étude Efficacité à court et moyen termes des traitements d’urgence-crise pour couples et familles : résultats et perspectives De 2007 à 2010, le pôle Urgence-crise de l’Unité de consultation pour le couple et la famille (UCCF) (Secteur psychiatrique ouest, Hôpital de Prangins, Département de psychiatrie du CHUV), a mené une étude clinique sur la pertinence et l’utilité des traitements d’urgence-crise, dans une optique systémique, pour les couples et les familles en grave détresse. En sus des données épidémiologiques sur cette population, nous présentons ici les résultats qui démontrent l’efficacité de ces prises en charge à court terme et à distance d’un an. L’impact global de tels traitements en termes de santé publique, mais aussi d’économicité des soins, nous fait penser qu’ils devraient s’inscrire dans la nouvelle orientation prise par les soins psychiatriques ambulatoires au sein du tissu social. Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 533-8 V. Le Goff-Cubilier S. Campergue V. Sahli S. León-Giraldo L. Colin Short and medium-term effectiveness of the emergency-crisis treatments for couples and families : results and perspectives From 2007 to 2010, the emergency-crisis unit of the Couple and Family Consultation Unit – UCCF (West Psychiatric Service, Prangins Psychiatric Hospital, Psychiatric Department of CHUV) has carried out a research about the relevance and usefulness of emergency-crisis, systemic-oriented treatments, for deeply distressed couples and families. Besides epidemiologic data, we present results demonstrating the efficiency of those treatments, both at short term and at a one year’s range. The global impact of such treatments in terms of public health, but also economical issues, make us believe that they should be fully included in the new trend of psychiatric ambulatory care, into the social net. introduction Le pôle Urgence-crise de l’Unité de consultation pour le couple et la famille (UCCF) (Secteur psychiatrique ouest, Psychiatrie adulte, Département de psychiatrie du CHUV) a pour mission de répondre en urgence à la demande de familles et de couples en grande souffrance et de leur offrir, le cas échéant, une prise en charge de crise. Dans notre précédent article,1 nous avions mentionné qu’une première revue de la littérature, relative aux prises en charge dans l’urgence des familles et des couples, s’était montrée plutôt décourageante. Notre équipe avait néanmoins postulé qu’intervention d’urgence et travail de crise n’étaient pas incompatibles avec les thérapies familiales, et nous avions mené une première étude1 sur un nombre restreint de situations. Nous présentons les résultats de cette étude complétée de 2007 à 2010. setting d’intervention Les couples et familles sont reçus dans le cadre du pôle Urgence-crise de l’UCCF sur appel téléphonique de leur part, dans un délai d’un à deux jours, toujours par le même duo thérapeutique (psychiatre et psychologue). Une première séance permet d’évaluer l’indication de l’urgence, son degré, et de proposer une prise en charge adaptée à la situation : suivi de crise ou suivi thérapeutique habituel (contrat de six séances espacées d’une fois par mois). Le suivi de crise propose cinq séances à raison d’une séance par semaine. Ces séances se déroulent selon un schéma en quatre étapes : construction du système thérapeutique ou joining, reformulation de la crise par la construction d’hypothèses, recadrage qui permet de donner un sens aux symptômes, d’autant plus vécus comme inexplicables qu’ils ont été violents, et réactualisation, mouvement de recrudescence émotionnelle ou symptomatique (fréquent en fin de prise en charge). Ceci permet de construire un premier bilan concluant à une fin de prise en charge ou à la décision commune de poursuivre un travail avec les mêmes thérapeutes dans un setting mensuel. revue de la littérature Au cours de notre étude, nous avons approfondi la revue de la littérature anglosaxonne.2-9 Dans notre première publication, nous avions mentionné les travaux 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2011 45_50_35824.indd 1 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mars 2012 533 01.03.12 09:57 de Pauzé et coll.,10 Ceccin,11 Ausloos,12 Pitmann13 et DeClercq.14 Parmi eux, seul DeClercq pensait que l’urgence était à considérer comme une opportunité de changement alors que Ceccin, Pitmann et Ausloos soulignaient plutôt le risque que dans ces prises en charge en urgence, les soignants soient tentés de répondre à la demande des familles, qui est