avec des expériences Pas de rationnel La douleur liée aux soins est plus mal vécue que la maladie La douleur et l’anxiété augmentent avec la répétition des gestes douloureux propositions Informer sans mentir sans banaliser, sans encourager les attitudes héroïques présence des parents Traiter insuffisamment la douleur lors d’un premier soin, c’est s’exposer à aggraver la perception des suivants Perception de la douleur chez le grand enfant (7 -11 ans) Distinction monde interne et externe, moi et les autres Pensée structurée, logique Raisonne, analyse les causes externes : les causes de la douleur peuvent être comprises Capacités d ’abstraction limitées Apprentissages, scolarité Douleur Culpabilité, angoisse, solitude propositions fervent adepte des explications adhésion au traitement, partenariat Quelques questions des enfants Qu’est-ce qu’on va me faire ? Est-ce que je vais avoir mal ? Est-ce que j’aurai des piqûres ? Est-ce que Maman sera là ? Perception de la douleur chez l’adolescent Accès à l’abstraction : compréhension des mécanismes du corps Introspection possible Autonomisation Importance du groupe des pairs Anticipation du soulagement Référence aux expériences passées Douleur propositions Solitude, angoisse, isolement, perte de maîtrise expliquer, négocier, redonner de la maîtrise Peur et douleur un couple solide ! Plus on a peur plus on a mal… N= 241 (5 – 12 ans) Kain, Z. N. Pediatrics 2006 Et du côté des adultes, parents et soignants, que ressentons nous devant un enfant qui souffre ? Du côté des parents Besoin de comprendre Désir d’aider, de soulager Consolation, encouragements Mais culpabilité impuissance contagion du stress et de l’anxiété parfois réprimandes ! … Du côté des soignants Fonction soignante, vocation de venir en aide compassion, empathie action « technique » de soin et encouragements Mais aussi Gêne devant la douleur Culpabilité de faire mal Impuissance des a priori négatifs, irréfléchis « On n’y peut rien, c’est normal » « Ca ne fait pas si mal, ce n’est rien » « Ce n’est pas de la douleur, en fait c’est de la peur… » « N’y pense pas tu auras moins mal » On a dit longtemps « il oubliera » l’enfant mémorise-t-il la douleur ? OUI De nombreuses études montrent que l’enfant à partir de 3 ou 4 ans peut raconter un événement douloureux passé De nombreuses études montrent que le NN enregistre aussi l’événement La douleur suivante est plus forte qu’attendu La douleur sensibilise à la douleur Les émotions favorisent la mémorisation La mémoire de la douleur chez le nouveau-né et le Les infirmières constatent chez les nourrisson nouveaux-nés ayant déjà subi un prélèvement une agitation dès les gestes précédant le prélèvement Lors d’un 2e prélèvement, la mémorisation de la douleur se traduit au niveau du comportement et des hormones de stress Gunnar (1991) Les hormones du stress augmentent plus au deuxième prélèvement qu’au premier Taddio (2002) La douleur de la ponction veineuse à J2 est supérieure chez les bébés ayant subi de nombreux micro-prélèvements dans les 24 premières heures de vie (n=21 nouveau-nés de mère diabétique comparés à 21 indemnes) avec détresse dès la désinfection La mémoire de la douleur chez le nouveau-né et le nourrisson Craig (1984) Les nourrissons mémorisent la douleur des vaccinations La réaction au vaccin à 3 mois est plus forte chez des enfants qui ont l’expérience circoncision douloureuse Après paracentèse : Lors de revaccinations chez 30 nourrissons entre 2 et 24 mois, les plus grands expriment une anxiété d’anticipation Taddio (1997) 87 garçons vaccinés à 3 mois,eu en étude prospective. Mesure de la grimace, de la d’une durée des pleurs, et EVA observateur : non circoncis < circoncis avec analgésie (EMLA®) < circoncis sans analgésie (placebo) des mois après, les nourrissons hurlent en arrivant chez le médecin Exemples de mémoire explicite : l’évocation du souvenir de la douleur Après cystographie (enfants de 3-7 ans) : bonne restitution du déroulement du geste juste après et 6 semaines plus tard l’intensité de la détresse et de la peur perturbent l’exactitude de la restitution plus ils pleurent pendant, moins ils se souviennent correctement La distraction diminue aussi la mémorisation du déroulement ceux qui ont été informés et s’intéressent au geste pendant celui-ci se souviennent le plus précisément Merritt 1994, Salmon 2002 Effet de la prise en charge antalgique sur la mémorisation Urgences pédiatriques Implantation d’un protocole multidisciplinaire : accueil, prévention anxiété et douleur, non pharmacologique et pharmacologique : « comfort zone » Étude des scores de douleur (échelle de visages WBS) à l’arrivée et pendant le séjour et à la sortie, avec au moment de la sortie demande du score à l’arrivée les semaines avant : n = 531, âge médian 5 ans les semaines après : n = 263, âge médian 6 ans Les scores d’arrivée rappelés en mémoire à la sortie sont plus faibles ds le groupe avec protocole : 5,02 vs 4,01 p<.001 Crocker Am J Emerg 2011 Quelles sont les conséquences d’une non prise en charge de la douleur ? Détresse, angoisse, sentiment d’abandon, d’isolement Perte de confiance dans les soignants Peur Phobie des soins Douleur suivante majorée par l’anxiété pour la ponction veineuse (étude chez 138 enfants de 5 à 17 ans, Lander 92) pour la vaccination : l’attente de la douleur suivante est > à la douleur éprouvée (Cohen 2001) Douleur suivante plus difficile à traiter Impact d’une douleur d’un soin sur les suivantes Weisman (1998) Chez l’enfant cancéreux, 48 enfants (3-18 ans) cancéreux ont participé les scores de douleur à une étude randomisée contre placebo de et d’anxiété fentanyl sublingual avant PL ou augmentent constamment myélogramme. Ultérieurement tous reçoivent du fentanyl. Ceux de moins de 8 ans qui au fil des PL [1] ; avaient reçu du placebo auparavant gardent avec intervention des scores de douleur plus élevés que les thérapeutique, la détresse autres diminue au cours du temps [2] ; l’expérience d’un geste douloureux sans antalgie va aggraver la douleur des gestes suivants [3] En cas de PL répétées, le souvenir de la détresse est « exagéré » par rapport aux dires initiaux, et est associé à une plus grande détresse lors de la PL suivante [1] Mc Grath, 1986 ; [2] Chen, 2000 ; [3] Weisman, 1998 Une obligation Le code de déontologie médicale : «en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade… » Loi du 4 mars 2002 : information du malade, « toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager la douleur. Celle ci doit être en toutes circonstances prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens... » Le code de santé publique Une éthique Prendre soin Être attentif à l’autre Détresse, angoisse, Séquelles… Éthique, attention à l’autre Législation La douleur doit donc être soulagée quand elle dépasse un certain seuil