Méthodologie L`analyse en intention de traiter et analyse per protocole

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Méthodologie
L’analyse en intention
de traiter et analyse per
protocole
Sylvie Chabaud , Michel Cucherat
EA3736, Faculté Laennec, rue Guillaume Paradin, BP 8071, 69 376 Lyon Cedex 08
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Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.70.218 le 17/04/2017.
Les essais thérapeutiques contrôlés font souvent état, lors de leur publication, d’une analyse en
intention de traiter (ITT) et d’une analyse per protocole. Ces deux approches se distinguent par
le nombre de patients pris en compte dans l’analyse. Cet article montre à travers différents
exemples que seule l’analyse en intention de traiter donne des résultats non biaisés de l’effet du
traitement. Nous verrons également que l’exclusion de patients présentant des données
manquantes ne permet en rien de se rapprocher d’une analyse en intention de traitement.
Mots clés : intention de traiter, per protocole, essai clinique
L
Tirés à part : S. Chabaud
298
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déraisonnable et ne pas permettre une
estimation correcte de l’effet du traitement évalué. C’est ainsi que l’on définit une analyse dite per protocole,
basée sur l’exclusion de tous ces
patients pouvant « perturber » l’estimation de l’effet du traitement.
L’objectif de cet article est de montrer que seule l’analyse en intention de
traiter est synonyme d’absence de
biais d’estimation de l’effet du traitement dans les études cherchant à mettre en évidence une différence entre
des thérapeutiques.
Populations analysées –
Définitions
Lorsque un patient est inclus dans
un essai thérapeutique randomisé, il
est alloué par tirage au sort à un
groupe de traitement (nouvelle molécule ou traitement de référence). Il
doit ensuite être suivi et évalué selon
un protocole d’étude bien précis,
identique pour tous les patients. Dans
la vraie vie, les règles de traitement, de
suivi et d’évaluation décrites dans le
doi: 10.1684/met.2007.0120
mt
orsque l’on réalise un essai randomisé comparant deux traitements,
chaque patient est inclus et suivi selon
un protocole d’étude bien défini,
ayant été approuvé par un CCPPRB
(Comité consultatif de protection des
personnes se prêtant à la recherche
biomédicale). Néanmoins, malgré
toute la vigilance des médecins investigateurs, il n’est pas impossible
d’avoir quelques patients inclus à tort,
des patients qui arrêtent l’étude en
cours de route, des patients traités non
conformément à ce que le tirage au
sort avait décidé... Même si l’objectif
de tous les intervenants de la recherche est de limiter de tels cas, la question demeure : comment doit-on analyser ces patients ? Différentes
solutions sont possibles, notamment
l’intention de traiter, qui consiste à
prendre en compte tous les patients de
l’essai, quel que soit leur écart au protocole. Pourtant, le maintien dans
l’analyse de patients qui n’ont pas été
traités en conformité avec le protocole, qui ont reçu par erreur le traitement de l’autre groupe ou qui ont eu
un suivi incomplet, peut paraître
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protocole ne sont jamais totalement respectées pour tous
les patients. Il y a :
• les patients qui n’ont pas été traités ou ceux qui ont
reçu le traitement A alors qu’ils auraient dû recevoir le
traitement B ;
• les patients qui, à un moment du suivi, ont arrêté
prématurément le traitement de l’essai ;
• les patients qui ont reçu la moitié de la dose prévue ;
• les patients qui ont pris un traitement concomitant
interdit par le protocole ;
• les patients qui n’auraient jamais dû être inclus dans
l’essai car ils ne faisaient pas partie de la population cible
de l’étude, etc.
