UNIVERSITE DE BOURGOGNE - DIJON DESS “ Politiques Culturelles, Action Artistique et Muséologie ” Année 2001/2002 Du lieu industriel au lieu culturel : Modalités et enjeux d’une reconversion Mémoire présenté par Marieke DOREMUS Directeurs d’étude : Annette VIEL, Serge CHAUMIER, Daniel RAICHVARG Septembre 2002 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier particulièrement Isabelle Demailly, chef de projets “ Transmission de la mémoire et création artistique ” de la Scène Nationale Culture Commune, qui a su me conseiller et me guider tout au long de mon stage ainsi que pendant la rédaction de ce mémoire. Je remercie Chantal Lamarre, directrice de Culture Commune et André Dubuc, directeur du Centre Historique Minier. Je remercie mes professeurs de l’Université de Bourgogne, Annette Viel, Serge Chaumier et Daniel Raichvarg pour leur écoute et leurs conseils. Je remercie enfin l’ensemble de mes proches qui m’ont aidée à parvenir à la concrétisation de ce mémoire. 2 SOMMAIRE Chapitre I – Présentation ............................................................................................................................... 8 I. Friche ou patrimoine, comment considérer le lieu industriel devenu obsolète ?.................................. 8 1. La friche industrielle .......................................................................................................... 8 2. Le patrimoine industriel ..................................................................................................... 11 II. Le territoire de l’ancien Bassin Minier du Nord -Pas-de-Calais ............................................................ 14 1. Un territoire marqué par son passé ..................................................................................... 14 2. Deux sites remarquables hérités de cette période ................................................................. 17 III. Deux projets implantés sur deux sites ............................................................................................ 18 1. La réhabilitation de la fosse Delloye : le Centre Historique Minier de Lewarde .......................... 18 2. La réutilisation de la Salle des Pendus de la fosse 11/19 : Culture Commune ............................ 21 Chapitre II – Quand un lieu industriel devient lieu de culture ...................................................................... 25 I. Motivations et conditions du réemploi ................................................................................................ 25 1. Motivations des porteurs de projets .................................................................................... 25 2. Conditions requises pour une reconversion culturelle ........................................................... 28 II. Architecture du lieu et projet culturel ............................................................................................. 30 1. Adaptation au lieu ou lieu qui s’adapte ? ............................................................................. 30 2. Les transformations architecturales .................................................................................... 32 3. La lisibilité du lieu ............................................................................................................ 35 III. Mémoire du lieu et projet culturel ................................................................................................... 37 1. Le lieu industriel est-il un lieu de mémoire ? ......................................................................... 37 2. De l’incidence de la mémoire sur le projet culturel ................................................................ 41 Chapitre III - De la reconversion du lieu industriel a la reconversion du territoire. ..................................... 46 I. Territoire et reconversion ................................................................................................................... 46 3 1. Le projet comme moyen pour un nouveau développement .................................................. 46 2. Des méthodes et des actions pour l’avenir ....................................................................... 48 II. Culture et territoire ............................................................................................................................. 50 1. Un sens pour le territoire ............................................................................................... 50 2. Le projet culturel, participant du projet collectif ............................................................... 52 III. Un lieu industriel devenu lieu de culture : un rôle à jouer dans la reconversion du territoire ....... 55 1. Un espace où le territoire se fonde… ................................................................................. 55 2. … par lequel il peut construire son avenir. ....................................................................... 57 CONCLUSION ............................................................................................................................................... 60 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................... 62 4 INTRODUCTION L’analyse présentée dans ce mémoire est le fruit d’un travail de réflexion déjà bien engagé. En effet , le choix de ce sujet n’est pas fortuit. Il est le résultat d’un cheminement d’interrogations suscitées par mes expériences professionnelles et mes propres observations. Ainsi, dès 1999, je me suis intéressée à la reconversion des friches industrielles. Dans un séminaire de maîtrise intitulé “ Mémoire et Représentations ”, j’ai porté mon attention, lors de la rédaction d’un dossier d’étude, sur la transformation de la fosse Delloye en Centre Historique Minier, dans le bassin Minier du Nord -Pas-de-Calais. Abordant la question sous un angle historique, je me suis néanmoins appuyée sur les principes de l’archéologie industrielle et les actions menées par les défenseurs du patrimoine industriel. J’ai ensuite travaillé un an dans un centre culturel au Luxembou rg, la Kulturfabrik, installé dans les bâtiments d’un ancien abattoir municipal. La reconversion du site a permis d’y inscrire un projet nouveau tout en gardant visible des éléments architecturaux rappelant le passé. La mise en parallèle de ces deux expériences m’a alors interpellée sur le sens de la reconversion d’un site industriel et sur l’attitude que nous pouvons avoir à l’égard de ces bâtiments. Alors que de nombreuses friches sont détruites, certaines font l’objet d’une reconversion qui les replac ent dans l’activité contemporaine du territoire. Mon année de formation, associée à mon stage, au sein de la Scène Nationale Culture Commune, m’a permis de pouvoir construire une réflexion dont ce mémoire est l’expression. Mes propres expériences mettent en avant des attitudes divergentes à l’égard du lieu industriel. Le premier projet culturel, espace muséographique, réhabilite le lieu industriel, c’est-à-dire qu’il fait recouvrer au lieu une attention et une valeur qu’il avait perdues, tandis que le seco nd projet, espace de création et de diffusion culturelle, réutilise le lieu industriel pour y faire autre chose. Cette différenciation de reconversion culturelle requiert notre attention . Nous considérons le lieu industriel comme un ancien espace de production qui a perdu toute valeur d’usage économique, suite aux mutations des moyens de production. Pourtant, le lieu industriel devenu obsolète n’est pas sans intérêt. Ainsi il représente le dynamisme économique passé du territoire sur lequel il est inscrit. Le lieu industriel est alors porteur d’une histoire et d’une mémoire auxquelles il convient de porter attention. Les études faites à l’égard de la reconversion culturelle des lieux industriels tendent à omettre cette dimension. Nous la mettons ici au centre de notre réflexion. Compte-tenu de cet état des lieux et de notre propre regard sur le lieu industriel, notre analyse s’attache donc à comprendre comment le lieu industriel peut devenir lieu de culture : ceci se traduit par l’étude