d’éviter le changement et de les maintenir dans un état d’homéostasie ou de déresponsabilisation. Dès les années 1960, des études ont été menées aux EtatsUnis sur la prise en charge en urgence et les suivis de crise de famille. Il s’agissait, dans les deux plus grandes études, de patients arrivant dans un service d’admission d’urgence d’hôpital psychiatrique (Langsley),6 et de patients arrivant en hôpital général (DeClercq).14 Tous deux partent du principe qu’il n’existe pas de crise individuelle sans crise du contexte. La crise individuelle est clairement mentionnée comme psychiatrique : «La psychiatrie est interpellée pour faire face non à une psychopathologie lourde mais davantage à des explosions systématiques plus souvent révélatrices de troubles de communication au sein du tissu social, conjugal ou familial des patients» (DeClercq). L’intérêt de l’étude de Langsley 6 est de présenter un groupe contrôle. Un des critères choisis pour mesurer l’intérêt d’une intervention familiale en urgence, lors d’une demande d’admission en psychiatrie de l’un des membres de cette famille, était la décision de ne pas hospitaliser ce patient ainsi que l’évaluation de ces patients quand ils pouvaient être maintenus à domicile. Dans les 75 cas du groupe étude, l’hospitalisation en urgence du patient désigné a été évitée. Durant les six mois suivant la prise en charge de crise, seulement 19% des patients du groupe étude ont été hospitalisés en hôpital psychiatrique, hospitalisation significativement plus courte que celle des 75 cas du groupe contrôle, dont tous les patients ont été hospitalisés et 21% d’entre eux ont été réhospitalisés dans les six mois après l’admission. D’autres études sont plus focalisées sur la prise en charge des adolescents avec, comme critère d’efficacité de ces interventions, le non-retrait de la famille ou placement de l’adolescent en institution. Nous avions déjà mentionné l’étude de Pauzé et coll.10 mais elle ne présente pas de groupe contrôle. L’étude de Seeling et coll.,9 qui se base sur un suivi intensif dans le milieu (suivi à six et douze mois), utilisant les échelles de mesure Family adaptability and cohesion scale et Clinical rating scale, montre qu’à 90 jours, 86% des ados étaient toujours dans leur famille, à douze mois 75% y étaient encore, aucun n’avait été hospitalisé. De nombreuses études 2,3 n’ont pas de groupe contrôle, ni d’évaluation des niveaux de fonctionnement de la famille. Dans beaucoup de ces études partant d’un patient désigné, le critère principal d’évaluation de ces interventions est centré sur ledit patient. Au pôle Urgence-crise de l’UCCF, la situation est différente : il s’agit d’une unité ambulatoire et les familles y font appel pour elles-mêmes, qu’elles aient ou non un patient désigné en leur sein. 534 Cycle de vie Hors cycle de vie Naissance Séparation/divorce/relation extraconjugale Adolescence Violence Leaving home Déscolarisation Mode de constitution du couple Déménagement Emménagement Travail Mariage/pacs Maladie somatique ou psychique Retraite Toxique Décès Accident les deux hypothèses présentées dans notre précédent article : 1) le motif de la demande en urgence relèverait d’une mise en danger majeure de l’équilibre du système (pour les couples, la menace de séparation imminente et pour les familles, un symptôme insupportable), et 2) le facteur de crise relèverait d’un événement d’ordre situationnel, plutôt que d’un événement du cycle de vie (tableau 1). L’échantillon se compose de 45 couples et quinze familles reçus par le pôle Urgence-crise entre fin 2007 et début 2010. Les données ont été récoltées à partir d’entretiens cliniques d’orientation systémique, menés par deux thérapeutes. Après la première séance d’urgence, les thérapeutes ont rempli systématiquement une grille de codification dont les items ont été saisis dans une base de données informatisée avec le logiciel SPSS. La satisfaction des systèmes consultants a pu être récoltée à partir d’un questionnaire de type échelle de Lickert. Une catamnèse envoyée à chaque patient nous a permis de mesurer l’évolution des mêmes systèmes au bout d’une année. A noter que cette étude respecte les principes des codes de déontologie de la SSP (Société suisse de pédiatrie) et de la FMH. Elle a été soumise à la commission d’éthique de la recherche clinique de l’Université de Lausanne. résultats Epidémiologie Nous avons cherché à savoir quelle était la population qui pouvait avoir besoin de faire recours au pôle Urgence-crise d’une consultation pour le couple et la famille. Sur les 60 cas retenus par l’étude, 75% étaient des couples et 25% des familles (figure 1). L’origine de la demande : dans 31,7% des cas, la demande est spontanée, c’est-à-dire que la famille fait elle-même la démarche sans autre référent. 