DOSSIER ÉTUDES Santé publique 1998, volume 10, no 3, pp. 333-347 Habitudes, consommations et connaissances alimentaires des Français en situation de précarité financière Nutrition habits and food consumption in low income French people C. Michaud (1), F. Baudier M.P. Janvrin (5), M. Rotily (2), A. Loundou (3), G. Le Bihan (4), (3) Résumé : Les comportements liés à l’alimentation ainsi que les consommations alimentaires des Français en situation de précarité financière sont analysés à partir des données recueillies par le Baromètre santé nutrition du CFES réalisé en 1996. Les Français disposant de revenus mensuels inférieurs à 4 000 francs semblent être plus nombreux à fréquenter la restauration rapide et moins les autres types de restaurant (de loisir ou sur leur lieu de travail), être davantage seuls lors de chacun des trois principaux repas, consacrer moins de temps au dîner, regarder davantage la télévision pendant les repas de midi et du soir, moins favoriser un plat principal au déjeuner au profit d’un fromage ou d’un laitage, et limiter davantage leur dîner à un seul plat. Ils sont moins nombreux que les personnes plus aisées à composer leur petit déjeuner de façon « idéale ». Ces Français économiquement démunis achètent davantage en grande ou moyenne surfaces, et composent plus souvent leurs menus en fonction du budget familial. En termes d’aliments, ils sont plus nombreux à ne consommer simultanément ni fruits, ni légumes ; ils prennent moins de viande de porc, de poissons et de crustacés, de produits laitiers, de boissons alcoolisées et notamment d’apéritifs avant le déjeuner et le dîner. Cette étude met en évidence chez les Français en situation de précarité financière des comportements et des consommations alimentaires moins en accord avec les recommandations nutritionnelles communément admises ; de même, le taux d’obésité élévé observé chez les femmes issues de ces ménages apparaît élevé. (1) Comité départemental d’éducation pour la santé du Doubs, 4, rue de la Préfecture, 25000 Besançon. (2) Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés, département de santé publique, 66, avenue du Maine, 75694 Paris Cedex 14. (3) Observatoire régional de la Santé de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 23, rue Stanislas-Torrents, 13006 Marseille. (4) Comité régional d’éducation pour la santé de Languedoc-Roussillon, Hôpital Colombière, 34295 Montpellier Cedex 5. (5) Comité français d’éducation pour la santé, 2, rue Auguste-Comte, BP 51, 92174 Vanves. Tiré à part : C. Michaud CODES 25, 4, rue de la Préfecture, F-25000 Besançon Réception : 17/04/1998 - Acceptation : 22/07/1998 334 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY Summary : Behaviors related to nutrition as well as to the eating habits of low-income French people are analyzed from data collected by the Nutrition and Health Barometer of the CFES in 1996. French people with monthly incomes of less than 4000 francs appear to go to fast-food restaurants more often than to other types of restaurant (for leisure or work). They appear to eat their three main meals alone more often, to spend less time over the evening meal, to watch television during their noon and evening meals, to have cheese or another dairy product rather than a main dish, and to limit their evening meal to a single dish. They are less numerous than higher-income people to have the “ideal” breakfast. These economically disavantaged French people do their shopping more often in large or medium-sized supermarkets and more often plan their meals according to the family budget. In terms of food they are more numerous to eat neither fruit nor vegetables ; they consume less pork, fish and shellfish, dairy products, alcoholic beverages and especially before-dinner drinks. This study shows that the eating behavior of low-income French people is less in conformity with commonly accepted nutritional recommendations. Likewise, the rate of obesity observed among the women from this households appears high. Mots-clés : personnes démunies - alimentation - bas revenus. Key words : disavantaged people - food habits - low-incomes. Introduction Les allégations alarmantes concernant d’une part des personnes démunies ne mangeant pas à leur faim en France (on cite le chiffre de six cent mille personnes) [24], et d’autre part, des enfants souffrant de malnutrition dans les quartiers sensibles sont actuellement très présentes dans les médias [29]. De façon plus générale, les constats de proximité entre la précarité sociale et la vulnérabilité médicale se développent [21]. À côté d’estimations peu documentées, coexistent des indicateurs objectifs tels que l’augmentation du nombre de repas servis par les trois principales associations d’aides alimentaires durant les dix dernières années [17] ainsi que l’existence d’une forte prévalence de l’obésité chez les personnes à revenus modestes [9,14]. Si cette problématique n’est pas récente, son ampleur et ses conséquences pressenties chez les enfants lui confèrent une acuité nouvelle. Cependant, à la différence de certains pays économiquement développés [19], ce problème est, en France, peu étayé par des données