En fait, il existe de multiples raisons expliquant que le
déroulement idéal n’existe pas. La question sous-jacente
est finalement la suivante : Que fait-on de ces patients au
moment de l’analyse de l’essai ? Doit-on tenir compte
d’un patient traité deux mois sur les six prévus ? Ne va-t-il
pas fausser les résultats du nouveau traitement ? Ou au
contraire, s’il a reçu deux fois la dose préconisée, ne va-t-il
pas surestimer l’effet du traitement ? La première idée
venant à l’esprit serait de ne pas tenir compte de ces
patients tous regroupés sous le terme de patients ayant au
moins une « violation de protocole ». Une autre idée
intéressante pourrait être de réaliser plusieurs analyses
distinctes, avec puis sans ces patients, ou sans les patients
ayant un type de violation précis et de comparer les
résultats obtenus. Mais, on pourrait ainsi définir un grand
nombre de populations d’analyse et, par conséquent, multiplier les résultats d’un même essai. Parmi toutes les
populations que l’on peut définir, trois sont couramment
utilisées. C’est ainsi que l’on différencie l’analyse en
« intention de traiter » (intention to treat) de l’analyse « per
protocole » (per protocol) ou de l’analyse en « traitement
reçu » (on treatment) :
• l’analyse en intention de traiter consiste à analyser
tous les patients dans le groupe où ils ont été randomisés ;
• l’analyse per protocole consiste à analyser un sousgroupe de la population totale, c’est-à-dire de l’intention
de traiter, incluant uniquement les patients en parfaite
conformité avec le protocole ;
• l’analyse en traitement reçu consiste à analyser les
patients en fonction de la nature du traitement qu’ils ont
réellement reçu.
La figure 1 illustre la manière dont les patients sont pris
en compte dans ces trois types d’analyse en fonction de la
concordance ou non entre le traitement alloué par la
randomisation et le traitement réellement pris par le
patient. On voit bien que le nombre de patients dans
l’analyse varie en fonction du type d’analyse, et que, par
conséquent, les résultats seront différents d’une analyse à
l’autre. Par exemple, les patients alloués A mais ayant reçu
B sont considérés comme ayant reçu A dans l’analyse en
intention de traiter. Pourquoi une telle idée ?
Randomisation
Allocation au
traitement A
Allocation au
traitement B
Traitement Traitement Traitement Traitement
B reçu
A reçu
B reçu
A reçu
Intention de traiter
A
A
B
B
Per protocole
A
-
-
B
Traitement reçu
A
B
A
B
Figure 1. Les différentes populations d’analyse pour la même
étude.
Pourquoi analyser en ITT ?
Intention de traitement et conservation
de la comparabilité des groupes
L’analyse en intention de traiter comme nous l’avons
vu précédemment concerne tous les patients randomisés
dans le groupe où ils ont été randomisés :
• qu’ils aient ou non reçu le traitement,
• qu’ils aient ou non suivi le protocole,
• qu’ils soient ou non évaluables pour le critère étudié.
De par sa définition, il n’existe qu’une et qu’une seule
analyse en intention de traiter pour un essai contrôlé
donné et cette définition n’est en aucun cas subjective. La
première conséquence issue de cette définition est le
respect du tirage au sort. La randomisation dans un essai
comparatif est le seul moyen d’assurer, en moyenne, la
comparabilité des groupes à l’inclusion et par conséquent
d’attribuer uniquement au traitement la différence observée en fin d’essai [1]. Pourquoi randomiser tous les
patients et ainsi créer des groupes équitables en termes de
risque si ensuite on supprime certains patients ?
Le premier biais potentiel engendré par l’exclusion de
sujets comme dans l’analyse per protocole est l’éventuelle
destruction de cette comparabilité initiale des groupes de
traitement. Afin d’éviter ce biais, on conserve tous les
patients dans l’analyse : c’est la justification première de
l’analyse en intention de traiter.
Exclusion des écarts au protocole
et biais d’attrition
Dans la pratique courante, malgré certaines précautions, il est fréquent d’observer au cours de l’essai des
patients présentant une ou plusieurs déviation(s) de protocole. L’exclusion des patients qui, à un moment donné de
l’essai, n’ont pas été traités ou suivis en conformité avec le
protocole, est très souvent basée sur des informations
obtenues après la randomisation, voire même après l’initiation du traitement. Mais, dans ce cas particulièrement,
est-on sûr que ces informations sont indépendantes du
traitement reçu ? On peut par exemple envisager que les
arrêts prématurés de traitement soit dus à une mauvaise
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Méthodologie
tolérance au nouveau traitement et donc plus importants
dans le groupe testé [2]. À l’inverse, ces mêmes arrêts de
traitement peuvent par exemple être plus fréquents dans le
groupe contrôle et principalement dus à un manque d’efficacité. Une illustration du biais entraîné par la suppression
des patients qui arrêtent prématurément leur traitement est
présentée dans l’exemple 1.