23,3% des situations sont adressées par l’Hôpital de Prangins, 11,7% des situations ont été référées par des confrères généralistes et 11,7% par des thérapeutes installés. Le reste des situations nous est référé par des hôpitaux somatiques ou les autorités locales. méthodologie Vérification des hypothèses Nous avons fait une hypothèse générale : répondre à la demande en urgence serait thérapeutique à partir du moment où l’aspect fécond de la crise est exploité, et poursuivi Motif de la demande en urgence : tel qu’avancé par les systèmes eux-mêmes, la menace de séparation ou de divorce est le premier motif des couples, alors que l’apparition de Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mars 2012 45_50_35824.indd 2 Tableau 1. Facteurs de crise Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2011 0 01.03.12 09:57 de constitution, puis une naissance. Pour les familles, ce sont avant tout les problèmes liés à l’adolescence et ceux liés au leaving home, à égalité avec les problèmes liés à la violence (tableau 2). Différence significative entre familles et couples au test de Fischer (F(1,42) = 18,435, p l 0,05). Dans notre étude, pour les deuxième et troisième facteurs de crise, les différences observées entre familles et couples deviennent statistiquement non significatives, mais, au sein même de cette diffusion de facteurs, la violence semble se dégager de façon très nette tant pour les couples que pour les familles. Systèmes 25% 75% Famille Couple Figure 1. Distribution de la population étudiée symptômes physiques ou psychiques, est principalement avancée par les familles. Différence statistiquement significative entre familles et couples au test de Fischer (F(1,42) = 18,666, p l 0,001) (figures 2 et 3). Nous nous sommes interrogées sur les facteurs qui semblaient déclencher la crise dans ces systèmes (tableau 1). Pour chaque système, nous avons relevé jusqu’à trois facteurs de crise classés par ordre d’importance dans la crise actuelle. Le facteur de crise primaire pour les couples est d’abord leur mode Evolution au cours de la prise en charge A la fin des cinq séances d’intervention, selon l’évaluation des thérapeutes, 53,3% étaient en résolution partielle de crise, dont la majorité a souhaité poursuivre un traitement dans un setting habituel (figure 4). Pas de différence statistique entre couples et familles au test de Fischer (F(1,42) = 4,681, p = 0,290). Tableau 2. Facteurs de crise primaire Système Famille Naissance Couple 2% 22% 11% 54% 11% Menace séparation/divorce Violence physique Système 20% 16,7% 6,7% Adolescence 26,7% Leaving home 20% Total Couple 2,2% 8,3% 11,1% 13,3% 31,1% 25% Mode constitution couple 6,7% Mariage/pacs 0% 2,2% 1,7% Retraite 0% 4,4% 3,3% Décès 0% 2,2% 1,7% Séparation/divorce/relation extraconjugale 13,3% 4,4% 6,7% Violence 20% 6,7% 10% Infidélité Travail 0% 8,9% 6,7% Symptômes Maladie somatique ou psychique 6,7% 2,2% 3,3% Toxiques 0% 2,2% 1,7% Autres 0% 2,2% 1,7% Autres Figure 2. Motifs de la demande des couples Famille 13% 13% 7% 27% 33% 54% 53% Résolution de la crise Violence physique Infidélité Résolution partielle de la crise Autres Symptômes Autre Figure 3. Motifs de la demande des familles 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2011 45_50_35824.indd 3 Figure 4. Evolution en fin d’intervention Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mars 2012 535 01.03.12 09:57 Evaluations de la prise en charge d’urgence/ crise La première évaluation, à la fin des cinq séances de crise, avait pour objet d’évaluer la fonctionnalité de notre structure et l’utilité clinique de nos prises en charge. Neuf questions étaient posées, les patients pouvant étalonner leur réponse de «très satisfaisant, satisfaisant, moyennement satisfaisant», à «pas satisfaisant du tout» (tableau 3), 94 questionnaires retournés sur 119 envoyés ; 79% de réponses. Le tableau 4 montre que la fonctionnalité de la structure est largement jugée très satisfaisante à satisfaisante, ainsi que l’aide apportée par le traitement. Enfin, 92% des patients se sont déclarés très satisfaits à satisfaits de cette prise en charge, et la recommanderaient à 90% (figure 5). La deuxième évaluation, catamnestique, envoyée par courrier séparé à chaque membre du système traité, avait pour but d’évaluer la pérennité