> Écho des Congrès > Colloque de la Fédération neurologues du Languedoc-Roussillon des La Fédération des neurologues du Languedoc-Roussillon (FNLR) sous la présidence du Dr P.J. Prince a organisé en janvier 2005 un colloque sur l’annonce de la maladie d’Alzheimer. Nous présentons ici les résumés de deux interventions. L’ANNONCE DU DIAGNOSTIC > Dr P.J. Prince* Pourquoi avons-nous choisi ce sujet ? L’annonce du diagnostic et surtout celle d’un diagnostic de maladie chronique (soignable, mais non curable) soumet le neurologue à toute une série d’ambiguïtés et à la nécessité de faire face à des dualités multiples. Le terme même d’annonce est ambigu. Il vient du latin nuntius, qui veut dire messager, précédé d’un “a” privatif, ce qui signifie que l’annonce est faite par celui qui n’a pas de message, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a rien à dire, ou par un prophète, dont la bouche n’est que l’instrument d’une parole divine. Nous ne nous reconnaissons dans aucune de ces descriptions, car d’un côté nous avons la plupart du temps quelque chose à dire et, d’un autre * Président de la Fédération des neurologues du Languedoc-Roussillon, Montpellier. côté, aucun neurologue n’est un prophète (bien que certains le croient, mais cela nous entraînerait vers un autre débat). Nous sommes entre les deux situations, car nous devons dire une parole qui n’est pas seulement un ensemble de mots, mais un ensemble de termes chargés de sens, une parole qui ne fait pas que raisonner, mais qui résonne et crée une onde de résonance qu’on ne peut maîtriser. D’où la première ambiguïté : dire ou ne pas dire ? “Taisez-vous si vos paroles ne valent pas mieux que le silence”, disait déjà Ménandre au IVe siècle av. J-C. Un proverbe arabe affirme également : “Le mot que tu retiens entre tes lèvres est ton esclave, celui que tu prononces est ton maître.” Que dire donc qui vaille mieux que le silence ? Quels sont les mots que l’on peut maîtriser ? Est-ce que les mots sont suffisants ? Nous entrons là dans l’ambiguïté même de la médecine, que l’on dit être à la fois science des maladies et art de gué- rir. Doit-on être technicien ou humaniste ? Doit-on traiter des maladies ou soulager les malades ? “En vérité, disait Alexis Carel, la médecine doit être à la fois réaliste et nominaliste. Il faut qu’elle étudie l’individu aussi bien que sa maladie.” Le médecin, face au malade, subit une nouvelle dualité : chacun, inconsciemment, reconnaît en l’autre une partie de son image dans une interaction où se jouent des éléments psychologiques puissants. D’abord, les fantasmes de puissance et d’immortalité. Ils sont remis en cause chez le malade, impuissant devant sa maladie et dont le pouvoir d’action sur le monde diminue d’autant, impuissant également devant son destin, puisque au bout de la maladie la mort guette, mettant à mal son fantasme d’immortalité. En écho, comme Orphée qui espérait, par sa musique et son amour, pouvoir revenir sans encombre des enfers et en ramener Eurydice en endormant Cerbère, le médecin doit avouer son impuissance devant la maladie et la mort, ce qui, outre la blessure narcissique certaine que cela provoque, anéantit son fantasme de pouvoir contre la mort, lui renvoyant aussi l’angoissante image de sa propre et inéluctable finitude, devant laquelle il n’est qu’un homme comme tous les autres. Le deuxième couple d’angoisse en miroir qui intervient dans cette relation est l’angoisse d’abandon et l’angoisse de fusion. La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 29 > Écho des Congrès Le patient a peur d’être abandonné seul face à sa maladie, et demande de l’aide. Mais il a peur aussi d’être envahi, dirigé, privé de son libre arbitre, c’està-dire de disparaître en tant que personne volontaire dans la volonté d’un autre, de perdre la maîtrise de son destin. C’est pourquoi il arrive que, vis-àvis des êtres dont il a le plus besoin, le patient ait des réactions d’opposition ou d’agression paradoxales, par peur de leur donner