L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? Avant 1989, nos sociétés occidentales étaient confortablement adossées au Mur de Berlin. Dans ce monde bipolaire, la supériorité de l'occident s'affirmait par sa vitalité, ses libertés, ses progrès techniques et scientifiques, ses niveaux de vie, .... En novembre 1989, la chute du Mur de Berlin, la fin du rideau de fer, ont marqué son triomphe. Seul le capitalisme pouvait satisfaire les besoins de l'humanité. Son vieil ennemi communiste s’était rendu à cette évidence. Vingt cinq ans plus tard, ce triomphe a un goût amer. Sans concurrence, la doctrine dominante, le néo-libéralisme, a tout osé, tout fracassé, .... La planète voit son climat détérioré, ses ressources naturelles pillées, ses espaces dévitalisés, .... Une poignée de milliardaires, sans scrupule, accumulent, spéculent, spolient, ... leurs paradis fiscaux appauvrissent les états, .... Des peuples souffrent. Avant de vous présenter le plan de cette note, je voudrai prendre quelques précautions. Parler d'économie aujourd'hui, c'est participer à une cacophonie peu compréhensible. Nous faisons appel en permanence à l'économie pour résoudre nos problèmes. Paradoxalement, je crains qu'elle en soit l'une des causes principales. En aucun cas, je ne détiens la vérité. De plus, accumuler des connaissances en ces matières n'apporte pas grand chose. Non, l'essentiel est de nous réapproprier une pensée, individuelle et collective. Est-il possible de décrire ce réel ? D'analyser les vraies causes de nos troubles ? De mettre à jour nos contradictions ? De trouver quelques remèdes à nos maux ? Par mes propres moyens, peu d'espoir de répondre à un tel défi. Avec l'aide de quelques auteurs, plus particulièrement Jean-Pierre Lebrun, Alain Caillé, Elena Lasida, Joseph Stiglitz, ... je vais tenter de cerner et de comprendre cette réalité . Et autant vous donner tout de suite ma conclusion : nous n'avons pas de problème économique mais nous avons des problèmes éminemment sociaux et politiques. L'enjeu majeur de notre époque est un combat culturel. Je vous propose d'aborder 3 questions : I- La France court-elle un risque majeur ? II - Que penser de l'idéologie dominante, à savoir le néo-libéralisme ? III – Peut-on penser autrement l'économie ? I – La France court-elle un risque majeur ? De façon sourde, nous ressentons des malaises, des menaces, des périls pour notre pays. Quels sont-il ? J'en perçois deux majeurs : une économie française menacée par sa dette et une mutation de société qui bouleverse nos repères. a- Un Etat français très endetté : Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 1/8 2013 Etat Securité sociale Collectivités locales Total % P.I.B. ( 2147 Mds€) 2147 Budget 331 553 252 1135 53% Déficit -69 -14 -9 -87 -4,1% Dette 1556 212 182 1949 91% Intérêts 47 2,2% en milliards d'€uros Quelques observations préalables sur ces données : - Ces chiffres sont difficiles à rassembler en valeur absolue. Les articles de presse nous parlent en variation annuelle et en point de PIB. C'est incompréhensible ! Sur le tableau cidessus, ne retenons que les ordres de grandeurs. - La dette, « c'est comme le cholestérol », il y a de bonnes dettes et de mauvaises dettes. La bonne correspond à des investissements structurants qui améliorent la compétitivité et/ou la qualité de vie de notre pays. La mauvaise dette finance notre laxisme. En France nous sommes plus cigales que fourmis et la génération 68 a beaucoup fauté en cette matière. - Dans le concert européen, il faut remarquer l'effort français en matière de défense et l'irresponsabilité majeure de nos partenaires (à l'exception de l'Angleterre et de la Pologne). En comparaison avec l'Allemagne, la France fait un effort de 2 points de PIB en plus. Notre pays a conservé un certain niveau d'investissement public contrairement à nos partenaires. Au bout du compte, nous marchons au bord du précipice : - En 2015, nous allons emprunter sur les marchés financiers 187 Mds € (soit le déficit prévisionnel de 2015, plus des échéances de prêts antérieurs). Nous empruntons actuellement à des taux entre -1 