des résultats obtenus une année après la fin du traitement, 87 questionnaires retournés sur 119 ; 73% de réponses. Neuf questions étaient posées, les patients pouvant étalonner leur réponse de «Oui bien sûr, oui en partie, moyennement», à «pas du tout» (tableau 5). Un an après, la prise en charge est considérée comme ayant été bénéfique pour 65% des patients (figure 6). En cas d’apparition de difficultés, il a été peu nécessaire de reconsulter, 55% des patients considérant avoir pu utiliser ce qu’ils avaient retiré du traitement (tableau 6). Tableau 3. Evaluation de fonctionnalité et d’efficacité du traitement • Accessibilitéauxsoins • Délaid’attenteentrel’appeltéléphoniqueetlepremierrendez-vous • Nombredeséances • Duréedesséances • Rythmeouespacemententrelesséances • Aideapportéeparlesthérapeutesrelativementauxproblèmes/difficultés ayant motivé la demande • Aideapportéeparlesthérapeutesaufonctionnementgénéralducouple ou de la famille • Evaluationglobaledecettepriseencharge • Recommandationéventuelledecettepriseenchargeàdesconnaissances ou proches 6% 2% 92% Très satisfaisant à satisfaisant Moyennement satisfaisant Pas de réponse Figure 5. Satisfaction globale en fin d’intervention conclusion Le pôle Urgence-crise de l’UCCF a donc majoritairement accueilli des couples, surtout à la demande de l’épouse. Cette démarche a été initiée surtout de façon spontanée ou sur conseil d’un professionnel. Ces demandes étaient légitimes, puisqu’elles ont justifié à 95% un traitement de crise confirmé par les thérapeutes après l’entretien d’évaluation. Tableau 5. Evaluation catamnestique du traitement • Unanaprès,letraitementest-iltoujoursconsidérécommeayantété bénéfique? • L’amélioration(si)obtenue,s’est-ellemaintenuedansletemps? • Sinon,lesmêmesdifficultés/problèmessont-ilsréapparus? • Oud’autresdifficultés/problèmessont-ilsapparus? • Aveclerecul,lenombredeséancesest-ilconsidérécommeayantété suffisant? • Depuislafindelathérapie,avez-vouspenséàconsulterdenouveau? • Sioui,pourlesmêmesdifficultés/problèmes? • Oupourd’autresdifficultés/problèmes? • Durantcetteannée,avez-vouspuutilisercequevousavezapprislors dutraitement,quandvousavezrencontrédenouveauxdifficultés/ problèmes? Tableau 4. Résultats de la première évaluation 536 Satisfaisant Moyennement satisfaisant Pas satisfaisant du tout Pas complété Accès au soin 53,2% 30,9% 8,5% 1% 6,4% Délai d’attente appel-premier rendez-vous 68,1% 19,2% 7,4% 0% 5,3% Nombre de séances 44,7% 45,7% 6,4% 0% 3,2% Durée des séances 57,4% 35,1% 3,2% 1,1% 3,2% Rythme des séances 55,3% 37,2% 3,2% 1,1% 3,2% Aide des thérapeutes par rapport aux difficultés motivant la demande 47,9% 40,4% 9,5% 1,1% 1,1% Aide des thérapeutes par rapport au fonctionnement général 40,4% 40,4% 2,1% 2,1% Evaluation globale de cette prise en charge 52,1% 39,4% 0% 2,1% Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mars 2012 45_50_35824.indd 4 Très satisfaisant 15% 6,4% Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2011 0 01.03.12 09:57 Tableau 6. Résultats de catamnèse à un an Oui, bien sûr Oui, en partie Moyennement Non, pas du tout Pas complété Non applicable pour items 3-4-7-8 Prise en charge bénéfique après un an 32,4% 32,4% 5,9% 29,3% 0% Amélioration maintenue dans le temps ? 20,6% 11,8% 17,6% 23,5% 26,5% Si non, apparition des mêmes difficultés ? 12,5% 29,2% 0% 8,3% 0% 50% Si non, apparition d’autres difficultés ? 20,8% 20,8% 0% 4,2% 0% 54,2% Nombre de séances suffisant 37,6% 12,5% 12,5% 20,8% 16,6% Avez-vous pensé à consulter de nouveau ? 20,8% 0% 8,3% 62,6% 8,3% Si oui, pour les mêmes difficultés ? 12,5% 8,3% 4,2% 12,5% 0% 62,5% 8,3% 4,2% 4,2% 8,3% 0% 75% 33,3% 25% 16,7% 0% Si oui, pour d’autres difficultés ? Utilisation de ce qui a été appris en thérapie 29% 6% 65% Satisfaisant Moyennement satisfaisant Pas du tout satisfaisant Figure 6. Bénéfice ressenti un an après la fin de l’intervention La menace de séparation est le motif d’urgence le plus significatif dans les couples, alors que ce sont les symptômes qui le sont chez les familles. La violence physique est présente de façon plus significative dans les familles que dans les couples. Notre première hypothèse est donc confirmée, comme le suggéraient les premiers résultats de la préétude.1 Si l’on regroupe les différents facteurs de crise sous l’angle de leur appartenance aux étapes normales d’un cycle de vie ou non, on constate que le facteur de crise primaire relève, principalement d’une étape normalement rencontrée dans un cycle de vie et ce, qu’il s’agisse de couple ou de famille. En ce qui