un pouvoir excessif en leur confiant la résolution de ses soucis. Il y a un équilibre à trouver entre fusion et abandon, une juste distance à définir pour aider sans remplacer, pour soutenir sans porter. Le souci est donc pour chacun des deux protagonistes d’être reconnu et de se reconnaître dans le miroir de l’autre en l’acceptant, malgré les angoisses que cela procure. Comme disait Jean Cocteau : “Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer des images.” Les mêmes enjeux sont mis en mouvement entre le malade et sa famille, avec, du fait de la maladie et des handicaps qu’elle entraîne, une rééquilibration des pouvoirs, des conflits de dominance qui font resurgir les vieux problèmes, stabilisés ou enfouis, les “cadavres du placard” ; avec, à terme, la même problématique qui est d’obtenir de la famille comme, nous l’avons vu, du médecin, une aide efficace, mais sans altération du rôle social et de la dignité du patient, dans le respect de son individualité et de son libre arbitre. La bonne connaissance de la situation sur ce plan est essentielle pour savoir sur quel niveau de soutien on peut compter en ce qui concerne les aidants familiaux. Une autre dualité, et non des moindres, est celle du malade face à lui-même, lui qui se demande ce qu’il va devenir par rapport à ce qu’il était, ce qu’il va devenir dans le regard des autres et ce qu’il va devenir dans son propre regard. Quelle estime de soi et quelle estime des autres pourra-t-il avoir dans sa nouvelle condition et pendant l’évolution de celle-ci ? Quelle image lui renverra le miroir de Narcisse ? 30 Enfin, reste à considérer la dualité de la mort. La première mort est la mort sociale, avec d’abord l’isolement, puis la perte de la communication verbale, puis non verbale, jusqu’à devenir un corps vivant, mais vide d’esprit. Cela dure jusqu’à la mort légale, perte de la vie, et enfin vient la mort totale, lorsqu’on disparaît totalement du souvenir des autres. Dans cette évolution, jusqu’à quand peut-on avoir un contact avec autrui sous quelque forme que ce soit ? Jusqu’à quand est-on une personne dans cette première “entre-deux-morts” qui sépare la mort sociale de la mort légale ? Déceler et rechercher le moindre signe et le moindre moyen de communication doit donc rester une préoccupation constante de l’entourage thérapeutique ou familial, mais cela, bien sûr, dépasse considérablement le cadre de l’annonce. Nous entrons là dans la dernière dualité : celle qui sépare le connaissable de l’inconnaissable, c’est-à-dire d’une part ce qui est certain et ce qui peut être connu et, d’autre part, ce qui ne pourra jamais l’être. Tant qu’une communication est possible, il faut dire ce qui est certain et aider l’autre à en assumer les conséquences, dire aussi ce qui est possible mais non encore connu, pour le commenter et le discuter. Pour ce qui est de l’inconnaissable, il relève des convictions philosophiques de chacun et il faut l’encourager à en discuter avec ses maîtres de conscience. En fonction de ces éléments, on pourra faire le point des faits, des projets possibles, accompagner le patient et sa famille dans la conduite de ses deuils, souvent itératifs, dans l’acceptation de ce qui est inévitable, en rendant l’individu malade le plus longtemps possible acteur et décideur de son destin. Nous l’avons vu, il nous faut tenir compte dans ce domaine d’un ensemble de choses sinon contradictoires du moins opposées, entre lesquelles il faut tenter de trouver le juste de milieu. Il n’y a pas de solution parfaite, chaque situation étant unique et chacun La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 devant faire face de son mieux à ses propres peurs. Rien n’est sûr et, dans ce cas, la chose la plus certaine est de savoir douter, d’être perdu comme dans le palais des glaces dans les images mêlées d’une série de miroirs : le regard de l’autre, miroir de son âme, le miroir de Narcisse, image de soi-même, le miroir d’Orphée, image de l’au-delà, et le miroir aux