et 1 %. Nous sommes très dépendants de nos créanciers (à 65% étrangers) Si une crise financière quelconque fait monter les taux d'intérêts, nous serons très vulnérables : pour 2015, 1% d'intérêts en plus c'est un coût de 1,8 Mds € en année pleine ; si nous arrivions à des taux de 5,6,7% (comme la Grèce) nous verrions nos déficits grossir, entre 7 et 15 Mds € ! - De plus cette hausse des taux d'intérêts renchérirait les crédits à l'économie et affaiblirait l'activité. - La baisse du prix du pétrole brut et la baisse de l'€uro vis à vis du dollar dopent nos exportations et freinent nos importations ces derniers mois. Là encore, nous ne maîtrisons rien en cette matière ; un retournement peut advenir à tout moment et désarçonner notre économie. Comment diminuer ces risques ? - Diminuer de 100 Mds€ (et pas seulement de 50) les dépenses publiques pour résorber les déficits : état, Sécurité sociale, collectivités locales, caisses de retraite, entreprises publiques, .... Une part de ce travail dépend de la coopération internationale pour abolir la fraude fiscale et le dumping social ( chimère ou espoir réaliste ? ) - Renforcer notre compétitivité en supprimant toutes les rentes dans notre pays, en cassant le poids de la technostructure et des statuts publics, en favorisant un syndicalisme à l'allemande, en régionalisant la formation professionnelle, en décentralisant davantage, en divisant par 4 le nombre des communes, .... Ce que tout le monde sait devoir faire depuis 15 ans ! Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 2/8 - Ces réformes sont indispensables pour retrouver une croissance et résorber le chômage. Et, impérativement, il nous faut coupler cela avec la transition énergétique. Rien n'est simple ! Hélas, notre peuple ne sait pas anticiper. Seule une situation extraordinaire permettra un effort extraordinaire ..... Sans oublier un risque de populisme qui rendrait la situation encore plus inextricable, ....... risque élevé du fait de la mutation de notre société. b- La société française en mutation : En adoptant la grille de lecture d'Alvin Toffler, nous constatons que l’ère de la cueillette a été submergée par l'ère agricole, à partir du néolithique. Puis l’ère agricole a été submergée par l’ère industrielle à partir de 1750. Celle-ci voit triompher la puissance technique de l'occident. Mais depuis les années 1970-1980, nous sentons bien que cette ère agonise. Une nouvelle ère, celle de l'intelligence, est en train d'éclore. Notre pays a assez bien réussi dans l'ère industrielle. Mais il a du mal à monter dans le train de la nouvelle ère. Nous avons évoqué il y a quelques instants, des boulets qui alourdissent notre société. Nous n'avons plus de projet collectif et nous avons du mal à intégrer les nouvelles valeurs d'alliance avec la nature, de "CO", de créativité, de flexibilité, de compromis, de complexité, .... Le cléricalisme, l'intellectualisme, le corporatisme d'état, le cartésianisme, le centralisme, ... sont des singularités françaises et ... sont des freins à notre adaptation. Les nostalgiques des rois et des prélats restent convaincus que l'intelligence de quelques-uns est supérieure à celle de la masse. Les rationalistes y voient une injure à la raison. Les intellectuels à la française pleurent la non prise en compte de leur génie. Le patriarcat entretient des relations dominé/dominant, asymétriques, peu favorables à la vie sociale. Le centralisme, le corporatisme d'état, le pouvoir de la technostructure rigidifient notre vie sociale et freinent l'émergence de l'ère de l'intelligence. Nos rigidités nous ont protégé de trop fortes conséquences des crises depuis 30 ans, mais au prix de déficits abyssaux ; ces rigidités nous freinent pour rebondir et aborder l’ère nouvelle. En nous comparant à d'autres sociétés, nous prenons conscience de ces singularités. Les protestants ont rejeté le dogmatisme romain ; ils ont lutté contre le cléricalisme. Ils vivent dans des structures légères, horizontales, décentralisées. Ils n'ont pas de mépris pour l'argent et la richesse. Les anglo-saxons ont moins développé que nous le