Le message publicitaire “à double tranchant”. Une interprétation sémio-rhétorique Asist. univ. drd. Iuliana APETRI, Universitatea “Ştefan cel Mare” Suceava 1. La publicité en tant que processus de communication Comme on le sait, le phénomène publicitaire s`est beaucoup développé de nos jours et il comporte quelques traits essentiels qui le définissent, en font possible l`expérience et tout contribuie à performer – dans une structure homogène et unitaire –, pragmatiquement, par leur matérialisation dans des réclames : spots publicitaires de télévision, réclames dans la presse écrite et radiophonique, panneaux dans les rues, publicité directe dans les magasins / sur les lieux de vente, afiches, etc. Ainsi donc, les éléments primordiaux du message publicitaire sont-ils le mot et l`image, dans toutes leurs modalités d`expression. La publicité est un processus de communication plus complexe que n`est la simple communication interpersonnelle ou bien celle entre les milieux institutionnalisés. Il est bien connu que, conformément au schéma classique des fonctions de la langue de Jakobson, entre L`Emetteur et le Destinataire s`interpose une série d`étapes qui sont aussi essentielles à la communication publicitaire. CONTEXTE EMETTEUR ……………………….. MESSAGE ………………………. RECEPTEUR CODE CANAL Outre ces éléments sémio-structuraux appliqués avec justesse dans le cadre de la réclame, il intervient en plus quelques autres instances d`ordre psycho-cognitif, à savoir : 1. Des compétences communicatives (capacités linguistiques et paralinguistiques de performance dans le discours des connaissances socio-culturelles reflétées dans le style personnel) ; 2. Des déterminations psycho-comportementales (le niveau de personnalisation des intentions communicatives à l`étape de l`émission et de réception à l`étape de l`impact sur le destinataire) ; 3. Des restrictions, codes et conventions (lois et normes de codification, compréhension et assimilation du message publicitaire). Par la suite, tant chez l`Emetteur que chez le Récepteur, ces trois implications sont toujours présentes et elles fonctionnent invariablement, tant lorsqu`il s`agit de personnes, que d`institutions (agence de publicité, chêne médiatique, public différencié). Tant la structure communicationnelle classique fondée sur les fonctions de la langue et les instances qui assurent la communication complexe que les traits spécifiques de la communication publicitaire énoncés plus haut ont besoin – afin d`être parfaitement émis et correctement reçus – d`une série de stratégies qui contribuie au bon développement du processus publicitaire, assurant ainsi un impact majeur du message sur le récepteur. Créer et diffuser de la publicité ce sont des opérations difficiles, celles-ci n`étant pas simplement des processus de communication, mais des intentions d`informer et de persuader, d`inciter le public à l`acte de l`achat et de l`influencer dans sa mentalité et son comportement quotidiens. Au fond, la publicité ne vise pas à entrer en dialogue avec le consommateur, quoique son but soit justement ceci. Il y est question de capter l`attention du consommateur, de le convaincre, de le déterminer à acquérir un produit et à adopter une attitude adéquate sur la ligne de la société de consommation. La langue naturelle, le principal véhicule de communication, joue le rôle fondamental dans la réclame publicitaire. Dans ce sens, trois éléments importants doivent être pris en compte : 1 – L`économie de mots : éviter le texte discursif et les mots inutiles ; la parcimonie verbale se résume aux noms porteurs de sens, à l`action des expressions-clefs, etc. Pourtant, ici il faut que fonctionne la loi selon laquelle “la concision ne doit pas éliminer la précision” ; 2 – Les figures rhétoriques : plasticité et capacité d`évocation des plus subtiles figures stylistiques (métaphore, calembour, polysémie, jeu de mots, paradoxe, hyperbole, etc.). Ces niveaux stratégiques assurent au public le plaisir de recevoir le message d`une réclame, la satisfaction d`être informé, la conviction d`acheter et l`acte d`acquisition. L`ensemble des techniques décrites répond de façon idéale au schéma classique du processus publicitaire AIDA : attirer l`ATTENTION, susciter l`INTERET, provoquer le DESIR et déterminer à l`ACHAT. 