alouettes des apparences et des faux-semblants, qu’il nous faut essayer d’éviter. En conclusion, il me vient deux choses en mémoire. Tout d’abord une citation de Victor Hugo : “Dieu bénit l’homme non pas pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché”, et les paroles d’un de mes maîtres : “Le monde de l’esprit est fait de deux compartiments : d’un côté des questions, d’un autre des réponses. Au milieu, ceux qui n’arrivent pas à relier les unes aux autres, ceux qui disent qu’existent des problèmes. Ceuxlà c’est nous, les imbéciles !” Puissent cette réflexion et ces débats nous permettre peut-être de l’être un peu moins ■ à l’avenir ! > Dr C. Mekies* En France, plus de 700 000 personnes sont atteintes de maladie d’Alzheimer (MA), maladie dont l’incidence et la prévalence vont augmenter dans les prochaines années. L’évolution des techniques permet un diagnostic de plus en plus précoce, ce qui amène à se poser le problème de l’annonce du diagnostic dès les stades légers à modérés, et parfois même à un stade de trouble cognitif léger (mild commitive impairment [MCI]) et donc au stade prédémentiel de la MA. D’un autre côté, à un stade plus avancé, sachant que la MA se manifeste par un trouble de la mémoire, du jugement et qu’il y a souvent une anosognosie, y at-il un sens à annoncer un diagnostic à * Capio-clinique des Cèdres, Toulouse, secrétaire régional ANLLF Sud-Ouest. un patient qui risque de ne pas le retenir et dont il n’a pas conscience ? Jusqu’à une période relativement récente, le médecin se réservait le droit ou le devoir de dissimuler des informations au patient sur son état de santé. En effet, certaines d’entre elles, comme un pronostic défavorable, étaient jugées susceptibles de nuire au patient concernant sa motivation à entreprendre un traitement ou son espoir de guérison. En prenant l’exemple de la cancérologie, il était d’usage d’employer des périphrases, telles que “grosseur, tache, cellules anormales”, tant le diagnostic de cancer était lourd de sens pour le patient et l’entourage. Les mentalités ont aujourd’hui considérablement évolué. Le droit à l’information a rendu caduque cette attitude, ce qui modifie la relation médecin-malade. Que ce soit à propos du cancer ou du sida, les malades revendiquent le droit de savoir. La loi du 4 mars 2002 sur les droits de la personne malade accompagne d’ailleurs cette évolution de pensée : elle n’en est pas le point de départ, mais plutôt une étape juridique dans la modification des relations entre le patient et le médecin. Enfin, la médiatisation de la MA auprès du grand public concourt à la déstigmatisation de la maladie. La rend-elle pour autant plus facilement recevable ? Il faut cependant admettre que cette meilleure connaissance de la symptomatologie par les patients et par leur entourage ne permet plus, indépendamment de la loi, de dissimuler un diagnostic trop évident sans nuire à l’indispensable rapport de confiance que nécessite la relation médicale. Cette problématique nous a conduits à élaborer un programme de formation à l’usage des neurologues, des gériatres, des psychiatres et des généralistes. Il a été réalisé par l’Association des neurologues libéraux de langue française (ANLLF), en partenariat avec l’Institut Alzheimer (laboratoire EISAI). Il s’agit d’un programme national décliné au niveau régional. Intitulé “Réfléchir ensemble au processus d’annonce dans la maladie d’Alzheimer”, il avait pour objectif d’échanger les expériences des différents acteurs professionnels autour de cette problématique, en prenant pour cadre des jeux de rôle. Il était étayé par de nombreux supports (livretquestionnaire, cédérom, aides à l’annonce, etc.). Deux questions peuvent être posées : quelles sont les raisons des difficultés de l’annonce, et quels sont les arguments en faveur de cette annonce ? Les raisons des difficultés de l’annonce L’annonce d’une maladie incurable Une des principales difficultés à annoncer le diagnostic s’argumente autour du caractère incurable