REFLEXES CONDITIONNÉS APPRENTISSAGE ET CONSCIENCE

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REFLEXES CONDITIONNÉS APPRENTISSAGE ET CONSCIENCE
par
A. N. Léontiev
Professeur à l’Université de Moscou*
1.
Au cours des dernières décennies, la psychologie et la physiologie ont accumulé sur le
problème de l’apprentissage in matériel impressionnant.
Les psychologues soviétiques ont consacré au problème indiqué un grand nombre de
recherches. Mon but n’est pas de les passer en revue. Je me bornerai à vous présenter
quelques-unes de mes propres positions théoriques, en me référant essentiellement aux travaux faits
à l’Université de Moscou.
Dans le problème de l’apprentissage, l’on voit jusqu’ici nettement se confronter dans la
psychologie mondiale différentes conceptions théoriques.
Chacune de ces conceptions s’attache à un certain cycle de faits. Tantôt aux données
obtenues sur les animaux, tantôt à elles obtenues sur l’homme. Certaines théories ont en vue le
processus d’apprentissage dans ses formes élémentaires ; d’autres, dans ses formes les plus
complexes. Tout en se limitant ainsi, chacune de ces conceptions prétend éclairer le problème de
l’apprentissage dans sa totalité et sous sa forme la plus générale.
Je pense que cette circonstance crée l’une des principales difficultés.
[170] Bien entendu, loin de moi la pensée qu’entre les différentes espèces et formes
d’apprentissage n’existe rien de commun, et qu’une théorie unique de l’apprentissage est impossible.
Je veux seulement attirer votre attention sur un sérieux danger que l’on rencontre ici comme ailleurs,
danger qui découle de ce que la logique appelle pars pro toto.
Comment l’éviter sans tomber dans un mélange éclectique ?
Je pense qu’une conception scientifique qui s’efforce d’embrasser la multiplicité réelle des
phénomènes d’apprentissage doit être génétique.
Aborder ainsi l’apprentissage découle de la reconnaissance des particularités qualitatives de
ce processus sous ses différentes formes, propres aux différents niveaux de comportements ; en
même temps, cela découle de la reconnaissance d’une liaison et d’une parenté entre ces formes.
Quand nous parlons de l’apprentissage, nous avons toujours en vue le processus
d’acquisition, par un être vivant, d’une expérience individuelle de comportement. L’apprentissage au
sens large du mot est une manifestation universelle dans la vie des organismes animés. Il existe
partout où existe l’adaptation individuelle sous forme de modification du comportement. C’est la
condition indispensable et permanente aussi bien de la vie des animaux que de celle de l’homme.
Comme le note à juste titre Hilgard (7) dans son ouvrage sur Les théories de
l’apprentissage : chacun comprend ce qu’est l’apprentissage ; les divergences surgissent à propos
de ses mécanismes et lois particulières.
*
Leontiev, A. (1958). Réflexes conditionnés, apprentissage et conscience. In Le conditionnement et
l’apprentissage, Symposium de l’Association de psychologie scientifique de langue française par M.-A. Fessard,
H. Gastaut, A.-N. Léontiev, G. de Montpellier, H. Piéron, Strasbourg, 1956 (pp. 169-188). Paris : PUF.
Mais, justement, l’on ne peut abstraire l’apprentissage des particularités spécifiques qu’il
acquiert au cours de son développement.
Si nous voulons toutefois conserver une représentation générale de l’apprentissage, nous
devons parler également de son mécanisme le plus général - mécanisme qui apparaît en même temps
- génétiquement primaire et contenant dans l’œuf les traits fondamentaux des formes les plus élevées
et les plus complexes.
Quel est donc ce mécanisme ?
Celui qui concorde avec le mécanisme général de l’adaptation individuelle du comportement.
C’est le mécanisme des liaisons conditionnelles.
[171] Le mécanisme des liaisons conditionnelles, formulé par Pavlov, est bien connu. C’est
pourquoi je ne m’arrêterai que sur certaine de ses aspects.
Tout d’abord, je veux attirer votre attention sur la liaison intérieure de ce mécanisme avec
une autre notion de la théorie pavlovienne, celle des excitants de signal.
Voici un fait capital : sur la base des liaisons directes, immédiates, des organismes avec le
milieu extérieur apparaissent des liaisons non directes, que l’on pourrait appeler médiates. Les
animaux deviennent capables de réagir aussi à des influences n’ayant par elles-mêmes aucune
signification biologique pour eux. Ces influences n’acquièrent de signification que par leurs relations
avec d’autres stimuli, dont dépend directement l’existence de l’individu ou de l’espèce. De telles
influences accomplissent par rapport aux influences biologiquement importantes, biotiques, un rôle
de signal ; elles reçoivent une signification. Ainsi, des bruissements sont par eux-mêmes neutres,
abiotiques. Mais ils peuvent devenir signal de nourriture ou de danger pour l’animal. Ils l’orientent
par rapport aux propriétés du milieu qui lui sont actuellement cachées. En même temps que le
mécanisme le plus général de l’adaptation, la formation de la liaison constitue le mécanisme de
développement du reflet, de la connaissance des propriétés du milieu dans leurs liaisons objectives
(9, 10).