rationalisme. Ils laissent plus de place à la créativité, à l'innovation, à l'originalité. Moins de raison raisonnante laisse plus de place à la relation, à la rencontre, à l’inattendu, à l'incertain, à la nouveauté. Leurs intellectuels ont beaucoup moins d'influence directe sur la société que chez nous. Avec succès, les scandinaves ont forcé l'allure vers une parité homme/femme. Leur système éducatif est plus égalitaire que le notre, englué dans l'élitisme. Chez eux, la relation aux autres est déterminante ; elle précède les apprentissages. Si le monde nouveau en train d'éclore, se définit par l'horizontalité, l'empathie, l'innovation, les réseaux, le partage, l'alliance avec la nature, l'interdépendance, .... alors notre société française est décalée. En nous arque-boutant sur nos acquis, nos statuts, notre cartésianisme, notre histoire passée et notre complexe de supériorité, nous marchons à reculons. Voilà pourquoi les nouvelles démarches d'intelligence collective s'opposent à notre Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 3/8 logiciel culturel et institutionnel et simultanément constituent une solution pour les submerger. Ainsi, économiquement, notre pays est en péril et socialement, il est en dés-errance. Pour bien comprendre les tensions actuelles dans notre société française, il faut les mettre en perspective avec l'idéologie dominant la planète. Car il y a là un conflit frontal. II - Que penser de l'idéologie dominante, à savoir le néo-libéralisme ? Faisons un peu d'histoire. Les guerres civiles, les guerres de religion ont épuisé l'Europe au XVII et XVIIIème siècles. Les anciens régimes n'ont pas réussi à établir une société stable ; d'autres voies ont alors émergé. Les premiers libéraux ébranlent un patriarcat qui domine nos sociétés depuis le néolithique et ils combattent l'autocratisme régnant. Le bon vouloir de chacun ne peut s'exercer que si le pouvoir collectif se neutralise. Les combats héroïques de la droite et de la gauche vont tendre dans le même sens. La droite va privilégier le libéralisme économique, la liberté des marchés et le jeu de la concurrence. La gauche va privilégier les libertés culturelles, les droits de l'homme, l'égalité pour tous. Combat apparent mais convergence évidente pour un état faible et des valeurs neutres. La théorie libérale intègre la nécessité de réguler les marchés. Au XVIIIème siècle, Adam Smith a précisé que ce système économique naissant ne survivrait que si chaque individu cultivait la sympathie avec les autres et la modération de ses besoins. Après la 2ème guerre mondiale, sous l'impulsion des Keynésiens, le rôle de l'état s'est fortement renforcé. A partir des années 80, s'opposant à l'état providence, les Néo-libéraux ont fait sauter la sympathie et la modération d'Adam Smith. Le cœur de cette idéologie néo-libérale s'est développé à Chicago, haut lieu d'une bourse parmi les plus spéculatives du monde. Son chantre en fut Milton Friedman, économiste, Prix Nobel d'économie en 1976. Cette doctrine s'acharne à réduire le rôle et les pouvoirs des états centraux. Pour eux, tout se transforme en objetmarchand. Rien ne doit entraver les désirs privés et l'élargissement des marchés. Les marchés peuvent se réguler tout seul et il faut éliminer les entreprises publiques. Déréglementation, dumping social et fiscal, optimisation des profits en tout genre, spéculation, refus des conflits d'intérêt (banque Goldman Sach), développement des paradis fiscaux, ... sont leur boite à outils. Le Président Reagan et Mme Thatcher ont fortement orienté leur pays vers cette idéologie. Nous basculons des rapports de violence entre les humains vers la gestion des choses-marchandes. Rappelons-nous la célèbre formule de Margaret Thatcher ; « La société n'existe pas ». Cet extrémisme libéral a des effets délétères sur l'économie, les personnes et la planète. a – Le néo-libéralisme agit sauvagement contre la société : - Durant 10 ans, aux USA, les profits ont cru de 10 points de PIB au détriment des revenus salariaux. Pour compenser cette baisse du pouvoir d'achat, ont été développés les transferts de production dans les pays à bas coûts salariaux comme la Chine, le Vietnam, ... pour réduire les prix de vente. Ils ont même osé développer les « subprime », spéculation insensée sur l'achat de logement par des ménages pauvres. (crise financière de 2008) Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 4/8 - Quant les uns s 'appauvrissent, d'autres s'enrichissent. 