178 - Fi-Théâtre

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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Autre débat - cette fois national- qui agite la gent littéraire est celui provoqué
par le brûlot lancé par Gorki depuis son île de Capri à propos de la complaisance
dostoïevskienne du Théâtre d'Art. Il vise bien entendu Nemirovitch, qu'il déteste et
continue d'appeler « le flic littéraire ». Nemirovitch qui avait triomphé avec son
adaptation des Frères Karamazov trois ans plus tôt. En octobre 1913 il récidive avec
Nicolas Stavroguine, une dramatisation des Possédés, texte qui symbolisait pour
l'intelligentsia, la trahison de l'esprit révolutionnaire.
Gorki, dans son pamphlet publié dans la presse moscovite, s'en prend via. lemment au Théâtre et à ses dirigeants qu'il accuse de défaitisme et de passéisme
dans leur glorification de Dostoïevski, un auteur selon lui qui n'a fait que prôner la
soumission. « Il faut en finir, clame Gorki, avec cette attitude de passivité morbide
prêchée par Dostoïevski ! » Il n'attaque pas Tolstoï et son pacifisme militant de
front, mais il le range sans aucun doute dans cette même catégorie d'intelliguents
passifs.
L'intelligentsia russe se lève d'un bloc contre les diatribes de Gorki, coupable à
ses yeux de lèse-divinité. Stanislavski, bouleversé par ces imprécations, griffonne
dans son carnet quelques notes pour une lettre de réponse ail blasphémateur, son
ami pourtant : « Ni Gorki, ni Andréev, ni Tchekhov, ni Maeterlinck, ni Ibsen. [. H]
L'inestimable, c'est Dostoïevski [H']' Il est difficile de m'habituer à considérer
Dostoïevski comme porte-parole des laideurs sadiques. [H'] Il est difficile d'occulter
sa recherche de Dieu, sa pensée libre ci audacieuse et de le voir pris à partie dans
des querelles d'opinion. [ ... ] Dostoïesvski est au-dessus de la politique. [ ... ] C'est
un classique. [ ... ] S'ell prendre au Théâtre d'Art est devenu une mode. Mais de
toutes les accusations. la vôtre est la plus cruelle et la plus injuste. On vous a induit
en erreur H'
Terminer ainsin: nous allons continuer à poursuivre le chemin à la recherche de
Dieu qui a toujours été, est et sera la base de la vie du peuple russe. »
« La recherche de Dieu ... »
Gorki est d'un tout autre avis, qui prétend vouloir régler son compte ~
Dostoïevski une fois pour toutes. Dostoïesvski auquel il ne pardonne pas SOli
célèbre discours de 1881 prononcé à l'occasion de l'inauguration du monumenl à la
mémoire de Pouchkine, dans lequel l'écrivain appelait le peuple russe à la
résignation.
Sa conclusion est claire: « Il est temps que le peuple russe prenne son destin en
main ! »
IX
LE CRÉPUSCULE DU VIEUX MONDE
Les Diafoirus de la littérature s'agitent, les hommes de bonne volonté s'outragent et se déchirent. Des batailles bien dérisoires au regard de l'histoire et des
chocs gigantesques qui bientôt vont ébranler empires et continents. Dérisoires
au regard des carnages qui en résulteront.
Depuis janvier 1913, le Studio répète donc Friedensfest de Gerhart Hauptmann,
un auteur qui vient d'obtenir le prix Nobel de littérature un an
auparavant.
Friedensfest - Le Banquet de la paix, est un sombre drame familial, dans un
oppressant climat de huis-clos pathologique, où il est question d'un père terrassé par
l'alcoolisme, de fils dévoyés, d'héritage convoité, de famille déchirée et de
réflexions illusoires sur « l'homme nouveau ». Une dramaturgie noire, sans solution
et sans issue 1.
Evgueni Vaghtangov a succédé à Richard Boleslavski dans le rôle de
metteur en scène. Celui-ci est en pleine crise. Ivresse de son succès à la fois d'acteur
au Théâtre d'Art et de metteur en scène au Studio? Vaghtangov s'en plaint. à
Soulerjitski : « Aujourd'hui, Boleslavski n'est pas venu du tout. [H'] Nous sommes
tous révoltés. ['H] Je vous demande d'informer Monsieur Stanislavski que le ton de
Boleslavski, ses manières et ses comportements pendant les répéti1. Créé en 1890 à Berlin, Friedensfest, porte en guise de sous-titre Une catastrophe familiale. Il s'agit de la
seconde pièce de Gerhart Hauptmann, d'inspiration vériste et naturaliste, dans la ligne de Zola CI d'Antoine
dont il a nettement subit les influences à l'origine. Hauptmann évoluera par la suite vers
1111 lyrisme d'inspiration mystique et visionnaire.
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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
S'ensuivit une correspondance de plus en plus acérée entre Andréev et
Nemirovitch. Ce dernier commença par mettre en cause l'auteur et sa propension à
l'effet facile pour exprimer les plus nobles comportements:
« [Andréev] préfère sur scène un héroïsme même de carton, pourvu que cc soit
de l'héroïsme. [ ... ] Alors que l'héroïsme doit être transmis avec la simplicité de la
vie JO. »
La querelle s'envenime au cours des ans, pleine d'amertume et de rancœurs.
Andréev s'en prend au Théâtre lui-même, accusant ses responsables et ses artistes,
de complaisance idéologique.
Adaptant lui-même l'une de ses nouvelles, il refuse toute modification ou
coupure suggérée par Nemirovitch. C'est le signe avant coureur de la rupture.
Invoquant des raisons de fidélité à soi-même et à la ligne artistique du Théâtre,
Nemirovitch refusera désormais toute nouvelle pièce de l'auteur 11.
La fureur et le dépit d'Andréev n'y pouvaient rien: avec l'échec de La Pensée, la
critique de Moscou, attentive aux rumeurs de la capitale impériale, a beau jeu de
confirmer définitivement la supériorité des spectacles du Premier Studio sur ceux
du Théâtre d'Art.
Nemirovitch commence à s'en inquiéter et se demander comment il pourrait
circonvenir cette nouvelle déviation. Il n'a pas tort, car les jeunes loups, couverts de
lauriers, ont léché le sang et pris goût au succès. Ils se retrouvent encore tous
ensemble pour leur dernier été à Eupatoria, sous le soleil de la Mer Noire. Une
sorte de dernière communion, aux champs ou au coin du feu, à écouter Souler
raconter le monde et la vie ou faire de la musique. Mais ils parlent' de plus en plus
haut « d'autonomie artistique» à l'égard du Théâtre d'Art.
Pour Richard Boleslavski, cette tournée de Saint-Pétersbourg est un succès
personnel. Deux mises en scènes, deux triomphes. Des succès publics. Des succès
féminins innombrables et le tourbillon des midinettes ou des dames à l'entrée des
artistes. Un fauteuil tout près du Maître - dont il se considère comme l'un des
principaux héritiers spirituels, voire comme lieutenant, dans le combat pour la
cause du Système":" et des offres d'enseignement. Déjà en 1914 ! Il fera ses
premières armes de pédagogue dans l'école d'Adasev, un acteur du
10. Interview de Nemirovitch. Cité et traduit par Claudine Amiard-Chevrel dans Le Théâtrr Artistique de
Moscou, opus cité.
ILLe Théâtre a monté quatre pièces de Leonid Andréev : La vie de l'Homme (1907), L'anathèmr (1909),
Ekatarina Ivanovna (1912), La Pensée (1914). La première a été mise en scène par Stanislavski. les trois
autres par Nemirovitch.
Le crépuscule du vieux monde
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Théâtre d'Art, une bonne école d'où sont issus notamment Maria Ouspenskaïa et
Evgueni Vaghtangov. Pourtant le goût de monsieur Adasev pour les ballets roses le
perdra, entraînant l'école dans sa chute ... Ainsi s'achèvera l'éphémère carrière
pédagogique russe de Richard Boleslavski ..
Mais vient la crise. Une première crise profonde du jeune acteur, déchiré entre
le mirage du succès et du gain immédiat et la foi en son métier, celle inculquée par
ses pygmalions, Souler, Stanislavski et Nemirovitch. Il s'adresse à Nemirovitch, le
Directeur, l'arbitre supérieur.
,« ... Je n'ai plus le droit d'être un acteur. [ ... ] Je me suis trompé en choisissant
ce métier. [ ... ] Le fait est que j'ai perdu et je n'arrive plus à retrouver la Foi. [ ... ]
Je sais que si je continue à faire ce que je fais, je n'arriverai plus à la retrouver. Je ne
vis cependant pas pour le succès, l'argent ou le plaisir, mais pour servir cette foi. [ ...
] Dans le fond de mon âme, je n'ai pas le sentiment que le travail que je fais est
nécessaire et bon. [ ... ] Et si je sais que je peux retrouver cette foi en faisant le
métier de machiniste je deviendrai machiniste. »
Pourquoi s'adresse-t-il à Nemirovitch et non pas à Stanislavski ou Souler?
Ces derniers menaient eux aussi sans cesse des conflits avec leur conscience. Mais
seul Nemirovitch lui semble au-dessus de la mêlée des consciences, seul véritable
responsable du sort pratique et prosaïque des artistes du Théâtre d'Art.
« Nemirovitch prenait beaucoup de peine pour nous conseiller et nous guider,
s'efforçant de jouer pour nous son rôle de Prospero. Stanislavski lui, était Prospero
», dira Boleslavski plus tard à ses émules Américains.
