Chapitre 2 : Fondements de l`analyse économique

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Chapitre 4 : Intervention publique dans l’économie
4.B. ELEMENTS D’ECONOMIE PUBLIQUE
Même si le marché et l’Etat constituent deux modes alternatifs de régulation du système
économique, ils ne doivent pas être regardés comme antinomiques. Au contraire, ils sont le
plus souvent complémentaires. Ainsi, au niveau le plus fondamental, le jeu du marché
concurrentiel exige un cadre institutionnel garantissant les droits de propriétés de chacun.
Sans la définition de tels droits qui règlent les relations entre les agents dans leurs rapports
avec les biens et services, les notions mêmes d’achat, de vente, d’offre ou de demande,
d’échanges volontaires n’ont plus de signification. C’est là que réside la différence essentielle
entre la loi du marché et la loi de la jungle. Mais au-delà de cet « Etat-gendarme » minimal, il
est possible d’élargir le champ de l’intervention publique dans l’économie pour compléter le
marché, l’accompagner ou le remplacer en cas de défaillances afin de promouvoir les grands
objectifs d’efficacité, d’équité et de stabilité.
Production publique, réglementation, taxation, subvention..., les interventions publiques dans
l’économie sont multiples et il est généralement impossible d’établir a priori la supériorité de
telle ou telle modalité particulière. Le problème relève souvent en effet d’une analyse en
termes d’optimum de second rang. Un tel optimum représente un pis-aller dont on doit se
contenter lorsque l’optimum de premier rang est impossible à atteindre du fait de contraintes
diverses. Mais les conditions de l’optimum second sont différentes de celles de l’optimum
premier. Elles varient selon les contraintes et lorsque plusieurs obstacles empêchent la
réalisation de l’optimum de premier rang, leur élimination partielle ne garantit pas une
amélioration de la situation. En outre la multiplicité des critères à considérer en relation avec
les diverses missions de l’Etat rend plus complexe encore l’évaluation des politiques
publiques. Il importe donc, pour une application pratique, de développer une analyse coûtsavantages qui permettent de classer les diverses options grâce à une appréciation de
l’ensemble de leurs bénéfices et de leurs coûts, y compris de leurs coûts d’opportunité
4.B1. LES GRANDES FONCTIONS DE L’ETAT
Les interventions économiques de l’Etat s’articulent en trois missions essentielles :
l’affectation des ressources, la répartition de la richesse et la stabilisation de l’activité
économique. Dans la pratique, il est généralement difficile, voire impossible de dissocier ces
trois aspects de l’intervention publique. Néanmoins, du point de vue analytique, il est souvent
commode et même souhaitable de séparer les effets d’une même mesure relativement aux
objectifs d’efficacité, d’équité et de stabilité associés à ces trois fonctions.
Le théorème fondamental de l’économie du bien-être établit une correspondance biunivoque
entre optimum parétien et équilibre de marché. Mais ce résultat soumis à des hypothèses
précises quant aux caractéristiques du marché, doit s’analyser en deux temps. La première
étape correspond à la démonstration que tout équilibre général concurrentiel est efficace au
sens de Pareto. Mais cela ne signifie pas que l’optimum parétien atteint à partir de la
répartition initiale des ressources satisfait aux normes d’équité retenues par la société. C’est
l’objet de la seconde étape que de montrer que tout optimum parétien défini par un
planificateur central peut être réalisé en tant qu’équilibre concurrentiel pourvu que l’on
dispose de moyens appropriés pour effectuer des transferts correspondant à une modification
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Chapitre 4 : Intervention publique dans l’économie
des dotations initiales. L’intervention publique peut ainsi être justifiée à deux titres. Pour que
l’équilibre soit optimal, elle doit assurer des conditions de concurrence sur tous les marchés et
pour tous les biens. C’est alors la fonction d’affectation des ressources qui prime. Pour que
l’optimum soit équitable, l’intervention publique doit pouvoir opérer une redistribution de
ressources sans interférer avec les comportements sur les marchés concurrentiels.
a/ Affectation
Les politiques d’affectation des ressources trouvent leur justification dans la correction des
défaillances du marché qui empêchent l’optimalité de l’équilibre décentralisé. Dans cette
perspective, l’intervention publique peut être un complément de l’économie de marché pour
faire face au défaut de fourniture par le marché de certains biens ayant un caractère collectif.