1 % de la population américaine tient le pays entre ses mains. Leur patrimoine et leurs revenus immenses leur permettent de tout acheter : politiciens, juges, entreprises, marchés.... L'inégalité a cru dans des proportions indécentes (Joseph E. Stiglitz, économiste, Prix Nobel). - Des sommes pharaoniques dorment dans les paradis fiscaux. Cela représenterait la moitié de l'endettement mondial des états. Les entreprises et les banques se jouent ainsi des lois nationales pour éviter l'impôt. BNP Paribas dispose dans ses comptes officiels de plus de 250 comptes dans des paradis fiscaux. C'est légal, .... et totalement illégitime ! Ce sont ces mêmes dirigeants bancaires qui imposent leur loi aux états. - Le néo-libéralisme considère le travail comme une variable d'ajustement du capital. La rentabilité à court teme est reine des décisions. Le pouvoir du capital s'est considérablement accru. Le chomage est une réalité et une menace qui etouffent les salariés. Cette réalité crée une atmosphère d'injustice et d'impuissance collective. Elle est le terreau du nationalisme, de la perte de l'altérité, de l'éclatement de nos sociétés, .... Plus sournoisement, ce néo-libéralisme agit fortement au niveau individuel. b - Il agit directement sur les comportements individuels en: - Éliminant toute médiation, empêchant de penser : par le consumérisme, par le marketing et les outils de communication, ... tout est fait pour annihiler la pensée. Patrick Lelay l'a admirablement décrit : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible." - Favorisant les pulsions, supprimant la hiérarchie des valeurs, gommant tout débat entre la morale personnelle et les contraintes du collectif, privilégiant l'immédiateté, prônant un bonheur pour tous .... totalement illusoire ! Car le trop de jouissances annihile le désir, élimine la distanciation et de la hiérarchisation qui rend mature. - Entretenant la confusion entre le réel et le visible : tout ce qui est visible est réel,... seul le visible est réel,... l'invisible est tombé dans une oubliette. L'inaccessible, l’inattendu, l'imprévu sont donc discrédités, de moins en moins acceptés. Des pans de notre humanité n'ont plus droit de cité. - "La tyrannie de l'immédiat", "La dictature du présent", "le culte de l'urgence", le "tout, tout de suite", favorisent la pulsions au détriment du recul, de la médiation. L'entreprise de prêt à porter "Zara" crée elle-même des productions limitées pour inciter à acheter tout de suite, ... car demain il n'y en aura plus ! c - Il agit tragiquement sur l'état de la planète : - Le réchauffement climatique peut être observé par chacun. J'ai vu, depuis bientôt 50 ans les glaciers fondre dans le massif du Mont-Blanc. Je vois le houx coloniser la France du nord Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 5/8 de la Loire, .... des effets beaucoup plus tragiques s'annoncent dans le Pacifique, en Asie du Sud-Est, ... - Les pollutions de l'air, de la mer, des eaux potables, des sols, .... atteignent des proportions catastrophiques - La raréfaction des terres labourables est due à l'extension sans fin des zones urbaines. - Le pillage des ressources naturelles, minières, .... nous fait toucher des limites qui remettent en cause nos niveaux de vie, .... Par ces quelques observations, que chacun peut faire, nous voyons combien est destructeur ce néo-libéralisme tant au niveau individuel qu'au niveau collectif. Simultanément, la prescription d'Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » se réalise. Combien d'acteurs et d'associations diverses, combien de collectifs luttent pour prôner une autre société, avec d'autres valeurs. III – Peut-on penser autrement l'économie ? Disposons-nous de références en économie autres que feu