Dysphagie (308) -1- Question 308 : DYSPHAGIE Devant une dysphagie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents I- DEFINITIONS Dysphagie : Sensation de gêne ou de blocage des aliments lors de la déglutition. La dysphagie est différente de : - l’odynophagie qui est une douleur ressentie lors de la progression des aliments dans l’œsophage ; - la sensation de « boule dans la gorge » (« globus hystericus »): sensation de striction au niveau de la gorge généralement liée à l’anxiété ; - de la satiété précoce ou de l’anorexie (perte d’appétit) qu’il est parfois difficile de distinguer de la dysphagie si l’interrogatoire n’est pas soigneux. II- ANALYSE SEMIOLOGIQUE DE LA DYSPHAGIE La dysphagie est un des principaux signes d’appel vers une maladie œsophagienne. Elle impose de faire une enquête étiologique soigneuse. De nombreux malades avec dysphagie ne consultent que si elle est importante. Il faut donc la chercher systématiquement à l’interrogatoire en cas de troubles digestifs hauts ou d’altération de l’état général ou en cas de facteurs de risque de cancer de l’œsophage (consommation excessive de tabac et d’alcool). Les principaux éléments de l’analyse sémiologique d’une dysphagie sont : - la localisation, bien qu’il n’y ait pas de corrélation entre le site de la dysphagie et celui de l’obstacle; - l’électivité pour les solides (pain, viande), témoignant le plus souvent d’une sténose organique ; - l’existence d’une dysphagie aux liquides, élective ou prédominante, caractéristique de la dysphagie paradoxale d’évolution capricieuse des troubles moteurs de l’œsophage ; mais la dysphagie aux liquides peut également témoigner d’une sténose organique quand elle est serrée ; dans ce cas, elle est précédée d’une dysphagie très sévère aux solides ; - les modes de début : brutal ou non ; - les modes évolutifs : progression plus ou moins rapide, intermittence (épisodes de blocages entrecoupés d’intervalles libres) ; - les symptômes associés : amaigrissement, régurgitations (alimentaires, acides, non acides), hypersialorrhée, hoquet, signes de reflux gastro-œsophagien (RGO), signes ORL et/ou respiratoires et/ou neurologiques (fausses routes, infections pulmonaires à répétition, dysphonie, voie nasonnée). Analyse du terrain : - consommation excessive d’alcool et de tabac ; - RGO ancien, connu ; - maladie générale pouvant entraîner des troubles moteurs: diabète, sclérodermie ; Dysphagie (308) -2- - affection neuromusculaire : myasthénie, syndrome de Parkinson, sclérose en plaque, accident vasculaire cérébral, sclérose latérale amyotrophique ; immunodépression ; affection maligne ; exposition à des toxiques pour l’œsophage : médicaments, radiothérapie, caustiques. Examen clinique : - souvent pauvre ; - évaluer le retentissement nutritionnel (poids et évolution du poids, signes cliniques de dénutrition); - recherche de signes en faveur des différentes causes : - adénopathie sus-claviculaire et hépatomégalie métastatique pour les cancers ; - signes cutanés de la sclérodermie ; - signes neurologiques des différentes affections citées ci-dessus. III- DEMARCHE DIAGNOSTIQUE La dysphagie aiguë est généralement liée à l’impaction d’aliments dans l’œsophage. Le diagnostic est clinique (dysphagie brutale avec aphagie à l’occasion de la déglutition d’une bouchée avec le plus souvent des douleurs rétrosternales et une sialorrhée), confirmé par l’endoscopie digestive haute qu’il faut faire en urgence pour enlever les aliments « coincés » dans l’œsophage. Il n’existe pas toujours d’obstacle œsophagien (organique ou fonctionnel). On distinguera la dysphagie oropharyngée de la dysphagie œsophagienne. A- Dysphagie oropharyngée Elle est caractérisée par une dysphagie « haute » avec impossibilité d’initier la déglutition. Le malade effectue des tentatives répétées pour avaler les aliments, mais il est conscient que le bol alimentaire ne quitte pas l’oropharynx et localise très bien ses symptômes dans la région cervicale. Il existe très souvent des signes associés : régurgitations nasales, toux, fausses routes avec infections pulmonaires répétées. Si la salive ne peut être avalée, le malade bave. La dysphagie n’est généralement qu’une des manifestations d’un processus pathologique plus large et ne pose pas de problème diagnostique difficile. Il