Un jeune acteur en colère qui a le sentiment de n'être plus en règle avec sa
conscience en un temps où déferlent les tragédies humaines les plus âcres. Mais
avec sa mise en scène des Estropiés errants de V Volkenstein - spectacle que
Stanislavski avait envisagé de reprendre sur la grande scène du Théâtre d'Art Boleslavski avait réveillé l'une des fibres patriotiques les plus sensibles des Russes,
celle qui touche au mysticisme de la Délivrance de la nation. Avec l'influence de
Nemirovitch et son goût des grandes reconstitutions historiques, celle de Gordon
Craig et son monumentalisme, celle enfin de Stanislavski pour la « vérité de l'âme et
des sentiments », il est parvenu à une habile synthèse. Avec le Système comme
méthode d'orientation des acteurs en prise sur une actualité historique flagrante, la
combinaison ne pouvait que fonctionner. Patriotes, mystiques de tous bords et de
tous genres, intelliguents, hommes de bonne volonté, s'y retrouvent. Et ce, tandis
que la guerre malmène les frontières.
« Les estropiés sont le symbole de la Longue Marche russe. [ ... ] Les estropiés
errants symbolisent Rus traversant l'espace de toute notre histoire.
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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Quand viendra-t-il le temps, Mère Russie, où tu te débarrasseras de ce Tsar, qui
est responsable de ces longues marches d'estropiés? [ ... ] Des marches éternelles
vers Jérusalem, des damnés de la société et de ceux qui sont aux sommets de la
pensée. Ceux qui s'organisent en sociétés, redonnent des fondements philosophiques
à la religion et des fondements religieux à la philosophie en s'appuyant sur la foi et
Dieu. [ ... ] Et Rus continuera sa Longue Marche tant qu'il n'aura pas vu Jérusalem
12. »
Le théâtre est un temple et l'acteur son officiant ... La mystique russe de
l'Errance avec au bout la cité de Dieu et la Délivrance se confond avec le spectacle.
On acclame les acteurs, on les porte aux nues, ainsi que des porte-parole du Destin,
des prophètes.
Au printemps 1915, apparaissent à leur tour, dans le sud de la Russie, d'authentiques colonnes d'estropiés errants. Des invalides et des épaves humaines de
retour de guerre. Les journalistes s'empressent d'y voir un rapport avec la pièce qui
se joue au Studio.
x
LA DÉCHIRURE
La guerre est là et tous éprouvent son caractère crépusculaire. Tous ressentent
aussi avec douleur l'inertie profonde de la Russie et de son pouvoir face aux
événements qui embrasent le monde. Une nouvelle bouffée de fatalisme dostoievskien s'est abattue sur une partie de l'intelligentsia russe, contre lequel déjà
s'insurgea Maxime Gorki quelque temps auparavant. D'autres, la majorité de ceux
qui entendent résister moralement, montent des pièces patriotiques.
« Allons-nous nous abaisser à cette banalité? », se dit alors Stanislavski.
« C'est
le signe prémonitoire à l'explosion héroïque de l'esprit national, l'annonce
d'une déchirure morale ou de quelque changement profond, qui déj:) mûrit au plus
profond du Peuple 13. »
12. Sergueï Iablonski. critique à la Parole Russe (Russkoïe Slowo), cité par Marek Kulesza dans
Boles/avski ... , opus cité.
13. Idem.
Pouchkine, demeure une sorte de conscience de la Russie que les uns comme
les autres revendiquent. Aussi, le Théâtre d'Art se propose-t-il de revisiter ce gisant
prestigieux de la mémoire littéraire classique, le libérer de ses bandelettes et de son
embaumement pour retrouver en lui, ainsi que l'exprime le décorateur Benois, le
réalisme de l'âme '. Lâme russe bien entendu.
Nemirovitch et Stanislavski décident donc de monter trois de ses pièces en un
spectacle: Le Convive de Pierre, Un Festin pendant la Peste, Mozart et Salieri 2.
Toutes les trois portent la marque douloureuse de la punition divine en réponse aux
péchés d'égoïsme et d'orgueil de l'Homme. Lexpiation comme remède, alors que le
Théâtre proclame vouloir par ces spectacles, redonner un grand souille d'énergie en
ce début de guerre et rendre plus accessible à un public moderne le mythe du
triomphe de la vie. Ce faisant, Nemirovitch et Stanislavski commettent
--L
1. Cité par Claudine Amiard-Chevrel dans Le Théâtre Artistique de Moscou, opus cité.
2. Première le 26 mars 1915.
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----r
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Moscou. Adieu cinéma impérial et patriotique, adieu vulgarité et incompétenct',
adieu lupanar cinématographique. Prostré et terré dans sa chambre il s'attend aux
sommations des producteurs. Mais non, rien. A peine parti il est remplar~ par un
autre acteut. POut des raisons de vraisemblance dans les raccords on prcn dra tout
de même soin de ne filmer le remplaçant que de dos 4.
Avec la guerre, c'est l'explosion cinématographique. La frénésie patriotiqul' y
est pour beaucoup et elle celle-ci bat son plein.
Le jeune et vigoureux cinéma russe galvanisé par l'héroïsme combattant esi
servi par une nouvelle génération d'acteurs et de metteurs en scène ad hoc pour cr
nouveau genre - il n'y a pas de hasard - et hors normes par leur formation th6:1 traIe
spécifique. Il peut livrer ainsi à la chaîne des œuvres inoubliables aux titres exaltés:
La guerre engendre les héros, La guerre des peuples, Sous les balles des barbrm'"
germaniques, À la rescousse de nos fières Slaves, Dans le ftu de la tempête slave 5 ...
Richard Boleslavski apparaît un jour sur les écrans dans l'une de ces œuvre.\
intitulée Lacte héroïque du cosaque Koujma Krioutchkov, inspirée d'un fait divcl.\
authentique. Du cinéma immédiat, du « kino-journal ».
Le producteur Timan convoque un beau matin son réalisateur Gardin : « Ave'/.vous lu la presse d'aujourd'hui? Tout le monde parle du cosaque Krioutchkov.
Quand pouvez-vous commencer à tourner? Je m'occupe de la publicité! »
A peine quarante-huit heures après, le film est projeté au cinéma « Ars»! Il est
difficile de faire plus vite.
Premier triomphe cinématographique pour Boleslavski dans le rôle de l'h6roïque cosaque. Un triomphe aussi rapide que son cheval au galop.
Plus tard à Hollywood, il sera réputé pour ses cadences infernales de travail
dans ses propres tournages.
Le cosaque Krioutchkov est ce que l'on appelle à l'époque la « kinodéclamation », le
précurseur du cinéma parlant. On y parle en effet, mais derrière l'écran où un petit
groupe d'acteurs est chargé de faire les voix et les dialogucs. Beaucoup d'acteurs de
qualité moyenne se distinguent rapidement dans celtc spécialité comme de nos jours
les comédiens qui font exclusivement de la synchronisation. Et on les voit parcourir
les routes de Russie, leurs bobines sous le bras, comme jadis les comédiens
ambulants. Une technique nouvelle qui va être reprise par les unités de propagande
de la Révolution, surtOut dans les zones
4. Le film intitulé Trois cents ans de dynastie de la Maison Romanov est ptésenté dans les cinémas Je 10
février 1913.
5. Voir Marek Kulesza : Boles/avski ... , opus cité.
La déchirure
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furales reculées. Un métier éphémère cependant qui ne survivra pas au vrai cinéma
parlant qui devait apparaître à la fin des années vingt.
LÉglise et les artistes bien-pensants considèrent non sans torts que le cinématographe n'est que la catin du théâtre.
Stanislavski est plus nuancé et cutieux de nature. Il essaie d'imaginer une
ttpplication à cette nouvelle magie technique: « Le théâtre et le cinéma apparliennent
à des sphères différentes et les choses qui font que le théâtre excite, Imire et
charme, le cinéma ne pourra jamais nous les apporter. [00'] Le théâtre vit d'un
échange d'énergie spirituelle, qui passe sans cesse entre le public et l'acteur; c'est
cette sensation de contact qui unit l'acteur et le public par des fils invisibles. Ceci ne
pourra jamais se passer avec le cinéma d'où l'acteur vivant est absent, où l'on essaie
de recréer le courant spirituel par des moyens mécaniques. Dans le théâtre, c'est un
homme vivant qui nous enchante, nous rend triste, nous irrite ou nous apporte la
paix, mais dans le cinéma les gens et les choses ne sont réels qu'en apparence 6. »
Peut-être que le cinéma, se dit-il, peut servir à autre chose?
« Le cinéma ne peut remplacer le théâtre, mais il peut, s'il est bien compris et
prend en compte les questions de progrès spirituel du peuple, faire accéder les
masses populaires à l'ensemble de la vie culturelle. Dans ce cas, ce serait une
importante et grande chose. »
Ce n'était pas le cas assurément de l'édifiant film commandité par la famille
impériale et dans lequel s'était commis Mild1aïl T chelffiov.
Mais les jeunes loups du Premier Studio ne se préoccupent guère de la finalité
du cinéma. Ils en font et c'est tout. Le cinéma commence en outre à rapporter, ils
ont besoin d'argent, comme tous les jeunes acteuts du monde. Alors ils tournent de
la pellicule sans trop de discernement et sans trop se poser de questions. Dans tous
les genres, avec ou sans script, sans se soucier des sacrilèges littéraires ni des
plagiats.
On les voit ainsi interpréter Tolstoï, Dostoïevski, Pouchkine avec la même
candeur que des œuvres patriotiques ou des histoires d'aventure et d'amour.