objectives. En effet, au-delà du rapport du ministère de l’Éducation nationale [29] décrivant la désaffection de la restauration scolaire dans les établissements situés en zones sensibles et déduisant l’existence de malnutrition chez les enfants de ces quartiers, peu d’études françaises appuient ce constat inquiétant [20, 26]. Cinq enquêtes observant les habitudes et les consommations alimentaires des Français les plus désavantagés (notamment sur le plan économique) ont été identifiées : celles réalisées par la Fédération française des banques alimentaires (FFBA) en 1990 [12] et 1995 [16], l’étude sur la consommation des ménages réalisée périodiquement par l’INSEE (la dernière remonte à 1990) dont on peut extraire des données concernant les ménages à faibles revenus [6], le travail réalisé par le centre de médecine préventive de Vandœuvre-lès-Nancy [15] sur la place des produits laitiers dans les familles à bas revenus et enfin une étude conduite à Lille plus récemment [7]. Les trois premières investigations observent une sous-consommation (ou une part budgétaire consacrée aux achats plus faible) de produits frais (fruits et légumes, produits laitiers, viandes et poissons) et une surconsommation (ou une part budgétaire plus élevée) d’aliments riches en glu- ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE cides et en graisses. L’enquête nancéienne relève des apports notamment calciques insuffisants (mais comparables à ceux observés dans une autre enquête prise comme population témoin). Enfin, l’étude lilloise constate des perturbations importantes du rythme alimentaire. Il semble donc intéressant de confirmer ou d’infirmer ces observations et de les compléter afin d’éviter toute description simplificatrice et toute stigmatisation supplémentaire des personnes démunies économiquement. Le Comité français d’éducation pour la santé (CFES) et ses partenaires institutionnels ont mis en place depuis 1994 un dispositif d’enquêtes régulières – le baromètre santé nutrition – afin de mesurer les opinions, les attitudes et les pratiques des Français en matière d’alimentation [4, 5]. Même si la finalité de ce baromètre n’est pas d’étudier de façon particulière les ménages en situation de précarité financière, il est possible d’extraire de cette étude des données de consommation et d’habitudes alimentaires concernant ces mêmes ménages ; c’est là l’objectif de cet article. Population et méthodes Population Elle est constituée par un échantillon national représentatif de 1984 adultes âgés de 18 à 75 ans vivant en 335 France. Le tirage au sort aléatoire des ménages a été réalisé à partir du fichier de France Télécom. Le taux de refus a été de 28 %. Une première analyse a sélectionné les ménages ayant un revenu mensuel déclaré inférieur à 4 000 FF afin de mesurer l’effet de la pauvreté sur l’alimentation. Cette valeur a été choisie à partir des données de l’INSEE sur le seuil de pauvreté [8] : il s’agit d’un niveau intermédiaire entre le seuil attribué pour une personne seule (3 200 FF par mois) et celui d’un couple sans enfant (4 800 FF par mois). Cent soixante ménages économiquement désavantagés (8 % de l’échantillon) ont ainsi été identifiés. Ils ont été comparés au reste de l’échantillon (revenu égal ou supérieur à 4 000 FF par mois). Ces 160 ménages modestes sont statisquement différents des 1 824 autres : pour ce qui concerne la répartition par sexe (plus de femmes), la situation familiale (plus de célibataires et divorcés), la situation professionnelle (plus de chômeurs et retraités, de personnes n’ayant jamais travaillé), l’âge (plus de jeunes de moins de 29 ans et plus de personnes de plus de 60 ans) (tableau I). En revanche, il n’existe pas de différence en fonction du lieu d’habitation (urbain/rural). Une seconde analyse a été réalisée en répartissant les revenus en 4 tranches : de 0 à 6 599 FF, de Tableau I : Caractéristiques socio-démographiques de l’échantillon (%) Âge Sexe 18-29 ans ≥ 60 ans Situation familiale masculin féminin marié célibataire divorcé veuf Revenus < 4 000 FF n = 53 33,0 n = 46 28,5 n = 67 42,1 n = 92 57,9 n = 46 29,1 Revenus ≥ 4 000 FF n = 397 23,6 n = 279 16,5 n = 850 50,4 n = 835 49,6 n = 1 156 n = 343 68,6 20,4 Différence statistique p ≤ 0,001 p ≤ 0,05 n = 61 38,5 p ≤ 0,001 n = 52 32,4 Situation professionnelle salarié n = 40 24,5 chômeur jamais retraité travaillé n = 75 46,8 n = 185 n = 1 049 n = 500 11,0 62,3 29,7 p ≤ 0,001 n = 46 28,7 n = 136 16,6 336 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY 6 600 à 9 999 FF, de 10 000 à 15 999 FF, supérieurs à 16 000 FF afin d’observer la nature des associations observées. La valeur du plafond de la première tranche (6 600 FF par mois) a été choisie car elle constitue le seuil de pauvreté estimé pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans [8]. Méthodes L’enquête s’est déroulée en janvier et février 1996. Les personnes ont été interrogées du lundi au dimanche inclus afin de couvrir l’ensemble des variations journalières. La durée de l’entretien était d’environ 25 minutes. Le recueil des données a été réalisé par l’institut BVA au cours d’entretiens téléphoniques assistés par ordinateur (système