des différents types de projets qui l’investissent mais également du lien entretenu entre le territoire et le lieu industriel. La question de la représentation du lieu industriel est au cœur de notre démarche. Ainsi, notre réflexion s’appuie sur les interrogations suivantes : Les natures différentes des projets imposent-elles forcément une attitude différente vis-à-vis du lieu industriel investi ? Le lieu de culture qu’est devenu le lieu industriel ne peut -il pas être un passeur de mémoire et un acteur contemporain du territoire ? N’est-ce pas là, une reconversion indispensable pour le territoire, le lieu industriel devenant médiateur entre passé et futur, tout en agissant au présent ? Nous sommes alors amenés à faire les hypothèses suivantes : 5 Le lieu industriel a une mémoire et une histoire qui font de lui un lieu patrimonial. Sa reconversion culturelle ne doit pas négliger cette dimension, nécessaire au travail de la mémoire collective. La mémoire du lieu industriel n’est pas la seule propriété de la structure muséale, elle p eut également être intégrée par un autre type de structure culturelle. La réutilisation culturelle du lieu industriel, par des projets de nature différente, offre ainsi une richesse d’interprétation et de réappropriation du lieu comme de la mémoire. Le lieu industriel est inscrit sur le territoire. Devenu lieu de culture, il contribue au développement nouveau du territoire en reconversion. Ces orientations de travail nécessitent une analyse déterminée dans un contexte pertinent. La démarche a donc consisté à cibler une aire territoriale particulière, définie par une activité mono -industrielle importante, mais aujourd’hui disparue. C’est pourquoi notre étude s’est limitée à l’ancien Bassin Minier du Nord -Pas-de-Calais. La fin de l’activité minière a mis en évidence de nombreux dysfonctionnements liés à cette crise. Le réaménagement du territoire s’est imposé rapidement suite à la présence d’anciens sites d’exploitation, devenus friches industrielles, et cela sur l’ensemble du territoire. Ce contexte nous per met donc d’appréhender au mieux notre problématique. En outre, cet espace territorial nous offre deux expériences de reconversion culturelle partielle ou entière, d’une ancienne fosse de mine. Ces deux structures, la Scène Nationale Culture Commune et le C entre Historique Minier, sont intéressantes pour notre étude : la nature du projet est différente mais le cadre de déploiement du projet est identique. Considérer deux sites de même typologie sur un même territoire nous est essentiel pour tenter d’être objectif lors de notre analyse. La méthodologie de cette étude est fondée sur l’observation participante. Culture Commune fut le cadre de mon stage de DESS, durant trois mois, d’avril à juin 2002. Assistante du chef de projet “ Transmission de la mémoire et création artistique ”, j’ai pu comprendre comment le lieu industriel était perçu et vécu au sein d’un projet culturel de création artistique contemporaine. Le Centre Historique Minier ne m’était pas inconnu : ma première approche de cette structure m’a aidée dans mes recherches mais il m’était nécessaire de reprendre contact avec l’équipe du musée afin d’en voir les évolutions récentes et rencontrer à nouveau le directeur pour un entretien approfondi. Des entretiens ont, en effet, été menés dans les deux st ructures. D’autre part, ma position au sein de Culture Commune, durant mon stage, m’a fait participer à des réunions de travail rassemblant les partenaires culturels qui agissent en faveur du patrimoine minier sur le territoire de l’ancien Bassin Minier du Nord-Pas-deCalais. L’écoute et l’observation m’ont permis de cerner les différentes attitudes et d’établir certaines réflexions, que nous retrouvons dans ce mémoire. Plusieurs ouvrages nous ont permis de définir notre terrain d’étude et d’enrichir notre propos. Nous citerons ici les écrits de Françoise Choay, de Louis Bergeron et de Pierre Nora. Nous avons aussi prêté une attention particulière aux textes, articles et ouvrages sur les friches artistiques afin de mieux comprendre la position des artistes vis-à-vis du lieu industriel qu’ils investissent et vis-à-vis du territoire auquel ils se réfèrent. Il faut enfin noter l’étude de la documentation propre à chaque structure et les textes officiels sur la reconversion du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais, disponibles auprès des collectivités territoriales de cette région. Nous procéderons à une étude en trois temps. Le chapitre I présente le territoire sur lequel se porte notre étude, ainsi que les deux structures que sont Culture Commune et le Centre Historique Minier. Nous avons également inclus dans ce premier chapitre une première analyse sur les différentes attitudes liées au lieu industriel en reconversion : friche ou patrimoine ? Ce point nous 6 semble important pour la suite de notre propos, afin de ne pas commettre de confusion dans l’utilisation du vocabulaire et des intentions qui lui sont liées. Le chapitre II analyse les modalités d’un réemploi culturel du lieu industriel. Trois points y sont développés : les motivations des porteurs de projet, le comportement à l’égard de l’architecture et la position choisie face à la mémoire du lieu. Enfin, le chapitre III est une réflexion sur le rôle du lieu industriel devenu lieu de culture, sur un espace territorial lui-même en reconversion. Notre propos se développe progressivement en étudiant le lien entre territoire et reconversion puis le lien entre territoire et culture. A l’issue de ces réflexions, nous sommes en mesure de nous demander si le lieu industriel devenu lieu de culture n’a pas un rôle maje ur à jouer dans la mutation d’un territoire. 7 CHAPITRE I – PRESENTATION Afin de pouvoir cerner l’ensemble des problématiques liées à notre réflexion, il nous est indispensable de consacrer la première partie de notre propos à une présentation générale du cadre d’étude. La reconversion du lieu industriel présuppose tout d’abord de définir ce qu’est ce lieu industriel et ce qu’il représente. Les termes de friche industrielle et de patrimoine industriel nécessitent ainsi une définition affinée. Une fois cette distinction établie, nous présenterons le territoire de l’ancien Bassin Minier du Nord -Pas-deCalais. Il présente de nombreux lieux industriels, suite à l’activité minière qui s’y est développée. Nous nous attacherons à étudier deux d’entre eux, qui font aujourd’hui l’objet d’une reconversion, partielle ou entière, en lieu culturel. I. Friche ou patrimoine, comment considérer le lieu industriel de- venu obsolète ? Le terme que nous associons au lieu industriel en cessation d’activité énonce l’idée que nou s faisons de cet espace. Cette première partie consiste à définir à la fois le terme de friche industrielle et celui de patrimoine industriel. Le statut du lieu dérive du vocabulaire employé. Ainsi le sens commun attribue souvent une connotation négative à la friche industrielle et positive au patrimoine industriel. Afin de nous entendre sur l’utilisation d’un vocabulaire aux contours flous, il nous faut définir ces deux expressions. En effet, ceci nous permet d’aborder les représentations que chacun d’en tre nous se fait du lieu industriel. 