Richard Boleslavski, dans le rôle du Prince Viazemski, flanqué de quelques
autres camarades du Studio, retrouvent Fédor Chaliapine sur le plateau où se
concocte Le Tsar Ivan le Terrible. Chaliapine interprète le rôle-titre. Après quoi,
Boleslavski s'en va tourner deux films à succès sut le tango. Malgré la guerre, la
fièvre du tango s'est en effet emparée de Moscou. La population manque de pain,
mais on voit
6. Cité pat Marek Kulesza dans Boles/avski ... , opus cité.
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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
lente que les précédentes. C'était la crise fatale et la dernière. Après cette crise,
Souler n'était plus vraiment lui-même. Un demi-cadavre décharné et épuisé qui ne
pouvait pas prononcer une seule phrase couché. Seuls ses yeux si expressifs
pouvaient parler. Sa femme veillait près de lui, jour et nuit, sans jamais le quitter,
ainsi que les membres du Studio, ma femme, celle du défunt Satz, Moskvin et moi.
Sans arrêt, il voulait dire quelque chose à chacun de nous. Mais il ne pouvait pas.
Pour nous donner bonne conscience, nous appelions des docteurs différents qui
venaient injecter du musc et d'autres médicaments qui ne faisaient que prolonger
l'agonie. Il est mort sans bruit, calmement. Son cœur a cessé de battre alors qu'il a
continué de respirer deux heures environ. À minuit, on l'a transporté au Studio et on
l'a placé dans le foyer. Ces deux jours au cours desquels il est resté là, furent
bouleversants. Comme si tout le monde avait compris tout d'un coup qui était
Souler et quel est celui que le Studio (et le théâtre) venaient de perdre. Les
membres du Studio le portèrent à travers tout Moscou à l'église polonaise. Là c'est
un véritable concert qui a eu lieu, car les artistes du théâtre Bolchoï ont voulu
prendre part aux funérailles en chantant toute une série de pièces religieuses de
concert. Après quoi, on l'a porté à nouveau à travers tout Moscou, dans le sens
contraire pour aller l'enterrer au cimetière russe où repose Tchekhov 28 [ ••• J.»
Aux obsèques de Souler, Stanislavski, debout au-dessus du cercueil, pleure
comme jamais il ne pleurera dans sa vie.
À la cérémonie du quarantième jour après les obsèques, Stanislavski lit une
prière écrite par Soulerjitski sur la misère du peuple et l'injustice sociale : « Comme
j'ai pleuré aujourd'hui mon Dieu, toute la matinée, à larmes chaudes et amères. J'ai
pleuré à en inonder l'oreiller et mes mains. Pourquoi? Parce qu'il y a des enfants,
beaucoup d'enfants dans les rues, les bras maigres comme des allumettes, les mains
sales; parce que dans la nuit sur la grande place, ils courent sous la froideur des
réverbères électriques pour vendre le journal « Kopeïka » en proférant de gros mots
et jurant comme des charretiers; parce que le policier les pourchasse et cela me fait
mal; parce qu'une quantité innombrable de tous petits enfants sont là dans les
orphelinats, minuscules êtres aux visages maigres et ridés comme ceux de
vieillards, aux doigts pâles bougeant à peine, couchés en rang d'oignons sur les
tables avec leurs numéros cousus; affamés, ils essaient de humer l'air avec avidité
et crient jusqu'à épuisement puis se calment et lentement dépérissent en regardant
dans le vide, cherchant de leurs yeux mourant
28. Lettre de C.S. à Alexandre Benais, 5 janvier 1917.
La déchirure
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1
dans ce vide un reste d'amour, avant d'agoniser seuls dans leurs couches mouillées
et froides, frustrés de tout amour ... »
Un texte « pur Soulerjitski » qui se termine par un appel pathétique: « Mon
Dieu, donne-moi la foi ou donne-moi un cœur tellement grand qu'il me guide là où
il faut que je sois et me fasse vivre comme je le devrais! Mon Dieu, si tu
existes, exauce ce vœu! »
Douze jours après la mort de Soulerjitski, Raspoutine, la Bête perverse du
Kremlin, est assassiné, terrassé par une véritable conjuration mystique menée par
le prince Ioussoupov 29.
C'est comme la fin de l'Ange et de la Bête Immonde.
Vera Soloviova, une jeune élève de Soulerjitski qui elle aussi fera plus tard
carrière en Amérique, dira : « Stanislavski a donné au Premier Studio la
Connaissance. Il lui a aussi donné un lieu et de l'argent. Mais Souler lui a donné son
Cœur et ce faisant il introduisait une nouvelle vie et plus de dimension
humaine dans le jeu de l'Acteur ... »
Au Kremlin, à peine quelques jours après l'exécution de Raspoutine, Alexandre
Trepov, l'ami très particulier du Théâtre d'Art, ancien préfet de police et
organisateur d'attentats anti-révolutionnaires, est nommé à la Présidence du Conseil
à la place de Boris Sturmer, protégé de Raspoutine. De
Charybe en Scylla.
Trepov n'aura pourtant guère le temps de jouir de ses nouvelles fonctions. À
peine installé, il se distingue par de nouvelles répressions de grèves et manifestations de protestation contre l'état de guerre à Petrograd, Moscou, Nijni Novgorod et
Bakou. En janvier 1917, le Tsar le démet pour nommer à sa place,
le Prince Nicolas Galitsine.
29. La laborieuse exécution de Raspoutine a lieu le 30 décembre 1916. y participent en dehors du Prince
Ioussoupov, le Grand Duc Dimitri Pavlovitch et le député d'extrême droite Pourichkievitch. Richard
Boleslavski, dans son film La dernière Tsarine, tourné à Hollywood en 1932 pour la Metro Goldwyn Mayer,
reconstituera cet assassinat.
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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Mikhaïl Tchekhov lui, joue au contraire Malvolio comme un rêveur lyrique,
oscillant entre le pathétique et le grotesque. Il flotte entre deux eaux, utilisant le
Système comme une thérapie contre l'état de neurasthénie dans lequel l'a plongé la
victoire des Bolcheviques. Son jeu est outré, extravagant.
Et Evgueni Vaghtangov, à qui Stanislavski a confié la direction du Premier
Studio après la mort de Soulerjitski, est choqué, non seulement par cette interprétation de Tchekhov, mais aussi par la tournure que prennent les choses: « Où sont
les motivations intérieures qui justifient les actions extérieures? Je ne comprends
pas à qui peut servir cette « extériorité ». [ ... ] Je crois que du point de vue de «
l'extériorité », le spectacle sera très intéressant et plaira, mais cette mise en scène ne
constituera pas l'avancée vers la compréhension de « l'intérieur» de l'homme. Et le
Système n'y gagnera rien. Et cela ne fera que ternir l'image du
, Studio. Toute ma confiance va à vous, mes frères « Rosmersholmiens ». [ ... ] Ce
Rosmersholm est un pas .vers le Mystère 12 .•• »
Avec la Révolution en effet, vient le temps des célébrations de masse. Celui de
la liturgie théâtrale du grandiose et du grandiloquent, directement inspirée de la
Révolution Française. Celui d'une nouvelle mystique de la communion de masse,
avec ses pratiques et ses nouveaux rites. Le théâtre continue par conséquent sur sa
lancée, dans la sphère du religieux. Seule l'échelle se modifie. À présent il s'adresse
aux foules, au Peuple dans son ensemble. Evgueni Vaghtangov en est un
précurseur, sa mise en scène de Rosmersholm, une préfiguration 13.
La Révolution est en marche. Et la Révolution dépasse parfois déjà ceux qui
l'ont lancée.
En février 1918, se tient la première conférence du Proletkult dont les lignes
d'action élaborées jadis à Capri chez Gorki par les « bogdanovistes » se sont déjà
radicalisées elles aussi. À présent, l'ambition des promoteurs du Proletkult est de
créer un réseau national de Clubs et de Studios de travailleurs implantés dans les
usines et dans les entreprises, en se substituant aux groupes d'amateurs en activité
qui ne font selon eux que du sous-théâtre-bourgeois. Lobjectif à terme est de les
substituer à tous les théâtres dit « professionnels ».
Lénine, Trotski et plus tard Lounatcharski sont contre cette politique de la table
rase. Lénine est en effet persuadé que le peuple a besoin de lyrisme, de poésie, de
Tchekhov ...
12. E. Vaghtangov, Notes, cité par M. Kulesza Boleslavski, mourir à Hollywood, opus cité.
13. Cette pièce d'Ibsen date de 1886. Il Y est question de culpabilité, de noblesse de sentiments et de
suicide dans l'honneur.
Les années telluriques
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Tchekhov en effet. Stanislavski a aussi repris La Mouette, convaincu qu'elle
s'inscrit parfaitement dans les objectifs d'un théâtre de la révolution tel qu'il l' entend. Il fait même un parallèle que d'autres feront par la suite, entre Treplev, le
poète incompris et Hamlet, car pour lui, Hamlet n'est pas un fataliste, mais une «
force morale active ».
Le créateur du rôle de Treplev, Vsevolod Meyerhold, est devenu cette « force
morale active» et l'un des phares du théâtre de son temps. Au contraire de Treplev,
son premier grand rôle, il ne pense guère au suicide. Il a le vent en poupe et son
exploration théâtrale l'a poussé aux confins de recherches formelles avec lesquelles
Stanislavski n'est plus du tout d'accord. Ille dit à qui veut l'entendre, considérant que
l'acteur meyerholdien « surjoue » ses interprétations comme un mannequin
mensonger, sans justification intérieure. Et pour cause, Meyerhold qui ne rate
pourtant jamais une occasion de rappeler qu'il est « l'élève de Stanislavski », fonde
ses réflexions et sa pratique théâtrales sur la recherche de la théâtralité absolue.