Comme on le sait, le problème des liaisons conditionnelles a été étudié par Pavlov et ses
élèves à un stade élevé du monde animal - quand les liaisons conditionnelles sont des liaisons
nerveuses formées dans le cortex.
Les expériences classiques de Pavlov s’attaquaient à l’étude des lois des processus nerveux
réalisant l’activité conditionnelle. Celle-ci constitue la base physiologique de tout comportement, y
compris les formes les plus compliquées, spécifiquement humaines.
Une autre tâche consistait à créer la possibilité d’apposer “ le dessin psychologique sur le
canevas physiologique ” dont parlait I. P. Pavlov (14).
Ces deux tâches sont liées l’une à l’autre, mais ne sont pas identiques. Justement, les
confondre mène parfois à des malentendus théoriques profonds.
Souvent, l’on perd de vue le fait que le schéma des expériences [172] classiques de Pavlov sur les
réflexes conditionnels ne répond de façon directe qu’à la première de ces tâches. Ce schéma nous
permet une observation optima des processus cérébraux examinés, mais il ne reproduit pas toute la
structure du comportement des animaux supérieurs dans les conditions naturelles. Voilà pourquoi
l’on ne peut mécaniquement le transposer pour expliquer le comportement. L’expérience exige des
conditions de comportement strictement constantes et contrôlables. Il faut donc ramener ces
conditions au minimum indispensable ; d’où une simplification artificielle de la structure du
comportement de l’animal.
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Cette simplification se manifeste dans tous les chaînons du comportement. On prend le
besoin alimentaire, simple et relativement constant, facile à mesurer. Puis, on donne à l’excitant
indifférent un caractère artificiel, excluant l’influence du passé sur le processus étudié. La constance
des conditions expérimentales, l’isolement rigoureux de l’animal de toutes les influences fortuites, la
succession nette des excitants, tout ceci crée une détermination donnée des réflexes d’orientation
provoqués par les excitants conditionnés. D’autre part, la réponse elle-même (le réflexe salivaire) est
séparée du comportement moteur, les animaux étant immobilisés durant les expériences. Comme elle
se manifeste sous une forme univoque, sa réalisation d’une part ne constitue pas une tâche
particulière et, d’autre part, n’apporte aucune modification au système d’excitants présents, comme
cela se produit au cours d’un comportement naturel prolongé. Enfin, les expériences avec réflexes
salivaires se caractérisent par l’utilisation du renforcement menant directement à la satisfaction du
besoin.
Une telle simplification de tout le système de comportement dans l’expérience pavlovienne
classique pose naturellement une tâche ultérieure : l’analyse du comportement in vivo.
La théorie de Pavlov ne l’exclut nullement. Bien au contraire, elle la suppose.
Cette théorie ne rejette rien dans la structure du comportement. Elle ne ramène pas le
comportement toujours complexe à ses mécanismes élémentaires ; elle analyse.
Je m’arrêterai sur quelques problèmes concernant l’analyse du comportement, problèmes
déjà contenus implicitement dans le schéma classique des expériences sur les réflexes conditionnés.
2.
[173] Tout d’abord, le problème du chaînon sensoriel, cognitif, du comportement.
Dans les expériences sur les réflexes salivaires, ce chaînon essentiel est réduit au maximum ;
mais, dans les conditions naturelles, il doit apparaître dans toute son étendue.
Là, l’animal reçoit tout un afflux de stimuli qui ne peuvent acquérir leur signification qu’en
résultant de la découverte de leurs interrelations ; or, ceci exige des processus spéciaux. C’est
pourquoi l’existence d’une activité d’orientation étendue - actuelle ou réalisée dans une expérience
passée - constitue dans les conditions naturelles un chaînon de comportement aussi indispensable
que, dans les conditions de l’expérience pavlovienne classique, la présence du réflexe d’orientation à
l’excitant indifférent, artificiellement extrait du fond commun.
Ce chaînon d’orientation, de connaissance, a pour rôle de servir d’intermédiaire aux
chaînons exécutifs terminaux du comportement. Il peut être réduit au maximum, se limiter à la
réaction de l’organe périphérique analyseur, élaborée au cours de l’évolution biologique, ou, au
contraire, adopter la forme de processus prolongés d’écoute, de surveillance visuelle, etc. Mais il ne
peut jamais faire défaut.
Voilà pourquoi, à propos, l’on ne peut rapporter la théorie de Pavlov aux théories de simple
connexion entre stimulus et réaction, ni l’opposer à ce point de vue aux théories dites cognitives de
l’apprentissage.
Je voudrais tout d’abord rappeler les résultats des expériences avec formation de réflexes
conditionnés sur les excitants complexes ainsi que sur les relations d’excitants. Nous sommes encore
plus amenés à l’analyse du chaînon cognitif du comportement par les études spéciales des
mécanismes réflexes des processus sensoriels, qui ont maintenant accumulé un grand nombre de
données expérimentales. On peut considérer comme un fait établi que même les sensations
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élémentaires constituent le produit de toute une chaîne de réflexes, y compris les réflexes
conditionnés - aussi bien intra-analyseurs, qu’inter-analyseurs.1
[174] Encore plus complexes sont les processus perceptifs proprement dits, qui sont un
« comportement sensoriel » spécifique. Dans ses formes les plus complexes, ce comportement
parait souvent privé de ses extrémités motrices, restreint au système des liaisons sensorielles.