CATI : Computer Assisted Telephone Interview) [3]. Le type d’aliment consommé était saisi en clair et recodé ultérieurement à partir de la classification utilisée dans l’étude SU.VI.MAX. [25]. Le questionnaire se composait d’un rappel des aliments consommés durant les 24 dernières heures et de questions abordant les connaissances et habitudes alimentaires, les achats et la préparation des repas. Les analyses descriptives (moyennes, écart-types) et comparatives (test du chi-2 de Pearson) ont été réalisées à l’aide du logiciel SPSS. Le degré de signification retenu pour affirmer une différence devait être inférieur à 5 %. Résultats Comportements alimentaires Les prises de repas (définies comme toute ingestion d’éléments solides ou liquides ayant ou non une valeur énergétique) ne diffèrent pas selon les revenus excepté pour le petit déjeuner. En effet, c’est dans la tranche intermé- diaire (6 600-9 999 FF) que la prise du petit déjeuner est la plus faible (p ≤ 0,01). Lieux des repas Au seuil de 4 000 FF, il n’existe pas de différence entre les Français en situation de précarité financière et le reste de la population en ce qui concerne les lieux de repas lors du petit déjeuner et du dîner. En revanche, ce sont les personnes ayant des revenus compris entre 6 600 et 9 999 FF qui présentent les comportements les plus extrêmes lors du repas de midi : elles déjeunent moins chez elles, moins au restaurant d’entreprise et plus au travail ou dans la rue (p ≤ 0,01). Les personnes à bas revenus (< 4 000 FF) fréquentent habituellement moins les restaurants d’entreprise (15 % vs 23 % ; p ≤ 0,05) que les autres. Les personnes ayant des revenus inférieurs à 10 000 FF ont peu recours aux restaurants d’entreprises (moins de 20 %), surtout dans la tranche de revenus 6 600-10 000 FF, alors que dans la tranche supérieure à 10 000 FF, 25 à 35 % des personnes y ont recours. Les personnes dont les revenus sont inférieurs à 4 000 FF fréquentent davantage la restauration rapide de façon régulière (9,9 % versus 4,2 %) et de façon occasionnelle (13 % versus 8,7 %) (p ≤ 0,01). Ils fréquentent fréquentent moins les restaurants, régulièrement (9,0 % versus 20 %) ou occasionnellement (12 % vs 17 %) ; p ≤ 0,001) que le reste de la population. Il existe une relation positive entre la fréquentation de restaurant et les tranches de revenus mensuels. Convivialité Les Français à revenus modestes (< 4 000 FF) prennent davantage leurs ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE repas seuls : le petit déjeuner (72 % vs 52 % ; p ≤ 0,001), le déjeuner (40 % vs 22 % ; p ≤ 0,001), le dîner (42 % vs 16 % ; p ≤ 0,001). Plus les personnes appartiennent à un foyer à faibles revenus plus le petit déjeuner est consommé seul (67 % pour les revenus inférieurs à 6 600 FF versus 42 % pour les revenus supérieurs à 16 000 FF) (figure 1). Ces mêmes contats sont observés pour les autres repas. Composition des principaux repas La composition du petit déjeuner classée en idéale, correcte et incomplète (en fonction de la présence simultanée ou non d’un aliment appartenant à l’un des 3 groupes suivants : laits et dérivés, pains et céréales, fruits et légumes) varie selon les revenus. Les personnes à revenus inférieurs à 6 600 FF sont moins nombreuses à composer leur petit déjeuner de façon idéale que les personnes à revenus mensuels supérieurs à 16 000 FF (7,6 % vs 16 % ; p ≤ 0,001) (figure 2). petit déjeuner déjeuner dîner 70 60 50 40 % 30 20 10 0 < 6 600 incomplète p ≤ 0,001 pour chaque repas 6 60010 000- ≥ 16 000 9 999 15 999 revenus mensuels (en FF) 337 correcte idéale p ≤ 0,001 100% 90% 80% 70% 60% Figure 1 : Prise en solitaire des principaux repas selon les revenus. 50% 40% 30% La prise du petit déjeuner en compagnie de la télévision ne varie pas en fonction des revenus. En revanche, lors du repas de midi, les personnes à revenus modestes (< 4 000 FF) regardent davantage la télévision que les autres (41 % vs 29 % ; p ≤ 0,001). Il en est de même le soir, en dînant (62 % vs 47 % ; p ≤ 0,01). 20% 10% ≥ 16000 1000015999 66009999 0% < 6600 Le niveau de revenus n’affecte pas la durée du petit déjeuner et du déjeuner. En revanche, les personnes les plus modestes (< 4 000 FF) sont plus nombreuses à dîner rapidement, en moins d’un quart d’heure (22 % vs 12 % ; p ≤ 0,001). revenus mensuels (en FF) Figure 2 : Composition du petit déjeuner selon les revenus. Les Français économiquement défavorisés (< 4 000 FF) consomment moins d’apéritif avant le déjeuner que le reste de la population (2,9 % vs 11 % ; p ≤ 0,01). On observe une courbe en cloche : les deux tranches 338 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY de revenus extrêmes adoptent moins cette pratique plus fréquente dans les classes à revenus intermédiaires. Lors du déjeuner, 55 % des personnes interrogées ont pris une entrée, 97 % un plat principal, 63 % ont consommé un produit laitier ou un fromage, 63 % ont pris un dessert. Ces choix ainsi que les consommations de boissons froides ou chaudes ne sont pas différentes selon le revenu. Plus d’un tiers des Français (38 %) compose leur déjeuner de 3 plats, un quart (25 %) de deux plats, un autre quart (25 %) de quatre