concerne les facteurs de crise secondaires et tertiaires, ils appartiennent principalement au groupe des facteurs hors cycle de vie. L’ensemble de ces résultats tend à démontrer que les couples et les familles vont avoir besoin d’une consultation en urgence et d’une prise en charge de crise à des moments-clés (étape normale du cycle de vie) de leur évolution. Notre deuxième hypothèse est donc infirmée, comme le suggéraient les premiers résultats de la 0 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2011 45_50_35824.indd 5 25% préétude de 2009. Néanmoins, notre étude nous a permis de découvrir que des phénomènes plus complexes semblent régir la mise en crise du système. Ce qui crée la crise semble bel et bien découler du débordement des ressources adaptatives du système quand se surajoutent, à une étape normale du cycle de vie, un ou deux facteurs de crise supplémentaires, hors cycle de vie, comme une maladie, un chômage, un déménagement. C’est la conjonction de ces deux éléments, cycle de vie et hors cycle de vie, qui va probablement provoquer un débordement massif des ressources du système, débordement qui va se manifester par divers symptômes de dysfonctionnement et rendre la consultation nécessaire. Ainsi, un symptôme aussi bruyant, inquiétant et déstructurant que la violence au niveau des familles ou des couples peut être interprété (en tant que facteur secondaire ou tertiaire) comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase et va permettre au système, à travers le «bruit» que cela génère, de demander de l’aide, alors que les autres facteurs de crise cumulés n’avaient jusque-là pas abouti à une consultation. La prise en charge en urgence des couples et des familles telle que nous l’avons conçue répond très majoritairement à l’attente des patients, et le traitement de la crise est également perçu comme étant efficace, non seulement sur le problème ayant motivé la demande, mais aussi, plus largement, sur le fonctionnement global du système traité. Une année après, les patients considèrent toujours que le suivi Urgence-crise a été bénéfique, alors même que l’amélioration ne s’est maintenue que pour 50% des personnes. 61% de ces patients n’ont pas pensé à reconsulter, ayant pu gérer par eux-mêmes, ce qui suggère un bénéfice à long terme du traitement. Enfin, sur les 60 cas suivis, il n’y a eu que quatre hospitalisations en psychiatrie d’un des membres du système. Notre hypothèse générale est donc confirmée. Notre étude rejoint ainsi les conclusions des travaux, pour la plupart nord-américains ou belges,15 mais aussi suisses16-18 et français,19 qui démontrent l’intérêt et la nécessité de prendre rapidement en charge les systèmes familiaux, et de l’impact de tels traitements, non seulement en termes de santé publique, mais aussi d’économicité des soins. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mars 2012 537 01.03.12 09:57 Adresses Implications pratiques > La demande de suivi en urgence par des couples ou des familles est donc une demande légitime, prenant place alors que le système rencontre des difficultés importantes et présente des signes de souffrance aiguë > Le fait de les recevoir rapidement et d’offrir une prise en chargedecrises’estdémontréêtrethérapeutiquedefaçon significative,nonseulementdansl’immédiat,maiségalement àdistanced’unan > Notre étude rejoint les conclusions de divers travaux inter- nationauxdémontrantl’intérêtetlanécessitédeprendrerapidement en charge les systèmes familiaux, et démontrant l’impact de tels traitements, non seulement en termes de santépublique,maisaussid’économicitédessoins Dr Valérie Le Goff-Cubilier, psychiatre Stéphanie Campergue, psychologue Virginie Sahli, psychologue assistante Liza Colin, psychologue stagiaire Unité de consultation pour le couple et la famille Hôpital psychiatrique de Prangins 1197 Prangins [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] Dr Sonia León-Giraldo, psychiatre Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent 4, avenue Reverdil 1260 Nyon [email protected] > Ainsi, la prise en charge rapide de systèmes familiaux en souf- france,pardesthérapeutesformés,devraits’inscriredemanière essentielle dans la nouvelle orientation prise par les soins psychiatriques au sein du tissu social, tels que les équipes mobilesoulessoinsdanslemilieu Bibliographie 1 * León-Giraldo S, Campergue S, Colin L, Le GoffCubilierV,BryoisC.Consultationd’urgence/crisepour couplesetfamilles:motifsd’urgenceetévaluationdu traitement. 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