Une correction de l’économie de marché peut aussi être justifiée face à l’existence d’effets
externes, de structures non concurrentielles de marché ou de coûts décroissants. Elle peut
enfin correspondre à la volonté d’exercer une tutelle sur la production de certains biens.
Rivalité et excluabilité : deux attributs pour caractériser les biens
Selon le caractère de rivalité, les consommateurs rivalisent entre eux pour obtenir le bénéfice de la
consommation du bien ; ce qu’un individu consomme n’est plus disponible pour un autre individu.
Selon le caractère d’excluabilité, un individu peut être exclu de l’accès au bénéfice du bien ; il peut
être exclu de l’ensemble des consommateurs.
rivalité
excluabilité
OUI
NON
OUI
Bien privé
Ressource commune
NON
Bien de club
Bien collectif
Même si rien ne s’oppose sur le plan purement matériel à une possibilité d’exclusion, il importe
qu’existent des droits de propriété constituant une forme de garantie d’excluabilité. C’est le drame
des ressources communes dont chacun veut tirer un maximum pour lui sans avoir à payer un
quelconque droit d’accès, adoptant ainsi un comportement de « passager clandestin ». La
généralisation de ce type de comportement interdit un fonctionnement de marché satisfaisant
puisqu’il n’est alors plus possible de couvrir les coûts associés à l’offre.
La fourniture de biens collectifs est à ce point typique du rôle de l’Etat que l’on parle parfois
indifféremment de biens collectifs ou de biens publics. La caractéristique essentielle de ces
biens est de pouvoir être consommés simultanément par plusieurs individus. La forme pure de
ces biens collectifs est définie par l’absence de rivalité entre les consommateurs et
l’impossibilité d’exclusion. Au premier critère correspond la nullité du coût marginal de la
fourniture du bien à un individu supplémentaire. Le second critère signifie que, une fois
fourni, le bien collectif ne peut être refusé à un individu particulier. Pour de tels biens
collectifs purs, le marché est totalement défaillant : le principe d’exclusion (qui ne paie pas
n’a pas) ne joue pas et les échanges volontaires marchands sont impossibles. Seul l’Etat est en
mesure de fournir ce type de biens en utilisant son pouvoir de contrainte pour financer cette
production. Dans des cas moins extrêmes, la divisibilité de la consommation du bien collectif
permet de repérer ses bénéficiaires et de concevoir des moyens d’exclusion. La fourniture par
le marché devient alors théoriquement possible sous réserve que les coûts d’exclusion restent
suffisamment faibles. D’autres éléments peuvent affecter les caractéristiques des biens pour
en faire des biens collectifs impurs. Ainsi une forme de localisation des possibilités de
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consommation rend parfois envisageable la mise à disposition du bien collectif dans le cadre
d’un club au sein duquel les agents n’ont pas à rivaliser entre eux une fois qu’ils ont versé la
cotisation qui leur donne accès au bien et permet d’en financer la fourniture. Des phénomènes
d’encombrement ou de congestion peuvent aussi remettre en cause l’absence de rivalité entre
les consommateurs.
Des structures non concurrentielles rendent inefficace l’affectation des ressources par le
marché. De telles situations apparaissent lorsque certains intervenants peuvent utiliser à leur
profit et au détriment des autres un pouvoir de marché, c’est-à-dire une capacité à infléchir
par leur action individuelle l’équilibre du marché. Dans cet esprit les situations de monopole
ou d’oligopole sont souvent considérées comme non optimales. Il faut cependant noter que le
nombre de firmes effectivement présentes sur le marché n’est pas le critère décisif. C’est ce
qu’il est convenu d’appeler la « contestabilité » du marché qui détermine son efficacité ; on
entend par là la capacité du marché à contester en permanence toute forme de position
dominante. En d’autres termes, ce sont l’existence de fortes barrières à l’entrée et à la sortie
sur le marché et l’absence de substituts pour le bien échangé qui permettent au détenteur
d’une position de monopole d’obtenir une rente au détriment de la collectivité. Dans cette
perspective, l’intervention publique en matière de politique de concurrence se préoccupera
moins d’interdire l’apparition de positions dominantes que de lutter contre les abus de telles
positions.