plats. Environ 11 % ne consomment qu’un plat à midi. Cette observation ne diffère pas entre les personnes à bas revenus et les autres. Lorsque le déjeuner est composé d’un seul plat, la prise d’un plat principal est moindre chez les personnes financièrement désavantagées (< 4 000 FF) que chez les autres Français (78 % vs 91 % ; p ≤ 0,001) ; le composant unique est alors plus souvent un fromage ou un laitage (18 % vs 1,5 % ; p ≤ 0,001). La composition en 2 ou 3 plats n’est pas affectée par les revenus. Les Français à bas revenus (< 4 000 FF) consomment moins d’apéritifs alcoolisés (8,5 % vs 18 % ; p ≤ 0,01) avant le dîner que les autres Français. Cette prise de boissons alcoolisées en apéritif diffère en fonction des revenus du ménage sans que le phénomène soit linéaire : la prise d’apéritif est maximum dans les tranches de revenus situées entre 6 000 et 9 999 FF et supérieur à 16 000 FF, et minimum dans les tranches inférieures à 6 600 francs et comprises entre 10 000 et 15 999 FF. Le seuil de 4 000 FF n’affecte pas les choix réalisés au dîner entre les plats (entrée, plat de résistance, produit laitier, dessert). En revanche, la prise d’un dessert au dîner est corrélée positivement aux revenus lorsqu’ils sont scindés en 4 classes : elle concerne 55 % des moins de 6 600 FF versus 66 % des plus de 16 000 FF (p ≤ 0,01) ; ce dessert est essentiellement un fruit. Un dîner composé d’un seul plat est une situation plus largement observée chez les plus modestes (21 % vs 12 % ; p ≤ 0,01). Les combinaisons réalisées lors des repas composés de 2 ou 3 plats ne sont pas différentes entre les hauts et les bas revenus. En revanche, c’est parmi les revenus inférieurs à 9 999 FF mensuels que l’on trouve la plus grande fréquence d’un dîner composé de 1 ou 2 plats (p ≤ 0,05) (figure 3). 1 plat 2 plats 3 plats 4 plats 40 35 30 25 %20 15 10 5 0 < 6 600 p ≤ 0,05 6 60010 0009 999 15 999 revenus mensuels (en FF) ≥ 16 000 Figure 3 : Structure du dîner selon les revenus. Lieux d’achats Il existe une relation négative entre les revenus et la fréquence d’achat en grande ou moyenne surfaces (< 6 600 FF : 87,9 % ; ≥ 16 000 FF : 78,2 % ; p ≤ 0,001). Les achats en épicerie, au marché, dans la rue ne sont pas associés aux revenus de même que les pratiques d’autoconsommation. ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE Influence de facteurs extérieurs sur la composition des menus (figure 4) Les habitudes familiales semblent influencer davantage les menus des personnes à hauts revenus (p ≤ 0,001) : seulement 57 % des personnes à revenus inférieurs à 4 000 FF pensent que les habitudes familiales modifient « tout à fait » ou « plutôt » la composition de leur menu contre 72 % des personnes ayant un revenu supérieur à 4 000 FF. temps de préparation (p ≤ 0,001) budget (p ≤ 0,001) santé (p ≤ 0,05) habitudes familiales (p ≤ 0,001) 80 75 70 65 % 60 55 50 45 40 < 6 600 6 60010 0009 999 15 999 revenus mensuels (en FF) 339 pour les personnes à revenus supérieurs à 16 000 FF. Les Français les plus modestes (< 4 000 FF mensuels) sont plutôt moins influencés par le facteur temps de préparation que les autres : ils sont 41 % versus 29 % (p ≤ 0,01) à répondre « pas du tout influencé ». Cette influence est inversement liée aux revenus (p ≤ 0,001) : 52 % pour les personnes à revenus inférieurs à 6 600 FF versus 64 % pour les personnes à revenus supérieurs à 16 000 FF. Type de plat principal consommé à midi et le soir ≥ 16 000 Figure 4 : Influence de certains facteurs sur la composition des repas selon les revenus. La santé influence la composition des menus de 70 % des Français. Le seuil de 4 000 FF ne permet pas de mettre en évidence de différence entre les revenus. En revanche, l’analyse par tranches de revenus montre que l’influence de la santé est plus importante dans les deux catégories extrêmes des revenus (p ≤ 0,05). Les personnes à revenus inférieurs à 4 000 FF sont plus nombreuses à affirmer (36 % versus 26 %) que le budget influence la composition de leurs menus. Les revenus sont inversement associés à cette influence (p ≤ 0,001) : 72 % pour les personnes à revenus modestes (< 10 000 FF) versus 45 % Il n’existe pas de différence pour le type de plat principal consommé à domicile au repas de midi bien que la tendance soit à ce que les ménages à bas revenus cuisinent eux-mêmes davantage que les autres (84 % pour les revenus < 6 600 FF vs 72 % pour les revenus supérieurs à 16000 FF ; p ≤ 0,08 : ns) (tableau II). Lors du repas du soir, des comportements opposés à ceux observés à midi sont constatés. Le plat principal du dîner a tendance à être davantage cuisiné par les personnes à haut revenus (76 % des personnes à revenus supérieurs à 16 000 FF vs 72 % des personnes à revenus inférieurs à 6 600 FF ; p ≤ 0,05) (tableau II). De façon globale, durant les 15 derniers jours, si seulement 47 % des Français à revenus inférieurs à 6 600 FF ont consommé un ou plusieurs plats tout prêt, ils sont 59 % des Français à revenus supérieurs à 16 000 FF à avoir eu recours à ce type de produit (p ≤ 0,01). 