le système soviétique ou le néolibéralisme que nous avons tenté de décoder ? Et puis, est-ce que ces autres modèles sont applicables ici et maintenant ? a - Une économie autrement, ..... : Dans un premier temps, évoquons une posture réformiste. La social-démocratie est à bout de souffle. Issues de la deuxième guerre mondiale, nos programmes politiques ne semblent ni crédibles, ni efficaces. Et les crises s'accumulent ! Nous devons imaginer une nouvelle socialdémocratie, non plus défensive mais pro-active. Il s'agit moins d’accroître les droits des travailleurs que de procurer à tous, l'élément essentiel d'intégration dans la vie sociale et économique, à savoir « l'employabilité ». Les ruptures professionnelles doivent disparaître. La vie socio-économique de chaque citoyen sera une succession de temps de formation, de travail, de création d'activité, d'année sabbatique, de mi-temps, de pré-retraite, ..... Cela se rapproche de la fléxi-sécurité inaugurée par les Danois. Dans un deuxième temps, pour être pleinement humain, il faut oser, repenser plus profondément le politique. L'avalanche des crises ouvrent des brèches et des perspectives nouvelles. N'est-il pas temps de remettre en cause les fondements de notre vie sociale et économique ? La voie explorée ici n'est pas celle d'une révolution ; pour une raison simple : ce sont toujours les plus pauvres qui ont payé le plus lourd tribu de ces époques troublées. Non, il s'agit plutôt de chercher des voies nouvelles, voire marginales, pour irradier progressivement notre corps social. C'est une stratégie par capillarité. C'est cette posture qu'il nous faut développer. Re-découvrons ensemble que l'économie n'est rien en elle-même ; elle n'est utile à la société, comme à chacun d'entre nous, que si elle favorise les relations et la créativité de chacun. Ici, je voudrai rallier les pas de Marcel Mauss et d'Alain Caillé. Leurs travaux portent sur le don. Marcel Mauss nous fait découvrir que le ciment des sociétés anciennes est le don ; à titre Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 6/8 d'illustration, observons ces tribus qui échangeaient des femmes. Il s'agit d'une coutume ambiguë, ambivalente, qui se pratiquait dans un climat de tension. Ce type de don pouvait réduire la violence. Cela rendait les guerres moins certaines car les guerriers auraient pu se retrouver en face de leurs filles ou de leur sœurs. Ce don transforme la défiance en confiance, la guerre en relations ritualisées, .... Au coté de ce don horizontal, l'on trouve le don vertical, celui des enfants, de la vie, qui allie le passé à l'avenir. Puis l'on trouve le don au surnaturel par le sacrifice ; c'est l'axe religieux. Nous sommes là au cœur d'un triptyque : donner, recevoir, rendre. Marcel Mauss insiste : "La spécificité de l'humain, c'est la capacité à faire advenir du possible, du nouveau, de l'inadvenu, en sortant de soi pour donner librement et obligatoirement, de manière intéressé et désintéressé" Dans notre société moderne, si nous prenons en compte l'exigence d'une reconnaissance de chaque personne humaine, nous devons faire preuve de générosité. La vie s'échange bien au delà des marchandises. Le sociétal est plus large que l'économique. Le relationnel est au delà du matériel et il est gratuit. Sans ce plus d'humanité, il n'y a pas de société, pas de vivre ensemble. Le bon social fera la bonne économie (et non l'inverse ! ) Produire, construire, échanger, investir, ... c'est toujours rendre des services à et avec des humains. Nous ressentons confusément qu'une nouvelle économie est envisageable, que le lien peut dépasser le bien, l'alliance - le contrat, l'interdépendance - la dépendance, le don l'échange, le désir - la jouissance, le partage - la consommation, l'accompagnement l'assistanat, .... (Elena Lasida) Une économie qui relie les humains, une économie qui s'allie avec la nature en régulant ses ressources au profit de tous, une économie qui additionne au lieu d'exclure, une économie qui investit pour le bien-être et le bonheur de tous, ..... peut paraître utopique ! Eduardo Galeano nous rassure : "L'utopie