de la MA. Le pronostic à annoncer est pour beaucoup dans les freins rencontrés par les cliniciens : beaucoup anticipent l’évolution finale du processus de dégradation et craignent de devoir annoncer la “démence” dans toute sa dimension tragique. Cependant, ce sombre pronostic est partagé avec un certain nombre de maladies dans lesquelles la stratégie d’annonce a notablement évolué. Ainsi, en 1961, 90 % des médecins n’annonçaient pas le diagnostic de cancer. Seize ans plus tard, ils étaient 97 % à le donner. Les progrès thérapeutiques et la plus grande précocité du diagnostic grâce à des dépistages plus systématisés ont certainement contribué à cette évolution, mais il ne faut pas sous-estimer le désir d’information par les patients, désireux aujourd’hui, en grande majorité, d’avoir leur diagnostic. L’évolution juridique aboutissant à la loi du 4 mars 2002 est souvent jugée comme la conséquence des démarches militantes menées par les associations de patients souffrant de sida. Dans le domaine de la psychiatrie, de nombreuses associations de familles se battent aujourd’hui pour que les diagnostics de schizophrénie soient nommés. S’il n’est pas possible de comparer strictement l’évolution de la MA à celle des ● maladies citées ci-dessus, le caractère incurable ne semble cependant pas être un critère différentiel majeur qui justifierait une attitude radicalement différente. Sans doute peut-on se poser la question de savoir ce qui rend l’annonce quelquefois si difficile, en s’interrogeant sur les rapports personnels du médecin à la MA. La maladie a une représentation négative pour le corps médical, qui a longtemps considéré celle-ci comme une maladie incurable, peu gratifiante. L’incertitude diagnostique Vassilas et al. ont réalisé une enquête auprès de médecins généralistes de la région de Cambridge concernant leur attitude vis-à-vis de l’annonce d’un diagnostic de cancer ou de démence. La plupart des médecins déclaraient donner un diagnostic de cancer terminal systématiquement (27 %) ou souvent (67 %), ce qui était loin d’être le cas dans la démence (respectivement 5 % et 34 % des cas). La principale raison évoquée était l’incertitude diagnostique dans la MA. Si la question se pose à des stades très précoces, voire dans le MCI, quel sens a-t-elle en pratique si le doute persiste au sein du groupe des démences, dont le mauvais pronostic global est connu ? Par ailleurs, les procédures de dépistage et de diagnostic précoce s’améliorent de jour en jour grâce aux formations et à des recommandations de pratique de mieux en mieux codifiées (Anaes). ● La perte d’identité Au-delà du caractère incurable de la maladie, un des aspects dramatiques consiste dans la perte d’identité dont souffrira le malade. L’image que le médecin se fait de cette perte d’identité et la projection qu’il en fait sur le patient constitue l’un des freins majeurs à l’annonce du diagnostic. Liée à la perte d’identité, la détérioration cognitive est un autre argument qui fait débat autour de l’annonce. En schématisant le problème à outrance, ● La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 31 > Écho des Congrès nous pourrions le présenter de la façon suivante : pourquoi annoncer à quelqu’un qui va encore bien l’inexorable dégradation cognitive liée à la maladie ? Et, en miroir, pourquoi se mettre émotionnellement en difficulté en annonçant le diagnostic à un patient qui ne possède plus les capacités cognitives pour comprendre ou les capacités mnésiques pour mémoriser le sens de ce diagnostic ? Il est évident que, dans la pratique quotidienne, le problème se pose rarement en des termes aussi tranchés, ce qui implique l’absence de réponses univoques. Le risque émotionnel Annoncer un diagnostic grave ne doit jamais être considéré comme un temps banal dans la relation médecinmalade. L’émotion, à n’importe quel moment, reste toujours présente : pour le patient évidemment, pour l’entourage, mais aussi pour le médecin luimême. Il faut savoir que, quelle que