340 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY Tableau II : Type de plat principal lors des repas de midi et du soir selon les revenus (%). MIDI cuisiné soi-même surgelé conserve sous-vide tout prêt < 6 600 84 5 5,4 1,9 1,9 6 600-9 999 78 6,3 5,8 2,1 4,1 10 000-15 999 75 9,5 6 2,8 2,7 ≥ 16 000 72 8,8 6,9 3,6 4,8 Total ns 77 7,6 6 2,6 3,4 cuisiné soi-même surgelé conserve sous-vide tout prêt 72 9 7,7 7,3 2,3 SOIR < 6 600 6 600-9 999 76 6,7 5,5 5 3,5 10 000-15 999 76 9,4 5,1 3,5 4,6 ≥ 16 000 76 7,7 2,9 5,1 6,6 Total p ≤ 0,05 75 8,3 5,2 5 4,4 Consommation alimentaire p ≤ 0,001 80 Les céréales et dérivés 70 % Les personnes à revenus inférieurs à 4 000 FF ont consommé moins de biscuits 2 ou 3 fois par jour que les personnes à hauts revenus (8,8 % vs 15 % ; p ≤ 0,05). Si la consommation de pain ne varie pas selon les revenus, celle de céréales prêtes à consommer au petit déjeuner varie linéairement et positivement en fonction des revenus (3,2 % des personnes à revenus inférieurs à 6 600 FF vs 9,6 % des personnes à revenus ≥ 16 000 FF ; p ≤ 0,001). Pour tous les autres aliments appartenant à ce groupe, il n’existe pas de différence significative en fonction du revenu. Les fruits et légumes Les plus désavantagés économiquement (< 4 000 FF) sont plus nombreux à ne consommer simultanément ni fruit, ni légume (9,7 % vs 4,3 % ; p ≤ 0,05). Les revenus sont significativement associés à la 60 50 < 6 600 6 6009 999 10 00015 999 ≥16 000 revenus mensuels (en FF) Figure 5 : Consommation pluriquotidienne de fruits (au moins 3 fois/j) selon les revenus. consommation pluriquotidienne de fruits : 71 % des personnes disposant de plus de 16 000 FF en ont consommé la veille contre 58 % des personnes disposant de moins de 6 600 FF mensuels (p ≤ 0,001) (figure 5). La consommation de légumes n’est pas affectée par les revenus. Les viandes, poissons, œufs Le seuil de 4 000 FF ne permet pas de mettre à jour des différences dans la fréquence de consommation des viandes. En revanche, cette ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE consommation est liée de façon non linéaire aux revenus lorsqu’ils sont présentés en 4 classes (p ≤ 0,05). La consommation des Français les plus modestes (< 6 600 FF par mois) rejoint celle des plus aisés (revenus ≥ 16 000 FF) dans la fréquence de prise de viande bi-quotidienne qui est maximale pour les tranches de revenus intermédiaires. Il est à noter que l’absence de viande la veille est plus fréquente dans les ménages les plus aisés (≥ 16 000 FF). En analysant le type de viande consommée, la seule différence notable entre les personnes économiquement défavorisées (< 4 000 FF) et les autres, se situe dans la consommation quotidienne ou bi-quotidienne de viande de porc plus importante chez les Français les plus aisés (11 % vs 4,0 % ; p ≤ 0,05). Il n’existe pas de différence de consommation de volailles, charcuteries, abats, des œufs et dérivés en fonction du revenu de 4 000 FF. Observée selon l’échelle de revenus en 4 tranches, la consommation de poissons varie très significativement (p ≤ 0,001) entre les revenus les plus faibles (< 6 600 FF : 74 %) et les revenus les plus élevés (≥ 16 000 FF : 80 70 60 0 fois/j 1 fois/j 2 fois/j 50 40 Les produits laitiers Analysées selon les 4 classes de revenus, les consommations pluriquo50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 0 fois/j 3 fois/j et plus 10 000- ≥ 16 000 6 6009 999 15 999 revenus mensuels (en FF) < 6 600 Figure 7 : Consommation de produits laitiers selon les revenus. Les matières grasses 30 La consommation des graisses ne semble pas liée aux revenus. 20 10 0 < 6 600 88 %), ces derniers en consommant plus (figure 6). De même, la consommation de crustacés est fortement associée aux revenus ; seulement 4,5 % des personnes vivant dans un foyer dont les revenus sont inférieurs à 6 600 FF en ont consommés. Cette proportion est deux fois plus importante (10 %) parmi les revenus supérieurs à 16 000 FF (p ≤ 0,001). tidiennes de produits laitiers sont plus fréquentes chez les personnes économiquement favorisées et la non-consommation quotidienne plus fréquente chez les plus modestes (revenus inférieurs à 9 999 FF) (figure 7). p ≤ 0,001 90 341 6 6009 999 10 00015 999 ≥ 16 000 revenus mensuels (en FF) Figure 6 : Consommation de poissons selon les revenus. Le sucre et les produits sucrés Les personnes à bas revenus (< 4 000 FF) ont une consommation de sucre et de produits sucrés identique au reste de la population. En 342 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY revanche, la consommation augmente avec les revenus scindés en 4 classes : si 36 % des moins de 6 600 FF en ont consommé la veille, ils sont plus de 51 % parmi les plus de 16 000 FF a en avoir consommé. Cette différence est due à une consommation plus importante de confitures et de miels (p ≤ 0,01). revanche, lorsqu’elles boivent, les personnes à revenus inférieurs à 10 000 FF consomment un nombre moyen de verres d’alcool légèrement supérieur à celui des Français ayant des revenus supérieurs à 10 000 FF (3,5 verres vs 3,0 verres ; p ≤ 0,05). Connaissances liées à l’alimentation Les produits allégés et diététiques La consommation de produits allégés et diététiques n’est pas liée aux revenus. Les boissons Les Francais en situation de précarité financière (< 4 000 