Panorama du théâtre au XXe siècle

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réservés pour tous les pays.
© Éditions Gallimard, 1H7S.
AVANT-PROPOS
Un siècle de théâtre. Nous l'appelons le xxe bien qu'il ait débuté
dans le dernier quart du xixe siècle, au moment où le metteur en scène,
à travers les expériences d'André Antoine, en France, et de Stanislavski, en Russie, commença à prendre le pouvoir, à infléchir le cours
de la vie théâtrale, à modifier le jeu de la création dramatique.
Théâtre du xxe siècle, sa modernité n'a cessé d'en être affectée toujours
davantage, dans les œuvres comme dans les spectacles.
Il semble d'ailleurs que, les cent ans bientôt révolus, un théâtre
s'achève, qu'un autre se forme. Du premier, le recul historique aide à
embrasser le panorama; pour le second, peut-on dégager déjà des tendances ?
En spectateur quotidien du théâtre en France, nous avons été naturellement amené à appréhender le relief de celui-ci dans ses détails,
alors qu'au-delà de nos frontières, la perspective est plus cavalière et
réduit les apports à ce qui constitue le patrimoine universel.
Si le mouvement donné au théâtre moderne par l'intervention du
metteur en scène peut être facilement daté, et sans trop d'arbitraire, à
quel moment considérer les littératures dramatiques? L'action initiale
d'Antoine ou de Stanislavski et de Nemirovitch-Dantchenko est liée
pour beaucoup au réalisme ou au naturalisme des écrivains de l'époque.
Mais ne les ont-ils pas hérités plus qu'ils ne les ont suscités? Ceux-ci
n'appartiennent-ils pas au xixe siècle finissant?
Nous avons cherché plutôt à reconnaître chaque fois les œuvres dont
l'originalité ou l'influence ont contribué à édifier et à faire évoluer le
théâtre du xxe siècle.
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Panorama du théâtre au XX' siècle
Comme l'avait souhaité René Bertelé, qui a eu l'idée de ce livre,
nous avons voulu éclairer de l'intérieur l'aventure théâtrale en faisant suivre ce panorama d'une anthologie de textes d'auteurs, animateurs, metteurs en scène et scénographes dont les théories, les politiques,
les esthétiques, les pratiques, dramaturgique ou scénique, ont expliqué
et favorisé cette évolution.
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Philosophies, réalismes et esthétiques
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Depuis un siècle, théories nouvelles et manifestes d'esthétique
théâtrale se sont succédé avec une rapidité parfois surprenante et
se sont disputé la scène avec passion, parfois avec violence.
Voilà trois ans qu'André Antoine avait ouvert à Paris le
Théâtre-Libre pour servir le naturalisme dont Emile Zola, en 1 88 1,
avait défini les principes au nom d'une vérité scientifique, lorsqu'en 18go, Paul Fort lança le Théâtre d'Art, suivi, en 1893,
par L'Œuvre de Lugné-Poe, « en vue de combattre le naturalisme ».
En 1898, le dramaturge suédois Strindberg, après avoir sacrifié
au naturalisme, le répudiait pour donner naissance au drame
expressionniste avec Le Chemin de Damas.