1. La friche industrielle La friche est la partie visible de la fin d’une exploitation industrielle sur un territoire. Souvent associé à une image négative, ce terme est soumis aujourd’hui à une ambiguïté d’utilisation , dans la mesure où il est de plus en plus associée à un usage positif. Définition d’une friche La friche industrielle se définit par des mots aux connotations négatives, tels que crise, désolation, déshérence, dévalorisation, dévitalisation, obsolescence... Une définition générale de la friche serait : “ Une friche industrielle est un espace, bâti ou non, inoccupé ou très sous -utilisé, anciennement tourné vers des activités industrielles, ou d’autres activités en liaison avec l’industrie, dont la réinserti on dans le circuit économique implique nécessairement un nouvel aménagement. ” 1 La friche se définit par ce qu’elle n’est plus. C’est un lieu vacant et vide : elle est en attente d’une suite, et personne ne sait lui en donner. Le principe d’intermédiarit é s’impose. Le mot “ friche ” est considéré aussi comme un lieu ou un travail en attente d’autre chose. L’image principale de la friche industrielle s’attache à son obsolescence et à son absence de vie. Elle est définie uniquement dans son rapport à sa fonction passée. Par exemple, nous parlons des anciens hauts-fourneaux de 1 SEPROREP, L’enjeu friche industrielle, Service technique de l’urbanisme, 1994 8 Uckange, en Moselle, de l’ancienne usine de conditionnement publique à Roubaix ou encore de l’ ancien-bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Louis Bergeron, historien de l’industrie, définit la friche industrielle selon ses caractéristiques physiques 2. La friche mineure : Ce sont les “ friches bâties, dont l’emprise au sol est relativement limitée et dont la visibilité demeure avant tout dans une architecture à étages multiples ou à dépl oiement horizontal. ” Ce sont principalement les industries textiles ou la petite métallurgie. Elles se situent en milieu urbain. Roubaix, dans le Nord, possède beaucoup de bâtiments de ce type : l’activité principale était la confection, la concurrence extérieure a mis fin à ces activités et la ville est désormais parsemée de bâtiments construits pour la production textile, mais aujourd’hui dépourvus d’usage. La friche majeure : Elle se reconnaît par l’imposante superficie de son terrain. Le bâtiment indu striel est moins représenté que l’outil de production. Ce type de friche est représentatif de l’exploitation houillère, la sidérurgie, l’industrie pétrolière, les centrales électriques. Ce sont des territoires entiers qui sont concernés, comme le Nord-Pas-de-Calais où la fin de l’exploitation houillère a laissé depuis les années 70 de nombreux espaces sans vie, les infrastructures étant laissées à l’abandon. La présence de friches influent un territoire : les répercussions liées à l’apparition d’une friche sont nombreuses pour l’environnement économique, social et humain de l’activité industrielle concernée. La friche rappelle la fin d’un âge d’or mais aussi les séquelles sur le terrain, sur la population, sur les mentalités. Ne produisant plus rien, le lieu en friche n’a plus de valeur. La friche est alors considérée comme un élément qui n’apporte plus rien au territoire sur lequel elle est installée. Qui utilise cette expression ? Le terme de friche industrielle est utilisé par des personnes dont la fonction professionnelle reste spécifique. Leur conception du lieu émane de la représentation qu’ils en ont. En premier lieu, arrêtons-nous sur cette réflexion de Paul Smith, chercheur à la Sous -Direction du département des études, de la documentation et de l'inventaire au Ministère de la Culture : “ En effet, même si la notion de friche est plus conviviale, plus rajeunie, rafraîchie, cette notion représente un aspect négatif utilisé par les urbanistes, les aménageurs et porte l'idée d'abandon, et même l'invita tion tacite à raser ou à faire développer.” 3 Exprimée par un partisan du patrimoine industriel, cette définition de la friche industrielle nous renvoie aux professionnels de l’économie et de l’industrie. Cette dernière activité a donné lieu à des ajustem ents dus à la concurrence étrangère et à la rentabilité en baisse de certains de ses secteurs phares. Les industries françaises ont dû faire baisser leurs coûts de production pour être compétitives, certains lieux de production ont fusionné avec d’autres, réduisant ainsi le personnel. Ceci a eu pour conséquence les fermetures de certains sites, les laissant à l’abandon et sans mesure de reclassement. Dans ce cas, la friche industrielle devient un site à valeur économique nulle. Parle de friche industriell e celui qui la considère comme un bien immobilier, comme une valeur économique, comme un espace où la taxe professionnelle n’est plus prélevée... La fermeture d’un site industriel signifie absence de production, donc absence de 2 Louis Bergeron, “ Les friches industrielles ”, Encyclopaedia Universalis, 1998 3 "Les enjeux en Europe de la reconversion du patrimoine industriel en lieu de culture" - compte-rendu de la séance de travail, Rencontres européennes Trans Europe Halles - 27 mai 2000, Mains d'œuvres, Saint-Ouen. 9 valeur économique. Comme le dit Paul Smith, cette vision de la friche signifie aussi destruction des lieux. Les propriétaires préfèrent fuir la réflexion concernant l’avenir du site et le démolir. C’est ce qui a été choisi, en majorité, lors des premières fermetures de sites, comme le prouvent les nombreuses destructions de fosses de mines dans le Nord-Pas-de-Calais, dont il ne reste que quelques vestiges. Le terme de friches industrielles est aussi utilisé par les politiques et les élus. La friche sous -entend un passé mais pas d’avenir. La friche a une signification présente douloureuse pour un territoire. Les élus et la population considèrent la friche comme une évocation d’une gloire ancienne. C’est aussi synonyme d’absence d’emplois, de dynamisme économique, de vie sociale équilibrée... La fermeture d’un site industriel a des répercussions sociales et humaines dramatiques. Les conséquences sur l’avenir de l’environnement interrogent également les élus et les propriétaires de ces friches. En effet, les sols peuvent être pollués pa r l’exploitation. La population préfère souvent la destruction, qui permet parfois de résoudre les risques liés à la sécurité du site et des alentours. Pourtant, une nouvelle tendance apparaît dans l’utilisation de ce vocabulaire : la friche industrielle peut être réutilisée. Quelle est la ville qui n’a pas aujourd’hui un projet de reconversion pour ses friches industrielles ? L’engouement pour la réutilisation des friches offre une renaissance “ linguistique ” au terme de friche. La friche n’est plus détruite, ni rasée. Elle sert de support à un nouveau projet. Les friches industrielles font l’objet de travaux de modifications. Ces travaux se font parfois au détriment du respect du lieu. Mais nous dépassons ici la stricte définition de la friche et nous nous approchons de celle de patrimoine et du souci de conservation du lieu, qui sera abordée plus loin. Des cabinets d’architecture se spécialisent dans la reconversion des friches industrielles : c’est le cas du cabinet parisien Robert&Reichen 4 qui a travaillé sur des projets de ce type dès 1980. Ces deux architectes interviennent en transformant ces sites en espaces publics (Grande Halle de la Villette à Paris), logements (anciennes filatures Leblan à Lille), sièges de grandes entreprises (ancienne choco laterie Meunier à Noisiel devenue le siège social de Nestlé). Ils tiennent compte du lieu dont ils ont la charge: leurs travaux s’effectuent souvent sur des bâtiments industriels, de type friche mineure et non sur des friches industrielles de grande dimens ion, comme l’explique Louis Bergeron. Enfin, nous terminons par un autre type d’utilisation de l’expression friche industrielle et par conséquent de type d’utilisation du lieu industriel. C’est ce qui est appelé communément friche artistique. Suite à la parution en 2001 du rapport Lextrait 5 commandé par le secrétaire d’Etat Michel Duffour, sur les lieux culturels dits intermédiaires, le Ministère de la Culture s’est intéressé de plus près à ces lieux. La production de textes et d’ouvrages sur le sujet s’est aussi multipliée. Pourtant, les projets culturels dans des friches industrielles ne sont pas récents et ils existent depuis longtemps sur notre territoire (avec les expériences du Confort Moderne à Poitiers) et en Europe (les Halles de Schaerbeek, à Bruxelles ou la Ufa-Fabrik de Berlin 6). Marie Vanhamme, qui a travaillé sur plusieurs de ces expériences, définit la friche industrielle comme “ un espace bâti ou non bâti anciennement utilisé par une activité industrielle et 4 Emmanuel de Roux, “ Robert et Reichen, architectes dissociants ”, Le Monde, 26 février 2002 5 Fabrice Lextrait, Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… Une nouvelle époque de l’action culturelle , Ministère de la Culture, La