Le suivi de le reproduction du tadorne de belon

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2006
Les dossiers...
...de VivArmor
La reproduction du
Tadorne de Belon
Dossier nature
Suivi de la Reproduction du
Tadorne de Belon (Tadorna tadorna L.)
en Baie de Saint Brieuc
par Viviane TROADEC
Le Tadorne de Belon (Tadorna tadorna ) (Linné 1758) appartient à la famille des anatidés, dans laquelle le genre
tadorna occupe un rang particulier entre les oies et les canards (Anser). L'espèce est associée aux rivages marins
et estuariens peu profonds (occasionnellement les zones humides intérieures). En baie de Saint Brieuc, le tadorne est nicheur depuis au moins une trentaine d'années. Cependant les effectifs étaient jusqu'aujourd'hui mal
connus ; d'avril à août 2006, la réserve naturelle de la baie de Saint Brieuc a réalisé le suivi de la reproduction du
tadorne sur son territoire afin d'évaluer l'importance de cette population nicheuse.
1. L'espèce
Description
Facile à reconnaître, le Tadorne de Belon est un très bel oiseau au plumage contrasté. Il est blanc, ceinturé de
roux, avec une raie ventrale noire. La tête, le cou et les rémiges sont noirs. Le bec, rouge vif, est entouré d'une
tâche blanche chez la femelle et surmonté d'un tubercule frontal chez le
mâle.
Les jeunes sont plus ternes, le dessus, la calotte et le cou sont brun foncé.
Les pattes sont grisâtres alors que celles des adultes sont roses, presque rouges.
Il s'agit d'une espèce à large répartition. Deux populations occupent la
France : l'une vit sur les côtes de l'Europe de l'Ouest et l'autre sur les rivages de la Méditerranée et de la Mer Noire.
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Histoire
Commun aujourd'hui, notons cependant que les habitudes du 19ème siècle ont failli faire disparaître ce
superbe oiseau. Le Tadorne a principalement été victime des plumassiers, des chasseurs et des ramasseurs d'œufs.
C'est ainsi que, connu nicheur en Bretagne de 1832 à 1880, il faudra ensuite attendre l'année 1953 pour
revoir les premières familles de Tadornes en Bretagne (dans la rade de Brest).
En 1962, le Tadorne de Belon est protégé en France et inscrit à l'annexe II de la convention de Berne
ainsi qu'à l'annexe II de la convention de Bonn, interdisant ainsi tous les prélèvements, captures, destructions, etc., d'individus ou d'œufs.
Les populations reproductrices et hivernantes de Tadornes ont augmenté dans les trente années qui suivirent. Le nombre de couples nicheurs en France a été estimé entre 110 et 200 couples en 1970, contre
2200 à 2500 couples en 1990.
Biologie
L'hiver se termine, les Tadornes sont encore présents en grandes bandes sur la vasière, cependant, la plupart des couples se sont déjà formés. Dès le mois de mars, ces derniers s'éloignent du reste de la population grégaire et recherchent leur futur nid. Ainsi, jusqu’à fin
juin, les Tadornes offrent un curieux spectacle aux abords de la
réserve naturelle. Les candidats à la reproduction survolent les
falaises, amorcent des atterrissages quelque peu aventureux,
visitent des terriers, se reposent au sol et recommencent leur
manège. En effet, l'érosion et les éboulements successifs ont
mis à jour d'anciens terriers de lapins, qui viennent maculer de
noir la paroi orangée des falaises bordant la vasière. Les cavités
les plus adéquates sont disputées par les futurs parents.
La ponte s'étale d'avril à juillet, le nid contient entre 7 et 12 oeufs. La femelle assure seule l'incubation,
tandis que le mâle défend activement le territoire. L'éclosion est synchrone, elle a lieu 29 à 31 jours après
la ponte et les petits sont nidifuges .
La femelle seule, ou le couple, dirige les poussins vers une zone d'élevage, qui peut être différente du site
du nid. Certaines familles se déplacent seules vers ces aires, mais certains couples escortent des " crèches " ou " nurseries " de jeunes poussins provenant de familles différentes.
Dès le mois de juin, les immatures et non-reproducteurs se livrent à une migration particulière : la migration de mue. La majorité des oiseaux du nord-ouest de l'Europe se rassemble sur la partie allemande de
la mer des Wadden (ce site accueille environ 200 000 oiseaux). Les adultes reproducteurs rejoignent les
sites de mue en fin d'été. Les retours des zones de mue se font dès septembre, surtout à partir de fin
octobre jusqu’en décembre - janvier.