est parfois difficile de distinguer la dysphagie haute de l’anorexie ou du dégoût de certains aliments. Dans ce cas, le malade mâche et garde les aliments longtemps dans la bouche, mais n’initie pas la déglutition et il n’y a pas de signes associés en faveur d’une maladie ORL ou neurologique. Les principales causes sont les suivantes : Neuromusculaires : - accident vasculaire cérébral - sclérose latérale amyotrophique - maladie de Parkinson - sclérose en plaques Obstruction mécanique : - diverticule de Zenker - tumeurs oropharyngées Maladies musculaires : - dystrophies musculaires Dysphagie (308) -3- - myasthénie - myopathies Autres causes : - hyposialie Le diverticule de Zenker est un diverticule de pulsion résultant de la protrusion de la muqueuse au travers de la paroi postérieure de la jonction pharyngo-œsophagienne, en amont du sphincter supérieur de l’œsophage (muscle cricopharyngien). Dans la forme évoluée (quand la poche est complètement développée), les symptômes sont souvent caractéristiques : le malade avale correctement plusieurs bouchées, puis la dysphagie apparaît et s’aggrave rapidement. Elle est en rapport avec la compression de l’œsophage cervical par le diverticule distendu par la présence d’aliments. Néanmoins, la symptomatologie n’est pas toujours aussi caractéristique car l’hyperpression du sphincter supérieur de l’œsophage peut être responsable d’une dysphagie haute qui précède le développement du diverticule. Par des manœuvres endobuccales ou une pression sur les parties latérales du cou, le malade arrive parfois à régurgiter les aliments non digérés, ce qui lève la dysphagie. A ce stade, le diverticule peut être palpé au niveau du cou. Explorations complémentaires : L’examen ORL spécialisé fait le diagnostic des tumeurs oropharyngées. L’endoscopie digestive haute (endoscopie oeso-gastro-duodénale) montre l’absence de lésion organique œsophagienne et gastrique. En cas de dysphagie haute faisant suspecter un diverticule de Zenker, le passage de l'endoscope dans l'œsophage doit se faire obligatoirement sous contrôle de la vue pour éviter le risque de perforation. L'endoscope, comme les aliments, passe en effet préférentiellement dans le diverticule. Certains font un transit baryté pharyngo-œsophagien (avec cliché de profil) avant l’endoscopie car, en plus du risque de perforation, l’endoscopie peut méconnaître le diverticule. Un transit pharyngo-œsophagien (éventuellement dynamique) est parfois fait pour préciser les mécanismes physiopathologiques du trouble. La manométrie du sphincter supérieur de l’œsophage n’est disponible que dans certains centres spécialisés ; elle est souvent faite en association avec un transit pharyngo-œsophagien dynamique. Des examens spécialisés peuvent être demandés en fonction de la symptomatologie associée : IRM du tronc cérébral par exemple. B- Dysphagie œsophagienne La dysphagie est liée soit à un obstacle organique, soit à une œsophagite (sans obstacle), soit à une maladie motrice de l’œsophage. L’interrogatoire soigneux oriente le diagnostic étiologique. Toutefois, celui-ci est très simplifié par la nécessité de faire systématiquement en première intention une endoscopie digestive haute qui fait le diagnostic de pratiquement toutes les causes organiques. On fait parfois dans un second temps un TOGD en cas de sténose infranchissable, de cancer de l’œsophage, de suspicion de compression (bonne indication de l’échoendoscopie et de la scanographie) ou pour mieux évaluer la morphologie d’un anneau ou d’un diverticule. En cas d’achalasie prouvée à la manométrie, le transit est fait avant le traitement pour mieux apprécier la morphologie de l’œsophage et du cardia et rechercher un diverticule du bas Dysphagie (308) -4- œsophage. Dans les autres troubles moteurs de l’œsophage, le transit peut montrer des anomalies de la propagation des ondes de contraction. La manométrie œsophagienne, qui étudie les ondes de contraction du corps de l’œsophage (morphologie, pression) et leur propagation, ainsi que le sphincter inférieur de l’œsophage (tonus de base, relaxations), doit être faite quand on suspecte un trouble moteur de l’œsophage après élimination d’une cause organique par l’endoscopie. C’est l’examen qui fait le diagnostic du type d’anomalie motrice de l’œsophage. 