Cette théâtralité aussi que recherchait Victor Schlovski, qui avait défini la notion d'
ostranenie, que l'on pourrait traduire par « rendre étranger à », ce que Bertolt Brecht
traduira plus tard par Verfremdung, ou encore distanciation, dans sa traduction
française. Le contraire de perezhévanie.
Stanislavski est donc déjà l'âme, Meyerhold la raison 14. Alors que l'art de
Stanislavski prend ses racines dans le roman réaliste russe du xixe siècle et s'exprime au travers de l'inconscient, le perezhévanie et la vérité intérieure de l'acteur,
Meyerhold - qui n'aime pas du tout le perezhévanie et le dit - défini le sien, comme «
théâtre de la convention consciente ». Ce théâtre porte l'inspiration de toutes les
formes théâtrales populaires. Ses recherches, qui ouvriront la route à la mise en
scène avant-gardiste en Europe et dans le monde, seront condamnées pour «
formalisme» vingt ans plus tard par les penseurs de l'esthétique stalinienne.
La jeune génération est fascinée par les spectacles de Meyerhold, alias Dr
Dapertutto, ses conceptions de l'espace, d'un acteur synthétique, de son rapport avec
le public : Don Juan en 1910, La Baraque de ftire en 1914, Mascarade en 1917 et
bien d'autres ... Le portrait de Dorian Gray, son premier film tourné en 1915 et en
général son rapport aux nouvelles techniques et son génie inventif. .. Fascinée aussi
par ses théories sur le nouvel acteur basées la notion de corps, instrument
rythmique, la future « bio-mécanique », le corps musicalisé, l'espace
14. Formule empruntée à Béatrice Picon-Vallin.
.240
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Il commence par définir les personnages de Dieu comme un « conservateur »,
Lucifer comme un« anarchiste» et Caïn comme« l'éternel rebelle ». Dans ses notes
de mise en scène, il est souvent question d'un parallèle Caïn-Lénim:, car
Stanislavski considérait le personnage de Caïn comme positif41• Et Caïn interpelle
son Dieu et lui demande, tout comme Stanislavski, quel est le sens de tout cela.
Comment comprendre ces malheurs et cette terrible fatalité. Il tente aussi d'analyser
le « Mystère» en termes politiques. C'est l'occasion pour lui de lire un ouvrage
intitulé: La philosophie de Hegel et la doctrine de la nature concrète de Dieu et de
l'Homme.
Vaste problème en vérité que l'on tente d'éclaircir par des discussions sans fin,
portant sur la Révolution, la lutte des classes, le rôle du prolétaire et de la classe
ouvrière, la nouvelle eschatologie et la nouvelle mystique révolutionnaire.
Pour compliquer un peu plus les choses, on décide de fondre la scène et la salle
en un espace unique, dont on renforce l'effet de cathédrale par de gigantesques
vitraux éclairés de l'extérieur par des projecteurs42. Un arbre immense chargé de
fruits luminescents doit symboliser l'Arbre de la Connaissance, flanqué de part et
d'autre de deux énormes pierres servant d'autels. Un orchestre entier et des chœurs
sont engagés pour la circonstance.
Mais le temps est aux restrictions. On butte donc d'une manière prosaïque sur
des problèmes matériels. Stanislavski pense pouvoir se rabattre par exemple sur
une vieille technique inventée par lui jadis, celle de l'effet du velours noir. Mais on
ne trouve plus à Moscou assez de velours noir pour draper l'ensemble de l'espace.
Reste la solution du simple drap noir qui s'avère ridicule en raison des exigences
d'éclairage et du rendu des effets. La lassitude, la frustration s'installe ainsi, aussi
bien parmi les ouvriers que les acteurs. Il en résulte dans la troupe un laisser-aller et
un manque de discipline contre lesquels Stanislavski, malgré d~s tentatives de
reprise en main, malgré des « thérapies de groupe» par
. des exercices et un travail physique intense, a bien du mal à lutter.
La célébration escomptée, tourne bientôt au cauchemar.
Mais Stanislavski ne veut plus se dérober: « Pour le salut du théâtre et de ses
e~fants, il est impératif, impératif, impératif, advienne que voudra, que Caïn aille
confronter le futur immédiat! », écrit-il dans son carnet de notes 43.
41. Ceci n'était pas de l'avis de la censure qui conserve pendant des décennies ces notes sous le coude.
42. Un procédé qui fera non seulement école dans le cinéma, mais que l'on retrouve dans des effets de «
light design» du théâtre moderne.
43. Carnet de notes, 13 janvier 1920.
Les années telluriques
241
Lépoque, en effet, est à la grandiloquence politico-théâtrale et cette esthétique
empruntée aux Mystères du Moyen-Âge et des grandes mises en scène nationales de
la Révolution Française. Mais le Théâtre d'Art, diminué par l'absence de ses
meilleurs acteurs, castré dans son élan créateur malgré le titanesque sursaut d'énergie de Stanislavski, ne parviendra pas à faire passer le frisson révolutionnaire.
Lui qui a toujours pensé pouvoir contribuer à l'élévation spirituelle des masses
par le théâtre, ne comprend pas pourquoi les travailleurs et les paysans invités pour
la Première44, après quelques instants d'ahurissement, mènent tel tapage. La
communion est ratée. C'est le désastre. Il avait toujours rêvé de jouer pbur un public
« populaire ». Avec la Révolution, ce vœu semble réalisable. Alors il ne comprend
pas, il ne comprend plus pourquoi dans ce spectacle comme dans d'autres, ce public
se tient si mal, parle haut, mange bruyamment, boit, rote, insouciant de ce qui se
passe en scène. Souvent, il se voit obligé d'aller devant le rideau pour procéder à des
rappels à l'ordre, accueilli par une masse hilare et animée d'une verve insolente. Il
s'en retourne alors derrière le rideau, choqué de cette profanation du « temple
théâtral », par ce même peuple auquel il avait jadis rêvé d'apporter la lumière de la
connaissance et l'amour de l'art par le théâtre.
A la fin de ses notes de mise en scène il écrit cette phrase: « Le plus terrible,
c'est le silence de Dieu 45. »
Quelques mois plus tôt pourtant, pressentant la catastrophe, il avait, avec le
consentement tacite de Lénine, pris publiquement ses distances à l'égard du théâtre
politique: « Le domaine de notre art est l'esthétique, on ne peut impunément
transférer l'art dans le domaine autre, étranger à sa nature, de la politique ou de
l'utilitarisme pratique de la vie, tout comme on peut transplanter la politique dans le
domaine de l'esthétique pure 46. »
La grande liturgie révolutionnaire n'est pas vraiment l'affaire de Stanislavski.
Ni celle du Théâtre d'Art.
La critique de Caïn est sanglante. On reproche au Théâtre d'Art non seulement
de ne pas contribuer à la Révolution, mais même d'être incapable« d'évolution ».
Il ne fait de doute pour personne que ses jours sont maintenant comptés. Le public
prolétaire a manifestement besoin d'autre chose, d'un théâtre plus directement
accessible à sa compréhension et son émotion. Vsevolod Meyerhold lui, a monté un
an et demi plus tôt, Mystère-Bouffe de Maïakovski 47, une pièce
44.4 avril 1920.
45. Cité par Anatoli Smelianski dans Les chemins tragiques des idées théâtrales in Les conférences d'une
saison russe, éd. Actes Sud Papiers, 1995.
46. Discours de Stanislavski au meeting des travailleurs de l'art théâtral, 22 décembre 1919.
47. Création en 1918.
246
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Lénine est en principe d'accord avec le schéma que lui propose Lounatcharski, tout
en se demandant si la troupe partant à l'étranger ne va pas être tentée de « déserter» la
Russie comme il semble que ce soit le cas pour le groupe Katchalov avec lequel le
contact est quasiment rompu depuis un an ...
Le Théâtre d'Art bat vraiment de l'aile, tandis que l'Octobre théâtral, déploie les
siennes de plus en plus!
La théâtromanie s'est emparé de la Russie. On voit fleurir des groupes par milliers
et se développer un bouillonnement de spectacles en tous gentes, sam équivalent dans
l'histoire. Commencent aussi à circuler, sous couvert de prosélytisme prolétarien, les
faux élèves de Stanislavski, les faux prophètes, les vendeurs de filtres de talent, les
usurpateurs de tous poils.
Les vrais disciples s'éloignent peu à peu pour faire leur chemin, les amis, les vrais,
se font rares et Stanislavski est bien seul. Restent quelques témoignages, exprimés à mivoix, qui tentent de se faire entendre au milieu des clameurs de la m~diocrité, pour
conjurer l'oubli soudain et le raz-de-marée populiste. Tel celui du poète Alexandre Blok
- qui pourtant avait célébré en des termes enthousiastes l'avènement de la Révolution - à
propos d'une représentation des Trois sœurs au Théâtre d'Art: « C'est une parcelle du
grand art russe, une parcelle sauvegardée par hasard, épargnée aux crachats par miracle,
une parcelle de cette patrie écoeurante, répugnante, stupide et sanglante que je quitte
demain.
Et même le public - cette masse stupide - comprend. Le dernier acte s'achève au
milieu de cris hystériques. Le départ de Tousenbach pour le duel est accompagné d'une
crise de nerf au dernier balcon. Au coup de feu, un choeur d'une dizaine de personnes se
répand en lamentations, de leurs voix stridentes, ces voix pleurnichardes et pourtant
sincères, terriblement outrées, de celles que l'on entend seulement en Russie. [ ... ] Quel
malheur que le pays où nous sommes nés, nous ait préparé un tel terreau pour la vilenie
et la discorde. Nous vivons comme derrière le Mur de Chine, dans un climat d'hostilité
latent des uns envers les autres. Alors que notre unique ennemi est la structure de l'État
russe, celle de l'Église, des tavernes, du fisc et des fonctionnaires; cette structure
anonyme qui dresse les uns contre les autres. J'essaierai de toutes mes forces d'oublier
toute « politique russe ». [ ... ] Je tâcherai de devenir un être humain et non une machine
à produire de la méchanceté et de la haine 54! ». Il meurt peu de temps après, de
désespoir dit-on.