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Exemple 1
Un nouvel antidépresseur est comparé à un traitement
de référence chez 2 000 patients équitablement répartis.
Le critère de jugement utilisé pour l’analyse est le taux de
patients ne répondant pas au traitement donc en échec
thérapeutique. Il se trouve en réalité que ces deux traitements ont la même efficacité mais que le nouveau traitement entraîne plus d’événements indésirables tels que des
nausées. Comme on arrête plus facilement un traitement
lorsqu’on ne ressent pas d’effet positif, les arrêts de traitement sont deux fois plus fréquents chez les patients en
échec thérapeutique. L’essai est résumé au tableau 1.
En analysant les données de cet essai selon le principe
de l’intention de traiter, il s’avère que le nouveau traitement n’est pas différent du traitement standard. Par contre,
en retirant de l’analyse les patients ayant arrêté prématurément leur traitement, c’est-à-dire en réalisant une analyse per protocole, le nouveau traitement montre une
meilleure efficacité que le traitement standard. On perçoit
ici toute l’importance du choix de la population d’analyse
dans la validation d’une nouvelle thérapeutique.
L’exemple 2 montre comment l’exclusion des patients
ne recevant pas le traitement auquel ils ont été alloués
peut biaiser les résultats de l’analyse [3].
Exemple 2
Supposons que dans un essai clinique, 200 patients
sont randomisés entre deux groupes :
• 100 patients alloués traitement A : traitement per os
+ chirurgie 1 mois après inclusion ;
• 100 patients alloués traitement B : traitement per os
uniquement.
Il s’agit d’un essai en ouvert, comparant deux stratégies
thérapeutiques. Supposons enfin que la chirurgie
n’apporte rien de plus que le traitement oral sur le critère
principal d’efficacité, à savoir la mortalité totale. Les résultats de cet essai sont résumés (figure 2).
Selon le principe de l’intention de traiter, tous les
patients sont inclus dans l’analyse. Dans ce cas, le traitement A n’est pas différent du traitement B. Par contre, en
retirant de l’analyse les patients qui n’ont pas reçu le
traitement de l’étude, on conclut que la chirurgie diminue
le risque de mortalité de près de 50 %. L’exclusion des
patients décédés avant la chirurgie introduit un biais dans
les résultats, dans le sens où les patients les plus à risque
du groupe A sont exclus. De plus, dans cet exemple où les
traitements A ou B sont donnés en ouvert, on pourrait
imaginer que les sorties d’étude soient plus fréquentes
dans un des deux bras selon la conviction du médecin
investigateur en faveur de l’une ou l’autre des thérapeutiques testées. L’intention de traitement permet donc aussi
de garantir l’absence d’influence des attitudes volontaires
ou involontaires qui pourraient favoriser un traitement.
Ces deux exemples illustrent le principe selon lequel
l’analyse en intention de traiter donne un résultat non
biaisé de l’effet du traitement. Les violations de protocole
qui surviennent après randomisation peuvent avoir un
Tableau 1. Description de l’essai illustrant l’exemple 1
ITT
Patients randomisés
Hypothèse : même efficacité
Taux d’échec thérapeutique
Soit effectif Répondeurs
Non-répondeurs (a)
Hypothèse : nouveau produit moins bien toléré
Taux d’arrêt prématurés
Hypothèse : arrêt prématuré 2 fois plus fréquent chez non-répondeurs
Taux d’arrêt prématurés chez les non-répondeurs
Soit : nombre patients avec arrêt prématuré
Parmi les répondeurs (b)
Parmi les non-répondeurs (c)
Soit : nombre de patients sans arrêt prématuré du traitement (1000-bc)
Effectif analysé (d)
Résultat donné par l’analyse (a/d)
Soit : Risque relatif
Per protocole
Traitement standard
Nouveau
traitement
1 000
Traitement
standard
1 000
Nouveau
traitement
1 000
10 %
900
100
10 %
900
100
10 %
900
100
10 %
900
100
13 %
2%
13 %
2%
26 %
4%
26 %
4%
117
26
857
18
4
978
117
26
857
18
4
978
1 000
10 %
1 000
10 %
857
8,6 %
978
9,8 %
1,0
Le risque relatif est calculé par le rapport de l’incidence d’événements du nouveau traitement par rapport au traitement standard.