1- Obstacles organiques a- Cancer de l’œsophage (cf question 152 sur le cancer de l’œsophage) Le cancer de l’œsophage est une des causes les plus fréquentes de dysphagie par obstacle organique. La dysphagie révèle le cancer dans 90% des cas. Elle est souvent intermittente et discrète au début, le malade ayant l’impression d’un accrochage lors du passage des aliments solides dans l’œsophage. Puis elle devient rapidement permanente, d’abord aux solides (pain, viande), puis à la fois aux solides et aux liquides. Spontanément le malade va progressivement modifier son alimentation et n’absorber que des aliments de moins en moins solides. L’amaigrissement est rapide. A un stade tardif, on peut noter une aphagie avec sialorrhée, douleurs rétrosternales, régurgitations alimentaires, fausses routes, hoquet, dysphonie (pouvant témoigner d’une atteinte du nerf récurrent gauche par extension médiastinale). Neuf fois sur 10, il s’agit d’un carcinome épidermoïde, généralement situé dans le tiers moyen ou le tiers supérieur de l’œsophage ; 1 fois sur 10, il s’agit d’un adénocarcinome, généralement situé dans le tiers inférieur. Le carcinome épidermoïde est le plus souvent lié à une consommation excessive d’alcool et de tabac. L’adénocarcinome se développe sur une muqueuse de Barrett (encore appelée endobrachyoesophage), conséquence du RGO (cf question 280 sur le RGO). L’endoscopie digestive haute visualise la tumeur (bourgeonnante, ulcérée ou infiltrante), son pôle supérieur et son pôle inférieur, évalue son extension en circonférence, le degré de sténose, recherche d’autres tumeurs œsophagiennes, une muqueuse de Barrett et permet de faire des biopsies pour examen anatomopathologique. En cas de sténose infranchissable, il est possible de la dilater lors de l’endoscopie, ce qui permet d’examiner la sténose et la muqueuse sous-jacente et de faire des biopsies. b- Cancer du cardia Le cancer du cardia (adénocarcinome de la jonction oeso-gastrique) se manifeste de la même façon que le cancer du bas œsophage. On considère d’ailleurs que la majorité des adénocarcinomes du cardia sont développés sur des petites languettes de muqueuse de Barrett. De même, les cancers de la partie haute de l’estomac peuvent s’exprimer par une dysphagie s’ils envahissent la jonction oeso-gastrique. c- Sténose peptique de l’œsophage (cf question 280 sur le RGO) La sténose peptique de l’œsophage est une des complications les plus graves, mais rare, du RGO (grade 4 de la classification des œsophagites de Savary-Miller). La dysphagie est souvent ancienne, intermittente, modérée, aux solides, d’aggravation lente et rarement accompagnée d’un amaigrissement important. Il n’y a pas toujours des symptômes de RGO associés (pyrosis, régurgitations acide) alors que le RGO est souvent sévère. Il existe souvent Dysphagie (308) -5- une muqueuse de Barrett associée. Dans ce cas, la sténose est située à la partie supérieure de la muqueuse de Barrett. L’endoscopie fait le diagnostic. La sténose est centrée régulière avec souvent des ulcérations à son pôle supérieur (œsophagite liée au RGO). Les biopsies sont indispensables pour éliminer un cancer. Si la sténose est infranchissable, il faut la dilater pour pouvoir l’examiner et la biopsier. L’aspiration digestive prolongée ou l’alimentation prolongée avec une sonde naso-gastrique chez les sujets en décubitus dorsal (sujets dans le coma ou en réanimation) sont des facteurs de risque de sténose (sténose sur sonde). d- Autres tumeurs de l’œsophage Elles sont très rares : - malignes : mélanome, métastases œsophagiennes, léiomyosarcome, rhabdomyosarcome, fibrosarcome, lymphome ; - bénignes : léiomyome. e- Compression extrinsèque La compression de l’œsophage peut entraîner une sténose. La muqueuse a un aspect normal en endoscopie. Il s’agit d’adénopathies (bénignes – tuberculose – ou le plus souvent malignes), de tumeurs bronchiques ou médiastinales, ou d’une compression vasculaire (dysphagia lusoria). C’est une situation très rare. Le diagnostic est fait par la scanographie et l’échoendoscopie si la sténose est franchissable par l’appareil. f- Anneaux œsophagiens et diverticules L’anneau de Schatzki est fréquent, mais le plus souvent asymptomatique. C’est un diaphragme incomplet (ne comporte pas tous les éléments constitutifs de la paroi