Indépendamment de la plus ou moins grande contestabilité du marché, la présence de
rendements d’échelle croissants, ou de coûts décroissants, pose un problème spécifique. La
concurrence est dans ce cas ruineuse : chaque producteur peut réduire son coût unitaire et
donc son prix d’offre en augmentant sa production, mais si tous font de même, les capacités
d’absorption du marché sont saturées. Une telle configuration conduit à une situation de
monopole naturel dans laquelle la production à l’optimum est déficitaire pour l’entreprise.
L’intervention publique ne peut alors se limiter à recréer des conditions de concurrence.
L’Etat doit subventionner la production optimale à perte ou prendre directement en charge
cette production.
Les effets externes apparaissent lorsque les actions d’un individu affectent directement un ou
plusieurs autres agents sans transiter par les mécanismes du marché, par des modifications de
prix et sans donner lieu à compensation. Ces externalités positives (économies externes) ou
négatives (déséconomies externes) peuvent concerner la production ou la consommation.
Elles empêchent la coïncidence entre le coût marginal privé (ou l’utilité marginale privée),
perçu par l’auteur de l’action, et le coût marginal social (ou l’utilité marginale sociale) qui
tient compte de l’ensemble des effets sur les autres membres de la société. Pour obliger les
agents à internaliser les effets externes qu’ils provoquent, l’intervention publique peut prendre
diverses formes. Elle peut emprunter la voie d’une réglementation dirigiste (interdiction ou
obligation) qui contraint strictement les choix des agents. Sous une forme plus incitative, elle
peut s’exercer par une politique de taxation ou de subvention qui modifie les signaux transmis
par le système de prix. Elle peut aussi consister à définir plus complètement la structure des
droits de propriété pour rendre possible des marchandages qui, si les coûts de transaction sont
négligeables, conduiront à une situation optimale.
L’Etat peut enfin altérer le fonctionnement normal du marché de certains biens dits sous
tutelle. Ce type d’intervention n’est pas justifié par une défaillance technique du marché mais
par la considération que les individus, par insuffisance d’information, d’éducation ou de sens
civique, expriment des préférences qui ne sont conformes à leur bien-être vrai. L’Etat peut
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Chapitre 4 : Intervention publique dans l’économie
alors s’engager dans une simple politique d’information et d’éducation. Si cette intervention a
minima se révèle insuffisante, des modes de contrôle plus directs sont envisageables sous la
forme de réglementations ou de taxations.
b/ Redistribution
Dans une définition théorique stricte, la politique de redistribution exclut la
redistribution volontaire, susceptible de recueillir un vote unanime. Celle-ci correspond en
effet à un mouvement vers l’optimum parétien et n’est donc qu’un aspect de la politique
d’affectation. La redistribution involontaire, ou imposée, correspond à un choix entre
différents optima parétiens et se réfère donc à une fonction de bien-être social, à une norme
d’équité.
Dans l’absolu, le choix de principes de redistribution relève moins de l’analyse
économique que de la philosophie politique. Il revient à l’économie publique normative
d’étudier les modalités de mise en œuvre de ces principes et leurs conséquences pour définir
des normes de politique optimale s’efforçant d’atteindre l’équité dans la répartition des
richesses tout en limitant les risques d’effets pervers en termes d’efficacité dans l’allocation
des ressources.
Philosophie politique de redistribution
On peut citer quelques exemples de principes directeurs de redistribution.
- La redistribution peut se fonder sur la maximisation d’une somme d’utilités individuelles. Si
l’utilité marginale du revenu est décroissante, le transfert d’un dollar d’un riche à un pauvre
procure plus d’utilité à celui-ci qu’il ne réduit celle de celui-là. L’application de ce principe
suppose la possibilité de comparaisons interpersonnelles des utilités.
- Un deuxième principe relève davantage de l’assurance sociale. Il consiste à fournir au plus pauvre
un niveau minimal de revenu jugé adéquat.