300
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1 000
0,88
10 DC
10 DC
Trait
A
ITT
Per Prot.
20/100 = 0,2
10/90 = 0,11
RR = 0,55
RR = 1
20/100 = 0,2
20/100 = 0,2
Chirurgie
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Randomisation
Trait
B
10 DC
T0
10 DC
1 mois
1 an
Figure 2. Description de l’essai illustrant l’exemple 2.
impact sur les données et les conclusions, particulièrement si leur occurrence est liée à l’efficacité et à la
tolérance du traitement assigné. Dans la plupart des cas, il
est donc approprié d’inclure les données de tels sujets
dans l’analyse. Lorsque l’effectif de l’essai analysé est
réduit par rapport à l’effectif randomisé, on parle d’attrition de la cohorte. En cas d’exclusion de patients durant
l’essai, on génère un risque de conclure à tort à une
différence entre les traitements comparés, car l’exclusion
de patients peut introduire un biais en faveur d’un des
groupes : c’est le biais d’attrition. L’analyse en intention de
traiter évite donc d’entacher les résultats d’un biais d’attrition.
L’exemple 2 permet également d’illustrer le fait que si
une forte proportion de patients du groupe A reçoit le
traitement du groupe B, l’intention de traiter conduit à
comparer deux groupes qui sont identiques. En effet, si un
nombre important de patients n’est pas opéré, on se rapproche du groupe « pas de chirurgie ». De même,
lorsqu’une majorité de patients du groupe « nouveau traitement » arrêtent prématurément celui-ci, la mise en évidence de l’effet traitement n’est pas optimale.
L’analyse en intention de traiter, par manque de puissance du fait des bruits accumulés dans les deux groupes
de traitement, bruits correspondant au non-respect strict
du protocole, ne permettra pas aisément la mise en évi-
dence d’un réel effet du traitement. Mais c’est la seule
analyse qui fournit des résultats non biaisés. Pour éviter
une telle situation, les violations de protocole doivent
rester des situations marginales. Le protocole doit être
respecté au plus près sans pour autant nuire à l’intérêt du
patient.
Analyse en intention de traiter
et représentativité de la réalité
Une autre justification de l’analyse en intention de
traiter est qu’elle permet d’analyser l’essai conformément
à ce qui se passe dans la pratique médicale courante [4]. Si
l’on reste sur l’exemple 1, la mauvaise tolérance au nouveau traitement peut limiter l’intérêt de celui-ci et il est
impératif que les patients qui arrêtent prématurément leur
traitement soient pris en compte dans l’analyse. Cela est
particulièrement vrai par exemple en cancérologie où les
chimiothérapies sont très souvent mal supportées par les
patients. Est-il intéressant de traiter 100 patients si le
traitement n’est efficace que chez les 10 patients qui le
tolèrent ?
Une autre présentation de l’importance de la représentativité de la réalité est montré dans l’exemple 3.
Exemple 3
Pour être efficace, l’administration de fibrinolytiques à
la phase aiguë de l’infarctus du myocarde (IDM) doit être
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Méthodologie
effectuée le plus précocement possible. Une reperfusion
trop tardive, survenant au-delà du stade d’ischémie réversible, ne permet pas de limiter la taille de la nécrose et ne
peut donc pas avoir un effet sur la mortalité. Ainsi, ce
traitement doit donc être administré au stade de suspicion,
avant que le diagnostic n’ait pu être confirmé par une
élévation enzymatique. Ces patients pourraient donc être
inclus dans un essai concernant des patients en phase
aiguë d’IDM puis considérés comme inclus à tort car ne
présentant pas la pathologie étudiée.
Or, parmi les tableaux cliniques pouvant se présenter
comme une suspicion d’infarctus, figurent les péricardites
et les dissections aortiques, pathologies à hauts risques de
complications graves après administration de fibrinolytiques. Pourtant, en pratique courante, ces patients seront
effectivement traités. Il est donc indispensable de vérifier
que les effets délétères observés sur ces patients « traités à
tort » sont contrebalancés par l’effet bénéfique du même
traitement chez des patients avec confirmation d’IDM.
