Télécharger le document

publicité
DIALOGUE
AVOCAT-ÉCONOMISTE
Sous la responsabilité de Gildas DE MUIZON, économiste, Microeconomix
Vé i
Véronique
SÉLINSKY
Avocat à la Cour
Olivier
Oli
i SAUTEL
RLC
Économiste
Microeconomix
1879
Les clauses restrictives
dans les contrats
d’affiliation de magasins
indépendants
L’Autorité de la concurrence s’est récemment emparée du sujet des contrats d’affiliation
des magasins indépendants. L’enjeu est de déterminer dans quelle mesure certaines clauses
verticales, qui restreignent la liberté des franchisés à changer d’enseigne, peuvent être justifiées.
Si la question se pose au juriste, en ce qu’elle touche aux limites de la liberté contractuelle,
elle interpelle également l’économiste, quant à leurs effets sur l’investissement et la concurrence.
Regards croisés.
Revue Lamy de la concurrence : Quelles sont les justifications
possibles aux clauses restrictives ?
Véronique Sélinsky : Les contrats de distribution peuvent
comporter des clauses qui, tout en limitant la concurrence,
ne sont pas interdites « per se » : en effet un fournisseur
peut légitimement harmoniser les comportements de ses
revendeurs (ce qui limite la concurrence intra-marque) s’il
s’agit d’un moyen d’intensifier la concurrence entre marques.
Bien évidemment, cela suppose qu’il existe plusieurs réseaux
concurrents et qu’ils ne sont pas en entente. À cette condition,
de telles clauses peuvent profiter au consommateur final en
lui garantissant un certain niveau de services. De même, s’il
existe un savoir-faire réel à protéger, on peut admettre d’insérer
dans un contrat une clause de non-réaffiliation à un réseau
concurrent pendant une certaine durée, afin de protéger ce
savoir-faire. On pourrait même aller jusqu’à reconnaître, pour
les réseaux de distribution sélective, que la fixation de prix
de revente minimum est de nature à garantir que les services
promis seront rendus par les distributeurs agréés. C’est ce qu’a
admis la Cour suprême des États-Unis dans la décision Leegin
en juin 2008, mais manifestement les autorités de concurrence
en Europe ne sont pas prêtes à sauter le pas.
Olivier Sautel : La théorie économique montre que les clauses
de restriction verticale peuvent être bénéfiques au consommateur. C’est le cas si elles permettent de mieux coordonner
distributeurs et franchisés, en les incitant à réaliser des investissements bénéfiques au consommateur et qui n’auraient
pas été consentis en l’absence de la protection apportée par
ces restrictions.
84
R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E • J U I L L E T - S E P T E M B R E 2 0 11 • N ° 2 8
Une clause d’exclusivité sur plusieurs années peut, par
exemple, convaincre un distributeur de financer une publicité pour le magasin de son franchisé. En effet, le distributeur qui consent des efforts pour développer un point de
vente est exposé à un risque de passager clandestin (freeriding) de la part des distributeurs concurrents. Une fois
la notoriété de l’emplacement développée, un distributeur
concurrent pourrait proposer un contrat de franchise plus
intéressant au détaillant et ainsi accaparer les gains sans
en avoir supporté les investissements. Anticipant cette
forme de parasitisme, aucun distributeur ne sera incité à
promouvoir le magasin, au préjudice des producteurs et
des consommateurs.
La clause d’exclusivité d’approvisionnement et l’interdiction
du changement d’enseigne répondent à cette préoccupation.
RLC : Que change le déséquilibre évident de pouvoir de
marché dans l’appréciation de ces clauses contractuelles. Et
quels sont les risques associés au développement de telles
clauses restrictives ?
O.S. : Le pouvoir de marché significatif des distributeurs
n’empêche pas un franchisé d’adopter un comportement
opportuniste comme on vient de le voir. Néanmoins, la forte
concentration des distributeurs fait craindre l’utilisation des
clauses de restriction verticale dans un but anticoncurrentiel.
Les franchisés pourraient jouer un rôle de mise en concurrence
des distributeurs-franchiseurs, lesquels sont par ailleurs peu
mis en concurrence par les consommateurs finaux. Or, les
clauses restrictives limitent fortement cette possibilité. L’effet
négatif de diminution de la concurrence inter-marques risque
Droit l Économie l Régulation
V.S. : Dans certaines situations extrêmes, l’asymétrie de
moyens est si forte qu’elle permet au contractant le plus
puissant d’imposer ses règles pour son propre bénéfice, au
détriment des partenaires contractuels et, finalement, des
consommateurs. Ce qu’a mis en lumière l’avis de l’Autorité
de la concurrence du 7 décembre 2010 relatif (notamment)
aux contrats d’affiliation de magasins indépendants dans le
secteur de la distribution alimentaire, c’est l’obsession des
grands distributeurs de conserver coûte que coûte le point de
vente franchisé. Le coût du foncier fait de ces emplacements
des ressources rares. Mais les moyens pour les conserver
sous une enseigne du groupe peuvent dépasser les limites
acceptables en ce que certaines clauses, par leur durée et leur
étendue, pourraient avoir pour effet de verrouiller le système et
empêcher la mobilité d’un réseau à l’autre, ce qui finalement
nuirait au consommateur final.
RLC : Quels sont les apports spécifiques de l’approche économique et de l’approche juridique sur ces questions ?
V.S. : L’analyse juridique peut être conduite au seul regard du
droit des contrats, selon une appréciation clause par clause.
En ce cas, un juge pourra conclure que l’obligation, librement
Droit l Économie l Régulation
consentie, est licite puisque le contrat « fait la loi des parties ».
L’analyse devient plus complexe lorsqu’un franchisé se trouve
enserré dans un véritable réseau de contrats : c’est alors l’empilement des conventions et leur interdépendance qui peut
être la source d’un effet négatif sur le marché en empêchant
la concurrence entre réseaux de jouer normalement. Enfin, la
reproduction de contrats identiques dans un secteur d’activité
rigidifie la situation par des effets restrictifs de concurrence
dits « cumulatifs ». En toute hypothèse, analyse économique
et appréciation juridique doivent se compléter.
O.S. : Un apport possible de l’économie sur ces questions est
de dépasser le cadre d’un contrat donné ou d’une série de
contrats pour appréhender l’effet cumulatif sur les marchés et
la concurrence. Une clause donnée peut ne pas générer d’effets
anticoncurrentiels au niveau d’un contrat donné. En revanche,
son application systématique auprès de plusieurs franchisés
d’une même zone géographique peut créer un effet significatif
sur les prix pratiqués. Une analyse économique globale des
marchés concernés est nécessaire pour appréhender ces effets
cumulatifs. Elle est également nécessaire pour balancer les effets proconcurrentiels et les risques d’effets anticoncurrentiels,
ce qu’une approche juridique ne peut établir seule.
PERSPECTIVES DIALOGUE
alors de surcompenser l’effet positif d’incitation à l’investissement en « aide à la vente ».
Propos recueillis par Julie VASA
Rédactrice en chef
N ° 2 8 • J U I L L E T - S E P T E M B R E 2 0 11 • R E V U E L A M Y D E L A C O N C U R R E N C E
85
Téléchargement