œsophagienne) du bas œsophage situé juste en amont d’une hernie hiatale. Il est constitué d’éléments musculaires recouverts d’une muqueuse œsophagienne. S’il est étroit, il peut entraîner une dysphagie sous forme d’épisodes intermittents de blocages lors de la déglutition d’aliments solides. Le diagnostic est fait par l’endoscopie qui visualise un fin anneau. Le traitement est la rupture de l’anneau par dilatation ou un autre moyen (laser par exemple). Le syndrome de Plummer-Vinson est exceptionnel. Il s’agit d’un diaphragme muqueux postcricoïdien associé à une anémie ferriprive, le plus souvent chez la femme. Il existe une dysphagie. La carence martiale doit être investiguée. Les diverticules du tiers moyen de l’œsophage sont dus à la traction de la paroi œsophagienne par un processus inflammatoire ganglionnaire, généralement tuberculeux. De petite taille et à large base d’implantation, ils ne donnent lieu à aucun trouble. Les diverticules du tiers inférieur de l’œsophage (diverticule épiphrénique) se développent selon un mécanisme voisin de celui du diverticule de Zenker. La dysphagie est liée aux troubles moteurs œsophagiens associés. g- Autres sténoses œsophagiennes bénignes La sténose caustique apparaît dans les 2 à 12 semaines après l’ingestion d’un caustique (acide fort ou base forte). Les sténoses radiques apparaissent plusieurs mois à années après une radiothérapie thoracique. Le diagnostic différentiel avec une récidive tumorale est parfois difficile. Dysphagie (308) -6- 2- Œsophagites non sténosantes Toutes les œsophagites peuvent être responsables d’une dysphagie, mais souvent (sauf dans le RGO : pyrosis et régurgitations) le symptôme prédominant est l’odynophagie. Se rappeler que l’œsophagite par RGO est très fréquente et que toutes les autres causes d’œsophagite sont, proportionnellement, très rares. a- Œsophagite par RGO La dysphagie est très fréquente dans le RGO avec œsophagite (sans sténose), mais modérée. Le malade ne s’en plaint que rarement spontanément. Plus l’œsophagite est sévère, plus la dysphagie est fréquente. La dysphagie est considérée comme un signe d’alarme en cas de symptômes de RGO et est une indication à une endoscopie digestive haute. b- Œsophagites infectieuses Les œsophagites virales (cytomégalovirus, herpès virus) sont rares. Elles surviennent surtout chez des malades immunodéprimés (SIDA, chimiothérapie anticancéreuse, traitements immunosuppresseurs). Il existe des ulcérations œsophagiennes de taille, d’aspect et d’extension variables. Les ulcérations sont souvent suspendues dans l’œsophage (dans l’œsophagite par RGO, les ulcérations sont situées dans le bas œsophage). Le diagnostic est suspecté par l’aspect endoscopique et le terrain et confirmé par les biopsies (examen anatomopathologique, voire recherche virale). L’odynophagie est le signe dominant, associée à la dysphagie. L’intensité des symptômes explique les restrictions alimentaires. Au cours du SIDA, il peut exister des ulcérations œsophagiennes sans cause virale retrouvée. La candidose œsophagienne (généralement à Candida albicans) est fréquente ; elle est favorisée par une immunodépression souvent moins marquée que pour les œsophagites virales (cancer, traitement par corticoïdes per os ou inhalés (asthme), antibiothérapie, VIH, immunosuppresseurs …). Elle s’exprime par une dysphagie ou une odynophagie. Il existe très fréquemment une candidose linguale associée. Le diagnostic est fait par l’endoscopie qui montre des fausses membranes blanchâtres sous forme de mottes plus ou moins confluentes et étendues, prédominant souvent au tiers supérieur de l’œsophage. Il n’y a qu’exceptionnellement des ulcérations associées ; il faut alors chercher une autre cause (virale). Le diagnostic de candidose est porté par l’examen anatomo-pathologique des biopsies et/ou d’un frottis qui montrera les filaments mycéliens au sein des fausses membranes. Exceptionnellement (par exemple, en cas de résistance au traitement) on adresse un prélèvement pour analyse mycologique qui permettra de typer le champignon en cause et d’étudier la sensibilité aux anti-fongiques. c- Œsophagites médicamenteuses Elles sont liées à la toxicité locale d’un médicament qui se bloque transitoirement dans l’œsophage et induit une ou des ulcérations. Les symptômes sont des