Constitution et évolutions de la sociologie des arts et de la culture en France Présentation et programme de l’atelier des études culturelles, février-avril 2016 La sociologie de l’art et de la culture s’est constituée en France à partir des années 1960, dans un contexte d’institutionnalisation de la sociologie comme discipline de recherche et d’enseignement universitaire, à partir de quelques grandes enquêtes empiriques pionnières portant sur la production et la consommation des produits culturels. C’est par une articulation forte des échelles individuelle et collective qu’elle s’oppose d’emblée aux approches traditionnelles de l’histoire de l’art, envisagée, dans la lignée du romantisme, comme succession de génies singuliers et « incréés », détachés de toute pesanteur sociale. Cette fondation scientifique s’est également nourrie de l’importation et de la traduction des œuvres d’historiens de l’art étrangers, tels qu’Erwin Panofsky ou Michael Baxandall, puis de sociologues américains comme Howard Becker. Des clivages théoriques et méthodologiques sont progressivement apparus, permettant de distinguer une approche par le champ (Pierre Bourdieu), une approche par le marché (Raymonde Moulin), une approche par le monde (inspirée par Howard Becker), trois paradigmes qui polarisent encore actuellement une grande partie des débats dans ce domaine en France. Mais au-delà de ces clivages, ces approches permettent toutes de penser les conditions sociales de la production, de la circulation et de la réception artistiques : elles ont en partage une même exigence d’historicisation de leurs objets, un même élargissement de la focale audelà des stricts contours de l’œuvre d’art et de son auteur attitré, ayant pour corollaire une attention vive portée aux intermédiaires de la production artistique, la plupart du temps rendus invisibles, qu’ils soient éditeurs, artisans, critiques, marchands, mécènes, etc. De même que l’art a été un sujet de prédilection pour des réflexions sociologiques générales, donnant naissance à certains concepts décisifs (comme l’habitus chez Pierre Bourdieu), les approches sociologiques des arts et de la culture ont aussi profondément renouvelé le regard porté sur certains artistes et sur certaines formes artistiques, et sur les hiérarchies sociales qui permettent de les qualifier de « nobles » ou de « populaires », rejoignant par là l’une des préoccupations majeures des cultural studies qui se sont développés parallèlement en GrandeBretagne. Des processus de distinction sociale et d’exclusion contribuent par exemple à expliquer le fonctionnement d’une économie des biens symboliques : des déficits de légitimité touchent des artistes naïfs, autodidactes, ou les arts dits primitifs, qui ont longtemps relevé d’approches plus ethnologiques qu’esthétiques. Cette question des « autres de l’art », selon l’expression de l’anthropologue Daniel Fabre, est très fortement débattue depuis plusieurs décennies. À la faveur de l’accès à l’indépendance des pays anciennement colonisés et du développement de revendications culturelles portées par de nombreuses minorités, de multiples critiques de l’hégémonisme occidental en matière de reconnaissance artistique ont en effet vu le jour. Celles-ci concernent tout autant les modalités d’appropriation de l’art dit « primitif », qu’elles soient matérielles (cadre colonial des collectes, inégalités des rapports d’échange) ou intellectuelles (représentations essentialistes de l’exotisme et de l’authenticité), que la position spécifique des artistes contemporains issus des périphéries géographiques ou culturelles. Les créations artistiques des « autres » peuvent-elles servir des postures de « résistance » face aux mécanismes de marginalisation socioculturelle et aux effets du légitimisme en matière de reconnaissance artistique ? Au contraire, peuvent-elles être vues comme devant se fonder, notamment par le biais de l’entrée sur un marché globalisé, dans des conceptions réifiées des appartenances culturelles ? Les artistes ne sont-ils légitimés que sous condition d’altérisation ? Dans quelle mesure les approches sociologiques et anthropologiques éclairent-elles cet art non-occidental et les rapports sociaux qui le structurent ? Pour explorer ces questions, l’atelier des études culturelles - ou séminaire de recherche du master d'études culturelles de l’Université Paul Valéry – Montpellier III - est consacré cette année à la constitution et aux évolutions de la sociologie des arts et de la culture en France. La quatrième et dernière séance de l’atelier sera mutualisée avec une séance de l’école doctorale, autour d’une présentation de Laurent Jeanpierre, Professeur des universités en sciences politique à l’Université Paris 8, intitulée « L’intermédiation : un objet-carrefour pour les études culturelles ». Chercheur au Labtop (Laboratoire Théories du Politique), dans l’Équipe du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA), Laurent Jeanpierre a lui même mené des recherches sur l’évolution de la sociologie des arts et de la culture et sur des objets propres à la sociologie des arts et de la culture, notamment à la tête du programme ANR Impact, consacré aux intermédiaires de la production artistique, programme qu’il a coordonné de 2009 à 2013. Sa présentation filera la métaphore du carrefour (carrefour entre la production et la réception ou la demande ; entre les différents paradigmes de sociologie de la culture ; entre une approche par les professions et une approche par le travail artistique) pour explorer l’objet de l’intermédiation culturelle, à la croisée de la sociologie et des études culturelles. Séance 1: mercredi 17 février, 17h30-19h30, salle C020 De l’histoire de l’art à la sociologie des arts et de la culture en France: genèse, transferts et état des lieux Séance animée par Eric Villagordo et Claire Ducournau Séance 2: mercredi 16 mars, 17h30-19h30, salle B308 Du génie au travail collaboratif dans les univers artistiques Séance animée par Claire Ducournau et Eric Villagordo Séance 3: mercredi 6 avril, 17h30-19h30, salle C020 La sociologie et l’anthropologie de l'art face à l'altérité : esthétique, authenticité, marché, création Séance animée par Arnauld Chandivert et Eric Villagordo Séance 4: mardi 12 avril, 17h30-19h30, salle des colloques 1 Présentation de Laurent Jeanpierre, Professeur des universités en science politique à l’Université Paris 8, sur le thème « L’intermédiation : un objet-carrefour pour les études culturelles », suivie d’une discussion et d’un débat avec la salle. Séance présentée et modérée par Claire Ducournau et Eric Villagordo.