FF) ont une consommation de boissons non alcoolisées analogue au reste de la population. L’analyse en fonction de l’échelle de revenus montre cependant que la consommation d’eaux minérales et celle de jus de fruits sont associées positivement aux revenus (21 % des personnes à revenus inférieurs à 6 600 FF consomment des jus de fruits vs 34 % des personnes à revenus supérieurs à 16 000 FF ; p ≤ 0,001). A l’inverse, les sodas et limonades sont plus souvent consommés par les personnes à revenus inférieurs à 10 000 FF (21 % des moins de 6 600 FF vs 14 % des plus de 16 000 FF ; p ≤ 0,05). La consommation de boissons alcoolisées est moins répandue chez les Français dont le revenu est inférieur à 4 000 FF, que chez les plus favorisés (35 % vs 45 % ; p ≤ 0,05). La consommation de vins (p ≤ 0,05) ou d’alcools forts est positivement liée avec l’échelle de revenu. En revanche, la consommation de bière ne l’est pas. C’est parmi les femmes issues des ménages à hauts revenus que l’on retrouve un pourcentage élevé de consommatrices d’alcool. En La lecture des informations nutritionnelles figurant sur les produits est « très facile » ou « facile à comprendre » pour 78 % des Français. Les réponses ne varient pas selon les revenus. Il n’existe pas de différences entre les connaissances des Français ayant un revenu inférieur à 4 000 FF et les autres en ce qui concerne les liens entre alimentation et apparition du cancer, du diabète, de l’ostéoporose. En revanche, il existe des différences significatives entre ce qui concerne la relation alimentation et arthrose (pourtant sans lien reconnu) davantage affirmée par les personnes à revenus modestes (p ≤ 0,05), en ce qui concerne la relation alimentation et grippe (p ≤ 0,05) davantage affirmée par les plus démunis économiquement, en ce qui concerne la relation alimentation et maladies cardio-vasculaires (p ≤ 0,01) moins affirmée par les plus modestes. Les Français les plus modestes (revenus < 4 000 FF) déclarent davantage que les autres (p ≤ 0,05) être soit « très bien informés » (14 % vs 9,5 %), soit « très mal informés » (5,7 % vs 3,2 %) sur l’alimentation. Les sources d’information varient entre les moins aisés financièrement (< 4 000 FF) et les autres (p ≤ 0,001). Les plus modestes s’informent moins par l’intermédiaire des magazines (12 % vs 30 %) mais davantage par la télévision (19 % vs 15 %) et les amis ou parents (19 % vs 16 %). ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE Les réponses apportées à dix affirmations de type « les féculents font grossir » ne font pas apparaître de différences de réponses entre les plus modestes (< 4 000 FF) et les autres. Seulement deux affirmations trouvent des réponses différentes en fonction du seuil de 4 000 FF de revenus mensuels. Les ménages les plus modestes affirment plus fréquemment (à tort) que les surgelés contiennent moins de vitamines que les produits frais (60 % vs 49 % ; p ≤ 0,01) et que les légumes secs sont pauvres en éléments nutrititifs (33 % vs 20 % ; p ≤ 0,001). Autres constats Il n’existe pas de différence entre les personnes économiquement modestes et les autres lorsque l’on demande aux Français de choisir ce que représente pour eux l’acte de manger. Enfin, si les personnes à revenus inférieurs à 4 000 FF se pèsent autant que les autres, elles sont plus nombreuses à avoir « parlé alimentation » avec leur médecin lors de leur dernière consultation. En parallèle, l’analyse des poids et taille déclarés permet de calculer un indice de masse corporelle (dit de Quetelet : poids sur taille élevée au carré) et ainsi de définir des niveaux d’obésité. Chez les femmes, cet indice est inversement lié à la classe de revenu du ménage : 17 % des femmes à revenus inférieurs à 6 600 FF peuvent être considérées comme obèses (indice de Quetelet supérieur à 27,3) vs 5,3 % des femmes à revenus ≥ 16 000 FF ; p ≤ 0,001. Ce constat n’est pas retrouvé chez les hommes. Discussion Le baromètre nutrition qui vise à observer les comportements, opinions 343 et consommation des Français en matière d’alimentation permet d’obtenir des données sur un échantillon représentatif de la population habitant en France. Cette représentativité est précieuse car peu souvent présente dans les enquêtes disponibles. En revanche, le type d’investigation choisie (par téléphone au domicile) comporte deux biais de recrutement en regard de la population analysée dans ce travail. Les personnes doivent, en effet, posséder un téléphone et avoir un logement. Or, nous pouvons faire l’hypothèse qu’une partie de la population concernée, sans qu’elle puisse être quantifiée ne remplit pas l’un ou l’autre de ces critères. Enfin, la variable qui nous sert à distinguer les plus modestes des autres est déclarative : il est nécessaire de s’interroger sur la facilité ou la réticence à dire ses revenus (qu’ils soient modestes ou élevés). Le choix de conduire en parallèle deux analyses, l’une en fonction d’un seuil de pauvreté arrêté à 4 000 francs de revenus mensuels, l’autre en fonction d’une échelle de revenus en 4 catégories permet d’observer d’une part les tendances lourdes de la précarité financière sur l’alimentation et d’autre part des associations