L’analyse montre cependant que ces liaisons senso-sensorielles sont le produit de l’intégration dans
des systèmes dynamiques de réflexes entiers, avec leurs arcs moteurs. Mais, dans le système, ces
arcs moteurs sont réduits. Voilà pourquoi le fonctionnement de ces systèmes prend l’apparence
d’une capacité d’insight en quelque sorte, des relations du champ perceptif.
Sur ce point, nous nous heurtons tout naturellement à la psychologie de la forme. Je ne vais
pas, examiner ici cette conception en entier. Je me limiterai à une remarque : ce dont le structuralisme
a fait un postulat, nous l’examinons comme un problème de recherche. Pour la théorie de
l’apprentissage, cela signifie : là où le structuralisme voit un facteur de l’apprentissage, nous voyons
le produit de ce dernier.
3.
Le second problème qui apparaît lors du passage d’un schéma général du réflexe
conditionnel à l’analyse du comportement dans les conditions naturelles concerne son chaînon
effecteur, exécutif. Les conditions des expériences classiques sur les réflexes salivaires l’effacent en
tant que problème particulier, mais ils ne l’effacent pas du programme de recherche. Il suffit
d’indiquer les expériences de Konorski et Miller (8), analysées par Pavlov. Certains auteurs seraient
enclins à voir dans la théorie des réflexes conditionnels une théorie basée sur une simple substitution
de stimuli; je dois par conséquent noter ici que Pavlov, au contraire, attribuait au chaînon moteur,
avec, les influx centripètes qu’il déclenche, un rôle très important, je dirais même le rôle le plus
important dans le développement de la connaissance et du comportement.
Pour réaliser la fonction d’adaptation, l’acte moteur ne peut, se déterminer entièrement par
les seuls effets immédiats de la situation extérieure. C’est pourquoi il ne peut automatiquement
aboutir à l’adaptation nécessaire. Il ne s’agit pas simplement du renforcement ou de l’extinction des
mouvements. Il s’agit [175] de la formation d’un nouveau système de réponses motrices à une
situation donnée.
C’est là, parmi les problèmes élaborés par l’école de Pavlov, l’un des plus importants pour la
théorie de l’apprentissage. J’ai surtout en vue les recherches d’Anokine (1, 2) et de ses
collaborateurs. Dès 1935, ces recherches mettaient en lumière la notion « d’afférentation en
retour », proche de celle de feed-back, actuellement si répandue.
L’afférentation en retour accomplit une double fonction. A l’égard de chaque chaînon
intermédiaire d’un acte moteur complexe, elle joue le rôle de signal pour le passage au chaînon
suivant, ou, en cas d’échec, de signal pour une nouvelle tentative. A l’égard du résultat total, elle
accomplit une fonction quelque peu différente : elle arrête la suite des mouvements et renforce le
système d’excitations formé dans le cerveau. Elle sanctionne l’acte. Non seulement la réalisation
d’une réaction motrice exige que le système d’excitations provoquées par la situation extérieure
passe aux voies effectrices, mais elle suppose en même temps l’actualisation d’un système sensoriel
Je puis noter par exemple les travaux d’E. Sokolov et de ses collaborateurs de la chaire de
Psychologie de l’Université de Moscou (18, 6).
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complémentaire, porteur d’un « modèle d’action ». Ce « modèle d’action » est le produit des
afférentations en retour.
La découverte de l’afférentation en retour permet d’expliquer une des principales
manifestations de l’apprentissage : le perfectionnement de la structure des actes moteurs complexes
au cours de leur réalisation, c’est-à-dire le processus de développement interne de l’acte lui-même.
Or, c’est là que réside le problème central de l’« apprentissage moteur ».
L’étude du développement interne de l’action a aussi pour la psychologie une signification
plus générale. L’analyse du comportement nous montre une double dépendance : celle des actes par
rapport à la connaissance, celle de la connaissance par rapport aux actes. La rupture de ce « cercle
sensori-moteur » se produit dans la partie motrice. C’est justement l’acte qui réalise le contact
pratique avec le monde extérieur ; se heurtant à l’opposition des objets réels, il doit non seulement se
soumettre à eux, mais apprendre auprès d’eux. Pour cela, il faut qu’existe un système particulier
d’auto-afférentation de l’acte, qui le contrôle et fixe son expérience positive.
Voici une dernière observation liée à ce problème.
Il existe jusqu’à maintenant en psychologie une tendance à [176]identifier apprentissage
moteur et formation des habitudes motrices. De mon point de vue, une telle identification, qui
procède du vieux behaviorisme, est injustifiée.