soit la modalité de l’annonce, celle-ci sera ressentie par le patient comme un véritable choc. Le patient perçoit cette maladie dans des termes variables, mais très généralement péjoratifs : perte de dignité, perte d’autonomie, catastrophe, horreur, sans espoir… Les réactions personnelles du médecin sont variables et ont été exprimées dans une enquête par les termes : neutralité, compassion, empathie, optimisme, attitude rassurante, embarras, attention, bienveillance… La question du ressenti de l’aidant au moment de l’annonce du diagnostic fait apparaître des mots tels que : choc, désarroi, désespoir, anéantissement, impuissance… Le discours devra être clair : à la fois réaliste quant à la gravité de la maladie, mais aussi rassurant, s’appuyant sur la possibilité d’un traitement symptomatique, sur le suivi global, en montrant au patient qu’on ne le laisse pas tomber, mais qu’on va l’accompagner dans sa maladie. ● 32 Cette annonce va être à l’origine de multiples interrogations de la part du patient, dont les principales tournent autour des possibilités de traitement, de l’évolution de la maladie, des causes, de l’hérédité… Il faudra donner au patient la possibilité d’y répondre, par exemple en proposant un autre rendezvous pour aborder ces problèmes, mais en ayant délivré les informations minimales. Quelques idées reçues doivent cependant être combattues. Si des réactions de tristesse, voire de stress, sont fréquentes au moment de la formulation du diagnostic, l’annonce du diagnostic n’entraîne pas une augmentation notable de la fréquence des tableaux dépressifs ou anxieux avérés, ni de la suicidalité. Les arguments en faveur de l’annonce du diagnostic ● Le désir de savoir de la part du patient La projection des désirs du patient est ici d’autant plus importante que les déficits cognitifs sont censés abolir sa capacité à exprimer sa propre volonté. En ce qui concerne l’entourage, les choses semblent complexes. En effet, lorsqu’on interroge les aidants familiaux de patients, comme cela a été fait dans une étude irlandaise, plus de 80 % d’entre eux souhaitent que leur malade ne sache pas le diagnostic, alors que 71 % déclarent dans le même temps qu’ils souhaiteraient être informés personnellement de leur diagnostic s’ils étaient dans une situation similaire. La loi du 4 mars 2002 La loi du 4 mars 2002 établit un devoir médico-légal d’information du malade. Il ne s’agit plus d’une règle de déontologie, mais d’une véritable obligation légale, avec nécessité pour le clinicien de faire la preuve que l’information a été correctement donnée. Il semble important de rappeler ici que cette loi ne génère pas par elle-même l’évolution de la relation médecin-patient, mais qu’elle est l’aboutissement de la modi● La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 fication des mentalités, tout particulièrement grâce à l’implication grandissante des associations de familles et de patients. ● La précocité du diagnostic, des patients plus jeunes, la possibilité d’agir Comme nous le disions en introduction, le diagnostic de MA peut être porté à un stade de plus en plus précoce, devant une simple plainte mnésique. Cela peut conduire à annoncer le diagnostic à un patient qui a toutes les capacités cognitives pour intégrer celui-ci et pouvoir s’organiser pour gérer son avenir. Cette annonce est d’autant plus nécessaire que les traitements actuellement disponibles sont efficaces à la phase précoce de la maladie (tant que la perte neuronale n’est pas encore massive). Par ailleurs, les notices médicamenteuses indiquent clairement “traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer”. L’adhésion au processus de soins Une annonce clairement établie aura pour but d’envisager une relation médecin-malade plus sincère. Il a été nettement démontré que l’adhésion au processus de soins était meilleure lorsque le diagnostic avait été bien établi et que les différentes questions relatives à la pathologie avaient été abordées par le médecin et son