douleurs rétrosternales accentuées par l’alimentation, avec souvent dysphagie. Le diagnostic est suspecté à l’endoscopie qui montre des ulcérations plus ou moins étendues, le contexte et l’absence d’autre cause, car il n’existe pas de signes endoscopiques et histologiques spécifiques. Elles sont favorisées par la prise des comprimés sans eau ou avec peu d’eau, en position couchée ou juste avant le coucher. Une sténose œsophagienne, un trouble moteur de l’œsophage, une hernie hiatale, une cardiomégalie (compression de l’œsophage) sont des facteurs favorisants. Dysphagie (308) -7- Les médicaments le plus souvent impliqués en France sont la doxycycline (Vibramycine), l’alendronate (Fosamax), le chlorure de potassium et les AINS, mais beaucoup d’autres peuvent être en cause (aspirine, bromure de pinavérium (Dicétel), autres antibiotiques …). Il faut toujours conseiller d’avaler les gélules et comprimés avec un grand verre d’eau, surtout chez les sujets âgés, jamais en position couchée ni juste avant le coucher. d- Autres causes d’œsophagite Maladie de Crohn (très rare): le diagnostic est fait sur le contexte et les biopsies (granulome épithélioïde et giganto-cellulaire). 3- Troubles moteurs de l’œsophage Le diagnostic de dysphagie liée à un trouble moteur de l’œsophage ne peut être porté qu’après élimination d’une sténose organique ou d’une autre cause organique de dysphagie (œsophagite). a- Achalasie (synonyme cardiospasme, mégaoesophage idiopathique) L’achalasie est un trouble moteur primitif de l’œsophage dû à un défaut acquis du contrôle nerveux intrinsèque. Il est défini sur le plan manométrique par une absence de péristaltisme du corps de l’œsophage et par une relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage absente ou incomplète lors des déglutitions. L’incidence (nombre de nouveaux cas) est faible (0,8/100 000 habitants par an). L’achalasie peut survenir à tout âge et le sex-ratio est de 1. Au début, le signe révélateur de la maladie est la dysphagie qui est souvent modérée et parfois paradoxale (affectant électivement les liquides). En fait, le plus souvent dysphagie aux solides et dysphagie aux liquides coexistent. La dysphagie est capricieuse, survenant de façon intermittente et inopinée ou à la suite d’une émotion et cède lors de diverses manœuvres respiratoires (déglutition en inspiration forcée et à glotte fermée) ou de changements de position (élévation des bras au dessus de la tête, hyperextension du tronc). Elle est provoquée ou aggravée par les aliments très chauds ou glacés. Il peut exister des régurgitations (dites actives, en phase postprandiale précoce d’aliments non digérés, fades, de salive). Plus rarement, la maladie se révèle par des douleurs rétrosternales constrictives, pseudoangineuses mais non liées à l’effort (associées à la dysphagie). A un stade plus évolué, la dysphagie perd ses caractères évocateurs d’un trouble moteur. Il existe des régurgitations (non acides) d’aliments non digérés, fétides, qui peuvent survenir la nuit et être responsables de complications respiratoires (infection pulmonaire, pneumopathie d’inhalation). A ce stade, l’amaigrissement (parfois important avec dénutrition) est constant. L’évolution est progressive, mais très variable, souvent étendue sur plusieurs années. L’endoscopie élimine un obstacle organique. Le cardia est parfois franchi avec un ressaut. En cas de stase alimentaire, la muqueuse œsophagienne est dépolie ou blanchâtre, par « œsophagite » de stase ou par candidose. La manométrie est indispensable, mais parfois difficile à faire car la sonde ne passe pas toujours spontanément dans l’estomac. Elle montre : - l’absence de péristaltisme du corps de l’œsophage (les ondes de contraction induites par la déglutition ne sont pas propagées) (constante) - des anomalies du sphincter inférieur de l’œsophage : hypertonie basale (fréquente, mais non constante) et absence de relaxation complète (à un stade débutant, ce signe manque dans 10% des cas). Dysphagie (308) -8- D’autres anomalies peuvent être notées : très souvent hypotonie des ondes de contraction du corps de l’œsophage ou plus rarement hypertonie des ondes de contraction sous forme de spasmes dans la forme vigoureuse de l’achalasie avec douleurs thoraciques pseudoangineuses ; il y a souvent des