Documentation Française, 2001 6 Cf. à ce propos l’action de l’association TransEuropeHalles qui fédère depuis la fin des années 80 les projets cultu- rels investis sur des friches industrielles. Un ouvrage est sorti en 2001 sur l’ensemble de ces expériences, Fabriques, lieux imprévus aux Editions de l’Imprimeur 10 désormais désaffecté ou sous occupé. (..) La friche est cet espace vide, inutile, inutilisable, et donc, disponible, appropriable ” 7.Le principe fédérateur de ces expériences reste l’utilisation d’espaces vacants pour des projets qui n’entrent pas dans le cadre des politiques culturelles mises en œuvre et qui font appel à l’interdisciplinarité et au multi-usage des espaces. Le lieu représente pour les artistes qui s’y installent le lieu de toutes les possibilités et de toutes les expressions. Le lieu industriel reprend une valeur dans la mesure où il trouve une nouvelle utilisation. Un nouvel avenir est décidé pour l’espace en friche. La friche industrielle a traditionnellement un sous -entendu négatif, associé à l’ensemble des répercussions sur le territoire. Cependant cette vision est aujourd’hui en passe d’évoluer par la popularité croissante des reconversions des lieux industriels en lieux culturels. D’autres préfèrent utiliser le terme de patrimoine industriel pour qualifier la friche industrielle. C’est une autre représentation de l’espace qui est en jeu, répondant à des critères de valeur et de sens pour l’histoire et pour la mémoire. 2. Le patrimoine industriel Paul Smith exprime parfaitement les différences d’utilisation du langage et les idées découlant du mot utilisé : “ On peut noter d'emblée que je vais parler du patrimoine industriel et non pas des friches industrielles. (...)La notion de patrimoine est pour nous tout le contraire, c'est quelque chose à chérir, à étudier, à sauvegarder pour nos enfants, pour la postérité. ” 8 Définissant le lieu industriel comme patrimoine, il en définit les attributs principaux que sont la valeur et le sens. Le patrimoine, entre valeur et sens Le patrimoine est une notion ancienne qui définit la conservation de biens meubles et immeubles, matér iels comme immatériels qui sont transmis de génération en génération. Sont associées au patrimoine les idées d’ancienneté, de protection, de préservation, de conservation, de valeur, de lieu, d’espace, de sens mais aussi de devoir. La notion de patrimoine s’est aujourd’hui élargie rassemblant tout ce qui constitue notre passé et qui est essentiel pour notre avenir. Le patrimoine agit donc dans la construction de notre identité. Il faut distinguer le patrimoine privé et le patrimoine collectif. Ce qui est reconnu comme patrimoine pour une personne ne le sera pas pour l’ensemble des personnes vivant autour d’elle. Ce bien, cet objet, ce lieu n’auront de sens et de valeur que pour cette personne. Nous le conservons par désir de préserver un héritage qui nous concerne directement. Les éléments composant l’héritage collectif font sens pour le groupe et pour son identité. Le patrimoine collectif est reconnu collectivement pour ses valeurs historiques, il donne des informations sur le passé. Ses qualités artistiques, sa construction, son architecture et son style lui donnent un caractère singulier et significatif pour l’ensemble du groupe. La notion de valeur est primordiale dans la qualification d’un lieu comme patrimoine. Le patrimoine existe parce qu’il est support de connaissances et d’informations. Le sens premier du mot valeur est l’apport d’informations 7 Marie Vanhamme, Fabrice Loubon, Arts en friches. Usines désaffectées : fabriques d’imaginaires. Editions Alternatives, 2001, p.7 8 "Les enjeux en Europe de la reconversion du patrimoine industriel en lie u de culture" - compte-rendu de la séance de travail, Rencontres Européennes Trans Europe Halles - 27 mai 2000, Mains d'œuvres, Saint-Ouen 11 par un objet, un bâtiment, un lieu ou une personne. La valeur peut être aussi artistique, ethnologique, esthétique... Le patrimoine devient alors support d’information pour l’ensemble des domaines scientifiques. Le sens et la valeur d’un lieu existent grâce au regard d’un groupe. Le patrimoine devient symbole dans la mesure où le groupe lui reconnaît une valeur dépassant les cadres matériels du lieu ou de l’objet concerné. Ainsi, il est représentatif de tel ou tel événement (par exemple, les alentours de Verdun pour la guerre 14 -18) ou de tel combat collectif (la place de la Bastille à Paris). Le lieu patrimonial est le support de sa propre mémoire. Il en est l’expression pleine et entière. La population accepte un lieu comme patrimoine dans la mesure où ce dernier incarne une valeur qui dépasse la simple source de connaissances. Une fois que la population a reconnu ce lieu comme participant de son identité , elle lui accorde de l’intérêt et en défend la préservation. Protéger un lieu patrimonial permet de protéger l’identité du groupe. Le lieu industriel n’aurait-il pas les mêmes caractéristiques que le patrimoine classique ? Jusqu’aux années 70, le lieu industriel des XIX ème et XX ème siècles suscitait peu les interrogations suivantes : Le lieu industriel peut-il faire sens ? Le lieu industriel en friche qui n’a plus de valeur économique, peut -il être animé de valeurs reconnues collectivement ? Le lieu industriel peut-il être un lieu patrimonial ? Depuis, historiens et conservateurs s’interrogent sur la place de l’objet industriel et du lieu industriel dans le patrimoine. La prise de conscience d’un patrimoine industriel procède du travail des historiens et d es chercheurs en sciences humaines : ils ont trouvé en ces lieux, et en leurs objets et archives, une source de renseignements sur la vie industrielle et son organisation. De plus, la menace de la disparition imminente de cette histoire, incarnée dans ces bâtiments, a suscité l’intérêt. Ces derniers renvoyaient à une histoire économique, une histoire architecturale et une histoire sociale significative. Les témoignages matériels de cette histoire ont donc été pris en considération. En 1986, Claudine Cartier , responsable de la cellule patrimoine industriel à la Direction des Musées de France, plaçait en premier lieu l’urgence de la sauvegarde, “ l’intérêt n’est pas de conserver en l’état, de muséifier un maximum de friches industrielles mais d’engranger de la documentation sur un territoire, en vue des générations futures ” 9. Nous retrouvons ici les mêmes principes que le patrimoine classique : connaissances, préservation, transmission. Les recherches sur le patrimoine industriel se sont développées depuis d e vingt ans en France. Le patrimoine industriel est aujourd’hui accepté comme patrimoine par les services de l’Etat. Des services du patrimoine industriel existent dans certaines DRAC, certains Conseils Généraux ou Régionaux. Les actions de Georges -Henri Rivière et le développement des écomusées, les démarches scientifiques entreprises par Maurice Daumas, concernant l’étude archéologique des friches industrielles, la cellule patrimoine industriel 10 de la Direction des Musées de France créée en 1983 par Jack Lang ont permis de développer cette nouvelle discipline que sont l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel. Aujourd’hui, une usine en friche peut être appréciée pour ses qualités architecturales, sa source de connaissances, sa valeur symboliq ue et non plus uniquement pour les conséquences négatives dont elle est synonyme. 9 DATAR Les Grandes Friches Industrielles , La Documentation Française, 1986, p. 45 10 Cette cellule était chargée, au départ, de repérer les éléments du patrimoine industriel en région et de définir une méthodologie d’actions en matière de conservation et de restauration. 14 régions sur 22 sont recensées aujourd’hui. Son action actuelle est la conservation et la mise en v aleur de ce patrimoine. 