54. Alexandre Blok à sa mère, peu de temps avant son départ pour l'Italie (1921). Blok est considéré
comme le plus grand des « symbolistes ». Son œuvre est imprégnée de mysticisme noir et d'angoisse tragique.
Le désespoir d'avoir perdu la foi en la Révolution l'a mené à la mort.
XII
LA SOLITUDE DE PROSPERO
Au fil des mois, la situation dans le pays se dégrade de façon catastrophique.
Le 21 février 1921, éclatent les révoltes ouvrières contre le centralisme
léniniste et les rigueurs du communisme de guerre. Quelques jours plus tard, c'est au
tour des marins de Cronstadt de se soulever 1. Ce qu'ils réclament n'est ni plus ni moins
qu'un retour aux valeurs originelles de la Révolution: la liberté de parole et de presse, la
liberté de production pour les artisans qui ne seraient pas employeurs, la libération des
prisonniers politiques, l'élection des soviets au scrutin secret, la suppression des
nouveaux privilèges pour les dignitaires du parti, la liberté de parole et d'action pour les
syndicats, les socialistes et les anarchistes. Des revendications déjà intolérables pour les
nouveaux dictateurs de la Russie.
Craignant que cette révolte ne fasse tache d'huile, notamment dans le
monde paysan déjà saigné à blanc par les réquisitions massives pratiquées dans
l'arbitraire et la terreur, et voyant s'effondrer, avec l'écrasement de la révolution
communiste en Allemagne, ses espoirs d'une union économique avec un pays hautement
industrialisé, Lénine opère une manœuvre en deux temps.
Pour calmer les esprits, il annonce sa Nouvelle Politique Économique, la fameuse
N.E.P, qui constitue un retour partiel aux méthodes de l'économie capi1. Base navale russe dans l'île de Kotline, dans le Golfe de Finlande. C'est de là qu'est parti le croi- . seur «
Aurora» pour attaquer le Palais d'Hiver en octobre 1917.
256
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Khlestakov, le charmant filou, écumeur des salons de la bourgeoisie corrompue de
province, l'un des plus grands succès d'acteur de sa carrière. Un succès qui lui vaudra sa
célébrité nationale et internationale 15.
L'interprétation simultanée et souvent paroxystique d'Eric XIV et Khlestakov, la
fièvre du succès sans doute aussi, ont un effet déstabilisateur sur le psychisme encore
fragile de Tchekhov. Il se remet à bégayer. Comment continuer à jouer dans ces
conditions?
Il se rend donc chez Stanislavski pour lui raconter ses troubles et lui dire qu'il ne
pourrait sans doute plus jouer. Stanislavski l'écoute attentivement puis il se lève, se
dirige vers une fenêtre, en saisit la poignée et lui dit: « Lorsque j'ouvrirai cette fenêtre,
vous vous arrêterez de bégayer. »
Et Tchekhov, de cet instant s'arrête de bégayer. Prospéro est aussi magicien.
Mais un magicien pas toujours commode 16.
Vaghtangov développe lui, depuis longtemps sa théorie sur le jeu du Grotesque et
Stanislavski vient souvent s'asseoir au chevet de son disciple, l'écouter parler de cette
technique que d'autres après lui reprendront. Le Grotesque, dit Vaghtangov est
l'expression d'une énorme énergie créatrice, émergeant de l'inconscient. Il a donc besoin
d'une formidable justification intérieure qu'il faut canaliser, organiser, pousser. .. C'est ce
qu'il expérimente et accomplit magistralement dans ses derniers spectacles au Studio
Habima avec le Dibbouk et dans son Troisième Studio avec La Princesse Turandot de
Carlo Gozzi.
Entre deux séjours à l'hôpital, il se traîne de répétition en répétition, d'un studio à
l'autre, dévorant des pastilles de bicarbonate à longueur de journées et de nuits ou
prenant de la morphine pour calmer ses douleurs au ventre. Mikhaïl Tchekhov
l'accompagne parfois pour lui tenir le bras dans ses marches douloureuses. Lorsque
Vaghtangov, à bout de force n'en peut vraiment plus, il confie ses répétitions à
Souchkievitch.
En janvier 1922, c'est la première triomphale du Dibbouk d'An-ski 17 au Studio
Habima, inspiré d'une vieille légende juive sur le mythe de la création d'un Homme
Nouveau. Un spectacle réalisé avec des amateurs et qui prouve de manière éclatante
l'efficacité du Système bien compris et bien utilisé. Un spec15. Il triomphera aussi dans ce rôle en Amérique.
16. M. Tchekhov raconte aussi dans ses mémoires, que lorsque Stanislavski était mécontent de lui ou de
~s interprétations, il ne l'appelait plus Micha, mais Mikhaïl Alexandrovitch.
Il. An-ski est le pseudonyme de l'auteur Salomon Rappoport.
La solitude de Prospero
257
tacle où Vaghtangov développe ses propres théories en matière de mise en scène, sur les
Contrastes, le mouvement, et bien entendu le Grotesque.
Meyerhold, Eisenstein, Taïrov et d'autres viennent crier leur enthousiasme et
reconnaissent en Vaghtangov un pair, un nouveau maître.
La réputation du Dibbouk de Vaghtangov va faire le tour du monde et constitue un
des jalons de l'histoire du théâtre moderne. Le Studio Habima quant à lui, prendra le
chemin de l'exil, Berlin, l'Amérique, puis, avec la montée du nazisme, la Palestine.
Un mois après la première du Dibbouk, Vaghtangov présente en mars 1922 La
Princesse Turandot, son spectacle sans aucun doute le plus génial, car réalisé avec son
propre groupe qui réalise à la perfection tout ce qu'il exige. Ce sera son testament
théâtral.
Se sachant proche de la mort, Vaghtangov a voulu y mettre toutes ses découvertes
en matière de jeu d'acteur, toutes ses innovations esthétiques. Il n'a plus la force d'assister à la première. Jusqu'au bout pourtant il a refusé de croire à la mort. À Mikhaïl
Tchekhov, son ami intime, qui lui rend visite, après son opération, il découvre son corps
décharné et tentant de bander ses muscles lui dit avec un maigre sourire sur son visage
jauni comme un parchemin par la souffrance: « Regarde comme je suis fort! J'ai des
muscles dans les bras! Tu vois comme mes jambes sont fortes! »
Mais lorsqu'on ose enfin lui avouer qu'il ne partira pas en tournée avec le Studio,
son instinct farouche de survie l'abandonne et ses forces se mettent à décliner à vue d'
œil. Quelques jours avant la fin, il murmure à Mikhaïl Tchekhov: « J'aurais tant voulu
vivre encore, Micha, tant voulu vivre ... »
À la première de La princesse Turandot, le public est stupéfait devant ce feu
d'artifice de l'imagination. « Un festival de l'esprit », diront les critiques.
Stanislavski est là. Bouleversé par ce génie à l'état pur, à peine le spectacle achevé,
il court chez Vaghtangov et le trouve alité et endormi. Ille regarde ainsi abandonné,
quelques instants, la gorge nouée par un sanglot qu'il étouffe pour ne pas le réveiller.
Puis, doucement à ses compagnons qui sont auprès de lui, il dit en désignant les draps: «
Amis, drapez-le dans sa toge, c'est un Empereur! »
Stanislavski n'oubliera jamais La Princesse Tu randot. Et il ne verra jamais Le
Dibbouk, la naissance de l'Homme Nouveau. À chaque fois qu'il veut se rendre au
théâtre pour voir la pièce, des coupures d'électricité obligent la troupe à annuler la
représentation. Encore une ironie du destin.
De mauvaises langues à Moscou font alors circuler le bruit que le réseau électrique
de Moscou, déjà souffreteux en raison du manque de charbon, ne peut supporter
simultanément la charge électrique de deux étoiles aussi puissantes que Vaghtangov et
Stanislavski ...
266
L'errance des comédiens
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
Le Courrier polonais quant à lui commente: « Monsieur Boleslavski, qui a passé
une douzaine d'années dans le théâtre de Stanislavski y travaillant comme metteur
en scène, doit être considéré avec son collaborateur, Monsieur Léon Schiller, l'un
des meilleurs spécialistes du théâtre et de la littérature dramatique à Varsovie ainsi que la Reduta notre plate-forme expérimentale la plus avancée, quoique
limitée financièrement - comme ceux qui enfin élèveront le théâtre polonais aux
dimensions européennes. »
Le jeune Léon Schiller, collaborateur attentif de Boleslavski sur Le Bourgeois
Gentilhomme deviendra l'un des hommes les plus influents du théâtre polonais de
l'entre-deux-guerres et sans doute l'un de ses plus importants metteurs en scène et
directeurs de théâtre. Sa rencontre avec Richard Boleslavski fut pour lui décisive.
Après la percée et l'euphorie, à nouveau l'ingrate réalité et la guerre.
En réponse à la prise de Kiev par le général Pilsudski, fin avril 1920, les Russes
lancent une contre-attaque massive sur deux fronts: Toukhatchevski vers Swiecany
et Molodetchno, vers la Bérésina. Ils se ruent sur la Pologne à la vitesse de vingt
kilomètres par jour, enfonçant les divisions polonaises.
