Le développement intégral de l`homme

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4. Le développement intégral de l’homme
Gérard THORIS
Août 2009
La publication de Popularum progressio par Paul VI accompagne l’entrée dans la modernité
de nombreux pays anciennement colonisés ou tenus jusque là à l’écart du progrès
économique rapide permis par les technologies modernes. Lorsqu’on interroge les
économistes des institutions internationales sur ce qu’est le développement, ils répondent
qu’il « consiste en un relèvement durable du niveau de vie »1. On voit bien, même si la
citation est ici tronquée, qu’il s’agit des résultats de la croissance plutôt que d’un processus
de développement. François Perroux avait, une génération plus tôt, proposé une définition
qui, au moins implicitement, mettait l’homme au cœur du dispositif : « Le développement est
l’ensemble des changements dans les structures mentales et les habitudes sociales d’une
population qui la mettent en état d’augmenter de façon durable un produit réel global »2.
Benoît XVI reprend cette idée que les freins au développement peuvent provenir d’autre
chose que d’un manque de ressources matérielles, financières ou humaines. Il note en effet
que « dans certains pays pauvres, subsistent des modèles culturels et des normes sociales
de comportement qui ralentissent le processus de développement » (§ 22). L’encyclique ne
comporte pas d’exemple mais, dans le passé, on notait volontiers le déclin qui avait saisi
l’Islam à la charnière du XIV° siècle dans la mesure même où l’Occident acceptait
l’autonomie du temporel, l’existence d’une société civile, la discussion critique etc.
On peut s’étonner que, parmi les facteurs de développement, l’encyclique n’insiste pas plus
directement sur le rôle de l’éducation. Il s’agit en effet d’un élément essentiel de la justice
sociale théorisé plutôt récemment par le prix Nobel d’économie Amartya Sen à travers le
concept de capabilité. Très largement, elle peut être définie comme un « ensemble de
vecteurs de fonctionnements, qui reflètent la liberté dont dispose actuellement la personne
1
2
Banque mondiale (1991), Le défi du développement. Rapport sur le développement dans le monde, Paris, p. 38
François Perroux (1961), L'économie du XX° siècle, Paris, PUF
pour mener un type de vie ou un autre »3. Plus concrètement, la capabilité mesure la
capacité d’un individu à vivre une vie choisie dans un environnement économique et social
donné. Au-delà de l’instruction, cela passe évidemment par une éducation à la liberté avec
une perspective fine de l’état de la société comme des buts que l’on peut donner à sa propre
vie. La justice sociale est ici impliquée dans la mesure où l’accès à la capabilité dépend pour
une part importante de la qualité du système éducatif qui passe principalement par
l’intervention de l’Etat.
Comme le jeune homme riche de l’évangile, les responsables des grandes organisations
internationales, certains responsables de firmes multinationales peuvent dire : « tout cela je
l’ai déjà fait ». Mais il est assez
notoire qu’ils ne demandent pas « que manque-t-il
encore ? » (Mt, 19, 20). Ils entendraient une série de pistes de réflexion et de propositions
qui les feraient s’en aller « contristés » sinon aujourd’hui révoltés.
Ils entendraient d’abord que toutes les religions ne se valent pas, sinon en elles-mêmes, du
moins dans la conception de l’homme qu’elles véhiculent ou les structures sociales qu’elles
cautionnent. « Dans le même temps, subsistent parfois des héritages culturels et religieux
qui figent la société en castes sociales immuables, dans des croyances magiques qui ne
respectent pas la dignité de la personne, dans des attitudes de sujétion à des forces
occultes. Dans de tels contextes, l’amour et la vérité peuvent difficilement s’affirmer, non
sans préjudice pour le développement authentique » (§ 55).
Ils entendraient ensuite que l’instruction et la formation professionnelle ne suffisent pas, ce
que d’ailleurs la notion de capabilité reconnaît. Mais ils comprendraient aussi que la
capabilité est vide de sens, qu’elle est purement formelle et qu’elle reste muette sur le bien
de l’homme. Benoît XVI pointe cette difficulté lorsqu’il écrit : « pour éduquer il faut savoir qui
est la personne humaine, en connaître la nature » (§ 61). Et aussitôt, il s’inquiète du
relativisme ambiant en notant avec finesse qu’il est bien plus difficile de fonder la civilisation
de la mondialisation lorsque ne s’appuie pas sur le socle commun d’une unique conception
3
(1992), Inequality Reexamined, Oxford, Clarendon Press, p. 40
de la nature humaine (cf. § 9). Il est clair que, sans prise en compte de ce problème, la
civilisation des marchands, qui laisse les valeurs au for intérieur, a encore de beaux jours
devant elle.
Ils entendraient encore que la croissance n’est pas un but en soi, qu’elle n’est qu’un moyen
au service d’autres buts. Mais, entre la Banque mondiale qui estime que « le développement
a pour but ultime de permettre aux habitants (…) de jouir de droits économiques, politiques
et civiques plus étendus » et Benoît XVI qui rappelle que « sans la perspective de la vie
éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle », réduit « à la seule
croissance de l’avoir » (§ 11), il y a écart considérable.
Ils entendraient enfin que l’œuvre du développement est une œuvre relationnelle, entre les
hommes certes, mais aussi entre Dieu et les hommes. Ainsi, « l’homme ne se développe pas
seulement par ses propres forces, et le développement ne peut pas lui être simplement
offert. » (§ 11). Dans la seconde partie de la formule, on retrouve bien l’idée que le
développement est fondé sur « la liberté responsable des personnes et des peuples » (§ 17).
Mais la première partie est plus incisive car elle indique que le développement est une
vocation personnelle et qu’elle est réponse à un appel de Dieu.
Tout cela est résumé dans la formule du « développement intégral de l’homme ». C’est
tellement important que c’est le premier mot de l’encyclique : « L’amour de la vérité (…) est
la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité
tout entière ». (§ 1)
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