Les jeunes de l'année prennent leur envol à l'âge de 40 - 50 jours et se dispersent par la suite.
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Quelques chiffres
- Effectif moyen français compté à la mi-janvier (période de 1997 à 2003): 52 238
- Seuil d'Importance Internationale: 3000
- Seuil d'Importance Nationale: 480
- Effectif moyen en baie de St-Brieuc compté à la mi-janvier (période de 1997 à 2003): 197
2. Méthode
Découpage de la zone d'étude
Le secteur d'étude est délimité à l'Ouest par la pointe du Roselier et à l'Est par la plage de Béliard (cf.
Fig 3). Il comprend donc les deux grandes anses d'Yffiniac et de Morieux ainsi que l'estuaire du
Gouessant.
Le territoire d'étude a été découpé afin de suivre avec le maximum de précision la reproduction de l'espèce. La première étape du protocole a consisté à explorer intégralement le territoire d'étude afin de repérer les terriers potentiels.
Nous avons ainsi repéré et défini :
- 127 terriers
-34 sites de nidification : qui peuvent comporter un ou plusieurs terriers rapprochés.
Leur représentation permet de localiser les nids.
-13 secteurs, qui regroupent les sites de nidification relativement rapprochés et tous visibles d'un même point de vue. Ces entités permettent de rassembler des informations plus
générales que la localisation d'un nid.
Organisation du suivi
L'étude s'est déroulée en deux phases :
- la première phase, d'avril à mi-mai, a consisté en des passages ponctuels sur le territoire afin de connaître le nombre probable de couples nicheurs. Lors de ces passages, sont notés : le nombre de mâles, de
femelles, le nombre de terriers visités et leur numéro. Ce protocole a permis de surveiller attentivement
le comportement des couples présents et de les identifier pour pallier l'absence de marquage.
Les femelles nettement cantonnées ont été croquées car elles ont toutes des différences individuelles surtout au niveau du dessin facial. Les taches blanches n'ont jamais la même forme, l'usure du plumage varie
d'un individu à l'autre.
Fig 1 : exemples de croquis
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- la seconde phase, de mi-mai à fin juillet, est axée sur la recherche des poussins après éclosion. Pour cela
des passages répétés sont effectués sur les zones favorables, c'est à dire les zones d'alimentation. Les
observations sont notées sur des cartes, le maximum d'information est relevé (âge des poussins, identité des femelles, déplacement, comportement).
3. Résultats
Utilisation spatiale de la baie par le Tadorne de Belon
La carte d'utilisation de la baie par le Tadorne, ci-dessous, a été réalisée et complétée au long de l'étude
afin de mieux comprendre les habitudes de l'espèce sur le territoire.
Elle représente :
- les sites de nidification certains
- les refuges de marée haute
- les zones d'alimentation
- les zones d'élevage des jeunes
Fig 2 : carte d’utilisation
de la baie
Martin Plage
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Caractéristiques de la reproduction
L'étude révèle avec certitude que 17 couples ont niché dans la baie cet été. Cependant, 58 couples
étaient cantonnés en début de saison, c'est-à-dire fidèles à un site de nidification, donc candidats à la
reproduction.
Fig. 3 : Synthèse des chiffres liés aux naissances
Les 66 jeunes qui restent au 21 juillet ne sont pas tous prêts à l'envol. Mais à partir des très nombreuses
notes prises sur le terrain, il a été possible d'établir des cartes synthétiques, illustrant la reproduction du
tadorne de Belon dans la baie de St Brieuc.
Chronologie de la reproduction
La comparaison des périodes d'éclosion ne fait pas apparaître de différences entre les régions européennes. Elles sont partout observées, pour l'essentiel, entre la mi-mai et la mi-juillet. La baie de St Brieuc ne
fait pas exception.
Fig 4 : Dates d'éclosion
Trois familles ont été accueillies dans le port du Légué, 6 dans l'estuaire du Gouessant et 9 dans l'anse
d'Yffiniac.
Mortalité chez les jeunes
Le graphe suivant, figure 5, fait apparaître la mortalité des jeunes par âge et par secteur d'alimentation
(port du Légué, anse d'Yffiniac ou estuaire du Gouessant).
Dans le Gouessant, 58% des poussins disparaissent avant d'avoir atteint leurs 7 jours. En moyenne cette
valeur se situe aux alentours de 40%. Suite à la première semaine, la mortalité chute en dessous de 10%,
mais reste constante durant quelques semaines.