Stanislavski, depuis 1 898, avait pu imposer au Théâtre d'Art de
Moscou, sa conception naturaliste de la mise en scène grâce aux
oeuvres de Tchékhov et de Gorki. En 1905, il éprouva le besoin
de dépasser cette expérience et mit le studio laboratoire du
Théâtre d'Art à la disposition du jeune et bouillant Vsevolod
Meyerhold qui avait fait partie de sa troupe; celui-ci esquissa un
théâtre de « convention consciente » en faisant répéter La Mort
des Tintagiles de Maeterlinck. Son travail était en totale opposition avec l'esprit de la maison mère. Stanislavski en résumait le
credo « Le réalisme a vécu. Il faut représenter la vie non telle
qu'elle est en fait, mais telle que l'artiste la devine à travers ses
rêves et visions, aux instants d'inspiration.» Toutefois, sa décision
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de fermer le studio après la répétition générale ne condamnait
pas la tentative, mais l'insuffisance des acteurs mal préparés aux
techniques nouvelles. « Une fois de plus, notait encore Stanislavski, je pus me convaincre de l'abîme qu'il y a entre les rêves
d'un régisseur et sa réalisation. »
Le siècle du metteur en scène
Ces « rêves » indiquent la situation particulière du « régisseur »
ou cc metteur en scène» dans le théâtre et l'influence que son apparition à la fin du xixc siècle a eue sur la vie théâtrale
Jusque-là, celle-ci dépendait de l'invention des auteurs et des
interprètes qui tenaient le devant de la scène. Parmi ces derniers,
rares ont été ceux à l'avoir régentée par l'intelligence d'ensemble
qu'ils avaient du problème artistique, comme Lekain, la Clairon
ou Talma, au xviiic siècle, lorsqu'ils imposèrent un réalisme historique à la représentation. Pour le reste, ils n'avaient pas d'autre
préoccupation que la pièce, c'est-à-dire, le rôle qu'elle leur offrirait. La marche du théâtre était déterminée par les relations des
poètes et des comédiens.
L'intervention du metteur en scène ou plutôt de l'animateur
implique un choix. Une attitude philosophique, morale, politique
ou sociale, en tout cas esthétique, le commande et donne forme à
ses « rêves ». Là où l'auteur se distingue de ses confrères par la personnalité de son univers et de son art, l'animateur-metteur en scène
le fera par l'originalité de ses options et de sa technique. D'où
la multiplicité des prises de position et des controverses. Dès lors
que sa vision du monde à travers le spectacle sera assurée dans son
i. Le procès, souvent répété, qui lui a été fait d'outrepasser ses droits au détriment
du texte en subordonnant celui-ci à sa fantaisie, se trouve déjà, en 1888, dans le jugement porté par Jules Claretie sur un spectacle des Meininger. Ces comédiens, entretenus par le duc de Saxe-Meiningen, ont, les premiers en Europe, donné l'exemple d'un
réalisme des ensembles scéniques; André Antoine a noté comme il avait été frappé par
la vérité de leurs groupements. Claretie parle péjorativement de « mécaniciens de la
mise en scène ».
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esprit, il aura tendance à y soumettre les œuvres qu'il montera.
C'est pourquoi il aura à coeur de réunir sous sa houlette des écrivains qui partageront sa façon de voir; c'est pourquoi aussi il
s'autorisera ce fut le cas de Meyerhold ou d'Erwin Piscator
en Allemagne à apporter des modifications aux textes pour les
adapter à sa vision et à sa théorie; il recourra souvent aux pièces
classiques ou déjà éprouvées si elles s'inscrivent mieux dans ses
rêves ou s'il estime insuffisants les ouvrages nouveaux dont il peut
disposer. C'est ce jugement systématique qui a infléchi le cours de
l'activité contemporaine, souvent brillamment, jusque dans ses
excès. Le metteur en scène substituait à la notion d'auteur drama-
tique celle d'auteur théâtral, substitution légitime à ses yeux dans
la mesure où le phénomène de la représentation, développé dans la
totalité de l'espace scénique par l'usage nouveau de l'électricité
et magnifié par le jeu coloré des lumières, est différent de la manifestation littéraire qu'offre le manuscrit d'une pièce. Les symbolistes le soulignaient par leur refus initial de toute représentation
comme une atteinte au rêve.
A l'encontre du comportement totalitaire d'un Meyerhold,
Stanislavski, fidèle à un naturalisme fondamental, a donné, par
ses doutes et ses recherches, l'exemple d'une curiosité renouvelée.
Il a su faire place à des esthétiques opposées à celles qui commandaient son activité, lorsqu'il a invité, par exemple, Edward Gordon Craig, en 1912, à appliquer ses idées à la mise en scène
d'Hamlet. A Paris, André Antoine a suivi un itinéraire identique
du Théâtre-Libre à la salle du boulevard de Strasbourg qui porte
son nom et à l'Odéon en s'attachant à révéler des oeuvres de style
divers.