Le 1 er juillet, Pilsudski lance une conscription nationale de volontaires pour
étoffer l'armée combattante.
Les artistes sont appelés à travailler pour la propagande. A leur tête Arnold
Szyfman et son Teatr Polski. La série des spectacles de collecte a commencé dès le
11 juillet 1920 avec la mise en scène de Boleslavski du Bourgeois gentilhomme. La
recette de 3.276, 50 Marks est entièrement destinée à équiper les régiments de
volontaires.
Le 16 août, Pilsudski contre-attaque sur un arc de cercle allant de la Vistule
jusqu'à LWQw, en passant par le Niemen. Larc de cercle stratégique devient arcenciel. Les lignes bolcheviques sont enfoncées à leur tour. Le 25, l'Armée Rouge
abandonne Wilno alors qu'a déjà commencé la conférence de Riga sur l'indépendance de la Pologne. C'est ce que la presse appelle « le miracle sur la Vistule. »
Boleslavski se met au service de la propagande militaire. Des deux côtés du
front, on utilise le cinéma d'animation ou de fiction comme support à la propagande. En août, Boleslavski affublé du grade « d'officier-volontaire », réalise pour
le compte du Ministère de la Guerre, un film destiné à présenter les méfaits du «
paradis socialiste ». On ne conserve du court métrage en question que le titre - La
conversion de Pavel et Gavel - ainsi que quelques indications de contenu. Une
histoire édifiante une fois de plus, qui raconte l'arrivée d'unt.: patrouille
bolchevique dans un village polonais et se termine par la reconnaissance par les
soldats russes de leurs erreurs idéologiques.
267
Quelques semaines plus tard, Boleslavski sort sur les écrans un long métrage
d'une inspiration identique, L'héroïsme du scout polonais. Face aux Bolcheviques
bien entendu. Le film a le vent en poupe et jouit d'un bon succès de critique et
de salles.
Après quoi, coiffé de surcroît de l'aura de son expérience cinématographique
russe, Boleslavski se voit confié par la société de production « Sphinx », la direction
d'une superproduction pour l'époque, en dix actes, relatant la victoire sur
les armées bolcheviques: Miracle sur la Vistule.
Ainsi se termine son activité de cinéaste propagandiste. A présent, il se
tourne vers la pédagogie, non plus théâtrale, mais cinématographigue. En octobre, il
commence à enseigner l'art de l'acteur au cinéma dans l'Ecole de mimo-plastique
rythmique - avec section cinéma - de Madame Adolfina Paszkowska. C'est là qu'il
forge les vrais premiers éléments de son enseignement ultérieur à New York et à
Hollywood. Léon Schiller, son collaborateur et témoin, dit à propos de ces séances
de travail sur l'acteur: « Tous ceux qui ont travaillé avec lui ont appris à déchiffrer le
texte dramatique « en acteur », ce qui veut dire entendre dans les mots, les phrases et
les périodes plus longues du dialogue, non seulement leur sens strict, mais leur
valeur émotionnelle, les pensées cachées, les désirs et les intentions des personnages
conduisant les dialogues. De cette façon naquit un second texte en marge du premier
- le texte intérieur. »
Parallèlement à ses activités pédagogiques, il produit encore jusqu'au printemps
quatre spectacles - deux au Teatr Polski et deux au Teatr Maly, l'un et l'autre de ces
théâtres étant placé sous la même direction de Szyfman. Le Petit Théâtre ressemble
curieusement à un Studio et c'est tout normalement que les jeunes acteurs de la
troupe fascinés par l'expérience, la personnalité et les idées de Boleslavski se
mettent à rêver avec lui d'autonomie. De départ sur les routes de Pologne, de troupe
ambulante, de tréteaux et de moyens simples et directs de communication avec le
public 10. Très vite, ces rêves engendrent des tendances sécessionnistes . .chistoire
des théâtres et des troupes n'est-elle pas un éternel recommencement, une suite de
passions, d'unions et de trahisons?
Szyfman n'est guère enclin à endosser le rôle de Lear. Puis c'est le divorce et
le départ de Boleslavski vers Berlin.
Berlin, début 1921. Capitale d'une Allemagne vivant à l'heure des putschs
politiques, des grèves générales et leurs répressions sanglantes. Une métropole
10. Lidée de théâtre ambulant, de tréteaux de foire et d'un art théâtral « routier ", se propage alors dans
toute l'Europe.
282
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
choc américain : « Les acteurs ne se familiarisent que difficilement avec la ville
européenne. Ils prennent les mauvais trains ou tramways, confondent les numéros,
sont logés très loin, ce qui est la cause de retards 21. »
Et malgré toute cette confusion et ces fausses notes où l'on tente, loin de la
maison mère, de remettre les pendules du Théâtre d'Art à l'heure, l'imprésario,
imperturbable, cultive les actions spectaculaires : « Hier, nous avons découvert un
véritable jardin sur la scène - des cadeaux. Une voiture est venue livrer une
corbeille, ce qui eut pour effet de provoquer la curiosité de tous les gens dans la
rue. A côté de cette corbeille se tenait Gest; c'était lui le donateur. Qui d'autre qu'un
américain pourrait faire une chose pareille 22! »
Quant aux décors et aux costumes, on emporte le strict minimum. Il fut décidé,
sans consulter Stanislavski, de renoncer à la grosse cloche qui annonce dans Le Tsar
Fiodor, le départ de ce dernier du Kremlin. Lorsque Stanislavski, au cours de la
répétition de cette pièce, découvre l'absence de la cloche, il entre dans une fureur
noire: « Pas de cloche, pas de Tsar Fiodor. »
Les réunions de crise se succédèrent jusqu'au moment où l'un des régisseurs de
plateau suggère une solution de remplacement géniale, découverte par lui par
hasard dans une fabrique voisine, l'utilisation de deux grandes plaques de grandes
scies circulaires. Elle produisirent le son désiré et ont l'avantage d'être plus légères
que la cloche initiale restée à Moscou.
Berlin fait un triomphe au Théâtre d'Art, mais un triomphe au goût amer: « Je ne sais
pas du tout ce que je dois écrire! Décrire le succès, les ovations, les fleurs, les
discours? 1. .. Si nous avions fait une avancée dans l'inconnu artistique, si nous étions
venus offrir des révélations, je serais moins avare de couleurs pour le dépeindre; et
chaque rose reçue dans la rue d'une Américaine ou d'un Allemand, chaque
compliment aurait grande signification, mais comme ça ... Il serait ridicule de se
réjouir ou d'être fier du succès de Fiodor ou des spectacles Tchekhov. Lorsque dans
les Trois sœurs, Verchinine prend congé de Macha, cela me jette moi-même dans le
désarroi. Après tout ce qui s'est passé, on ne peut plus pleurer sur le fait que
l'officier s'en va et que sa dame reste. Tchekhov n'apporte pas de plaisir. Au
contraire on aimerait ne plus le jouer. .. Perpétuer l'ancien est impossible, mais pour
le nouveau, nous n'avons pas les gens. Les anciens, qui en seraient capables, ne
veulent plus réapprendre, et la jeunesse en est incapable, elle est aussi trop
inconsistante. En pareils moments, je ne sou21. Lettre de CS. à N.D. Berlin, 27 septembre 1922.
22. Idem.
L'errance des comédiens
283
haiterais qu'une chose, abandonner le théâtre, qui me paraît sans espoir, et ne Ill'
occuper plus que d'opéra, de littérature ou de quelque activité manuelle. Voilà les
sentiments que provoquent en moi nos triomphes 23 ••• »
Triomphe amer et lucide sans doute, mais triomphe tout de même, tel que
Berlin, la métropole alors de toutes les cultures européennes, s'en étonne. La
colonie russe, elle, célèbre la nostalgie du temps passé ... De la première, le 25
septembre, à la dernière, le 10 octobre, Berlin vit à l'heure russe, dans les restaurants où l'on fête la Russie toutes les nuits, jusque dans les rues où circulent des
camions à plates-formes chargés de musiciens russes.
Au toutbillon des réjouissances se mêlent les inévitables complots de basse
politique, les provocateurs policiers, les faux exilés, les silhouettes louches, avec ou
sans barbe, les malentendus volontairement entretenus, les hypocrisies politiques et
l'ombre des fantômes du déjà très actif service de renseignement et de propagande
soviétique. Tout se concentre alors à Berlin, point d'articulation majeur, point de
rupture aussi des grandes lignes de force de la politique européenne et mondiale du
XXe siècle.
Le Théâtre d'Art est pour quelques semaines l'épicentre du séisme d'intrigues
politiques et jusqu'au sein de la troupe secouée depuis la sécession de la troupe
Katchalov par des affaires de trahisons, d'abandons ou de départs plus ou moins
volontaires : « J'aurais tant voulu régler l'affaire avec Maria Nikolajevna
(Germanova). Nous avons parlé avec la plus grande franchise. [ ... ] Et pourtant il
n'en est rien sorti. Des protecteurs indésirables ont fait leur apparition, les journaux
ont lancé une campagne selon laquelle, pour des raisons politiques, nous ne
prenions pas d'exilés russes, et que Maria Nikolajevna était une opposante
particulièrement hardie. Je crois qu'elle même n'est guère reconnaissante de cela à
ses protecteurs, car ceci pourrait lui nuire en Russie. Il faut se taire pour ne pas
embrouiller et compliquer les choses. Mon Dieu, que de pourriture « émigrative » se
concentre ici. [ ... ] Nous devons être très prudents 24 ••• »
Prudents, certes, et toujours prêts à parer toute provocation d'où qu'elle vienne.
