"indemnisation", Fabien Aubat

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Troisièmes rencontres juridiques du dommage corporel
Angoisse et préjudices
L’anxiété dans tous ses états. Quelques éclairages pour une bonne « indemnisation »
Fabien Aubat - Expert psychiatre
Quelques rappels terminologiques nous semblent nécessaires à l'éclairage de cette
problématique clinique complexe mais très fréquemment retrouvée dans nos dossiers
d'expertise.
L’anxiété : elle est déterminée comme un état d’alerte devant un danger indéterminé (ce qui
la sépare de la question de la peur) qui génère chez le sujet un état de tension sans contenu
précis. Il est ainsi souvent vain d’interpeller l’anxieux sur la source de son malaise car il est,
par définition, incapable de le formuler.
Brissaud avait essayé, en son temps, d'établir une ligne de partage entre l’anxiété et
l’angoisse. De façon simple, il avait considéré que l’anxiété était la polarité psychique du
phénomène et l’angoisse, sa polarité somatique.
Concernant l'usage courant qui est fait de ce terme en psychiatrie, il importe de rappeler
que l’anxiété est généralement associée à la question névrotique.
La névrose, dont la conceptualisation débute à la fin du 18ème siècle, est au départ une
manifestation sensorielle non inflammatoire en sorte que les acouphènes d’aujourd’hui
étaient considérés à l'époque comme une véritable "névrose" : on parlait alors d'une
névrose de l’ouïe ou de "tintouin"…
La notion de névrose trouve son origine dans une approche strictement organique pour
radicalement s’infléchir à compter du moment où Freud va s’en emparer. Tout l’édifice
névrotique va, en effet, s’appuyer sur une théorie d’arrière-plan qui est celui de l’édifice de
la libido et de la sexualité, ce qui va avoir pour effet d'alourdir le concept : ainsi de la
connotation très négative qu'a conservée l'hystérie de nos jours…
Ce terme de névrose est à ce point connoté péjorativement que les nouvelles classifications
internationales l'ont progressivement écarté au profit de celui de « trouble » ou d’entité
clinique.
L’anxiété est référée par Freud à des conflits intra-psychiques qui prennent leur origine dans
la question de la sexualité. Freud le fonde sur une angoisse fondamentale qu’il considère
comme organisatrice du sujet et qui est l’angoisse de castration. Elle est souvent repérée
comme étant en articulation avec le complexe d’Œdipe, mais surtout repérée dans une
espèce de réalité quasi anatomique : si le fils couche avec sa mère, il sera immanquablement
castré par son père...
Lacan décale la perspective et considère que l’angoisse de castration c’est d’abord l’angoisse
du sujet face à la question de sa toute-puissance : être castré c’est en effet faire le deuil de
cette toute-puissance qui nourrit le plus souvent notre rapport initial à la mère ! Seuls les
paranoïaques ne font pas ce travail de deuil et on voit très bien où cela les mène !
Aujourd’hui, beaucoup considèrent qu’il existe un substrat génétique et neurophysiologique
à l'anxiété au point que les chimiothérapies spécifiques ont trouvé leur place à partir de ce
postulat.
L’expressivité de l'anxiété est forcément complexe et il convient de ne pas oublier qu'elle
avance souvent à visage masqué : se décline dès lors toute la psychosomatique avec les
manifestations d’asthme, d’eczéma, l’ulcère de l’estomac etc. que tout praticien connaît
bien… Ces pathologies qui vont traduire la manifestation dans le corps de l’anxiété génèrent
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souvent de l’errance diagnostique et thérapeutique en alimentant, sans véritable efficacité,
les consultations chez les "spécialistes"…
L’angoisse : Elle incarne le plus souvent la polarité somatique de l'anxiété avec son classique
cortège d’oppression thoracique ou de striction pharyngée. En règle générale le terme est
utilisé pour les problématiques psychotiques : on parle rarement en effet d'anxiété
psychotique mais plutôt d'angoisse psychotique… Si l’angoisse névrotique est une angoisse
"de castration" (considérée comme on ne peut plus banale), l'angoisse du psychotique est
une angoisse de "morcellement" autrement plus inhabituelle…
En effet pour le psychotique (le schizophrène) son angoisse porte sur la nécessité de
maintenir son intégrité physique et physique : on parle alors d'angoisse de "morcellement"
ou d'angoisse "dissociative".