La réalisation de toute action suppose la présence d’habitudes motrices automatisées, de
stéréotypes moteurs. Cependant, la formation d’un comportement moteur ne se ramène nullement à
la formation d’habitudes, à plus forte raison n’en est pas le résultat. C’est plutôt le contraire : les
habitudes motrices sont le produit de l’expérience d’actions répétées (22).
D’autre part, les processus s’automatisent et deviennent stéréotypes non seulement dans le
comportement moteur, mais dans la sphère sensorielle (et chez l’homme dans celle de la pensée
aussi). La question des lois et conditions de formation des stéréotypes, de leur place dans la
structure générale du comportement constitue un problème psychologique particulier et bien plus
vaste.
Ainsi, si l’on prend l’apprentissage dans sa forme de départ, ou sous sa caractéristique la
plus générale, il apparaît devant nous comme le processus de formation des liaisons conditionnelles.
Mais, dès le niveau de comportement des animaux supérieurs, l’apprentissage prend, nous
l’avions vu, un caractère très complexe et se réalise par des mécanismes fonctionnels spéciaux. Les
lois générales de l’activité conditionnée du cerveau conservent toute leur force, mais la
manifestation de l’effet total de ces lois est soumise à des lois exprimant les relations des
composantes du comportement qui portent en elles l’image du monde. Cette image médiatise le
cours du comportement et ses résultats finaux.
Ce sont des lois psychologiques.
4.
Chez l’homme, le rôle de l’apprentissage s’accroît énormément. J’oserais dire que sa
fonction « s’élève », grâce à l’apparition de la société humaine, basée sur le travail (3).
Les actes humains, actes intentionnels, exigent une nouvelle forme de reflet de la réalité. Son
reflet sous forme de conscience.
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Seules les représentations conscientes peuvent régenter l’acte et s’incarner dans des
manifestations objectives. Ainsi, [177] l’idée technique se réalise en une construction physique,
l’image de l’objet - dans son dessin, l’intention spirituelle dans un acte réel.
Pour que les images, les représentations, les idées puissent accomplir ce rôle, il est
indispensable qu’elles existent pour le sujet en tant que réalité dont il peut se rendre compte, qui peut
guider son action et par rapport à laquelle il peut agir. Restant intérieures et subjectives, elles doivent
avoir en même temps leur substrat objectif. Ce substrat est le langage.
Pour chaque individu, les manifestations du langage sont un système particulier d’excitants
que Pavlov, vous le savez, appelait deuxième système de signalisation de la réalité.
Les excitants de ce système ne sont pas les propriétés elles-mêmes des objets du monde
environnant, de leurs liaisons et relations, mais ces propriétés, liaisons et relations dans leur reflet,
fixé dans les “ sons ou signes graphiques de la langue.
Ainsi, les excitants du deuxième système de signalisation ne sont pas simplement des
excitants conditionnés de deuxième ordre. Ils se distinguent des excitants du premier système en ce
qu’ils représentent sous une forme matérielle, capable d’agir sur l’homme, les propriétés et les
réactions des objets dans leur abstraction des objets eux-mêmes. C’est pourquoi ces excitants
forment pour l’homme un système particulier de réalité. C’est la réalité des connaissances élaborées
par la société, exprimées en significations verbales. C’est la réalité de la conscience sociale.
L’homme n’est jamais seul en face du monde d’objets qui l’environne. Le trait d’union de
ses relations avec les choses, ce sont ses relations avec les hommes ; d’où la nécessité de
communication verbale.
Cette pensée a été maintes fois traitée par de nombreux auteurs. Parmi les psychologues
français, j’ai surtout en vue M. le Pr Wallon (20).
Le contenu de l’expérience assimilée dans le processus d’apprentissage verbal élargit la
“ situation de comportement ” de l’homme bien au-delà des limites de ce qui agit sur lui au moment
présent, qui a agi dans le passé. Le comportement humain est déterminé par un monde infiniment
plus vaste, qui est reflété dans les représentations et les notions.
Tout ceci ne caractérise les particularités du comportement [178] et de la conscience de
l’homme que dans ses traits les plus généraux. Néanmoins, cela suffit pour poser le problème.
Le comportement des animaux dépend de deux sortes d’expérience. En premier lieu,
l’expérience fixée par hérédité dans les réflexes inconditionnels. Par son contenu, c’est l’expérience
générique. En second lieu, l’expérience individuelle acquise au cours de la vie en résultat de la
formation de réflexes conditionnels.
Il en va autrement chez l’homme. Bien sûr, l’homme possède aussi une expérience
générique, fixée par hérédité, Autre chose est la place, le rôle tout différent de cette expérience dans
son comportement. Ensuite, le comportement de l’homme, tout comme celui des animaux, dépend
de l’expérience acquise au cours de la vie. Mais le sien ne se borne pas à l’expérience individuelle, il
englobe une expérience inexistante chez les animaux, une expérience générique (plus exactement
historico-sociale) acquise dans l’expérience individuelle.
Ces deux sortes d’expérience individuelle se trouvent en interaction constante ; c’est
justement pour cela que dans l’analyse de l’apprentissage, il ne faut pas manquer de les distinguer.