Être social et vie intérieure
En un temps où le progrès des sciences expérimentales persuade
Emile Zola que l'homme subit une double détermination physiologique et sociale, l'action dramatique doit prendre la forme
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d'une enquête; elle saisira sur le vif les réalités humaines.
Pour Zola, le « réel », la « réalité» différencient l'homme
physiologique lié à une situation sociale, matérielle, dont les
données peuvent être définies précisément, du héros métaphysique de la tragédie classique, abstrait, « vrai sans être
réel ».
Symbolistes et idéalistes s'insurgent aussitôt. L'art est un refuge
loin des contingences du quotidien, il a pour domaine l'imaginaire,
il peut être la clef des mystères de l'être et de sa nature. Il doit
être suggestion, allusion, effusion, et faire sentir ou manifester par
les symboles, la réalité spirituelle, immatérielle, indicible.
A la même époque, médecins et psychologues, précédant Freud,
ont commencé à explorer et à éclairer des abîmes de l'esprit. Pour
leurs émules dramaturges, la réalité véritable est celle qui échappe
aux standards, qui est unique avec chaque homme; elle ne peut
être déchiffrée que de l'intérieur. Ils conduiront leur héros à
exprimer l'inconnu qu'il porte en lui; ils feront de sa conscience le
théâtre même du drame et montreront le monde extérieur tel qu'il
l'interprète dans le profond de son âme
ils seront expressionnistes.
Le Chemin de Damas et Le Songe de Strindberg ont indiqué la
voie de l'expressionnisme dramatique. Celui-ci a eu, en Allemagne,
ses principaux représentants dans les années qui ont précédé et
suivi immédiatement la Première Guerre mondiale
Frank Wede-
kind, Carl Sternheim, Georg Kaiser, Fritz von Unruh, Ernst
Toller. Aucune théorie ne les réunit, et les particularités de leur
démarche rendent les généralisations difficiles.
Toutefois, si le naturalisme explique l'individu par le milieu,
l'intègre à la collectivité, l'associe à sa vie et à son progrès, l'aventure expressionniste traduit une révolte contre l'environnement
social dans la mesure où il est contrainte, menace, danger d'une
mutilation pour l'individu. Celui-ci se débat au cceur de sa solitude
et de son propre mystère, comme nous pouvons le faire dans
l'étrangeté mouvante de nos rêves. Dans Le Chemin de Damas, il
se nomme l'Inconnu et se dédouble, écartelé entre le Mal et le
Bien. Il tend à éprouver un sentiment de culpabilité devant l'hos-
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tilité de ce qui l'entoure, êtres et choses. Quelle malédiction, pour
quelle faute, doit-il surmonter?
Bien que la pièce expressionniste ne présente pas d'action à
proprement parler, mais une suite de tableaux qui évoquent les
stations du chemin de croix
d'où le terme de stationen-drama
la volonté, l'obstination à gagner un paradis terrestre anime un
débat que chaque scène laisse en suspens. A l'ultime bout de son
chemin, l'homme n'est pas parvenu à briser le cercle de sa malédiction. Si le principe même de cette quête reprise de pièce en
pièce n'exclut pas, un jour, la possibilité d'un dénouement heureux,
il s'assure de sa faillite actuelle; il n'est maître que de sa mort.
Le gigantisme oppressant de l'administration bismarckienne
avant 191 4, la frustration de la défaite en 19 18et sa misère, ont
provoqué et nourri l'angoisse expressionniste. C'est aussi avec la
guerre et son cortège qu'éclatent les violences de Dada et la révolution surréaliste. L'année 191 6, Tristan Tzara, le père de Dada,
compose La Première Aventure céleste de M. Antipyrine, et Guillaume Apollinaire fait répéter Les Mamelles de Tirésias qu'il envisage de qualifier de dramea surnaturaliste » il trouve finalement
« surréaliste ».
Vingt ans auparavant, le scandale soulevé par la création
d'Ubu Roi d'Alfred Jarry, en 1896, au théâtre de L'Œuvre, avait
annoncé cette double offensive et défini son caractère. Le « sans
sens » de Dada et le terrorisme de ses soldats ne sont-ils pas déjà
dans la volonté destructrice du théâtre même que Jarry proclamait ?