Le psychotique a, en effet, beaucoup de mal à conserver une enveloppe protectrice de son
intériorité, ce qui lui donne une sorte de "perméabilité" à son environnement tant physique
que psychologique qui le rend extrêmement sensible à l'angoisse ou à l'agressivité des
autres.
Les sujets sont généralement inégaux devant l'anxiété et l'angoisse et on peut affirmer que,
dans une certaine mesure, certains ont été "fabriqués" pour être structurellement anxieux
et qu'ils n'y peuvent rien…
La phobie : c’est la fixation de l’angoisse sur un objet par l'intermédiaire d'un mécanisme
psychologique dit "de défense". Le sujet cherche à se protéger de son angoisse en la fixant,
ce qui lui permet de la circonscrire…
Les phobies d’objets qui sont les plus classiques (phobie des couteaux, des épingles : objets
généralement vulnérants) sont souvent couplées à des phobies d’impulsion : crainte de faire
usage d'un couteau de cuisine pour blesser quelqu'un sans raison précise… Fort
heureusement, ces phobies d'impulsions ne conduisent qu'exceptionnellement à un passage
à l'acte…
Les phobies dites "situationnelles" (claustrophobie, agoraphobie) sont plus préoccupantes
car elles vont amener le sujet qui en est affecté à des "conduites d'évitement" et à un
handicap social qui va parfois jusqu'à la claustromanie.
Toutes les phobies ont naturellement un caractère extensif, constat qui impose qu'on les
traite rapidement avant qu'elles ne se répandent "en tâche d'huile"…
Le principe organisateur de l'angoisse en général, et de la phobie en particulier, est
"l'anticipation catastrophiste". Le sujet postule que telle ou telle situation précise est
annonciatrice de malheur ou de cataclysme en sorte qu'il cherche à la fuir à tout prix : je suis
dans un cinéma… comment vais-je sortir si un incendie se déclenche… je vais être
immanquablement piétiné… je commence à suffoquer… je dois sortir… (voilà brièvement
décrit le mécanisme de l'angoisse).
La peur : elle est beaucoup plus familière et apparaît comme une expérience quotidienne,
quasi-ontologique, et aisément compréhensible. Elle est généralement défavorablement
connotée (par rapport au "courage") mais constitue un indéniable signal de protection et de
sauvegarde face à l'adversité
L’effroi : c’est à partir d'une situation d’effroi que va se constituer le fameux "état de stress
post traumatique" que l'on retrouve si souvent dans nos pratiques expertales. Il s'agit là
d'une situation extrême, assez rarement retrouvée dans la vie quotidienne, et qui déborde
généralement les capacités de maîtrise du sujet.
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Celui-ci, en effet, va voir en quelques instants ses paramètres environnementaux totalement
chamboulés : une bombe éclate dans une grande surface… tout le paramétrage
environnemental bascule en quelques dixièmes de secondes… la situation est totalement
indicible… l'effroi emporte avec lui les mots pour le dire…
La question de la mort (qu'il s'agisse d'une menace pour le sujet lui-même ou pour des tiers
dans son environnement immédiat) est omniprésente dans la question de l'effroi. La vision
d'un corps mutilé, déchiqueté est un renvoi insupportable à notre propre finitude et à notre
sentiment d'unité qui nous fait tenir debout !
La notion de "Réel" chez Lacan rend bien compte de la question de l'effroi. Lacan, en effet,
se pose les mêmes questions que les théoriciens de la physique quantique : qu'en est-il du
monde s'il n'y a personne pour le regarder et surtout en parler ?