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L’homme acquiert son expérience générique - l’expérience de l’humanité - sous forme non
de fixation héréditaire mais d’acquisition individuelle ; et ce fait change de façon décisive tout le
processus d’apprentissage en même temps qu’il “ élève” sa fonction, comme je l’ai dit.
Cette “ élévation” de fonction s’exprime en ce que l’apprentissage ne se borne pas à
modifier, à développer, à perfectionner le comportement. Il crée des comportements spécifiquement
humains. Tels la fabrication d’outils, le comportement verbal, telles toutes les actions verbales
intérieures, mentales.
Il crée également cette forme de reflet du monde spécifique pour l’homme : sa conscience
individuelle.
Dans ces conditions, l’apprentissage continue à se différencier.
Chez l’homme, l’apprentissage se transforme en processus spécial de transmission de
l’expérience de l’un à l’autre. Même les cas les plus simples d’apprentissage d’un acte réclament
l’intervention active de l’éducateur. Par exemple, pour apprendre à un petit enfant à se servir d’une
cuillère, l’adulte la lui place [179] lui-même dans la main, en rectifie la position, l’aide à la tenir
horizontale, etc. L’acte est ici comme partagé entre l’éducateur et l’éduqué. C’est un stade de
l’assimilation d’un acte que l’on pourrait appeler stade de coopération.
Certes, la mesure et les formes de participation de l’éducateur dans les actes de l’éduqué
peuvent être très différentes : souvent la participation s’effectue sur le plan verbal. Néanmoins dans
les conditions de l’apprentissage au sens étroit du mot, il y a toujours un stade d’assimilation qui
exige la participation de l’éducateur. Ce stade est d’une importance décisive dans le processus
d’assimilation, car il voit s’édifier le contenu lui-même du processus.
L’apprentissage au sens étroit du mot suppose toujours le reflet de la réalité sous forme de
conscience. Autrement dit, la participation de mécanismes cognitifs qui résultent de l’acquisition du
langage.
Tout d’abord, quand le petit enfant commence à parler, le mot ne signalise pour lui que
l’objet concret auquel les adultes l’associent ordinairement. Le mot ne commence à découvrir son
rôle spécifique que lorsque l’entourage le rapporte également aux autres objets qu’il désigne. Il
rapproche alors pour l’enfant ces différents objets et établit entre eux une communauté objective. Le
pas décisif est franchi, le mot établit des liaisons qui n’auraient jamais pu se former chez l’enfant, vu
sa faible expérience individuelle. De telles liaisons exigent un énorme travail d’analyse et synthèse des
données de l’expérience ; ce travail est vraiment accompli, mais non par l’enfant, par des générations
entières.
Néanmoins, il ne faut pas croire que le transfert du mot à la suite de l’adulte représente pour
l’enfant un processus passif. Pour lui aussi, c’est une action exercée sur ou avec le mot. Quand
l’adulte nomme un nouvel objet du mot connu de l’enfant, cela signalise à ce dernier que l’objet
possède les propriétés avec lesquelles le mot s’est déjà lié ; ce signal dirige l’activité d’orientation de
l’enfant sur les propriétés de l’objet, c’est-à-dire sa signification, indiquée par le mot. Si cela n’a pas
lieu, la nouvelle liaison ne se forme pas.
L’autre aspect du processus, non moins important, est que l’action avec le mot mène à
l’abstraction des propriétés des objets que l’on compare et à leur fixation dans la signification [180]
du mot - c’est-à-dire à la prise de conscience de ces propriétés.
Ici, une remarque qui touche l’interaction de l’objet et du mot, autrement dit, des signaux du
premier et du deuxième système de signalisation. Dans le cas le plus simple d’acquisition du mot,
l’on voit très nettement que le mot n’acquiert une signalisation qu’à travers ses liaisons avec les
7
objets. Ainsi, la source du contenu qui se reflète dans la signification du mot réside non pas dans le
mot, mais dans la réalité signifiée.
Il faut s’arrêter sur un autre aspect de cette interaction : sur la façon dont le mot accomplit sa
fonction cognitive dans le processus de nomination de l’objet. De la nomination résulte un
apparentement, sous certain rapport, de l’objet avec d’autres objets ; autrement dit, une
généralisation de l’objet, généralisation qui, bien entendu, n’efface pas ses traits individuels.
Toutefois, nous devons ce résultat non directement au mot lui-même, mais au processus
d’orientation, d’analyse et synthèse que - le mot, justement en sa qualité d’excitant, provoque chez
le sujet. Le mot n’est nullement un créateur de la généralisation ; il en est l’outil et le porteur.
Nous approchons sur ce point du problème du mécanisme d’action du mot. Le mot agissant
sur l’homme actualise chez lui un système de réflexes concernant le chaînon cognitif du
comportement. Les effets sensoriels totaux de ces réflexes, y compris les effets kinesthésiques
verbaux, forment comme le tissu de la représentation constituant le contenu de la signification du
mot. Mais ce sont des effets sensoriels d’arcs réflexes complets, ayant leurs extrémités exécutives ;
ces extrémités motrices sont inhibées, réduites, mais non supprimées.