12 Ainsi, la friche industrielle est d’aujourd’hui reconnue pour les valeurs qui l’habitent, au même titre qu’un bâtiment plus ancien. Elle est aussi support d’informations. E lle transmet une valeur économique et historique : un carreau de fosse renseigne son visiteur sur l’organisation de l’espace minier et sur les différents bâtiments qui composent une exploitation. L’aspect extérieur du lieu industriel est digne de valeur : les architectures des usines du XIX ème siècle sont admirées pour leur qualité et leur fonctionnalité. Elles sont d’ailleurs reconnues pour leur valeur architecturale avant leur valeur historique. Les précurseurs du développement du patrimoine industriel parlent aisément des “ cathédrales de l’industrie ” comme lieu sacralisé. Cette nouvelle composante du patrimoine jouit des mêmes atouts que le patrimoine classique. Le patrimoine industriel doit être conservé afin de le transmettre aux générations suivantes. Effacer un lieu industriel correspond à la destruction des traces de l’aventure industrielle, de son organisation et de son architecture. La reconnaissance du lieu industriel comme patrimoine existe quand la population le conçoit comme tel. Cette assimilation est souvent longue et douloureuse. La fin de grandes industries qui ont marqué la vie économique de la France aux XIX ème et XX ème siècles, comme la sidérurgie, le textile, l’exploitation du charbon est encore récente. Les dernières mines de charbon ont fermé en 1990 dans le Nord et deux demeurent ouvertes en Lorraine, la fermeture étant prévue pour 2004-2005. Les personnes qui ont travaillé dans ces lieux sont encore vivantes. Qualifier leur lieu de travail de patrimoine correspond à la fin réelle de leurs vies professionnelles. Il faut pourtant réaliser combien la population est créatrice de son patrimoine. Elle a vécu pour cette activité, qui a elle-même développé action sociale, sociabilités et pratiques culturelles. Ceci compose l’identité de la population. Cette dernière la transmettra aux générations futures. Une activité industrielle, sur un territoire, devient un élément de la mémoire collective. Les lieux d’exploitation sont des éléments constitutifs et constituants de la vie d’une populatio n. Pour reconnaître ce composant identitaire et mémoriel, la population doit donner un regard nouveau sur les espaces concernés. Elle doit faire le travail de deuil. Transformer le lieu industriel en symbole permet la mutation du regard et simultanément l’acceptation de la fin de cette aventure. Nous observons ainsi deux tendances pour qualifier un même lieu. Répondant chacune à des représentations particulières, ces deux sens orientent les comportements liés à l’avenir de ce lieu. Afin de garder une neut ralité, compte tenu de ces définitions, nous utiliserons au cours de notre réflexion le terme de lieu industriel. L’ancien Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais a été choisi car il a été le lieu du stage effectué entre avril et juin 2002 au sein de la Scène Nationale Culture Commune. D’autre part, c’est un territoire qui dispose d’un ensemble de facteurs relatifs à la problématique qui nous concerne : haut lieu de l’exploitation houillère depuis le début du XVIII ème siècle, ce territoire est aujourd’hui marqué par la crise de cette industrie. Les conséquences sur la vie économique, sociale et humaine de ce territoire ont été difficiles. La fin de l’exploitation minière est visible dans le paysage, les lieux industriels en friche sont nombreux et ont été le te rrain des conflits exprimés ci-dessus entre vision négative et vision optimiste de leur avenir. Nous présenterons donc tout d’abord le territoire et sa composition. Nous verrons également la façon dont il est aujourd’hui marqué par son passé industriel. Dans un second temps, nous présenterons deux sites industriels représentatifs de cette histoire et de ce territoire, la fosse Delloye à Lewarde (Nord) et la fosse 11/19 à Loos -enGohelle (Pas-de-Calais). 13 II. Le territoire de l’ancien Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais L’espace territorial étudié doit être présenté afin de cerner les enjeux suscités par la reconversion des lieux industriels en friche. Ensuite, nous ferons la présentation des deux sites sur lesquels nous baserons notre étude et qui sont concernés par la réutilisation culturelle de leur espace, partiellement ou entièrement. 1. Un territoire marqué par son passé Présentation physique du territoire étudié Le territoire se qualifie par ce qui le compose. Comme le souligne Jean -Pierre Barbier, le territoire “ est d’abord un espace avec ses caractéristiques géographiques, un espace de production économique, un lieu de vie pour les populations aux structures, aux caractéristiques et aux histoires complexes, un ensemble de lieux de mémoire concrets (les sites, les bâtiments, les paysages) et abstraits (les événements sociaux, politiques et culturels dont les traces sont inscrites pour partie dans les espaces et pour partie dans les souvenirs des acteurs) ” 11 Ainsi l’ancien Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais s’est défini par son histoire liée à l’extraction du charbon. Il semble que tout ce qui compose l’ancien Bassin Minier aujourd’hui ait un lien avec l’histoire houillère. Cette spécificité fait de ce territoire un espace intéressant à étudier : au-delà de la reconversion de deux lieux industriels, c’est également la reconversion d’un territoire dont il est question. Ce territoire s’étend sur une distance d’environ 120 km sur 10 à 15 kilomètres de large, de Condé -sur-l’Escaut à l’Est jusqu’à Enquin-les-Mines à l’Ouest. Cette géographie correspond à l’espace géologique duquel a été extrait le charbon pendant les 250 ans d’exploitation. Tout semble issu de cette géographie. Par exemple, les limites juridiques sont nées des grands arrondissements miniers (d’Ouest en Est : Valenciennes, Douai, Lens et Béthune) et des concessions minières, réparties sur l’ensemble du territoire. Ces dernières géraient à la fois l’exploitation mais également l’urbanisme des communes concernées et l’habitation des mineurs qu’elles employaient. Le charbon et l’exploitation minière qualifient ce qu’est le Bassin Minier sur les plans économique, technique, social, culturel, urbain et paysager. L’épopée du charbon L’exploitation de la mine sur ce territoire est une histoire de 270 ans : la première veine de charbon est découverte en 1720 à Fresnes-sur-Escaut. Cette industrie a marqué le territoire en modelant les paysages, mais également les modes de vie et de pensée d’une population engagée dans une aventure mono -industrielle. Le XVIII ème siècle est le siècle de l’extraction artisanale avec un développement peu important des exploitations sur le territoire actuel. Ce n’est qu’au XIX ème siècle que les découvertes successives de gisements plus à l’Ouest donnent au bassin sa configuration maximale. Les Houillères emploient 85 000 personnes en 1900 (9 000 en 1845). A son apogée dans les années 1930, l’exploitation charbonnière concerne près de 300 communes, associées à plus d’une centaine de fosses d’exploitation et 250 000 employés (hommes, femmes et enfants). L’année 1930 est l’année “ record ” avec 35 millions de tonnes de charbon extraits. 11 “ Etude anthropologique du Bassin Minier : un ou des bassins miniers ? ” Journées d’études des 28 et 29 mai 1998, p.3, Anthropologie du Bassin Minier, collection Etudes, n°3, janvier 1999. 