est à l'horizon. Quand je fais deux pas vers elle, elle s'éloigne de deux pas. Je fais dix pas et elle fait dix pas plus loin. A quoi ça sert l'utopie ? Elle sert à ça, à avancer." b – .....praticable et pratiquée aujourd'hui : Ce type d'économie existe déjà. Voyez certaines coopératives de production et de consommation ; voyez des associations, des ONG, le commerce équitable, le financement solidaire (Finansol), Terres de liens, Bretagne-Ateliers, ... En France, l'économie sociale représente 10% du PIB et quelques 2,3 millions d'emplois. Depuis 1980, il existe une charte de l'économie sociale qui encadre la finalité du service rendu, le bénéfice comme moyen réinvesti, l'autonomie de gestion (pas d'intervention de l'état), la gestion démocratique, ... Comment ne pas évoquer aussi : l'agence de presse "Reporters d'espoirs", Corentin et ses « Low-tech » au Bangladesh, Robert Coudray, notre poète ferrailleur en Morbihan, .... Dans nombre d'entreprises, de commerces, d'ateliers, et particulièrement en Bretagne, des hommes et des femmes vivent cette économie de relations et de créativité. Ils ne font pas la une des journaux. Mais ils vivent avec leurs valeurs humanistes chevillées au corps. Au niveau mondial, nous rencontrons la coopérative de Mandragon (dont la marque Fagor), Mohammad Yunus et la Grameed Bank, Emmanuel Faber et Danone en Inde, ... Suivons les pas de Mathieu Le Roux et Sylvain Darnil qui ont rencontré "80 hommes pour sauver la planète", ... L'utopie nous sert déjà à découvrir un présent plein de promesses. Écartons nous du bruit ambiant. Ré-enchantons le politique en agissant sur la dynamique sociale, en remettant Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 7/8 l'économie à sa place et l'humain au cœur du vivre ensemble. Donnons raison à Michel Audiard : "Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière" . Ainsi, dépasser le système social et économique dominant nécessite volonté, ténacité, compétence, solidarité, ouverture, créativité, ..... Mais la voie est déjà ouverte par ces milliers d'acteurs anonymes qui inventent chaque jour de nouvelles manières de vivre et de travailler ensemble. Identifions-les, reconnaissons-les et là où cela est possible, insufflons des modes de travail, de loisirs, de gouvernance, de rencontres qui remettent l'humain au cœur de la vie. Tel est le combat culturel à mener. " ...Notre relation aux autres peut être une création, c'est à dire l'émergence d'un radicalement nouveau... Elle fait alors circuler de la vibration plutôt que les seuls biens, de l'attente plutôt que la seule prévision, de la reconnaissance plutôt que la seule garantie.... Ce type de relation fait de chacun de nous un passeur, un passeur de sens, un passeur de vie, ..." (Elena Lasida) En guise de conclusion,... : Pour vivre un saut qualitatif dans nos relations aux autres, ne faut-il pas commencer par réenchanter notre relation à la nature, au cosmos, à la vie ? En écoutant tout ce qui se dit sur la radicalisation de certains jeunes en Europe, j'ai l'intuition que beaucoup d'entre eux ont été élevés « hors-sol ». Y a -t-il une nature vivante dans certaines citées et dans les prisons ? Y a-t-il un rapport enchanteur avec la Vie dans nos systèmes éducatifs ? En quoi, nos environnements urbanisés, aménagés, transformés, saccagés parfois, nous font-ils perdre cette relation intime, intériorisée avec le végétal, l'animal, le cosmos ? Peut-on devenir humain si nous n'avons pas cette relation privilégiée avec la nature, dans l'exaltation « du premier matin du monde ». Puissions nous entendre cette exhortation de Rabindranath Tagore : « ...... Le secours de la nature nous est indispensable pendant notre croissance et avant d'être immergés jusqu'au cou dans le tourbillon des affaires du monde. Arbres et rivières, ciels bleus et beaux horizons nous sont aussi nécessaires que les bancs et les tableaux noirs, les livres et les examens..... ....Les quatre éléments, terre, eau, air et feu forment un tout et sont pleins de l'Âme universelle.» Michel Soula Février 2015 L'économie aujourd'hui : menaces et opportunités ? 8/8