patient. ● ● La médiatisation et la déstigmatisation Un effort de médiatisation est actuellement en cours pour modifier la représentation négative de la maladie auprès du corps médical et de la population générale. On citera plusieurs sites Internet créés ces dernières années, les associations de patients et la Journée mondiale Alzheimer. Tout cela a connu un développement incroyable sous l’impulsion de la communauté médicale, des patients et de leur famille, ce qui a permis d’aboutir à un programme d’action pour les patients souffrant de MA et de maladie apparentée présenté par le gouvernement en octobre 2001. Conclusion Il n’y a donc pas de recette pour annoncer. La réflexion du médecin luimême et son ressenti vis-à-vis de la maladie vont lui permettre d’appréhender au mieux cette annonce qui est toujours délicate. Une des principales recommandations consiste à éviter l’improvisation : se préparer techniquement et sur le plan émotionnel est un des facteurs de réussite du processus d’annonce. Par ailleurs, il ne suffit pas de faire l’annonce, mais il faut en gérer les conséquences auprès du malade et de son entourage. D’où l’intérêt d’une réflexion en amont et donc de ce programme national de l’ANLLF et de l’Institut Alzheimer. Cette annonce doit être associée à un projet de soin et à une prise en charge globale. Celle-ci comprend le suivi du patient en partenariat avec d’autres acteurs professionnels de la santé, la prévention et le traitement des complications somatiques et des situations de crise, la mise en place d’aides adaptées et le soutien des familles. Il y a dix ans, le problème de l’annonce du diagnostic de MA n’avait peut-être pas lieu d’être. Souhaitons que, dans moins d’une décennie, ce ne soit plus un problème, mais un acte thérapeutique s’intégrant naturellement dans la prise en charge des patients souffrant de MA. ■ Dr I. Moley-Massol*, psychothérapeute, Paris > Comment évaluer la souffrance du malade victime d’une maladie neurologique ? Comment comprendre sa représentation de la maladie ? Un cerveau peut-il être malade ? Quel sens cela revêt-il ? Le cerveau n’est pas un organe comme les autres. Il représente l’individu dans * Auteur du livre : “L’annonce de la maladie. Une parole qui engage”. Éditions Datebe, Paris 2004. [email protected] sa singularité, telle une carte d’identité où s’écrirait toute l’histoire du sujet. Centre du langage et de la communication, il est le lieu secret et supposé de la pensée, de l’intelligence, de la mémoire et de la créativité. Il est aussi le témoin de l’évolution de l’espèce, dont il garde des traces. Il marque la supériorité de l’homme sur l’animal. Infiniment complexe et mystérieux, le cerveau serait le propre de l’homme, de chaque homme, le lieu sacré de son intimité et de sa liberté psychiques, intouchable. Une maladie neurologique est vécue comme une atteinte de l’identité psychique du sujet. Ne dit-on pas en parlant de ces malades :”Il n’est plus luimême” ? Avoir une maladie d’Alzheimer, n’est-ce pas déjà commencer à mourir pour les autres, être là sans ne plus y être vraiment ? Les troubles de la mémoire et de la cognition sont très douloureusement vécus par le malade qui se sent évalué comme un enfant et remis en cause à travers l’évaluation de ses performances intellectuelles. Il craint d’être pris pour un fou, “un dément”, un imbécile. Le médecin doit veiller à ce que le malade ne se sente ni jugé ni infantilisé par les tests et les examens, d’autant que la famille, souvent dans le déni de la maladie, impute les troubles mnésiques et neurologiques au manque de volonté du malade : “Il ne fait aucun effort, il n’essaie même pas !”