Celle du journaliste, par exemple, qui l'interroge pour savoir si dans les salles de
théâtre moscovites il fait plus chaud que dans les théâtres berlinois. Sous entendu, le
gouvernement soviétique, ennemi notoire des arts, vous donne-t-il au moins du
charbon pour vous empêcher de mourir de froid. Celle aussi de la presse à scandale
qui ne manque pas une occasion de relever les possibles errements de conduite des
membres de la troupe, leurs beuveries nocturnes ou leurs
23. Lettre de CS. à N.D., Berlin, octobre 1922.
24. Idem.
284
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
pérégrinations dans les rues louches de la capitale germanique _ les rues aux
lumières rouges - à la recherches de dames de mauvaise vie. Ce que Stanislavski
admoneste avec vigueur s'il en a ouï.
Mais il y a plus grave sans doute, la décomposition morale qui déjà s'insinuc au
cœur de la troupe - encore idéale aux yeux du public - et que pour J'instanl seul
Stanislavski sait déceler. Au cours d'une répétition d'une scène de masse, alors que
J'un des acteurs vêtu en boyard apparaît portant une cuvette et une cruche,
Stanislavski avec son humour cinglant J'interpel1e : « Il avance en comptant dans sa
tête combien il lui restera de marks après Berlin et se demande s'il doit acheter des
chaussures ici ou bien d'attendre pour cela d'être à Prague 25. »
C'est dans ce climat à la fois de lente dégradation interne, d'ivresse de la
grande métropole et de qui-vive permanent que leur parvient un télégramme de leur
manager américain, Morris Gest, les informant que le début de la tournée
américaine, initialement prévue en novembre ou décembre, doit être repoussé ;1
janvier 1923. Les motifs de la décision SOnt obscurs, mais sans doute sont-ils ;)
chercher dans J'écume de psychose politique entretenue par une certaine presse et
qui déjà précède la réputation du Théâtre d'Art en Amérique.
Changement de programme par conséquent. D'ici là, il faut survivre, ce qui veut dire
bouleverser tous les plans et réorganiser la tournée en Europe. Survivre de ses
propres forces sans compter sur quelque aide que ce soit de l'imprésario américain
qui malgré ses proclamations philanthropiques n'est guère prêt à assumer des
risques. Une fois n'est pas Coutume, les Russes, dom l'instinct de survie à J'étranger
est légendaire, ne peuvent donc que compter sur eux-mêmes: « Nous avons à présent
une grande pause avant Prague. De même après la Scandinavie et avant l'Amérique.
Personne ne va nous payer ces pauses, ce qui représente pour nous de grandes pertes
financières. Nous nous cassons la tête pour trouver comment combler ces pauses. Il
va fal10ir organiser des matinées 26 ••• »
On annule Vienne en raison de la trop grande instabilité du schil1ing et le peu
de perspectives de recettes, pour lui substituer Prague et Zagreb, deux étapes
théâtrales que Katchalov et son groupe connaissent bien. Et en effet, Prague
accuei11e le Théâtre d'Art, cette fois au complet, comme une fami11e que J'on
connaît et aime bien. Triomphe au Théâtre National 27.
25. Vadim v: Chvéroubovirch, Sur les gens, sur le théâtre, sur moi-même, Moscou I976.
26. Leme de CS. à N. D.,. Berlin, ocrobre 1922.
27. Séjour à Prague, du 17 ocrobre au 3 novembre 1922.
L'errance des comédiens
285
Départ pour Zagreb le 3 novembre. De nouveaux triomphes - les plus grands de
cette tournée européenne avec Paris, estime Stanislavski - et le sentiment pour les «
katchaloviens » de fêtes de retrouvaiUes.
Retour sur Berlin où la fami11e Stanislavski se scinde en trois. Lilina, Kira et
Kiri11a repartent à Moscou. Igor son fils, atteint de tuberculose, va se faire soigner
dans un sanatorium suisse. Constantin, à la tête de sa troupe pléthorique prend le
train pour la France.
Jacques Hébertot, qui était venu voir Stanislavski à Berlin en septembre, a
confirmé son invitation. Il a réussi, grâce à ses relations politiques, à vaincre les
blocages administratifs mis en place par certains pour empêcher la venue dans la
capitale d'éléments soupçonnés d'appartenir à la subversion bolchevique. Paris
attend donc le Théâtre d'Art de Moscou. Paris découvre le Théâtre d'Art en ce début
de décembre 1922.
Le 30 novembre à une heure du matin, Jacques Hébertot, Lugné-Poe, fondateur
du Théâtre d'Art parisien 28, Jacques Copeau, fondateur de la Compagnie du Vieux
Colombier, accueiUent Stanislavski et sa troupe sur un quai venteux de la gare du
Nord. (Stanislavski) « débarqua comme un patriarche au milieu de son peuple »,
raconte Copeau 29.
Le surlendemain de son arrivée, il rend visite à André Antoine, le vieux pionnier du naturalisme au théâtre, fondateur du Théâtre Libre et ancien directeur de
J'Odéon. Antoine salue en lui, un maître, le fondateur d'un théâtre qui est un «
patrimoine à protéger ». « Tout ce que nous avions rêvé, entrevu, ce renouvellement
du théâtre, cette recréation de J'art décoratif, du costume, cette dévotion à l' œuvre
et à l'auteur, tant de richesses, d'abord tâtonnantes, cette exaltation de la nature et de
la vérité, cette humilité de J'acteur envers son personnage, enfin, tout ce qui
constitue J'art supérieur, la pure beauté, Stanislavski l'a accompli jusqu'au bout et
sans faiblesse. Il pouvait égaler ses devanciers, il triompha sur le terrain que ceux-ci
n'avaient pas abordé, celui du répertoire contemporain et des pièces réalistes. Du
coup il a dépassé, en les développant, les réalisations françaises, même de la
meilleure époque 30. »
Après quoi, Stanislavski rend visite à Jacques Copeau et à ses jeunes disciples
du Vieux Colombier.
Copeau note dans son Journal: « Hier, samedi 2 décembre, Marie Hélène (sa
fiUe) a eu vingt ans. Le même jour, visite de Constantin Stanislavski, mqis je ne
puis lui parler parce qu'il est escorté de Jacques Hébertot. »
28. Le Théârre d'An parisien fur créé conjointement par Paul Fon et Lugné-Poe en 1890.
29. Registres du Vieux Colombier.
30. Visages de Russie, éd. Boris Grigorieff, Paris 1923. Cité dans Revue d'histoire du Théâtre.
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STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
L'errance des comédiens
Ils sont en présence de grands comédiens servant à la perfection un grand auteur
dramatique et ils sont bouleversés.
Aussi, quelle ne sera pas leur émotion de voir entrer un matin dans leur atelier,
le grand Stanislavski lui-même, introduit par leut patron (Copeau), et de pouvoir
entendre les paroles encourageantes qu'il leur adresse 39. »
C'est au cours de l'une de ces conversations qu'en réponse à une question de Copeau
à propos de l'organisation d'un Studio, de l'éthique de travail et de la question de
lieu, que Stanislavski lui conseille, dit-on, de « partir à la campagne », chercher en
France un lieu inspiré, proche de la nature pour y créer des conditions de vie et de
travail inspirés de l'esprit de Pouchkino 40. Pour les Copiaux, ce sera la campagne de
Bourgogne. Ceci ne sera pas le seul point commun entre Stanislavski et Copeau. En
1933, dans une de ses conférences sur le métier du théâtre au Vieux Colombier, il
dit: « [ ... J une technique forte et légère, préméditée et libre, à la fois la plus
accomplie et la plus épurée, qui soit la plus savante et la plus vivante et qui, si
parfaite qu'elle soit, demeure cependant toujours un peu en deçà de l'esprit dont elle
est la servante à nouveau. [H.J (Ces techniques) Ont fait naître une école que peu à
peu nous développons. Il y a beaucoup de choses semblables chez les Yogis de
l'Hindoustan. »
Dans le règlement du Vieux Colombier, Copeau avait inscrit sa profession de
foi: «Je me suis efforcé par tous les moyens d'élever le comédien à une certaine
dignité, de lui donner une haute idée de sa fonction, de développer et d'enrichir sa
conscience, de le tirer de la spécialisation à outrance qui le mécanise, de l'instruire
par des exemples, des conseils, des préceptes, afin de le mettre en possession d'une
technique souple et sûre, qui, loin d'opprimer sa personnalité, tendait à lui donner
libre jeu. Je ne puis me vanter d'avoir transformé la nature de l'acteur, je l'ai
discipliné. »
291
« Ce qui chez lui m'a frappé surtout, c'est la noblesse. Une stature puissante, le
port de tête, l'expression passionnée de la physionomie lui donnaient un air de
domination, tempéré par la douceur du sourire et les manières exquises d'un
aristocrate. Il y avait quelque chose de souverain chez cet homme simple. Je lui
trouvais aussi un peu de distance, de détachement, peut-être de la lassitude et, dans
sa courtoisie même, une tristesse que l'on ne s'étonnait pas d'observer chez le grand
artiste qui venait d'assister au naufrage d'un monde.
« [H' J La passion de l'acteur et tout le problème de l'interprétation, de ses
méthodes et moyens, de ses possibilités et de ses limites; le besoin de trouver une
base solide à ses recherches, et des collaborateurs, des compagnons dignes d'elles,
le tourment de l'art dramatique, avec un sentiment très profond, mais très obscur
que celui de notre temps n'a pas rencontré sa forme, qu'il ne sait où tendre ni même
d'où partir; voilà la tragédie de ce noble Stanislavski telle que j'ai pu la pressentir en
1922, à travers quelques paroles confidentielles. »
Paris est-il vraiment gagné? Certains critiques font la moue et lorgnent déjà du
côté de la nouvelle garde théâtrale russe née avec la Révolution.
