La catastrophe gravothermale illustrée par une expérience de

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L’UNION
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PHYSICIENS
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La catastrophe gravothermale illustrée
par une expérience de mécanique des fluides
par Christophe LAGOUTE
Agrégé de physique
Docteur de l’université Paris 7
Chercheur associé au Laboratoire d’Astrophysique de Toulouse
Lycée Bellevue - 31400 Toulouse
[email protected]
RÉSUMÉ
La prise en compte de l’interaction gravitationnelle entre les particules d’un gaz peut
conduire à rendre négative sa capacité calorifique thermique. En relation avec une autre
source, l’ensemble peut devenir instable et conduire à une évolution dite « catastrophique ». Une analogie mécanique simple permettant d’interpréter l’évolution de ses
systèmes couramment rencontrés en astrophysique est présentée et analysée.
1. INTRODUCTION
L’analyse thermodynamique révèle qu’un fluide auto-gravitant, c’est-à-dire soumis
seulement à ses propres actions gravitationnelles, se comporte comme un système à
capacité thermique négative. Cette singularité peut facilement s’interpréter si l’on
considère par exemple le problème de Kepler à deux corps ponctuels de masses
respectives m1 et m2. L’énergie mécanique Em du système, évaluée dans le référentiel du
centre de masse, croît avec le demi grand axe a de l’orbite « réduite » [1] :
m m
Em = − G 1 2
(1)
2a
où G désigne la constante de gravitation universelle. Lorsque les trajectoires des corps
sont circulaires, l’énergie cinétique Ek du système évaluée dans le référentiel du centre de
masse, constante au cours du temps, est une fonction décroissante de a, puisque :
Ek = − Em
(2)
Dans le cas d’un système auto-gravitant formé de N corps ponctuels, le théorème du
viriel permet d’établir une relation similaire [1-2] :
< Ek > = − Em
(3)
Ainsi, la température cinétique du système diminue s’il reçoit de l’énergie du milieu
extérieur, augmente s’il en fournit.
2. L’INSTABILITÉ GRAVOTHERMALE
Considérons un système thermodynamique isolé « Σ », constitué de deux systèmes
« P » et « N » caractérisés par des capacités thermiques respectivement positive et
négative, « N » étant auto-gravitant. « P » et « N » peuvent échanger de la chaleur et ont
initialement des températures Tp et Tn. Comme les éléments de « N » ne sont soumis
qu’aux forces gravitationnelles propres de « N » puisqu’il est auto-gravitant, la pression est
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nulle sur sa frontière ; donc « N » évolue à pression extérieure constante et on supposera
qu’il en est de même pour « P ».
La variation d’énergie interne de l’un de ces systèmes est reliée à sa capacité
calorifique thermique à pression constante C par :
∆U int = C ∆T
(4)
D’après le second principe de la thermodynamique, la chaleur est transférée du
corps le plus chaud vers le plus froid. Examinons les différentes évolutions possibles de
« P » et « N », en fonction de leurs températures initiales :
♦ Tp > Tn
Le système « P » fournit de la chaleur à « N », sa température diminue. Le système
« N » reçoit de la chaleur de « P ». Sa température diminue également puisque sa
capacité calorifique thermique est négative. L’état d’équilibre thermique finira par être
atteint quelles que soient les valeurs absolues des capacités calorifiques des systèmes,
puisque le zéro absolu impose une valeur limite inférieure (cf. figure 1a).
♦ Tn > Tp
Le système « N » fournit de la chaleur à « P » et sa température augmente puisque
sa capacité calorifique thermique est négative. Le système « P » reçoit de la chaleur de
« N », sa température augmente également. Si la capacité calorifique de « P » est assez
faible, sa température Tp croît assez vite, et un état d’équilibre thermique est atteint (cf.
figure 1b). Dans le cas contraire, l’équilibre thermique ne peut être réalisé et le système
subit une évolution « catastrophique » : les températures Tn et Tp croissent indéfiniment
(cf. figure 1c).
Figure 1 : Évolution de la température des systèmes « P » et « N ».
3. ANALOGIE MÉCANIQUE
3.1. Montage équivalent à deux systèmes à capacités calorifiques positives
Considérons le montage de la figure 2.
Figure 2 : Montage à capacités calorifiques thermiques positives.
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Les deux réservoirs de sections différentes, peuvent échanger de la matière (de
l’eau) lorsque le robinet est ouvert. Pour chacun d’eux, la masse ∆m reçue est
proportionnelle à la variation ∆h de hauteur du plan d’eau :
∆m = ρS ∆h
(5)
où ρ désigne la masse volumique du fluide échangé et S la section du réservoir.
Le robinet ouvert, l’action de la pesanteur conduit à échanger le fluide du système
dont le plan d’eau est le plus haut vers celui dont le plan d’eau est le plus bas. L’équilibre
mécanique sera atteint lorsque l’égalité des niveaux de l’eau dans chacun des réservoirs
sera réalisée.
3.2. L’analogie des grandeurs
La comparaison des équations (4) et (5) fait apparaître les analogies suivantes :
– la masse et l’énergie interne ;
– l’altitude du plan d’eau et la température.
Remarque : L’équilibre est thermodynamique pour le système considéré au
paragraphe 2, mécanique pour le montage précédent.
3.3. Montage « catastrophique »
Considérons le montage de la figure 3.
Figure 3 : Montage à capacités calorifiques thermiques positive et négative.
Le réservoir « N » est suspendu à un ressort de raideur k. On note g l’accélération
due à la pesanteur. Lorsque le robinet est fermé, « N » est en équilibre mécanique.
Le robinet étant toujours fermé :
– si l’on ajoute de l’eau dans le réservoir « P », le niveau hp du plan d’eau monte :
(∆m) p = S p ∆h p
(6)
– si l’on ajoute de l’eau dans le réservoir « N », le niveau hn du plan d’eau par rapport à
une origine fixe, varie comme :
1
(∆m)n =
∆h n
(7)
1 -g
ρSn k
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Le niveau de l’eau baisse si la constante de proportionnalité est négative, c’est-à-dire
si la raideur k du ressort est inférieure à la valeur critique k 0 = gSn . Soit avec un réservoir
cylindrique de 4 cm de rayon, k0 = 50 N.m-1. Cette condition est supposée réalisée par la
suite. L’équation (7) devient :
∆h n
(∆m) n = ρSn
(8)
 k0 
1 − 
k 