14 L’exploitation de la mine développe une activité économique riche qui génère de nombreux emplois. Les concessions se répartissent sur l’ensemble du territoire ainsi exploité et chacune d’entre elles devient entrepreneur : construction d’habitations, d’écoles, de salles communes, aide sociale, investissement dans la vie de la commune... La mine devient l’outil de développement économique, technique et soc ial du territoire. Jusqu’aux années 1950, l’exploitation du charbon reste le moteur du territoire et la fierté de la région. Cependant, l’effort demandé aux mineurs après-guerre ne suffit pas à rendre ce charbon compétitif face aux autres énergies qui se développent et face au charbon importé, moins cher. Le déclin de l’exploitation commence dans les années 60. L’arrêt progressif des exploitations se fait progressivement, géré par Les Charbonnages de France 12. Les derniers sites ferment au début des années 90 : le 26 octobre 1990, au puits de l’Escarpelle à Roost-Warendin, dans le Nord et le 21 décembre 1990 au siège 10 d’Oignies dans le Pas -de-Calais. Conséquences et réalité actuelle du territoire La cessation des activités minières a eu de nombreuses répe rcussions sur la vie du territoire. Intégrée dans le paysage, l’exploitation minière avait créé un territoire uni développant vie économique et vie sociale. Une page fondamentale de l’histoire de la région s’est tournée mais les traces restent visibles en surface : nous pouvons voir les terrils, les carreaux de fosse, les habitations des mineurs, les salles communales créées par les mines... La population locale a été directement sanctionnée par ces fermetures. Embauchée de génération en génération, elle n’a pas connu d’autres choix que la mine. Il lui a été donc difficile d’appréhender un autre avenir que celui ci, adopté dans les familles depuis deux siècles. De plus, l’ “ après-mine ” n’a jamais été réellement pensé et réfléchi : comment créer un nouveau dynamisme ? Pourquoi les collectivités locales et les Houillères n’ont -elles pas mis en place une action concrète et durable pour le territoire ? Est-ce qu’il aurait été possible de mieux anticiper cette crise ? Les conséquences économiques et sociales ont été douloureuses : chômage très important, pauvreté croissante, fuite de la population vers la métropole lilloise, inexistence d’investissements économiques extérieurs capables de redynamiser le territoire. De fait, la population ne s’est pas opposée aux destructions des infrastructures minières ou de la mise en abandon des sites. Un effacement complet des traces visibles de la mine ont rayé du paysage des espaces entiers, constituant l’identité du territoire. Ce dernier demeure très marqué par ces 270 ans d’exploitation. Les installations et les sites d’exploitations sont laissés à l’abandon. La Région Nord-Pas-de-Calais est au premier rang français par sa superficie de friches industrielles 13. Celles-ci se différencient par leur statut. Les friches m inières du l’ancien Bassin Minier du NordPas-de-Calais se répartissent sur une surface de 4700 hectares 14. 12 Les Charbonnages de France sont nés en 1946 de la nationalisation des Houillères de France et placés sous la tu- telle du Ministère de l’Industrie. L’entreprise regroupe différents groupes en France que sont les Houillères du bassin du Nord et du Pas de Calais (fermées en 1990), les Houillères d u bassin de Lorraine et les Houillères du bassin du Centre et du Midi. Le groupe Charbonnages de France est aujourd’hui responsable des anciens sites houillers et assure la ré-industrialisation des bassins en facilitant l’installation des petites et moyenn es entreprises. 13 Il faut ajouter aux friches minières, l’industrie textile, métallurgique et sidérurgique qui s’est aussi développée dans cette région. 14 Jean Scol et Margrit Hendoux “ Les sites miniers du Bassin Houiller du Nord -Pas-de-Calais : des éléments majeurs du tourisme industriel et du paysage touristique régional ”, dans Tourisme industriel : le tourisme du savoir-faire ? , GIREST, 2001, pp. 127-133 15 2600 hectares de terrils : Eléments extérieurs les plus marquants du paysage minier, les terrils sont ces “ montagnes ” de déchets issus de l’extraction. Composés principalement de schistes rouges et noirs, les terrils se sont constitués des résidus entourant le morceau de charbon, qui, remonté à la surface, était nettoyé par les femmes. Le mot vient du mot “ stériles ” qui définit cette roche. Les plus hauts terrils s’élèvent à 180 mètres (les deux terrils jumeaux de la fosse 11/19 à Loos en Gohelle). 1000 hectares de terrains inondés : Ces terrains sont issus des effondrements des galeries en sous -sol. Certains terrils ayant été constitués sur d es roches sédimentaires, leur affaissement peut aussi créer des zones inondables. Ils laissent place aujourd’hui à des mares, des étangs ou des zones marécageuses. 900 hectares de carreaux de fosse : Espace plus ou moins important, le carreau de mine disp ose de plusieurs bâtiments qui constituent la partie en surface de l’exploitation. Ainsi, un carreau est composé de bâtiments administratifs, de la lampisterie, la salle des pendus 15 , du ou des chevalement(s) ou tour(s) d’extraction, des bâtiments nécessai res au triage et lavage du charbon, de voies ferrées pour l’acheminement du charbon extrait… 100 hectares de voies ferrées ou assises de voies ferrées : Ce sont les cavaliers, anciennes voies ferrées des mines aujourd’hui désaffectées. Les HBNPC (Houillè res du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais) avaient construit leur propre réseau ferré relié au réseau SNCF. Chaque fosse pouvait ainsi envoyer son charbon vers les centres de triage. Toutefois, il existe quatre sites conservés entièrement, remarquables et remarqués pour leur qualité de conservation et leur représentativité : ainsi dans le département du Nord, les sites de Wallers -Aremberg et de la fosse Delloye à Lewarde, près de Douai, et dans le département du Pas -de-Calais, les fosses 9 et 9 bis de Oign ies et le site du 11/19 à Loos-en-Gohelle. Trois d’entre eux (Wallers, Oignies et Loos) sont inscrits (pour totalité ou pour partie) à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1992. De même, les terrils jouissent depuis 1992 d’une chart e, signée par l’Etat, l’Association des communes Minières (la SaCoMi), la filiale des Houillères (Terrils S.A), les sociétés d’exploitation des terrils (Terchanor et Surchistes) et l’association pour la promotion de la Chaîne des Terrils, initiatrice de ce projet. Cette charte engage les signataires à définir des critères de définition des terrils en fonction de leurs spécificités (exploitation économique, loisirs sportifs, espace naturel...). Le terril, au même titre que le bâti de l’exploitation, commence à être considéré positivement. 15 La salle des pendus est le bâtiment sur le carreau de fosse où le personnel avait ses vestiaire s et ses douches. Cette expression est issue de la manière dont les mineurs accrochaient leurs habits au plafond, à l’aide d’un filin. 16 2. Deux sites remarquables hérités de cette période Il nous est important de prendre en compte deux sites comparables. Il nous était nécessaire d’étudier deux fosses complètes et représentatives de ce territoire industriel. Ceci nous permet de comparer deux sites et leur reconversion sur un même type d’espace industriel (l’exploitation minière) et un même territoire (le Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais). Deux sites complets Les deux fosses étudiées sont chacune dans un de s deux départements qui composent le Bassin Minier, à savoir le département du Nord et le département du Pas-de-Calais. La fosse Delloye est située sur la commune de Lewarde à 8 kilomètres de Douai, sous-préfecture du département du Nord. La fosse 11/19 es t située sur la commune de Loos-en-Gohelle, au nord de Lens, dans le Pas-de-Calais. Cette seconde fosse est limitrophe des communes de Loos-en-Gohelle, de Lens et de Liévin. La première fosse est une exploitation isolée, dans un paysage encore rural et pe u urbanisé, tandis que la seconde est inscrite dans un maillage urbain très dense. Elle se trouvait alors à proximité d’autres sites d’exploitation minière, aujourd’hui démantelés et remplacés par des constructions contemporaines La fosse Delloye regroupe 7000 m² de bâtiments industriels, de superstructures, deux chevalements métalliques et passerelles. Elle est sur un terrain de 8 hectares, avec bois et espaces inoccupés. Elle ne possède pas de terril et elle n’a pas de cités à proximité. La fosse 11/19 est installée sur un vaste terrain, qui comprend les infrastructures extérieures (chevalement, tour d’extraction, bâtiments de triage et de criblage, les ateliers, les bâtiments administratifs...) et les terrils, hauts de 180 mètres et visibles des Monts des Flandres par beau temps. Le carreau de fosse (espace délimitant l’exploitation à la surface) a une superficie de 90 hectares. La fosse 11/19 est entourée de cités minières, notamment les cités-jardins Saint-Pierre (Ville de Lens) et Saint-Albert (ville de Liévin) dont le document 1 atteste