2. L`Image dans l`espace publicitaire Sans avoir la prétention de donner une définition exhaustive, nous considérerons que l`image est un signifiant à valeur sensorielle-visuelle créée sur un support matériel et diffusée / communiquée par des substances ou des moyens techniques qui reproduisent icôniquement une réalité objective (naturelle ou artificielle), avec des éléments intuitifs et ratinnellement reconnaissables, encadrés dans l`espace et le temps, dans une forme fixe ou photo-dynamique. Du point de vue sémiotique, l`image est un signe, ayant dans sa constitution un signifiant et un signifié, forme et fond, matière et substance. Elle peut être analysée sémantiquement, syntactiquement et pragmatiquement, dans sa structure et sa fonctionnalité. Le terme d`icône (gr. eikon = copie, modèle, ressamblance) a été employé pour la première fois par les philosophes grecs, notamment par Platon et Aristote, pour désigner l`image des idées, l`actualisation des choses par et dans l`esprit, la transsubstantialisation de la matière. Au fil de l`histoire, la notion d`icône et les concepts similaires ont toujours été discutés et analysés, depuis les vieux Grecs jusqu`à Charles Sanders Peirce et les chercheurs contemporains. Notre entendement commun du terme image renvoie souvent à l`image médiatique, omniprésente, révélatrice et parfois décisive d`un personnage, événement, produit, service, etc. Elle est promue par les médias, spécialement par la presse écrite et audio-visuelle et, en plus, exploitée dans des buts persuasifs, promotionnels par la publicité. Mais l`image, tout en étant un simple “médium” de communication pour les médias, devient objet essentiel dans le phénomène publicitaire, sans qu`il y ait pourtant des similitudes entre l`image médiatique et celle publicitaire. L`image visuelle (qu`elle soit naturelle ou bien créée par un artifice d`ordre technique) est, par sa nature même, une source intarissable de significations, ce qui justifie son approche sémiotique. Le destinataire est une instance physique plus ou moins avisée dans la perception professionnelle d`un message icônique. Mais, généralement, l`image s`adresse à un public de masse. S`il fallait approcher les systèmes humains de représentation, on constaterait qu`il existe cinq types de modalités spécifiques : visuelles, auditives, kinesthésiques, olfactives et gustatives (VAKOG). Primordiales pour la plupart des récepteurs sont les trois premières : visuelles, olfactives et kinesthésiques. En général, chez un individu humain prévalent seulement deux de ces trois modalités dont il a été question, voire une seule ou encore toutes trois (très rarement) ; le plus souvent, prévalent néanmoins V et A ou V et K. Mais le rôle du mot ne doit pas être négligé quand nous parlons d`un message publicitaire, car son absence sortirait l`image hors de son contexte temporel, ne pourrait pas la définir et, surtout, ne remplirait pas une des conditions essentielles grâce auxquelles le message fonctionne correctement. Conformément à l`opinion du chercheur français, G. Péninou (“Langage et image en publicité”, in Cl. Vielfore, A. Dayan, La publicité de A à Z, Paris, 1975), entre texte et image agissent des rapports de 1 – soutien (argumentation, redondance, paraphrase) ; 2 – complémentarité (informations autonomes dans leur expression, mais convergentes dans leur contenu) ; 3 – amplification (métaphorisation, hyperbolisation, supradimensionnalisation, etc.). Dans son article “Rhétorique de l`image” (Communications, no. 4 / 1964), R. Barthes identifie trois types de messages dans le cadre de la réclame pour les pâtes Panzani : 1 – le message linguistique, 2 – le message icônique codifié (symbolique) – connotatif, et 3 – le message icônique non-codifié (littéral) – dénotatif. Parlant du message linguistique, Barthes affirme qu`au XVIIIe siècle, on ne pouvait pas concevoir les Fables de La Fontaine sans illustrations, voulant par là souligner la présence toujours plus grande des images qui accompagnent un texte, mais il conclut que ce n`est pas juste de parler d`une “civilisation de l`image”, mais, plus que jamais, d`une du mot qui est encore une structure informationnelle décisive et irremplaçable – chose valable encore de nos jours et certainement inchangé dans l`avenir. Le rôle du signe linguistique est décisif dans une réclame. Même si l`image a des vertus polysémantiques et transculturelles, même si elle dépasse les frontières temporelles, dans le contexte du message publicitaire elle ne signifierait rien sans le mot, elle n`aurait aucune signification achevée et elle ne pourrait pas être attribuée à une réclame dans une campagne publicitaire. Pratiquement, celle-là ne pourrait pas exister en dehors du mot qui la définit, lui accorde le statut de message publicitaire et la fait fonctionner en tant que telle. 