- Selon un troisième principe, l’action publique s’efforcera plutôt de garantir une égalité des
chances, en laissant jouer la mécanique du marché pour déterminer la distribution finale des
revenus.
Cette redistribution peut être conçue sous une forme générale sans imposer aux
bénéficiaires un usage particulier : il s’agit alors généralement de transferts monétaires. Elle
peut aussi avoir un caractère spécifique, lié à certaines opérations des agents : elle passe alors
par des subventions monétaires ou des transferts en nature.
Dans tous les cas, mais peut-être plus encore en cas de transferts spécifiques, la réaction
des agents à la politique de redistribution peut être à l’origine d’effets pervers et engendrer un
conflit entre équité et efficacité. Dans certains cas même, on peut concevoir qu’une mesure
redistributive produise finalement des effets contraires à ce qui était recherché. Ainsi, par
exemple, un système de salaire minimum visant à aider les travailleurs les moins qualifiés
peut conduire à un chômage accru pour ces mêmes travailleurs s’il s’avère que le prix
plancher fixé pour ce type de facteur travail se situe au-dessus du niveau d’équilibre du
marché provoquant une offre excédentaire par rapport à la demande formulée par les
entreprises.
Dans une optique positive, l’effet redistributif des interventions publiques apparaît
particulièrement important pour comprendre les stratégies des acteurs du jeu social. La
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Chapitre 4 : Intervention publique dans l’économie
recherche de rentes peut susciter la formation de groupes d’intérêts actifs. La concentration
des bénéfices de l’action publique opposée à la diffusion de ses coûts sur la collectivité
renforce cette incitation. Le fonctionnement du marché politique et les interactions possibles
avec les intérêts bureaucratiques peuvent alors engendrer des interventions publiques
difficilement justifiables en termes d’efficacité allocative. La politique de redistribution est
aussi parfois invoquée pour expliquer la croissance de l’Etat dans un régime démocratique
lorsque, du fait de l’asymétrie de la distribution des revenus, l’électeur médian demande
toujours plus de redistribution en sa faveur pour se rapprocher du revenu moyen.
c/ Stabilisation
Les politiques de stabilisation ont pour objectif la restauration de l’équilibre et, en
s’inscrivant dans une vision moins statique, veulent contribuer à un ajustement plus rapide de
l’économie. Lorsqu’elles visent la stabilisation microéconomique d’un marché, ces politiques
constituent un complément des politiques d’affectation. La stabilisation peut aussi être
macroéconomique et cette dimension de l’action publique a suscité un intérêt plus particulier
à la suite des analyses keynésiennes. La recherche dans cette perspective s’est développée
dans le cadre de la théorie macroéconomique. Elle analyse les mécanismes d’action et les
conditions d’efficacité des politiques macroéconomiques : la politique monétaire qui s’attache
au réglage de la liquidité dans l’économie et la politique budgétaire qui agit directement sur
l’une des composantes de la demande au niveau global.
Indépendamment des considérations politico-économiques qu’elles peuvent impliquer et
des effets redistributifs qu’elles peuvent induire, les politiques de stabilisation rencontrent des
difficultés de mise en œuvre. L’instabilité de l’équilibre ne doit pas être confondue avec sa
variabilité et l’intervention publique doit prendre garde à ne pas fausser les signaux donnés
par les prix sur les marchés. L’Etat doit être capable de repérer les déséquilibres, de connaître
les vraies valeurs d’équilibre et de définir les mesures correctrices dans des délais
suffisamment brefs pour éviter les effets pervers d’une intervention à contretemps. Le choix
d’un horizon temporel apparaît particulièrement important puisque les mécanismes
d’ajustement spontané peuvent ne pas jouer de manière semblable à court terme et à long
terme ; l’intérêt et même l’efficacité de la politique macroéconomique peut s’en ressentir. Il
importe aussi de disposer d’instruments sélectifs pour ne pas affecter d’autres marchés ou
variables. Enfin, les réactions des agents doivent être prises en compte puisqu’elles peuvent
réduire, voire annuler l’efficacité des politiques économiques. C’est cet aspect que souligne
notamment la nouvelle macroéconomie classique lorsqu’elle remet en cause la possibilité
d’une action systématique efficace en cas d’anticipations rationnelles par les agents
économiques.
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