Ainsi, le réservoir « P » est l’analogue du système thermodynamique « P », tandis
que le réservoir « N » est l’analogue du système thermodynamique « N ».
– puisque les deux réservoirs peuvent échanger le fluide qu’ils contiennent :
(∆m)p = − (∆m)n
(9)
On ouvre maintenant le robinet, et l’on étudie l’évolution du système. La conservation
de la masse permet de déduire la variation de l’écart d’altitude des plans d’eau en fonction
de la variation du niveau hp de l’eau dans le réservoir « P » :
 Sp  k
 
∆(h n - h p ) =   0 - 1 - 1 ∆h p
 Sn  k  
(10)
Le signe de ∆(h n - h p ) nous renseigne quant à l’évolution de l’écart h n - h p des niveaux d’eau
dans les deux réservoirs : h n - h p >0, si ∆(h n - h p ) est négatif, le système tend vers l’état
d’équilibre - et si ∆(h n - h p ) est positif, l’état d’équilibre ne peut pas être atteint. La situation
initiale va déterminer les différents cas possibles.
♦ hp > hn
Le réservoir « P » se vide dans le réservoir « N ». Les deux niveaux hp et hn
descendent ( ∆h p < 0 ). L’équilibre ne peut être atteint que si l’écart des niveaux d’eau se
réduit ( ∆(h p - h n ) < 0 ), c’est-à-dire, si :
Sp <
Sn
 k0 
 - 1
 k 
(11)
Si cette condition structurale du dispositif n’est pas réalisée, le réservoir « P » se vide
entièrement dans « N ». L’analogie avec le système thermodynamique présente peu
d’intérêt puisqu’elle correspondrait à un système dont l’échelle de températures serait
démunie de point origine.
♦ hn > hp
Le réservoir « N » se vide dans le réservoir « P ». Les deux niveaux hp et hn montent
( ∆h p > 0 ). L’équilibre ne peut être atteint que si l’écart des niveaux d’eau se réduit
( ∆(h n - h p ) < 0 ), c’est-à-dire si la relation (11) est satisfaite. Le niveau d’eau monte alors
plus rapidement dans « P » que dans « N » jusqu’à ce que l’équilibre mécanique soit
atteint.
La relation (11) n’est pas satisfaite si, par exemple, le réservoir « P » possède une
trop large dimension. Dans ce cas, le niveau d’eau monte plus lentement dans « P » que
dans « N ». La montée constante du niveau de l’eau du réservoir « N » est le pendant de
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l’évolution « catastrophique » du système thermodynamique analogue. Le réservoir « N »
se vide entièrement dans « P », ce qui conduit au débordement de ce dernier !
CONCLUSION
Les paramètres expérimentaux, sections géométriques des récipients et raideur du
ressort, déterminent la nature stable ou instable du montage. Le domaine où la relation
(11) est satisfaite est un domaine de stabilité mécanique (cf. figure 4).
Figure 4 : Domaines de stabilité et d’instabilité du montage.
Expérimentalement, il est intéressant de pouvoir modifier facilement le rapport
Sp/Sn. On peut par exemple insérer dans le réservoir « P » un corps cylindrique non flottant. La section Sp diminue, ainsi que Sp/Sn, permettant de franchir la limite d’instabilité.
Dans le domaine de stabilité, les niveaux finissent par s’équilibrer. Le domaine
d’instabilité conduit à la vidange de l’un des réservoirs dans l’autre.
BIBLIOGRAPHIE
[1] PÉREZ J.-Ph. Mécanique, Fondements et applications. Paris : Dunod, 2001.
[2] BINNEY J. et TREMAINE S. Galactic Dynamics. Princeton : Princeton Univ. Press, 1987.
[3] LEHOUCQ R. Pourquoi le soleil brille-t-il ? Pour la science, avril 2001, p. 34-35.
[4] HERRMANNET F. et HAUPTMANN H. Understanding the stability of stars by means of
thought experiments with a model star. in American Journal of Physics, 1997, vol. 65,
p. 292-295.
[5] NAUENBERG M. et WEISSKOPF V. Why Does the Sun Shine ? in American Journal of
Physics, 1978, vol. 46, p. 23-31.
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