Que sont donc ces branches motrices inhibées ? Dans le cas où le mot a une signification
concrète, c’est-à-dire peut être directement rapporté à des objets concrets, elles reproduisent
l’expérience de l’acte avec les objets. Expérience tout autrement généralisée que celle qui s’actualise
sous la seule influence directe des objets eux-mêmes. Elle subit comme une nouvelle généralisation
dans le processus de transfert du mot, d’utilisation du mot.
Le problème des mécanismes internes de régulation du comportement par le mot est
maintenant étudié par de nombreux physiologistes et psychologues. Parmi ces derniers, il convient de
noter particulièrement, le vaste cycle d’expérimentations [181] menées par A. Luria (11) et ses
collaborateurs, sur des sujets normaux et pathologiques. Elles montrent que la participation du mot à
la formation de nouvelles liaisons conditionnées consiste non seulement en ce qu’il “ remplace ” les
excitants du premier système et reproduit leurs liaisons qui “se transmettent ” à lui, mais, en premier
lieu, en ce qu’il dirige le processus d’orientation du sujet dans la situation. Ce qui explique des faits
comme la formation de nouvelles liaisons “ d’emblée ”, etc.
En résumé, je dois souligner que le passage aux excitants verbaux, aux excitants du
deuxième système ne remplace pas certains mécanismes et leurs lois par d’autres, mais rend plus
complexe la structure de l’activité conditionnée dans le chaînon d’orientation cognitif du
comportement.
Un niveau encore plus élevé de comportement et d’apprentissage apparaît lors du passage
des actions effectuées sur ou avec les mots aux actions verbales, c’est-à-dire à celles qui s’effectuent
par des processus verbaux sous forme de processus du langage extérieur ou sous forme de
processus intellectuels internes.
La condition d’apparition de ce niveau est un stade plus élevé d’acquisition du langage,
quand l’enfant devient capable de comprendre et d’utiliser des phrases abstraites des influences de
la situation concrète actuelle. A ce stade, il peut y avoir transmission à l’enfant de connaissances
historiquement élaborées concernant des objets, phénomènes et processus qu’il n’a jamais
rencontrés au cours de son expérience. Bien sûr, il reste également indispensable que les
connaissances transmises sous forme verbale se lient chez lui aux impressions reçues de la réalité
elle-même. La différence est ici simplement que, maintenant, la liaison entre le contenu assimilé sous
forme verbale et les impressions de la réalité s’établit, non par leur rapprochement direct, mais à
travers d’autres significations verbales (notions). Par exemple, quand un enfant qui n’a jamais vu de
paysage polaire en rencontre la description, il ne peut la comprendre qu’en la rapportant à d’autres
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significations verbales qu’il possède déjà, “ désert ”, “ glaces ”, etc. Si les significations déjà acquises
se révèlent insuffisantes, il faut compléter la description verbale par une démonstration d’objets qui
puissent être sensiblement perçus.
[182] C’est le problème classique de la relation du sensible et du verbal dans
l’enseignement. Ces derniers temps, elle a de nouveau attiré l’attention de plusieurs de nos
psychologues (N. Mentchinskaï a, L. Zankov) qui l’examinent à partir de positions pavloviennes
(12, 21).
Dans un cas encore plus compliqué - l’assimilation de notions abstraites - cette relation
prend la forme d’un passage de certaines significations (notions) à d’autres, en franchissant parfois
toute une série. Ce passage s’effectue dans les actes intellectuels, dans les opérations logiques.
Toute éducation de connaissances, par exemple, en classe, celle des bases des sciences, est
en même temps un processus de formation, chez l’élève, d’actes intellectuels.
Ceci constitue le problème psychologique central de l’apprentissage chez l’homme.
Dans son aspect le plus large, c’est un des problèmes essentiels de la psychologie génétique,
problème de transformation des actions extérieures en processus intellectuels internes, problème de
leur intériorisation. Nombre de psychologues éminents lui ont consacré des travaux; en U. R. S. S.,
ce problème fut posé pour la première fois chez L. S. Vygotski (19). Parmi les chercheurs d’autres
pays, je dois tout d’abord nommer Jean Piaget (16).
A l’heure actuelle, un cycle de recherches est mené à la Chaire de Psychologie de
l’Université de Moscou par P. Galperine et ses collaborateurs (4). Ces recherches découlent d’une
position commune: la source première des actions intellectuelles est l’action pratique, extérieure.
Elles ont une deuxième hypothèse : la formation des actes intellectuels ne se réduit pas seulement à
l’intériorisation des actes pratiques. Dans le cas contraire, le développement des actes intellectuels
nous apparaîtrait comme l’histoire des stades de transformation de leur contenu objectif en
opérations logiques. Se limiter à ce seul point de vue mène à l’édification d’une logique génétique
plutôt que d’une psychologie.
La transformation de l’acte se caractérise, outre l’intériorisation, la “ logicisation ” de son
contenu, par trois ordres de changements, relativement indépendants. (Nous les appelons
“ paramètres d’action ”.) Seules la somme et les interrelations de ces paramètres donnent une
caractéristique psychologique [183] de l’acte et des étapes de sa modification. Autrement dit, celle
de l’acte du sujet, opposé au contenu objectif abstrait de lui (c’est-à-dire de l’acte) qui se
transforme en opérations logiques.