. L’annonce d’une maladie d’Alzheimer (MA) pose la question de fond et de forme de l’information à donner au malade et à ses proches sur la maladie, son origine organique, les traitements et toutes les formes de ressources existantes, afin d’aider chacun à “apprivoiser” pas à pas l’idée de la maladie et à construire une relation nouvelle, dans le présent. Le temps des premiers mots énoncés est unique, essentiel, fondateur, il marque à tout jamais l’imaginaire du malade, de ses proches et la relation médecin-malade-maladie Tous les témoignages l’affirment, l’annonce d’une maladie grave ou chronique reste gravée comme une terrible nouvelle, marquant la fin d’une vie où la maladie était absente, impensable. Il n’existe pas une “bonne” façon d’annoncer une mauvaise nouvelle ; certaines sont toutefois moins dévastatrices que d’autres, et celui qui l’énonce est toujours un oiseau de mauvais augure, irrémédiablement lié au malheur qu’il désigne. L’annonce d’une maladie est toujours un traumatisme. Avant, il y a le doute et l’inquiétude, puis les mots tombent et le temps s’arrête, c’est la sidération. D’un côté, l’annonce lève le doute et de l’autre, elle marque de façon indélébile l’avenir. Le futur devient soudain inimaginable. Comment, pour le médecin, trouver les mots, communiquer avec la parole, les gestes, le regard, sa présence à l’autre, dans l’instant et jusqu’au bout de l’histoire qui commence à s’écrire ? Comment, pour le malade et pour les proches, surmonter l’annonce, s’adapter, se reconstruire, donner un sens au présent, penser un autre avenir, un autre projet de vie ? Il s’agit, pour le médecin, de ne pas figer l’avenir, devenu source de toutes les angoisses, et de prendre en compte les représentations que revêt la maladie ou le handicap, pour le malade et sa famille. Annoncer une maladie ou un handicap ne signifie pas “lâcher” l’information comme une sentence et s’en délester auprès du malade, mais, au contraire, diffuser une information adaptée, progressive, respectueuse du sujet, de sa demande, de ses ressources et de ses mécanismes de défense, une information qui crée le lien, ouverte sur l’échange et qui aide le malade à trouver un sens à ce qui lui arrive, sans honte ni culpabilité, et ouvrir vers un devenir, toujours porteur d’espoir, mais d’un espoir réaliste. Quelque chose de sacré se joue au moment de l’annonce, dans la relation qui unit médecin-malade-maladie. La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 33 > Écho des Congrès C’est un parcours commun pour avancer ensemble, pas à pas, jour après jour, et si l’avenir est devenu inimaginable, il faut construire un présent qui a du sens parce qu’il y a toujours quelque chose à vivre et à partager. L’annonce d’une MA est particulièrement délicate pour le médecin, car elle impose deux annonces : celle faite au malade et celle faite à chaque membre de la famille, avec des retentissements et des sens propres à chaque personne, en fonction de sa personnalité, de son histoire, de sa place dans la famille, et de sa relation avec le patient. C’est souvent le moment d’une remise en questions sur les relations passées. Pour le conjoint, la maladie est un renoncement à la vie espérée à deux et aux projets de couple. Pour les enfants, il s’agit d’une perte de l’image de référence parentale, parfois accompagnée d’un douloureux sentiment d’abandon quand le parent malade ne le reconnaît plus. Ce sont tous les points de repère familiaux qui sont bouleversés. Les proches peuvent vivre la maladie comme une mort anticipée du malade, à la fois présent et absent, tonique dans son corps et diminué dans ses facultés intellectuelles et relationnelles. Ils ne reconnaissent plus la personnalité de leur père, leur mère, leur conjoint, et peuvent ressentir à son égard des sentiments complexes et ambivalents souvent source d’une grande culpabilité. Il appartient au médecin de faciliter l’expression de toutes ces émotions pour les aider à se libérer de leur sentiment de culpabilité. Le temps des investigations diagnostiques et des tests est particulièrement important. Il constitue le premier nouage de la relation thérapeutique et doit s’entourer d’un certain nombre de précautions pour que le patient ne se sente pas jugé ou infantilisé par les tests, dévalorisé et humilié devant son conjoint ou ses enfants. Il est