Cet exemple illustre le fait que l’on ne cherche pas à
mettre en évidence l’effet théorique d’un nouveau traitement dans des conditions idéales d’utilisation (diagnostic
confirmé, pas d’oubli de prise, pas de surdosage...). L’analyse en intention de traiter produit une estimation la plus
proche de la réalité. L’analyse per protocole, en supprimant ces patients inclus à tort, ne permet pas cette estimation.
Comment sont gérés les perdus
de vue dans les différentes
populations d’analyse ?
Une des implications de l’analyse en intention de
traiter est que tous les patients inclus dans un essai doivent
être suivis jusqu’à la fin de l’étude ou jusqu’à leur décès,
indépendamment du fait qu’ils poursuivent ou non le
traitement de l’étude. L’analyse étant réalisée sur toute la
population randomisée, la récupération d’un maximum
de données pour chaque patient est importante. La moin-
dre donnée manquante sur un critère d’évaluation biaise
autant l’analyse que la suppression des patients présentant
une violation au protocole. En effet, en présence de données manquantes, on s’éloigne de l’analyse en intention
de traiter. Aussi, il existe souvent une confusion entre
population d’analyse et patients perdus de vue, probablement parce que l’intention de traiter permet de limiter le
biais d’attrition alors que la présence de perdus de vue
l’introduit. On imagine qu’en excluant les perdus de vue,
on évite aussi le biais ! Mais exclure les patients présentant
des valeurs manquantes notamment sur le critère principal
ne réduira pas le biais d’attrition : les perdus de vue
existant, un biais potentiel d’attrition existe aussi. La solution, c’est une lapalissade : éviter d’avoir des données
manquantes.
En réalité, le choix de la population d’analyse ne règle
en aucun cas le problème des données manquantes.
Aussi, il faut être particulièrement prudent lorsque l’on
décide d’exclure de l’analyse per protocole les patients
avec des données manquantes sur le critère principal.
L’exemple 4 peut illustrer ce phénomène.
Exemple 4
200 patients sont inclus dans un essai randomisé en
double aveugle. Le critère principal est défini par le taux
de thromboses veineuses profondes (TVP) phlébographiques 10 jours après randomisation. L’étude s’intéresse
aussi aux événements thromboemboliques après 3 mois
de traitement pour la prévention des thromboses postopératoires. Sur les 200 patients randomisés, 40 n’ont pas
eu de phlébographie à J10 (20 patients par groupe), ce qui
entraîne une évaluation manquante du critère principal.
En fait, dans le groupe A, les patients n’ont pas eu la
phlébographie car leur état général critique ne permettait
pas éthiquement parlant de réaliser l’examen. La preuve,
tous ont présenté par la suite une embolie pulmonaire (EP)
au cours du suivi. L’illustration est donnée au tableau 2.
L’analyse per protocole consiste à exclure les patients
dont le suivi diagnostique n’est pas conforme au proto-
Tableau 2. Description de l’essai illustrant l’exemple 4
ITT
Patients randomisés
Hypothèse : 20 % de phlébographies manquantes
Soit : Nombre de patients évaluables
Nombre de phlébographies positives à J10 (TVP)
Patients avec EP à 3 mois
Effectif analysé
Total événements thromboemboliques
Soit :
Conclusion
302
Per protocole (exclusion des manquants
sur le critère principal)
Nouveau
traitement
Traitement
standard
Nouveau
traitement
Traitement standard
100
100
100
100
80
80
10
20
20
0
100
100
30
20
30 %
20 %
Traitement standard meilleur
mt, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007
80
80
10
20
0
0
80
80
10
20
12,5 %
25 %
Nouveau traitement meilleur
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cole, c’est-à-dire les patients n’ayant pas eu de phlébographie. Par là-même, on exclut les patients les plus à risque
dans un des groupes : on déséquilibre la randomisation et
on crée artificiellement des résultats favorables à l’autre
groupe de traitement. Le fait d’analyser l’essai en intention
de traiter ne change rien au résultat du critère principal
mais peut modifier l’évaluation d’un autre critère. Si les
patients non évaluables à J10 n’avaient pas été suivis, on
retrouvait pour l’intention de traiter les résultats de l’analyse per protocole à 3 mois de suivi.