L’un de ces paramètres est celui de généralisation de l’acte. Ainsi, certains enfants sont
capables d’effectuer une addition dont la somme ne dépasse pas la première dizaine ; d’autres
peuvent transporter cette opération sur n’importe quelle dizaine.
Le second est celui de réduction de l’acte. Par exemple, un enfant, additionnant deux
groupes d’objets, énumère d’abord le contenu de chaque groupe, puis, au lieu d’ajouter l’un à
l’autre les deux chiffres obtenus, recommence l’énumération dès le début. Un autre ajoute les deux
groupes en additionnant leurs deux totaux.
Un troisième paramètre est celui de l’assimilation, qui peut être différente à n’importe quelle
étape de généralisation et de réduction. Par exemple, l’enfant peut, sous, la direction de l’instituteur,
accomplir son addition en ajoutant le nombre des objets qui constitue le premier groupe au nombre
des objets du second ; mais, quand il est seul, au lieu d’employer ce procédé, il recourt à celui,
mieux assimilé, d’addition objet par objet. Parfois, le degré d’acquisition de l’acte peut ne pas
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correspondre aux indices d’action der, autres paramètres ; il fait alors obstacle au développement
ultérieur de l’acte. Il s’agit non seulement des cas d’acquisition insuffisante, mais aussi de ceux où
l’acquisition est solidement renforcée (automatisation), peut-être même trop ; dans ce cas, l’acte
reste, par exemple, à un niveau de généralisation ou de réduction insuffisant, ce qui entrave également
son développement.
Enfin, le quatrième paramètre est celui du niveau d’exécution. Nous entendons par-là le
degré d’intériorisation.
Les modifications de l’acte, fonctions de ce paramètre, sont évidemment liées à son
développement en fonction des autres paramètres ; mais c’est une liaison relative. Par exemple,
même des actes insuffisamment généralisés, peuvent acquérir la forme d’actes internes.
Comme la modification de l’acte relative à ce paramètre constitue le processus le plus
important dans le problème que nous examinons, je vais m’y arrêter plus en détail.
[184] L’éducation, chez les enfants comme chez les adultes, est en même temps la formation
d’activités intellectuelles nombreuses et multiples. On peut mettre en évidence diverses étapes de ce
processus.
Tout d’abord, une étape d’orientation préalable dans les conditions et les exigences
auxquelles doit satisfaire l’acte.
A l’étape suivante, l’enfant réalise l’acte portant sur des objets par exemple, il apprend à
compter sur un boulier. Le plus important, ici, est que l’acte est déterminé par les objets eux-mêmes
; cette étape pose les fondements du contenu et de la structure du futur acte intellectuel, sa base
profonde.
Ensuite, vient l’étape de l’acte dans le plan verbal. Par exemple, l’enfant apprend à compter à
haute voix sans s’appuyer sur les objets extérieurs. Cette étape libère l’acte de son adhérence aux
objets. Maintenant, l’acte opère avec des mots signaux verbaux des choses. Surtout, à cette étape,
l’acte prend le caractère d’acte théorique.
Seulement après, l’acte se transporte dans le plan intellectuel intérieur. Là, il continue à se
modifier jusqu’à, finalement, acquérir les traits propres aux processus intellectuels.
Bien sûr, ce n’est qu’un schème de la transformation de l’acte, de processus extérieur et
pratique en processus intérieur et purement cognitif, orientant l’activité pratique.
Dans son déroulement concret, la formation d’actes intellectuels est un processus de
modifications multilatérales complexes.
Peut-on caractériser ce processus comme processus de formation des opérations logiques ?
Oui, mais seulement en ce sens que les opérations logiques en sont le produit. Mais les
opérations logiques ne constituent que le moyen d’accomplissement de l’acte intellectuel, et non
l’acte lui-même. Elles ne sont des actes que par leur genèse. Toute opération est le produit de la
transformation spécifique que subit l’acte en rentrant dans la composition d’un autre acte, dont il
devient le moyen d’exécution. Par conséquent, il est difficile de voir si un processus est un acte ou
une opération. Par exemple, le processus d’addition ou de soustraction constitue un acte chez un
écolier de première année. Mais, quand l’enfant a appris à résoudre des problèmes arithmétiques,
ces [185] mêmes processus acquièrent chez lui le caractère d’opérations automatisées. Les
opérations fixent le contenu le plus stable des actes, c’est-à-dire leur contenu objectif, non
psychologique. C’est pourquoi, justement, l’exécution de n’importe quelle opération peut être
transmise à une machine - mécanique ou électronique.