éventuelles entre alimentation et revenus qui peuvent être linéaires ou non. Les tendances lourdes Elles peuvent être schématiquement présentées ainsi : les Français sous le seuil de pauvreté de 4 000 francs de revenus mensuels semblent être plus nombreux à fréquenter la restauration rapide et moins les autres types de restaurant (de loisir ou du travail), être davantage seuls lors de chacun des trois principaux repas, consacrer moins de temps au 344 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY repas du soir, regarder davantage la télévision au déjeuner et au dîner, moins favoriser un plat principal au déjeuner au profit d’un fromage ou d’un laitage, composer davantage leur dîner d’un seul plat. Ces personnes achètent davantage en grande ou moyenne surface, élaborent davantage leurs menus en fonction de leur budget. En termes d’aliments, ils sont plus nombreux à ne consommer simultanément ni fruits, ni légumes ; ils prennent également moins fréquemment des boissons alcoolisées (bien que lorsqu’ils en consomment, la quantité absorbée est plus importante) et notamment moins d’apéritifs avant le déjeuner et le dîner. Les autres associations identifiées entre revenus et alimentation En fonction de l’échelle de revenus en 4 classes, il est possible d’observer d’autres variations qui peuvent prendre des formes linéaires ou non. Les associations linéaires sont également à considérer comme des tendances majeures. Parmi ces dernières, il faut souligner d’une part les associations positives entre revenus et consommation de céréales prêtes à consommer lors du petit déjeuner, de produits « tout prêt », de jus de fruits, de produits laitiers, de poissons et de crustacés, de fruits et également entre revenus et, d’autre part, composition idéale du petit déjeuner. D’autres associations – en forme « d’escalier » ascendant pour ce qui concerne la prise de dessert au diner, descendant, en ce qui concerne la fréquence d’achats dans la rue, en forme de « racine carrée » pour la prise du petit déjeuner, en forme de « U » concernant l’influence de la santé sur la composition des menus et en forme de « cloche » concernant la consommation de viandes – sont plus difficiles à interpréter. On peut penser que les associations « en forme de U ou de cloche » qui marquent des niveaux de consommation identique pour les tranches de revenus extrêmes sont le reflet d’attitudes différentes aboutissant au même effet : par exemple, le manque de moyens financiers des personnes les plus modestes et les préoccupations diététiques des Français les plus aisés peuvent partiellement expliquer que ces deux classes aient une consommation moindre de viandes. En ce qui concerne les connaissances, la dimension santé accordée à l’alimentation reste un élément essentiel des personnes économiquement désavantagées à un point tel que des pathologies sans lien avec l’alimentation (en l’état des connaissances actuelles) sont malgré tout citées comme étant liées aux ingesta alimentaires. La lecture de ces observations montre peu de différences majeures entre les comportements, consommations et connaissances alimentaires des Français en situation de précarité financière et les autres. De plus, lorsque des différences existent, elles portent souvent sur des rubriques qui ont trait à l’environnement de l’acte alimentaire : type de restauration, temps consacré au repas, prise de repas en solitaire, présence de la télévision. Or, ces personnes économiquement modestes (< 4 000 FF) se recrutent essentiellement parmi les jeunes adultes et les personnes âgées. Ces deux profils, extrêmes en termes d’âge, permettent d’expliquer en partie, au-delà des bas revenus, ces situations de prise de repas en solitaire compensées par la présence de la télévision, de fréquentation de la restauration rapide et de temps consacré aux repas, de moindre fréquentation des restaurants d’entre- ALIMENTATION ET PERSONNES EN SITUATION DE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE prise dans la mesure où ces personnes sont plus souvent que les autres soit à la retraite, soit au chômage. D’autres différences observées paraissent à l’évidence liées au manque de moyens financiers : la moindre fréquentation des restaurants, la structuration du dîner en un seul plat et dans une moindre mesure la plus grande fréquentation des grandes surfaces réputées moins chères que le petit commerce également cité dans l’enquête réalisée par la FFBA [12]. Enfin, les différences qui portent sur les aliments ou type d’aliments sur- ou sous-consommés nous semblent les plus importantes. Nos observations montrent une moindre consommation (en regard des personnes financièrement plus aisées) d’aliments essentiellement frais (les fruits et légumes) et onéreux (les poissons et crustacés). Ceci est en concordance globale avec les conclusions de l’étude de la FFBA [12] et celle réalisée à partir des données de l’INSEE [6] décrivant la consommation des ménages. En ce qui concerne les fruits et légumes, notre étude précise que ce déficit porterait essentiellement sur les fruits et sur l’association fruits/légumes dans une même journée. Ceci est soutenu (d’une certaine manière) par le constat de moindre dépense consacrée aux fruits (– 43 %) en regard des ménages les plus aisés [26]. En ce qui concerne les produits laitiers, l’étude de la FFBA concluait au « délaissement des produits laitiers » par les personnes démunies et l’étude INSEE montrait que les personnes à revenus modestes consacraient moins d’argent à l’achat des produits laitiers (– 15 %). Cette sous-consommation de produits laitiers est observée dans notre étude. 