contractions spontanées. Le transit baryté oeso-gastro-duodénal montre l’absence de contractions péristaltiques, la présence de contractions spontanées et l’insuffisance de passage de la baryte dans l’estomac, mais ces signes ne sont pas caractéristiques. Le défaut de relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage se traduit par un rétrécissement régulier du cardia en « queue de radis » ou en « bec d’oiseau ». Un diverticule épiphrénique est noté dans 5% des cas. Dans les formes évoluées, le TOGD montre un œsophage dilaté, atone, avec un aspect dit en « chaussette ». L’œsophage est plein de liquide et d’aliments donnant un aspect d’opacité médiastinale postérieure avec un niveau liquide sur la radiographie de thorax. La disparition de la poche à air gastrique est un signe accessoire et tardif. Au moindre doute sur une achalasie secondaire (cf plus bas), ne pas hésiter à faire une échoendoscopie œsophagienne, voire une scanographie. Les complications évolutives sont : les infections pulmonaires (parfois graves) liées à des aspirations trachéales, la dénutrition, le carcinome épidermoïde de l’œsophage (favorisé par l’achalasie, toucherait 5% des malades, mais pas de recommandations de dépistage). Traitement : dilatation pneumatique endoscopique ou chirurgie (cardiomyomie extramuqueuse de Heller, le plus souvent avec montage antireflux , peut être faite par cœlioscopie) ; les inhibiteurs calciques et les dérivés nitrés pris avant le repas en sublingual peuvent améliorer transitoirement la dysphagie par leur action inhibitrice sur la pression du sphincter inférieur de l’œsophage ; l’injection de toxine botulique dans le sphincter a une action transitoire (pas d’AMM). - b- Maladie des spasmes diffus de l’œsophage La maladie des spasmes diffus de l’œsophage est définie par l’existence, en manométrie, d’au moins 10% d’ondes anormales, non propagées, prolongées, répétitives et de grande amplitude dans le corps de l’œsophage, alternant avec un péristaltisme normal. Le sphincter inférieur de l’œsophage est le plus souvent normal. Sur le plan clinique, la maladie se manifeste par des douleurs thoraciques pseudo-angineuses et moins souvent par une dysphagie (parfois paradoxale). Il n’y a pas d’amaigrissement et rarement des régurgitations. En raison des douleurs, une cause cardiaque doit être impérativement éliminée. L’endoscopie est normale. La manométrie est indispensable pour faire le diagnostic. Le TOGD n’est pas indispensable ; il montre un aspect en « tire-bouchon » avec des spasmes segmentaires étagés. c- Autres troubles moteurs non spécifiques L’œsophage casse-noisette est révélé par des douleurs thoraciques pseudo-angineuses (une cause cardiaque doit être impérativement éliminée). Il existe rarement une dysphagie. Le RGO, même sans œsophagite, est souvent associé à des anomalies motrices de l’œsophage non spécifiques (on ne sait pas si elles sont primitives ou secondaires au RGO). d- Troubles moteurs secondaires En cas de sclérodermie, il existe fréquemment des anomalies motrices œsophagiennes responsables d’une dysphagie et surtout de manifestations parfois sévères de RGO (œsophagite sévère). En manométrie, on peut noter une hypotonie du sphincter inférieur de l’œsophage et un apéristaltisme du corps de l’œsophage. Dysphagie (308) -9- L’achalasie secondaire est caractérisée par un tableau manométrique identique à l’achalasie primitive. En France, la cause la plus fréquente (5% des tableaux d’achalasie) est la compression de la région cardiale par un cancer du cardia ou de l’estomac ou une tumeur de voisinage. Le diagnostic est suspecté par l’évolution rapide de la dysphagie et l’altération rapide de l’état général. Le diagnostic est fait, soit par l’endoscopie quand la tumeur est visible dans la région cardiale, soit par l’échoendoscopie ou la scanographie. Les autres causes sont les atteintes paranéoplasiques des plexus nerveux œsophagiens (cancer du poumon à petites cellules, cancer du pancréas, de l’estomac ou de la plèvre), les atteintes neurologiques diffuses (pseudo-obstruction chronique idiopathique, amylose, maladie de Chagas due à l’infection par Trypanosoma cruzi). Des troubles moteurs non spécifiques peuvent s’observer dans de multiples pathologies : diabète, amylose, lupus, dermatomyosite, myasthénie.