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L’étude du développement des actions permet en même temps d’aborder le mécanisme de
formation des images conscientes et des notions (5). Ces dernières résultent des actions de
recherche et de démonstration d’un système de traits et de signes d’un objet. Quand ces actes
deviennent réduits et automatisés, ils se réalisent déjà sous la forme de réaction réflexe stéréotypée
en réponse à l’action d’un excitant spécifique. C’est pourquoi le sujet ne les sent plus comme ses
actions, elles échappent à son observation et n’existent pour le sujet que sous forme de leur propre
produit - images, notions. Et les traits et propriétés de l’objet successivement mis à jour apparaissent
simultanément, tout comme l’image sur un écran de télévision.
J’ai utilisé des termes comme développement, formation. Pour être plus précis, il aurait fallu
dire : développement, formation dans le processus d’apprentissage.
C’est seulement dans les formes spécifiquement humaines de l’apprentissage, c’est-à-dire
dans les conditions de transmission d’homme à homme d’une expérience historiquement élaborée
d’actes pratiques et théoriques, que s’effectué ce processus d’une complexité grandiose, rempli de
contradictions dialectiques.
Voilà pourquoi m’apparaît tout à fait légitime la voie de l’étude au cours de l’apprentissage.
N’y a-t-il pas là une exagération qui transforme le développement psychique du sujet en
processus dont le déroulement est imposé de l’extérieur ? Non, parce que l’acquisition de
l’expérience au cours de l’apprentissage n’est qu’une forme d’adaptation à la réalité et à son
assimilation, qui répond aux conditions particulières de la vie humaine. Cette vie se déroule non
seulement dans le monde des relations humaines, mais dans celui des représentations, notions,
connaissances, reflétant l’expérience de la pratique sociale. L’acquisition de cette expérience est
pour le sujet une manifestation de sa propre vie ; elle répond [186] à ses besoins et motifs, est rune
par (les buts, est capable de devenir elle-même un but. Elle possède ses lois intérieures, les lois du
développement psychique de la personnalité.
*
*
*
Il me reste à tirer quelques conclusions.
Dans ses formes primaires, le processus d’apprentissage concorde avec le processus de
formation des liaisons conditionnées, des liaisons de signal.
Avec le développement et la différenciation de l’adaptation, les espèces et les formes de
l’apprentissage se développent et se différencient. Ses mécanismes deviennent plus complexes, se
spécialisent. Les réflexes particuliers se lient maintenant en systèmes dynamiques, formant des
chaînons de comportement divers, entre lesquels s’établissent des interrelations internes,
Le principe général à la base de la formation de ces mécanismes reste le même : c’est celui
des réflexes conditionnels.
Néanmoins, il ne suffit pas de le reconnaître pour comprendre les processus concrets de
l’apprentissage. Ceci exige une étude détaillée, qui découvre les modifications légitimes de la
structure du comportement, et tout d’abord les modifications dans son chaînon à l’orientation,
sensoriel au sens large du mot. L’analyse des mécanismes physiologiques doit maintenant tenir ellemême compte des données de cette étude.
11
Chez l’homme, les processus d’apprentissage acquièrent une forme qualitativement nouvelle
de transmission et d’assimilation de l’expérience sociale.
Le rôle décisif appartient au contenu de l’activité cognitive, qui détermine les effets immédiats
de la situation extérieure sur l’homme.
C’est pourquoi l’étude de l’apprentissage, chez l’homme surtout, ne peut se satisfaire de la
méthode de confrontation directe des stimuli et des réactions. Justement, Pavlov mettait en garde
contre de telles tentatives. Examinant, dans les Mercredis cliniques, les résultats des expériences
menées sur l’homme, Pavlov disait : “ je ne puis me représenter que, si l’on place un homme dans la
position d’un chien, il réagisse de façon canine et ne pense à rien [...] que l’homme se dispense [187]
de questions, de réflexions ; ces réflexions ne peuvent manquer d’avoir un résultat. Supposez que le
sujet décide en lui-même : ‘Est-ce que cela me regarde ? Si cela me fait mal, je retire ma main, sinon
je la laisse’ ; et voilà vos 100 associations sans réflexe conditionnel ” (14).
La découverte de liaisons conditionnées comme manifestation universelle des formes
supérieures de la vie, manifestation physiologique et en même temps psychologique, représente pour
la psychologie un apport d’une signification énorme.
Mais cette découverte ne doit pas introduire en psychologie de représentations simplifiées et
mécanistes.
Elle affirme la signification des associations, mais cela ne signifie pas qu’elle nous ramène aux
vieilles théories psychologiques associationnistes.
Et je ne saurais mieux exprimer ma pensée qu’en répétant les mots prononcés par le Pr
Piéron dans son rapport à la première session de l’Association de Psychologie scientifique de langue
française : “Si une certaine psychologie associationniste a bien vieilli, les processus d’association
n’en restent pas moins fondamentaux” (17).
Ces dernières années, l’élaboration du problème de l’association, à partir de positions
théorétiques nouvelles, a occupé une grande place chez les psychologues soviétiques.
C’est là, à mon avis, la condition indispensable pour édifier une psychologie scientifique - une
psychologie qui avance la main dans la main avec la physiologie du cerveau.
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[188] 13. N. L. MUNN, « L’apprentissage chez 1es enfants », in : L. Carmichael (éd.), Manuel de psychologie de
l’enfant, Paris : PUF, 1952.
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