Mais Dada, dans la manifestation de sa contestation, était
spectacle un spectacle d'ailleurs qui a eu recours aux artifices du
théâtre les décors (le plus souvent de Picabia) ou le découpage
en actes pour des oeuvres comme Cœur à ga\{i<^zi) et Mouchoir
de nuages avec son collage de scènes d'Hamlet (1924) de Tzara.
Spectacle, Dada l'était du moment où le Dadaïste se devait de
mener en personne la provocation engagée à l'égard du public qu'il
avait attiré, pour en assumer la pleine responsabilité. Proclamation
de manifeste, cris, poèmes, cacophonie, injures à l'auditoire qu'il
convenait d'amener à réagir, à participer, et d'idiotiser, en pous-
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sant à l'extrême, par les mots et les gestes, l'absurdité originelle.
Pour un surréaliste, Ubu Roi a déjà le mérite de ruiner les images
conventionnelles qu'offre la copie naturaliste du quotidien, et les
conventions sociales qu'elles recouvrent. Brouillant les notions
d'espace et de temps, prêtant à l'apparence humaine une forme
insolite, jouant à l'extrême du mélange des genres l'horreur et le
guignol il fait a surgir la vie même dans toute sa vérité1 ».
La vie, sa vérité au royaume et sous le gouvernement d'Ubu, se
traduisent par le déchaînement à masque découvert des forces
absurdes de la bêtise et de la cruauté.
Malgré l'importance historique des pièces ou textes de Raymond Roussel, de Georges Ribemont-Dessaignes, de Pierre
Albert-Birot, d'André Breton, d'Yvan Goll, de Philippe Soupault, de Louis Aragon. et l'oeuvre redécouverte du polonais
Witkiewicz, le surréalisme n'a guère débouché sur la scène et
atteint le public. La tentative du Théâtre Alfred Jarry, en 1927,
a été condamnée par André Breton pour ce qu'il estimait être des
compromissions financières. Ses animateurs, Antonin Artaud et
Roger Vitrac, ont été exSus du mouvement. La création, en 1928,
de Victor ou les enfants au. pouvoir de Vitrac a toutefois pris au
piège vaudevillesque des adultères d'un « drame bourgeois », des
monstres de la société humaine. Il faudra attendre 195 0 et l'œuvre
d'Eugène Ionesco pour que le surréalisme connaisse son accomplissement théâtral.
Antonin Artaud a poursuivi, seul, une quête inaboutie, dont les
considérations, l'ambition, les propositions n'ont cessé depuis de
hanter l'esprit des hommes de théâtre dans le monde. Le Théâtre
balinais à l'Exposition coloniale de 193 1,« qui remet le théâtre
à son plan de création autonome et pure, sous l'angle de l'hallucination et de la peur », lui a révélé « qu'à travers (le) dédale de
gestes, d'attitudes, de cris jetés dans l'air, à travers des évolutions
et des courbes qui ne laissent aucune portion de l'espace scénique
inutilisé, se dégage le sens d'un nouveau langage physique à base
de signes et non plus de mots ».
i. Prologue des Mamelles de Tirésias.
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Philosophies, réalismes et esthétiques
Artaud a rêvé d'une magie moderne, d'un théâtre de délire et
de convulsion. La magie, au prix d'une épuisante discipline spirituelle et corporelle, devait mettre en contact la créature et son
Dieu; l'événement, l'acte théâtral recherché par Artaud hors du
cadre traditionnel de la scène, hors de toute norme, de toute
mesure, serait dangereux et cruel par l'effort intense, exaspéré,
qu'il requerrait de l'acteur ou du spectateur; il mobiliserait toutes
les forces du comédien-servant, rejetterait toute psychologie et
atteindrait à l'unité physique et métaphysique de l'être.