3. “Le parfum JANINE” – Le message “à double tranchant” Dans la presse écrite roumaine d`après la Révolution, on peut observer une explosion d`images, de couleurs, de nuances linguistiques, dynamisme, diversité et une permanente concurrence dans la fabrication de réclames de plus en plus attrayantes, dont l`impact soit unique et extrêmement fort. Une multitude de messages publicitaires nous attire l`attention de diverses façons. Nous avons choisi pour la présente analyse une réclame (voir l`annexe) qui nous a paru intéressante par le fait qu`elle induit à un certain moment, dans la perspective des deux principes antagoniques : le bien et le mal, des sentiments et des états contradictoires. La réclame pour le parfum Janine est partagée, sur le plan vertical, en deux zones : 1 – la partie d`en haut qui comprend l`illustration, et 2 – la partie d`en bas qui comprend le texte. Dans la partie gauche, en bas, en lien avec les deux zones, se trouve l`image du parfum Janine qui est l`objet publicité (le référent), ayant à côté le titre : J de Janine. Unisex. Le slogan choisi par la société pour ce produit est Le parfum à double tranchant – situé dans la partie inférieure de la page. Sur le flacon on peut remarquer un symbole représentant la lettre J (de Janine), mais ressemblant plutôt au tranchant d`un couteau, car, en réalité, la lettre J est arquée dans la partie inférieure. D`ailleurs, le couteau est mentionné à travers le procédé pars pro toto, spécifique pour la synecdoque : Le parfum à double tranchant – où le terme tranchant renvoie à l`objet couteau. Si nous regardons les choses à travers la trichotomie sémiotique inaugurée par Ch. S. Peirce, dans le cadre de l`image, le symbole de la lettre J est un signe (Representamen), un Premier qui représente, tient lieu d`un Second (l`Objet) dont la lecture ne peut se faire que par l`intermédiaire d`un Tiers (l`Interprétant). Par conséquent, dans le cadre visuel amorcé à gauche, on perçoit la partie latérale du cou du personnage masculin et en même temps on observe que celle-ci est mise en évidence par la couleure verte (il pourrait s`agir d`une isotopie au niveau chromatique). Dans le processus mental de la réception sont travaillées les données reçues et de la sorte, au niveau rationnel, est instaurée une idée, une signification, une interprétation de ce que l`on a initialement perçu par le regard. Sous ce symbole, apparaît le nom du parfum Janine. Le parfum, semble-t-il est vert, chose renforcée au niveau chromatique dans la moitié inférieure de la page, mais aussi dans l`illustration avec les deux personnages. L`impression la plus prégnante est due au fait que la femme qui se trouve derrière l`homme sent / perçoit / flaire l`odeur calme du parfum. Est spécialement choisie cette partie latérale du cou où l`effet du parfum, en général, est celui que l`on désire. Dans l`image est bien évident le fait que cette zone du cou de l`homme est chromatiquement accentuée par la délimitation des personnages par le vert, ce qui renvoie à la couleur du parfum (ou du flacon), et elle est dans la même gamme chromatique avec le fond vert de l`illustration dans l`ensemble. Cette “onde verte” représente justement la lettre J. un peu tournée, ceci étant l`élément-clef de la réclame, par le “crochet” (comme l`appellent les spécialistes) ou le lien entre texte et image. La réitération du J dénote une redondance au niveau de l`ensemble discursif, mais aussi une teinte de complémentarité par l`autonomie des expressions verbales et icôniques qui tendent vers une convergence au niveau du contenu. S`agissant d`un parfum “unisexe”, il s`adresse aux deux sexes – l`homme et la femme étant simultanément présents dans l`image. Ce qui est intéressant c`est que le parfum en question les unit, la démarcation en vert (J) semble les séparer. Il nous reste la tâche de sélectionner et apprécier – aux niveaux sensitif et rationnel – les effets de l`impact publicitaire, en nous construisant petit à petit une vision propre sur ce phénomène complexe, un système de valeurs, un filtre socio-culturel de réception et d`assimilation de la publicité. Ainsi, la sensualité et l`odeur calme du parfum donnent-ils “le feu vert” à tes sens et te convie à acheter le parfum… Dans son livre intitulé Tehnici discursive publicistice şi publicitare (p.131), Olga Bălănescu affirme, se référant elle aussi au parfum Janine, que la réclame en question se circonscrirait à la série des messages publicitaires où c`est l`image qui sauve pratiquement le mot. Dans ce sens, l`auteure accorde à l`image le rôle de défenseur réel du message entier, par le fait que “c`est à elle qu`est transféré le pouvoir de suggestion et de persuasion” (ibidem, nous traduisons). Ce cas serait, de l`avis de l`auteure, l`un où “le déjà consacré renoncement au corps du texte se retourne contre la publicité elle-même” (ibidem, nous traduisons), l`effet en étant décevant – dysphorique, dirions-nous, à la suite de Greimas. L`explication concrète au niveau du discours perlocutionnaire est l`inattention du copywriter qui, concevant le slogan, a perdu de vue le fait qu`en roumain l`expression à double tranchant “dégage une connotation fortement négative : risqué, incertain, périlleux” (ibidem). Cela provoque en nous une réaction de rejet, d`imminence d`un danger. Nous sommes d`accord avec l`idée de “danger” que connote le slogan au niveau du signifié : couteau, danger, risque… Mais d`après nous, il est intéressant à remarquer que le danger semble suivre ici deux trajets différents, mais qui finalement vont converger : ainsi, sur le plan icônique, suite à l`interprétation du message, pourrait-on parler d`une “dangereuse beauté”, d`un sentiment agréable, d`une sensualité violente qui incite les sens et éveille des émotions euphorisantes. Ceci serait le côté “positif” de la violence. Pour ce qui est de l`autre côté, le négatif – présenté par Olga Bălănescu –, il faut préciser que le message linguistique, en effet, n`en est pas un très bien choisi. Mais dans l`intertexte mot-image, la signification icônique est dominante et elle subordonne (ici) la signification linguistique. On pourrait dire qu`il y a, dans cet espace publicitaire, un “combat”, on assiste, semble-t-il, à une confrontation entre bien et mal, entre deux extrêmes : positive et négative, les deux appartenant au même contexte, promouvant un seul objet – le parfum Janine – et visant son acquisition par le public-cible. Notre analyse essaie de surprendre, en fait, le côté antagonique entre euphorique et dysphorique dans le cadre du même message publicitaire, le résultat que nous avons déduit étant pourtant un positif, compatible avec notre horizon d`attente. Le discours publicitaire est réduit au point de vue quantitatif, l`auteur de la réclame misant sur sa force persuasive-rhétorique, mais directement visé étant en réalité le subconscient du public acheteur. Par-delà les connotations incertaines que les unités sémantiques du slogan dégagent, nous croyons que l`unité de la syntaxe globale, icônique et linguistique surmonte les craintes que le récepteur pourrait éprouver au moment de l`interprétation de ce message publicitaire. BIBLIOGRAPHIE Barthes, Roland, “Rhétorique de l’image” Communications, nr. 4/1964. Baticle, Yveline, Clés et codes de l’image, Magnard, Paris, 1990. Bălănescu, Olga, Tehnici discursive publicistice şi publicitare, Ed. Ariadna ’98, Bucureşti, 2003. Bidu-Vrănceanu, Angela, Călăraşu, Cristina, Ionescu-Ruxăndoiu, Liliana, Mancaş, Mihaela, Pană Dindelegan, Gabriela, Dicţionar de ştiinţe ale limbii, Ed. Nemira, Bucureşti, 2001. Bonnange, Claude, Thomas, Chantal, Don Juan sau Pavlov? Eseu despre comunicarea publicitară, Editura Trei, 1999. Constantinescu-Dobridor, Gheorghe, Dicţionar de termeni lingvistici, Bucureşti, Ed. Teora, 1998. 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