de la proximité. Deux sites représentatifs Ces deux fosses s’inscrivent chacune dans l’histoire de l’exploitation houillère. Alors que la fosse 11/19 a fonctionné près d’un siècle, la fosse Delloye est représentativ e de l’effort d’exploitation d’après-guerre. LA FOSSE DELLOYE : Elle est créée à l’initiative de la Compagnie des Mines d’Aniche, qui était persuadée de la richesse du sous -sol de Lewarde, les coupes géologiques continuant les veines des fosses environnan tes. Un premier puits est foré en 1911, jusqu’à –270 mètres comme puits de service. La Première Guerre Mondiale interrompt les travaux. Ce n’est qu’en 1926 que le puits n°2 est creusé, à –379 mètres, pour l’extraction. Entre 1924 et 1931, bâtiments et ateliers sont à leur tour construits : salle de bains, lampisterie, passerelle de circulation, machines d’extraction… Le site se raccorde également au chemin de fer d’Aniche. L’exploitation commence en 1931. La fosse exploite un gisement de charbon au sud du Groupe de Douai. En 1950, les deux puits ont une profondeur de 360 mètres. La fosse partage une partie du champ d'exploitation de l'ancienne Compagnie d'Azincourt avec la fosse Vuillemin. En 1955, la fosse Vuillemin est concentrée sur Delloye. Le person nel s'élève à 1 131 personnes, dont 922 au fond et 139 au jour, en 1964. Dès 1967, il n'est plus envisagé de modernisation du siège : plusieurs sondages effectués confirment la dégradation du gisement en profondeur. 17 La fosse cesse de fonctionner le 13 juillet 1971 après avoir extrait 8,287 millions de tonnes de charbon en 40 ans d’exploitation. Les puits n° 1, profond de 409 m, et n° 2, profond de 518 m, sont remblayés en 1971. LA FOSSE 11/19 : Propriété de la concession de Lens, elle a fonctionné de 1894 à 1986, date de sa fermeture définitive. Tenant son nom des numéros de ses deux puits, elle a connu trois périodes de construction : La première fosse, appelée fosse Saint-Pierre, du nom de son ingénieur Pierre Destombes, date de la fin du XIX ème siècle : le puits 11 est foncé en 1891 et l’extraction commence en 1894. La configuration de la fosse était différente de celle que l’on connaît actuellement. Près de 1500 mineurs y travaillaient pour la Société des Mines de Lens (qui employaient en 1912-1913 18000 travailleurs). La Première Guerre Mondiale ruine entièrement la fosse du 11. Entre 1920 et 1924, la fosse 11 est reconstruite. Les bâtiments de cette époque sont nombreux aujourd’hui et reconnaissables par leur recherche esthétique architecturale (souba ssement en pierre, bâtiments en briques avec une frise, pilastre). Le document 2 décrit l’origine des bâtiments encore visibles sur le site. L’extraction par le puits 11 cesse en 1949, après avoir extrait 14,6 millions de tonnes de charbon entre 1894 et 19 49. Le chevalement actuel, haut de 37 mètres, date de 1923. La fosse 11 devient fosse 11/19 : le site devient un siège de concentration : l’ensemble des puits du groupe Lens-Liévin sont reliés par des galeries souterraines au puits 19. Le charbon extrait dans ces fosses remonte par le puits 19. Les autres puits servent à la remonte des hommes et du matériel. Le puits 19 est creusé dans ce but en 1954, inauguré en 1960 : la tour d’extraction correspond aux dernières constructions établies pour l’exploitation après-guerre. Ouvrage en béton armé, de 17 mètres (l) x 26,3 mètres (L) x 66 mètres (h), la tour d’extraction du 11/19 s’impose dans le paysage lensois à plusieurs kilomètres de distance. Au cours des décennies 70 et 80, l’exploitation s’amenuise, le no mbre de mineurs diminue, passant de 5 000 au début 70 à 2 000 en 1981, puis à quelques centaines en janvier 1986, pour assurer la fermeture du site qui reste à l’abandon. La fosse 11/19, la fosse 11 servant de puits d’aération au puits 19, a extrait entre 1960 et 1986, plus de 54 millions de tonnes de charbon. De même qu’il nous a paru indispensable de présenter le territoire, notre terrain d’étude, il nous faut maintenant présenter les deux structures que sont le Centre Historique Minier et Culture Commu ne. III. Deux projets implantés sur deux sites La fosse Delloye abrite un musée de la mine, le Centre Historique Minier, sur l’ensemble de son espace tandis que le site 11/19 est le lieu d’un projet global de développement durable dans lequel s’inscrit une str ucture de création et développement culturel, Culture Commune. 1. La réhabilitation de la fosse Delloye : le Centre Historique Minier de Lewarde Historique La mise en place du Centre Historique Minier est profondément liée au site de la fosse Delloye. En eff et, au début des années 70, le secrétaire général des Houillères du Bassin du Nord -Pas-de-Calais, Alexis Destruys, 18 émet l’idée d’un lieu montrant les savoir-faire de l’entreprise. Il perçoit la fin de l’exploitation pour l’horizon 2000. Après avis du Conseil d’Administration, il est décidé de garder un lieu pour réaliser ce projet : on ne parle pas encore de musée, car ce serait déjà enterrer l’activité minière alors qu’elle n’est pas encore terminée. Dans un premier temps, c’est un lieu de stockage des machines et des archives des Houillères. Le choix du lieu se porte sur la fosse Delloye en 1973. La première raison est son état de conservation : en effet, la fosse a fermé en 1971, le site est encore en bon état et l’ensemble du matériel se trouve encore s ur place. D’autre part, la fosse Delloye se trouve au centre géographique du Bassin Minier. Le site est un exemple d’une mine de taille moyenne caractéristique du XX ème siècle. Mais ce qui importe surtout à cette époque, c’est la proximité de la fosse de la ville de Douai où les Houillères du Bassin du Nord -Pas-de-Calais ont leur siège social : le projet pourra être surveillé de près par la direction de l’entreprise. Le matériel et les archives sont rassemblés sur le site de la fosse Delloye. La direction des Houillères invite l’ensemble des responsables de fosses en cessation d’activité à y déposer ce qui peut intéresser l’équipe mandatée pour mettre en place ce lieu. Cette équipe est composée principalement d’employés des Houillères qui classent et rangent ce qu’ils reçoivent. Comme le reconnaît André Dubuc, directeur actuel des lieux, “ cela a été le début de la constitution de façon assez empirique d’un fonds d’archives et d’une collection d’objets considérables, que nous avons aujourd’hui et qui nous p ermettent l’interprétation de cette culture. ” 16 La fosse Delloye devient le lieu de stockage de la mémoire de l’entreprise Houillères du Bassin du Nord et du Pas -de-Calais. Jusqu’en 1982, le site reste principalement un lieu de dépôt et de stockage. En 1 982, l’association du Centre Historique Minier est créée par les Houillères, avec la participation du Ministère de la Culture, du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais et du Conseil Général du Nord. Une ouverture au public est prévue en 1984, autour d’un site aux collections riches. Pendant cinq ans, les Houillères le dirigent. En 1989, sachant la fin proche de toute activité d’exploitation (arrêt prévu en 1992), la société décide de passer le relais aux collectivités territoriales. En 1990, le Conseil Régional mandate André Dubuc pour établir un audit afin de définir ce qu’est réellement devenu ce lieu. André Dubuc montre la nécessité de conserver ce site pour valoriser la mémoire qu’il abrite. Le Centre Historique Minier prend sa forme actuelle : il devient un vrai musée, et non plus un lieu de stockage, ni un simple lieu-visite d’une ancienne fosse. André Dubuc, à la suite de cette étude, devient le directeur de l’établissement culturel et développe alors un projet culturel et scientifique pour la mise en v aleur de ces fonds. Le nombre de visiteurs ne cesse d’augmenter, une restructuration du site est envisagée dès 1995 afin de recevoir le public dans des conditions plus souples. “ On était arrivé à saturation dans la structure, on pouvait accueillir 80 000 visiteurs au maximum et on était déjà à 130 000 à 135 000” 17 Les travaux de restructuration ont été terminés en décembre 2001 et ont été inaugurés par Madame Tasca, Ministre de la Culture en mars 2002. Les activités d’un musée in situ Le Centre Historique Minier a pour but de “ conserver un site qui apporterait aux générations suivantes le témoignage de près de trois siècles d’activité minière, industrielle et sociale dans le Bassin Minier du Nord -Pas-deCalais ”. 