Artaud a choisi, en 1935, l'histoire des Cenci empruntée à
Shelley et à Stendhal, et la scène des Folies-Wagram, à Paris,
pour réaliser son théâtre de la cruauté « Tout ce qui est dans
l'amour, dans le crime, dans la guerre ou dans la folie, il faut que
le théâtre. nous le rende s'il veut retrouver sa nécessité.» La cruauté,
précisera-t-il encore, « se confond. avec la notion d'une sorte
d'aride pureté morale qui ne craint pas de payer la vie le prix qu'il
faut payer ».
A partir de 1959, en Pologne, à Opole, puis à Wroclaw, un
metteur en scène, Jerzy Grotowski, a développé ses recherches
sur le jeu de l'acteur. S'il s'est défendu d'avoir songé au départ à
l'exemple d'Artaud, il en a été proche par l'esprit. Comme le désirait Artaud, sa méthode devait permettre de dépasser les frontières
de la connaissance intellectuelle pour accéder à une réalité cachée.
Comme le souhaitait Artaud, il n'a pas exercé dans une salle
traditionnelle, chacune de ses réalisations a sécrété son dispositif;
comme le voulait Artaud, la technique de la transe à la base de son
expérimentation l'a amené à ne retenir du langage que des sons
associés au jeu corporel; il aboutissait à ce qu'il a appelé une
translumination, comparable sans doute à la révélation attendue
par Artaud. Toutefois, tandis que la démarche de celui-ci impliquait la foule, les masses, Grotowski n'a réuni que peu de partici-
pants d'autant qu'il ne s'agissait pas pour lui de rassembler un
public au sens habituel du terme pour un spectacle, mais d'établir
des liens particuliers entre chaque assistant et les acteurs 1.
i. Disciple de Grotowski, l'Italien Eugenio Barba a poursuivi sa recherche à l'Odin
Teatret, installé à Holstebro (Danemark).
Panorama du théâtre au XX' siècle
Le Happening lancé, vers les années 60, aux États-Unis par le
peintre Allan Kaprow dans le sillage du Pop Art, entendait mêler
à la vie un art menacé par l'hermétisme de l'abstraction; au plus,
il ne groupait également que quelques personnes, une trentaine,
actrices et spectatrices d'un jeu improvisé qui leur était proposé
dans les lieux les plus divers, en principe à l'écart de l'agitation
citadine. Acte d'isolement en effet en quête d'un esthétisme à l'état
brut qui illuminerait l'existence, brièvement, mais intensément, le
Happening a trahi un besoin de contestation de l'ordre social, de
singularité, de fuite; se soustraire aux standards de la civilisation,
échapper à la collectivité éprouver originalement des sensations
personnelles, affirmer son Moi.
« Arracher l'âme du public à la réalité quotidienne et l'exalter
dans une atmosphère éblouissante d'ivresse intellectuelle » pour
l'élever au « grand rêve futuriste qui se dégage de notre vie
contemporaine exaspérée par les vitesses terrestres, marines ou
aériennes, et dominée par la vapeur et l'électricité » était le but
assigné au théâtre, autour de 19 10, par le père du futurisme,
l'Italien F. T. Marinetti. Le premier et son manifeste a été
entendu aussitôt en Russie par Meyerhold et Maïakovski
il a
cru que l'influence de la mécanique sur la mentalité et la
sensibilité communes obligeait le théâtre à une transformation radicale par l'invention d'un schéma visuel, dynamique et sonore,
inspiré des lignes, des mouvements, des bruits et des rythmes des
machines.
Le constructivisme illustré par Meyerhold dans la jeune Russie
soviétique, avec sa machine-outil en place de décor, a donné corps
à cette anticipation. Loin de s'en tenir au vague du rêve futuriste,
il se montrerait, par sa structure, un instrument efficace du combat
révolutionnaire. Son originalité serait à la mesure de la société
nouvelle; elle en serait un symbole.
Lénine, puis Staline ne partageaient pas cette façon de voir.
i. Pour certains, dont le Français Jean-Jacques Lebel, le Happening est un moyen
de révolution permanente il fera table rase des interdits, ruinera les formes de l'art
« bourgeois » afin de favoriser une communication que celles-ci empêchaient entre les
individus.