Dans une lettre à André Gide, Roger Martin du Gard fait part de son irritation :
« [ ... ] Trois séances de théâtre russe, troupe Stanislavski (Le Tsar Fiodor, Les BasFonds de Gorki, et l'étonnant Jardin des cerises de Tchekhov) ; à aller voir comme
l'ilote ivre; met en évidence la stupidité du contresens naturaliste, où tout le sens
d'une œuvre se dilue dans le détail; ce n'est pas encore ça qui peut faire croire «
dans» le théâtre 41 ! »
Après le Théâtre d'Art, Jacques Hébertot invitera donc au Théâtre des ChampsÉlysées, le Théâtre Kamerny d'Alexandre Taïrov, qui se situe à l'opposé du
prétendu naturalisme de Stanislavski 42. En découvrant la Phèdre « moscocubiste »
de Taïrov, et aussi Le Revizor de Gogol-Meyerhold, le public parisien se scinde en
deux clans, celui des Cocteau, Picasso, Malraux, Léger, Jouvet, Dullin, qui
prendront fait et cause pour cette nouvelle esthétique; et celui des autres qui
dénonceront « la déstabilisation de l'art dramatique, la barbarie, les extravagances,
les bizarreries, la folie et l'excès 43. » Dans le théâtre de Taïrov, l'acteur
Le projet de « Société pour la préservation du théâtre européen» ne verra
jamais le jour. Par contre, en 1927, Dullin, Jouvet, Baty et Pitoëff mettront en
commun leurs conceptions de l'art du théâtre et un certain nombre de moyens
logistiques et publicitaires pour créer le « Cartel ».
Le séjour parisien s'achève. I.;Amérique attend Stanislavski que l'on annonce
comme un prophète. Mais le prophète est-il encore ce qu'il fut, s'interroge Copeau.
41. Dans Registres du Vieux Colombier, Saison 1922-1923, opus cité.
42. Contrairement à Stanislavski et à sa recherche de vérité et de réalité sur scène, Taïrov privilégie les
pures facultés d'expression de l'acteur, lui-même élément d'une scénographie globale qu'il baptise « réalisme
structural ». Un mélange d'abstraction, de rigueur plastique et d'atmosphère poétique en phase avec une réalité
corporelle « sublimée » de l'acteur. La mise en scène de Phèdre se situe dans sa période dite « néo-classique» (à
rapprocher d'un néo-classicisme de Picasso ou d'un Cocteau).
43. Béatrice Picon-Vallin, Meyerhold et le théâtre russe du XXe siècle, in Les conférences d'une saison russe,
éd. Actes Sud Papiers, 1995 .
39. Dans Registres du Vieux Colombier, Saison 1922-1923.
40. Cette anecdote nous a été rapportée par Madame Marie Hélène Dasté, fille de Jacques Copeau, lors
d'une interview préliminaire à la préparation du Symposium, Le Siècle Stanislavski (Centre Pompidou, Paris
1988)
.L.-...-
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297
America America
STANISLAVSKI, LE ROMAN THÉÂTRAL DU SIÈCLE
la vie et les coutumes cruelles des gens féroces de tous pays et de toutes nationalités.
Des pensées venaient sur la mort 5. »
Un voyage agité - il ne fait beau que deux jours -le reste du temps, le navire est
ballotté aux gré des courants et des vagues. Le transatlantique offre pourtanl des
distractions que peu de nos artistes ont connu jusque-là: bains d'eau de mer avec
massages, séances de gymnastique avec toutes sortes d'appareils simulant l'équitation à
cheval et même à dos de chameau. On peut aussi s'adonner à l'aviron en salle, faire du
vélo et bien d'autres choses encore.
Il y a aussi la rencontre avec le célèbre psychologue, le Professeur Coué - dl' Nancy
- précise Stanislavski avec une ombre d'ironie 6. Lépisode burlesque du passage de
seconde en première classe - car l'équipage britannique est formaliste et n'aime guère
que les passagers se mélangent. Le Professeur - de Nancy -logt.: en première et
conforme à sa réputation de grand médecin des âmes, il y donnt.: ses consultations.
Stanislavski le retrouve dans la luxueuse suite d'une ravissantt.: milliardaire où brûle
même, comme au théâtre, un feu factice dans une cheminée elle aussi factice. Émile
Coué, le maître nancéien de l'hypnose et dl' l'autosuggestion dit vouloir en savoir plus
sur Stanislavski et sa méthode. Ct.: disant, il ne cesse de pérorer seul et de commenter
les thèses qui l'ont rendu célèbre, tout en baisant de temps à autre la blanche main de
son égérie américaine. La pâle beauté au bord de la flétrissure et de la pâmoison, boit
ses paroles et le suit partout comme une ombre.
fut suivie d'une soirée bien plus animée le soir du 1 er janvier .. , Selon une vieille
tradition, les artistes voyageant à bord du navire, sont tenus de jouer et de chanlcr au
profit des marins. La troupe du Théâtre d'Art ne peut guère s'y soustraire et c'est dans la
grande salle à manger des secondes que les acteurs commencent par Godounov de
pouchkine. Une prestation totalement couverte par le vrombissement de l'hélice
principale du bateau. Frustration du public que l'on te nie de dissiper par un second
numéro emprunté à Shakespeare, dans lequd .St: distinguent, hurlant pour couvrir le
bruit de l'hélice, Stanislavski et Katcha\ov dans les rôles d'Antoine et de Brutus.
Moskvin tente de rompre la glace entre Set'lIt: cr spectateurs avec des fragments de
Chirurgie, une impérissable comédie d01l1 l'illtrigue est passée aux oubliettes de l'histoire du théâtre.
«Tout le monde comprend, particulièrement lorsqu'on charge un Pl:11 SlIr les
passages comiques », commente Stanislavski 8.
La seconde partie est improvisée, ce qui n'est guère plus du gOl\l dll pll\ Il k,
Chants accompagnés à l'harmonica, sketches divers, chœurs éraillés dll '\'1\(1,~1I'l'
d'Art de Moscou ...
La totalité des spectateurs n'en jouira cependant plus, ayant désert« 1111 ~I 1111
la salle à manger des secondes ...
Un public décidément peu convaincu des prestations dral":" jqll('~ ('(
lyriques de la plus célèbre des troupes de théâtre d'Europe. Le savaii il M'III\,' ment? «
Le public _ émigrants de toUS les pays, en majorité des ildl~ ln'
C'est sur ce navire voguant vers la Terre Promise, suspendu entre le maelstrom
menaçant et le ciel insondable, dans les flancs duquel, peuplant les ponts et les
labyrinthes des coursives, grouille un parfait échantillon d'humanité du Vieux Monde,
que l'on célèbre le Nouvel An 1923.
Une célébration modeste, le soir de la Saint Sylvestre; « Nous nous sommes rendus
dans la salle à manger pour boire en compagnie de quelques vieilles personnes, une
bouteille de vin mousseux (nous ne pouvions guère nous permettrt.: plus, car nous
avons déjà dépensé tout notre argent pour le voyage) 7. » Mais elle
comprend rien 9. »
Une fois de plus, la communion artistique avec le prolétarial, ('('111' IlIi~ l'i
cosmopolite et émigrant, est ratée ...
Le surlendemain, on danse sur le pont, illuminé de mille :"lpl,"I •.• 1111'1
triques. Le« Majestic» vient de passer le Gulfstream et il fait dOllx, I:t\lllllllqln· est
maintenant à portée de vol de mouette et l'air tiède éveille joic/, M'I
promesses. Peu après minuit pourtant, la lune se couvre, la tempér:lIlIlI' Il (, IlilhC'
"~"'N ("
soudain et le navire pénètre dans un épais banc de neige.
Si bien que c'est un « Majestic » endimanché de blanc, majesllll'"~ IltillIll'~
son npm l'indique, qui passe la Statue de la Liberté, le 4 janvier 1'1.' \ 1111 \,('dl matin.
Déjà traqué par les journalistes, Stanislavski ne verra pas b ",IFllllk li'IIIIC et son
flambeau. Installés dans une pièce pour sa première confcll'lIl (, dl' 1" rm" américaine,
lui et une partie de la troupe, il les virent arriver comlll(' 1111' "pl~r dl" corbeaux,
caméras et appareils au poing. Photos, flashes, en gr(lllpr~ 1111 11\lllvl
5. Lettre de CS. à Lilina. Fin décembre 1922 (paquebot Majestic) à janvier 1923 (New York).
6. Émile Coué, pharmacien et psychothérapeute (1857-1926). Il dirige à Nancy une clinique dans laquelle
il se livre à ses expériences thérapeutiques dans le domaine de l'hypnotisme et de l'autosuggestion. Cette
technique aujourd'hui désuète, appelée parfois ironiquement « méthode Coué » devail permettre selon lui de
faire retrouver au patient son équilibre physique et psychique. La question cependant de la maîtrise de son
propre psychisme n'est pas très éloignée des théories de Ribot et de c<: que cherche au~si Stanislavski dans
son principe de « volonté de créer », 'de recherche « d'état créateur », ou de maîtrise de sa « mémoire
émotionnelle ».
7. Lettre de CS. à Lilina. Fin décembre 1922 (paquebot « Majestic ») à janvier 1923 (New York).
8.Lettre de CS. à Lilina. Fin décembre 1922 (paquebot « Majestic ») à jallvi"1 1".' \ III.
i
9. Idem.
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