Ces chiffres sont comparables à ceux d'autres sites comme l'estuaire de la Rance ou le Golfe du
Morbihan.
La productivité moyenne des jeunes par couple est de 3,2 en baie de St Brieuc, elle était de 1,5 dans le
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Morbihan en 1997.
La principale cause est la prédation, le cas de prélèvement par le Goéland marin (Larus marinus) a été
observé deux fois cet été.
Fig. 5 : Mortalité des jeunes par secteur et par âge
4. Impact du dérangement
Le Tadorne de Belon est un oiseau sensible au dérangement en période de reproduction. Dans le cas de
la baie de St Brieuc, il est particulièrement vulnérable car il niche dans les falaises. Au dessus de ces falaises, chemine le sentier littoral; en dessous, se trouve parfois un bout de plage pour se reposer, se promener…
Lors des suivis réguliers, les dérangements majeurs ont été notés. Un dérangement majeur entraîne l'envol de l'oiseau vers une autre zone en interrompant le rythme biologique de l'oiseau à cet instant.
La note de dérangement attribuée à chaque site est fonction du nombre de dérangements par rapport
au nombre de passages sur le terrain, soit un pourcentage (cf figure 6).
Plus la note est élevée sur l'échelle de 0 à 4, plus le dérangement est important. Comme visible sur le
graphe suivant, figure 6, aucun terrier noté 4 n'a été occupé par un couple de Tadornes. Les terriers
occupés sont majoritairement notés 0 ou 1.
Il semblerait donc que le dérangement soit un facteur conditionnant la reproduction du Tadorne.
Fig. 6 : Impact du dérangement en chiffres
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70% des dérangements sont causés par des promeneurs seuls et/ou
avec des chiens sur l'ensemble du site.
Concernant le tadorne de Belon, la distance de dérangement est connue
même si elle varie d'un individu à l'autre. Les plus farouches, particulièrement en période de nidification, prennent leur envol à 150 mètres.
Mais certains individus tolèrent des distances beaucoup plus courtes
allant jusqu'à 40 mètres.
Conclusion :
La population reproductrice dans la baie de St Brieuc, en 2006, est de 17 couples. Mais n'oublions pas
que 58 couples étaient cantonnés en début de saison. Quelle est la capacité d'accueil de la baie pour les
couples nicheurs ? Répondre à cette question nous permettrait de savoir si le site est " saturé " ou " sousexploité ".
D'après la figure 7, un facteur limitant à l'installation des couples est la répartition spatiale. Très territoriaux, les Tadornes ne tolèrent pas la présence d'un autre nid à proximité du leur. Ainsi un secteur très
prisé, comme Fontreven, n'accueillera finalement pas plus de couples qu'un secteur moins visité comme
St Guimond.
Fig.7 : Terriers potentiels, terriers visités et terriers occupés par secteur.
Il y a sans doute une limite liée à l'espace et aux niches potentiellement disponibles, cependant au moins
trois nids ont été abandonnés à cause de la fréquentation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, un
couple s'est rabattu sur un terrier au dessus du camping de Bon-Abri, sans doute plus calme qu'ailleurs
car les promeneurs ne peuvent pas circuler en pied de falaise (propriété privée oblige). Un autre couple
s'est installé derrière le chantier des zones humides sur le port du Légué, là aussi, isolé des promeneurs.
Nous ne pouvons tirer de conclusions sur la tendance de la population de Tadornes dans la baie, car
nous ne savons pas ce qu'il en était par le passé. Cependant cette étude invite à la vigilance, un suivi à
long terme doit être réalisé. En effet, le public est de plus en plus attiré par les espaces naturels protégés, réalité encore plus marquée dans le cas de la baie de Saint Brieuc ceinturée par l'urbanisation. Les
conséquences de cette fréquentation sont encore mal connues en ce qui concerne l'avifaune. Mais nous
sommes en droit de douter que les oiseaux s'habituent un jour aux courses-poursuites avec des chiens
ou aux chansons paillardes avec des campeurs… Pour ne citer que le Tadorne, c'est pourtant un oiseau
sociable, que l'on peut approcher et observer facilement tant qu'on ne l'agresse pas et que l'on respecte
quelques règles simples : rester discret et à distance, le contourner dès qu'il montre des signes d'inquiétude.
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Bibliographie principale
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YANN F. (Mai 2003) - Statut nicheur d'une espèce patrimoniale majeure de l'estuaire de la Rance : le
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