Philosophies, réalismes et esthétiques
Le constructivisme avait à leurs yeux le défaut de négliger les
habitudes mentales de la population russe et d'être dangereusement entaché de formalisme
il fut condamné. En 1932, le
Comité central du Parti communiste adopta le principe du réalisme socialiste.
Dans son application, celui-ci a été soumis aux fluctuations du
régime, de la conjoncture nationale et internationale, qui modifiaient au fur et à mesure les appréciations de Staline et de son
ministre de la Culture, Jdanov. Dans le principe, il diffère du naturalisme de l'allemand Gerhart Hauptmann ou du Gorki des
Bas-fonds par son éclairage de la réalité. Il ne doit pas se contenter
de présenter la copie d'une situation avec ses personnages et leurs
problèmes, et de reproduire fidèlement l'action qui en découle;
il doit les considérer en fonction des nécessités immédiates de la
société soviétique, aider le spectateur à en prendre précisément
conscience et à en dégager la leçon.
Le réalisme épique élaboré au cours des années 20, en Allemagne,
par le metteur en scène Piscator, a manifesté un même souci de
didactisme. Le désarroi politique dans la république de Weimar
avec la menace du fascisme et le comportement de l'Allemand
moyen expliquent le Théâtre politique de Piscator. Il importait
d'obliger chacun à voir clairement les données d'un problème, le
pourquoi des choses, la logique des événements; il fallait faire
appel d'abord et toujours à son jugement. D'où une suite d'épisodes dont la signification serait soulignée à la manière d'un
montreur d'images par le jeu de la représentation. Collaborateur
de Piscator, Brecht a utilisé cette technique pour sa dramaturgie
épique.
L'esprit de Piscator introduisant l'actualité dans la fiction, celui
de Brecht la transposant dans l'univers poétique se retrouvent,
après 1945, dans le Théâtre-document des Hochhut, Weiss, Kipphardt, sur l'Allemagne nazie assurer de l'authenticité des faits
rapportés, satisfaire aux exigences du style dramatique c'est ce
que L'Instruction de Peter Weiss a concilié avec les rythmes du
vers libre appliqués aux dépositions, réquisitoires et plaidoiries du
procès des bourreaux d'Auschwitz.
Panorama du théâtre au XXe siècle
Lorsque l'irruption des jeunes auteurs en colère s'est produite
en Angleterre, à partir de 1956, le mouvement a été qualifié
d'école de l'évier. La violence de leur réaction contre la respectabilité convenue de la comédie anglaise qui masquait depuis tant
d'années les réalités d'une société, les a entraînés en effet à mon-
trer des aspects déplaisants, moraux et physiques, de l'intimité de
leurs personnages avec une franchise qui parut audacieuse. Recourir au naturalisme prit la valeur d'un manifeste.
Illusion et théâtralité
Naturalisme, symbolisme, expressionnisme, constructivisme,
réalisme socialiste, théâtre épique pour différente que soit
leur manière de considérer l'existence diffèrent aussi ou parfois
se rapprochent par leur conception de la réalité théâtrale.
Les naturalistes obéissaient à deux ordres d'intention. Polé-
mique en premier lieu en finir avec la convention de la toile
peinte, salon à tout faire, symbole, dans la pensée de Zola, de la
fausseté de la comédie d'un Scribe. « Scribe, ironisait-il, n'a
pas besoin de milieux réels, parce que ses personnages sont en
carton. »
Ensuite, leur conviction philosophique, leur volonté de cerner l'homme social, de l'expliquer par son milieu appelaient
un décor exact
« Un salon par exemple avec ses meubles, ses
jardinières, ses bibelots, notait Zola, pose tout de suite une situation, dit le monde où l'on est, raconte les habitudes des personnages. » L'exactitude du décor devait d'ailleurs imposer celle des
costumes et de la diction contre le goût des vedettes de parader
dans un faste artificiel. La précision de sa réflexion l'amenait à
une exigence acceptable pour certains de ceux qui refuseront le
naturalisme reconstituer ce les milieux, moins dans leur pittoresque que dans leur utilité dramatique ».
« Ce besoin de réalité qui nous tourmente. », déclarait-il
encore, et il réclamait pour le public la création de la plus grande
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