préférable que les tests s’effectuent, si possible, avec le patient seul, sans le regard d’un proche à ses côtés, et que leurs objectifs diagnostiques 34 soient clairement exposés. Le malade ne doit pas se percevoir en situation d’échec quand il ne parvient pas à répondre aux questions ou quand il commet une erreur. Le travail d’explication (adapté au stade de la maladie) et d’accompagnement du médecin au cours de cette phase est essentiel pour que le patient se sente respecté par le médecin et par ses proches dans toute son intégrité de sujet adulte. Il ne doit pas “perdre la face”. L’information sur la maladie doit permettre au malade et à la famille d’apprivoiser peu à peu la pathologie, étape par étape, en évitant les projections à long terme. Il s’agit pour les proches de parvenir, au fil du temps, à renoncer à une forme de communication avec la personne malade pour en construire une nouvelle, ancrée dans le présent, au jour le jour. C’est un travail de deuil d’une relation affective, particulièrement long et douloureux. Pour mieux informer sur la MA, le médecin doit lever un certain nombre d’ambiguïtés dans l’esprit des malades et des familles. La MA est une maladie organique d’origine neurologique et non pas psychiatrique. Le terme de démence sénile employé dans la nosographie médicale contribue à cette confusion dans l’esprit du grand public et se révèle terriblement agressif, voire inacceptable pour certains. Si le terme est utilisé ou entendu par le malade, des explications sont nécessaires, qui tiennent compte des représentations que s’en font le malade et ses proches. Face à cette maladie de certaines fonctions cérébrales (sous-entendu, d’autres fonctions cérébrales continuent à fonctionner normalement), le médecin rappelle que la volonté du malade n’est pas en cause : “Il n’est pas paresseux, il ne se laisse pas aller, ce n’est pas lui qui est en cause, mais la maladie”. Ce type de mise au point est aussi important pour le malade que pour les proches qui ont tendance, dans les premiers temps, à nier la maladie. La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 Le déni de la maladie paraît plus marqué encore chez les patients qui, durant toute leur vie, ont investi les domaines intellectuels et qui occupent une place sociale privilégiée. Le malade reste très attaché à son statut social et familial qui fait partie de son identité, c’est pourquoi tout changement dans la façon de s’adresser à lui ou de le considérer vient aggraver sa blessure narcissique et peut conduire à une détérioration clinique. Le malade a besoin d’évoluer dans un cadre rassurant et stable qui ne le renvoie pas sans cesse à son passé et donc à sa défaillance intellectuelle et relationnelle (regarder des albums de photos ou parler des souvenirs d’enfance déstabilisent le malade et majorent son angoisse). Un des principaux enjeux de la prise en charge du malade atteint de la MA est de l’aider à (re)trouver une place familiale et sociale satisfaisante et suffisamment gratifiante. La souffrance psychique du malade atteint d’une MA ne doit pas être sousestimée, quel que soit son stade. Le malade reste très sensible à l’harmonie et aux conflits qui l’entourent. La maladie d’Alzheimer réalise un traumatisme psychique qui touche le malade et ses proches. Chacun a besoin d’être entendu et accompagné dans ses difficultés, ses angoisses et ses questionnements pour parvenir à “vivre avec”. L’acceptation de la maladie par les proches constitue sans doute l’un des meilleurs soutiens pour le malade, avec la volonté de partager encore des moments de vie dans une relation à réinventer, dans le présent. ■ Les mots-clés de l’annonce : Écouter Informer pas à pas, au rythme de chaque patient et des proches Favoriser l’expression des émotions Respecter les mécanismes de défense du malade et des proches Présenter toutes les ressources possibles (traitements, etc.) Ouvrir vers un espoir réaliste Laisser du temps : une information à reprendre au fil du temps 34