Lacan a tendance à considérer que rien n’existe si le maillage du langage ne vient pas
"cravater" le Réel pour en faire une "réalité"… Le langage a, en effet, pour fonction de créer
du consensus entre les sujets sur le monde tel que nous le percevons et dont nous ne savons
pas trop ce qu'il est en réalité quand nous ne sommes pas là pour le regarder…
Si l'on revient à la question de l'effroi tel qu'il est éprouvé, on peut dire que le sujet qui y est
soumis passe en quelques seconde de la "réalité" au "Réel" qui dès lors se présente comme
un chaos… Passer de dicible à l'indicible c'est passer de la "réalité" au "Réel", de familier à
l'abominable…
C’est justement cet éprouvé indicible de la situation d’effroi qui va générer la classique
"dissociation péri-traumatique" qui plonge le sujet dans des expériences de déréalisation ou
de dépersonnalisation proches des éprouvés psychotiques : expériences de lévitation,
d'héautoscopie, etc.
Ce n'est pas pour rien que la "dissociation péri-traumatique" est considérée aujourd'hui
comme un élément de mauvais pronostic pour les états de stress post-traumatiques et
qu'elle est particulièrement scrutée par les psychiatres militaires lorsqu'ils examinent des
vétérans de l'Afghanistan ou du Mali !
Dans les débriefings qui sont généralement proposés aux traumatisés du psychisme, l'enjeu
est la verbalisation très minutieuse des perceptions brutes auxquelles le sujet a été soumis…
De ce "cravatage" de l'expérience par le langage, on attend généralement une extraction du
"Réel" au profit de la "réalité" et un effet d'apaisement sur l'angoisse.
On peut proposer schématiquement un tableau synthétique comparatif entre l’anxiété et la
dépression pour bien identifier les deux entités, d'autant qu'elle sont souvent (et
abusivement) mêlées dans le classique "syndrome anxio-dépressif" !
Il importe de souligner qu'il s'agit de deux notions cliniques très différentes qui n'engagent
par les mêmes problématiques évolutives et thérapeutiques.
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Anxiété
Etat d'alerte
Excitation/fébrilité
Anticipation "catastrophiste"
Automutilations
Somatisations
Psychosomatique
Trouble de l'endormissement
Troubles cognitifs
Alcool +++
Dépression
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Tristesse
Inhibition/ralentissement
Blocage de l'anticipation
Conduites suicidaires
Somatisations
Plaintes fonctionnelles
Réveil précoce
Troubles cognitifs
Alcool +
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Les grandes entités cliniques que l’on retrouve dans les classifications contemporaines
concernant l'anxiété sont :
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Trouble anxiété généralisée,
Trouble panique +/- agoraphobie,
Trouble anxiété sociale,
Anxiété de séparation,
L'état de stress aigu,
L'état de stress post-traumatique.
Dans l’état de stress post-traumatique, une condition est impérativement requise : la
situation d'effroi initiale. Il convient de savoir qu'il existe généralement entre l'état de stress
aigu et l'état de stress post-traumatique une période dite "de latence", qui peut être de
quelques jours ou de quelques semaines, parfois même de quelques mois.
Dans l’état de stress post-traumatique constitué, on retrouve plusieurs symptômes :
-
Un état d’alerte permanent, très consommateur en énergie psychique,
Des réactions de sursaut au moindre bruit traduisant l'état d’hyper-vigilance (ou
d'hyper réactivité neuro-végétative) du sujet,
Un syndrome de répétition qui est sans doute le symptôme le plus représentatif de
cette entité clinique : cauchemars répétitifs, réminiscences diurnes.
Des phobies souvent cristallisées à partir de la situation initiale : phobie de la
conduite, des déplacements sur la voie publique, des salles de concert, etc.