345 Si les différences significatives sont intéressantes à observer, il est également important de souligner celles qui ne le sont pas : le saut du petit déjeuner, la structure des repas en général déjà observée dans l’enquête de la FFBA (excepté pour le dîner), le recours aux surgelés, aux conserves, aux sous-vide, ainsi que la consommation des graisses. Par ailleurs, certaines différences significatives s’avèrent, a priori, favorables à la santé des personnes en situation de précarité financière ; elles concernent la moindre consommation de produits sucrés (hors sirop et sodas) ainsi que la plus faible prise de boissons alcoolisées qui semblent liées positivement aux revenus. Ces deux derniers points ainsi que la consommation d’aliments « tout préparés » identique au reste de la population et déjà soulignée par l’INSEE [10], constituent des éléments importants de cette étude. Cependant, le constat d’une plus grande fréquence d’obésité chez les femmes en situation de précarité financière peut apparaître comme un contre-argument à ces constats de comportements et de consommations alimentaires fondamentalement peu dissemblables bien que ce surpoids puisse être attribuable à des facteurs autres qu’alimentaires. Nos résultats sont également fort différents de celle d’une étude récente [7] réalisée auprès d’un public de très jeunes femmes en stage d’insertion professionnelle qui montrait d’importantes perturbations de leur rythme alimentaire. L’hypothèse d’un échantillon très différent dans sa structure d’âge et désavantagé non seulement économiquement mais également dans d’autres domaines (niveau d’éducation, logement, environnement familial, relations sociales) peut dans ce cas expliquer en partie ces divergences. 346 C. MICHAUD, F. BAUDIER, A. LOUNDOU, G. LE BIHAN, M.P. JANVRIN, M. ROTILY Les différences essentielles observées dans notre étude entre personnes à revenus modestes et les autres Français portent sur l’environnement des repas et sur quelques familles d’aliments. Or, sur ce dernier point, il est raisonnable de penser que ces aliments sont absents du fait de leur coût. Cette hypothèse est en partie validée par quatre études qui montrent que lorsque l’on donne à des familles économiquement démunies mais socialement insérées des moyens financiers supplémentaires, des achats alimentaires complémentaires sont alors rendus possibles [22, 27]. Ils portent alors naturellement sur les produits frais manquants : viandes, produits laitiers, fruits et légumes [11, 23]. Si on ne peut réduire la question de la précarité sociale à l’un de ses déterminants, il n’en reste pas moins que le déterminant économique reste puissant et favorise le cumul de nombreux handicaps [13]. L’ensemble de ces constats et de ces interrogations nous conduit à envisager des réponses à la problématique de l’alimentation des Français en situation de précarité financière en trois volets forcément complémentaires et indissociables. Le premier consiste à rendre l’environnement socio-économique de ces personnes plus favorable, en clair à leur procurer des ressources financières plus conséquentes ; cela relève de l’action politique et sociale mais cela paraît essentiel au regard des conclusions précédentes sur un équilibre alimentaire retrouvé en termes d’achats d’aliments ou d’une meilleure croissance des enfants obtenue par des aides financières appropriées [22]. Le deuxième axe d’action est de proposer à ces publics [18], une éducation nutritionnelle respectueuse de leur culture, de leurs savoirs, en un mot une approche tolérante et se donnant comme objectif la découverte de nouveaux horizons alimentaires dans le cadre d’un budget restreint [1, 2]. Ce dernier point ressemble à un défi car les marges de manœuvre (pour les personnes démunies) sont étroites mais l’expérience mérite d’être tentée. Enfin, cette approche ne sera possible que si les professionnels et bénévoles travaillant avec les personnes en situation financière précaire (assistantes sociales, conseillères en économie sociale et familiale, éducateurs et animateurs, diététiciens et personnels des structures d’aides alimentaires) ont une analyse commune et partagée du problème. Des actions de formation sont donc à initier afin de débattre de nouvelles idées et de nouvelles pratiques. Celles qui, notamment en matière d’alimentation, font se rejoindre les habitants et les acteurs du développement local peuvent constituer une forme de réponse parmi d’autres [28]. Cette stratégie de la promotion de la santé mérite d’être explorée comme alternative ou en complémentarité aux pratiques d’éducation nutritionnelle classiques et aux blocages constatés. BIBLIOGRAPHIE 1. 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