Au total, il existe différentes méthodes de prise en
compte des données manquantes, par exemple :
• en considérant les patients comme manquants ou
non, critère par critère (ce qui ne veut pas dire exclure le
patient de l’analyse, mais l’exclure uniquement du critère
pour lequel il est manquant) ;
• en comptant les patients à « non à l’événement » en
l’absence de donnée prouvant le contraire (ils font alors
partie du dénominateur et diminuent le taux d’événement) ;
• en réalisant une analyse au pire (par exemple « oui à
l’événement »), c’est-à-dire en défavorisant systématiquement l’hypothèse que l’on cherche à démontrer (ces
patients sont alors comptés dans le numérateur et augmentent le taux d’événement).
La gestion des données manquantes ferait l’objet d’un
chapitre à lui seul. Retenons simplement que ce problème
de données manquantes existe quelle que soit la population d’analyse retenue.
Même si l’analyse est dite en intention de traiter, un
nombre important de perdus de vue peut entraîner un
biais identique à l’analyse per protocole.
Une pseudo-intention
de traiter tolérée
Selon les dernières normes ICH [5], on peut considérer
que l’analyse en intention de traiter soit définie par tout
patient randomisé ayant reçu au moins une administration
du traitement étudié. Le principe de l’intention de traiter
serait alors préservé en dépit des patients supprimés, si la
décision de commencer ou non le traitement ne peut pas
être influencée par la nature du traitement effectivement
assigné au patient par randomisation.
montrer le produit testé comme équivalent au produit de
référence).
Dans les essais de supériorité, l’intention de traiter est
utilisée comme analyse principale (sauf circonstances
exceptionnelles) parce qu’elle a tendance à éviter une
surestimation de l’effet du traitement (visible dans l’analyse per protocole). En effet, les patients ayant mal suivis le
traitement (dits non observants), inclus dans l’ITT, diminuent généralement l’effet du traitement évalué en rapprochant les deux groupes de traitement.
Dans un essai d’équivalence ou un essai de noninfériorité, le rapprochement de ces deux groupes peut
conduire à tort à une conclusion d’équivalence. L’ITT
n’est donc alors pas l’analyse la plus conservatrice et on
doit considérer son rôle avec attention, et toujours
l’accompagner de l’analyse per protocole.
Conclusion
La conservation de la randomisation initiale dans
l’analyse est importante pour prévenir les biais. Dans
beaucoup d’expérimentations cliniques, l’utilisation de la
population totale dans l’analyse fournit une stratégie
conservatrice mais cela peut aussi fournir une estimation
de l’effet traitement qui est le miroir de celle observée dans
la pratique courante. C’est pour ces raisons que l’analyse
en intention de traiter reste la seule approche qui permet
de fournir des résultats non biaisés et représentatifs.
Il est souvent approprié de conduire une analyse selon
l’ITT et de la compléter par une analyse per protocole,
pour que les différences entre ces deux approches puissent
être un sujet de discussion et d’interprétation. Quand l’ITT
et la per protocole donnent essentiellement les mêmes
conclusions, la confiance dans les résultats de l’essai est
augmentée. Par contre, le besoin d’exclure une proportion
substantielle de sujets de l’analyse jette des doutes sur la
validité de l’essai.
Références
1. Mismetti M, Laporte S. Méthodologie des essais cliniques : pourquoi et pour qui ? Les notions essentielles à une lecture critique.
Médecine thérapeutique 2003 ; 9(3) : 68-72.
2. Cucherat M. Lecture critique et interprétation des résultats des
essais cliniques pour la pratique médicale. Paris : MédecineSciences Flammarion, 2004.
3. Montori VM, Guyatt GH. Intention-to-treat principle. CMAJ
2001 ; 165(10) : 1339-41.
Problème posé
par les études d’équivalence
L’ITT et la per protocole jouent des rôles différents dans
les essais de supériorité (qui cherchent à montrer le produit testé comme supérieur) et dans les essais d’équivalence ou dans les essais de non-infériorité (qui cherchent à
4. Laporte S, Cucherat M. The intention to treat. Rev Prat 2001 ;
51(20) : 2177-9.
5. Ich harmonized tripartite guideline international conference on
harmonization of technical requirements for refistration of pharmaceuticals for human use. Efficacy quidelines E9 : Statistical Principles
for Clinical Trials.
mt, vol. 13, n° 4, juillet-août 2007
303
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