Des conduites d’évitement qui sont la réponse aux phobies : on parle alors
d'évitement de la situation "phobogène".
Le timing de l’effroi : Il convient de ne pas oublier que les médias génèrent en eux-mêmes
une sorte de "syndrome de répétition" en faisant passer "en boucle" les images de
l'horreur...
L'effroi peut être immédiat ou différé. Il existe en effet des cas de figure où le sujet, soumis à
une perte de connaissance initiale, va être confronté à la situation d'effroi à sa reprise de
conscience (perte d'un être cher) ou quelques jours plus tard : lorsqu'il va voir sa voiture à la
casse par exemple et qu'il se dit : "comme suis-je sorti vivant de cet amas de ferraille ?"
La dernière version du DSM (5ème édition) risque de remettre en cause nos approches
classiques de l'état de stress post-traumatique dans la mesure où le sujet ne doit pas être
obligatoirement confronté directement et personnellement à la situation d'effroi. En effet,
dans le DSM V, le fait d'être le dépositaire "auriculaire" d'une situation d'effroi racontée par
un tiers suffit à être constitutif d'un effroi personnel…
Les préjudices par ricochet : Les préjudices "par ricochet" sont généralement recherchés
dans les situations de deuil mais avec cette nouvelle approche que nous propose le DSM V, il
faut s'attendre à ce qu'une épidémie de préjudices par ricochet advienne dans les suites des
derniers attentats perpétrés sur le sol national.
L’évaluation et le chiffrage : L’état de stress post-traumatique dans le barème indicatif de
droit commun est généralement évalué, concernant le DFP, entre 0 à 20 %. On observe que
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le barème indicatif de la société de médecine légale est plus généreux et qu'il pousse le
curseur jusqu'à 25 %.
Concernant les autres troubles anxieux susceptibles de faire suite à des situations psychotraumatiques, aucune évaluation chiffrée n'est proposée en sorte que chaque expert, avec
mesure, doit se créer sa propre "fourchette". Il convient de souligner à cette occasion que
les phobies sont sans doutes les manifestations les plus pénalisantes et incapacitantes de
l'anxiété !
Très souvent, s’associe à l’état de stress post-traumatique une symptomatologie annexe que
l'on nomme volontiers "comorbidité". Ce sont classiquement le "trouble panique" (angoisse
paroxystique ayant souvent un effet "terrassant") et la "dépression" qui sont les plus
fréquemment retrouvés dans nos pratiques expertales et qui alourdissent
immanquablement le DFP.
La question qui se pose, et à ce jour mal résolue, est de savoir par exemple si la dépression
doit être considérée comme une véritable "comorbidité" ou comme étant la traduction
d'une forme grave d'état de stress post-traumatique… Chacun comprendra que pour
l'évaluation terminale, cette question mérite d'être posée et arbitrée !
Quoi qu'il en soit, il nous semble nécessaire de nous débarrasser de vieilles entités cliniques,
aujourd'hui désuètes, qui "plombent" l'approche de ces troubles anxieux post-traumatiques.
Les classiques "névroses traumatiques" ou "névroses post-traumatiques" doivent désormais
faire la place à l'état de stress post-traumatique qui se trouve être allégé de sa connotation
névrotique, souvent péjorative comme nous l'avons vu plus haut…
Il nous semble utile de porter un regard circonspect, voire méfiant, sur les échelles (type
PCLS) qui sont aujourd'hui utilisées pour quantifier les états de stress post-traumatiques car
elles ont, selon nous, le tort d'amplifier la réalité clinique qui nous semble devoir être le
socle incontournable de l'évaluation au travers d'un chapitre "doléances" précis et étoffé.
Cela nous conduit à considérer qu'il reste encore un travail important concernant
l'évaluation (en termes de DFP ou de SE) concernant ces troubles anxieux post-traumatiques
(mais aussi retrouvés en assurance de personnes) mais n'est-ce pas le travail de l'AREDOC
que de l'alimenter ?
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