18 16 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002. 17 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 18 Site internet du Centre : www.chm-lewarde.fr 19 L’utilisation d’un site industriel pour en faire un musée vivant nécessite des compromis et des ajustements en raison de la nouvelle activité muséographique. Ainsi, les bâtiments de la fosse ont bénéficié d’aménagements, dès l’utilisation de l’espace en 1973 pour accueillir les collections et le public. La restructuration qui vient de se terminer, a permis d’aménager les espaces pour répondre au mieux aux objectifs de conservation du lieu, représentatif de l’activité minière et aux objectifs de conversion en musée, qui nécessite d’autres impérati fs. Des espaces d’accueil plus grands et des espaces d’exposition mieux aménagés sont maintenant visibles sur le site. L’ensemble des bâtiments est utilisé pour l’activité muséographique. Le Centre historique Minier a tenu à distinguer son activité du lieu dans lequel il se trouve en construisant un nouveau bâtiment accueillant les activités relatives au musée, c’est à dire accueil, bureaux, archives, bibliothèques, salles... “ Dans la restructuration, on a séparé les deux entreprises : industrielle, bâtiments anciens, et culturelle, bâtiments neufs. (...) Le visiteur ne lisait pas bien le site auparavant ”. 19 Nous détaillerons ces évolutions architecturales de la fosse Delloye au cours de notre propos sur le respect du lieu lors d’une reconversion. Le Centre Historique Minier mobilise ainsi les anciens bureaux de la fosse, la salle de bains des ingénieurs et des mineurs pour ses expositions permanentes. Une partie de la salle de bains des mineurs a été conservée : cette salle correspond au début de la visite guidée. Cette dernière est accompagnée par un guide ancien mineur, qui mène le public sur le parcours quotidien d’un mineur de fond. La spécificité du Centre demeure la reconstitution de galeries souterraines en surface. Construite en 1987, elles sont accessibles au public par un ascenseur qui le fait descendre de manière fictive à 480 mètres sous le sol. Auparavant, il a parcouru les infrastructures de la fosse où le guide lui montre les différentes tâches nécessaires à l’extraction du charbon. Le Centre Historique Minier bénéfice d’un succès considérable puisqu’il a reçu, jusqu’à aujourd’hui, près de 2 millions de visiteurs. Associées aux visites du lieu et des collections (que conservent 15 000 objets), d’autres activités sont possibles sur le site. Le Centre Historique Minier dispose d’un centre de ressources documentaires qui comprend 2,5 km d’archives et 500 000 documents iconographiques. Cette richesse de collection provient des collectes engagées par les Houillères dès le début des années 70 auprès des fosses qui fermaient. Celles-ci fournissent des informations sur les fosses et leur organisation. Les données concernant les employés des Houillères sont disponibles aux Archives du Monde du Travail à Roubaix. Ces collections permettent aux chercheu rs qui s’intéressent à l’évolution historique, sociale, économique ou technique du bassin minier de faire progresser la connaissance du monde de la mine. Le Centre Culturel et Scientifique de l’Energie (CCSE) est associé aux activités du Centre Historiqu e Minier de Lewarde. Il a pour objectif de familiariser le grand public aux connaissances des énergies, par la vulgarisation du fait scientifique. Le CCSE doit pouvoir mettre à portée de tous, les problématiques liées à l’énergie. A ce titre, le CCSE intervient dans les conceptions d’expositions, notamment scientifiques, il aide le service éducatif dans ses missions. Enfin, le CCSE organise au sein du Centre Historique Minier une manifestation annuelle et estivale sur les problématiques de l’énergie, Festivole : sous un aspect ludique, tout en visitant le musée, le public est invité à découvrir d’autres formes d’énergie. 19 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 20 Le Centre Historique Minier dispose d’un service éducatif composé de quatre enseignants détachés et plusieurs médiateurs culturels chargés des visites avec le public scolaire. Ils mettent en place des outils pédagogiques pour aider les jeunes à la découverte du monde de la mine. Les enseignants peuvent trouver auprès du service éducatif une aide afin d’illustrer leurs cours et visites. Le Centre Historique Minier met également en place des projets culturels touchant à la mine ou à sa culture : des événements culturels (danse, littérature, rencontres patoisantes, expositions contemporaines) ponctuent la vie du musée en rassemblant pour l’occasion des publics nouveaux. 2. La réutilisation de la Salle des Pendus de la fosse 11/19 : Culture Commune Le projet de reconversion Comme une majeure partie des friches minières, cette fosse devait être rasée. Mais Marcel CARON, maire de Loos-en-Gohelle, décide de la racheter pour le franc symbolique en 1989, trois ans après sa fermeture. Il ne peut en effet se résoudre à voir ce site et les terrils, hauts de 180 mètres, disparaître de son territoire et de son histoire. En 1992, le chevalement du puits 11 et la tour d’extraction du puits 19 sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, mesure de protection qui garantit la conservation du site. En 1993, les bâtiments les plus dégradés sont détruits et les autres mis “ hors d’eau ” (obturation des ouvertures et fermetures des accès). La dégradation est ralentie en attente d’un projet valable. D’autre part, le site devient la propriété d’un syndicat mixte, le SAMZAL 20, pour répartir la charge en investissement et protection du site 11/19 . Le site est pourtant déjà utilisé dès son rachat par la mairie pour des spectacles et manifestations, dans les bâtiments ou espaces en friches. Le maire souhaite un projet particulier sur ce site. Un musée existe déjà, le Centre Historique de Lewarde existant déjà depuis 1982. Après réflexions et démarches, le site devient le lieu d’un projet “ Base 11/19, Premier Ecopôle Français ” : l’objectif est d’accueillir des partenaires publics et privés œuvrant pour un développement durable du territoire. Depui s 1997, trois structures sont d’ores et déjà installées, la jardinerie Delbard et son centre de recherche sur les plantes qui utilise une partie du terrain, sans bâtiment, la Chaîne des Terrils, Centre Permanent pour l’Initiation à l’Environnement, qui est installée dans l’ancienne maison du gardien, et Culture Commune, Scène Nationale, dans la salle des Pendus. Dans le cadre de notre problématique, nous nous attacherons à cette dernière. Culture Commune, Scène Nationale L’existence de Culture Commune est préalable à l’installation sur le site, contrairement au Centre Historique Minier. Culture Commune, association intercommunale de développement artistique et culturel, est issue d’une réflexion menée par Chantal Lamarre sur l’avenir culturel de l’ancien Bas sin Minier du Pas-de-Calais. 20 Syndicat d’Aménagement des Zones autour de Lens, aujourd’hui devenu Communauté d’Agglomération de Lens - Liévin. 21 En 1988, le Conseil Général du Pas-de-Calais demande à Chantal Lamarre, alors étudiante en DESS à l’ANFIAC 21, de mener une étude de terrain pour poser l’éventualité d’un festival sur ce territoire. Suite à sa rencontre avec les élus locaux et les populations, Chantal Lamarre conteste l’idée d’un festival et lui préfère la création d’une structure culturelle capable d’agir durablement sur le territoire. Le développement culturel est, à cette époque, peu considéré : les structures sont peu nombreuses et peu d’équipes artistiques y sont implantées. L’association est mise en place en 1989 : agissant sur un territoire de plus de 60 km d’est en ouest, Culture Commune est une association intercommunale (32 communes adhérentes). Elle ag it en fonction des demandes émanant des communes et développe avec elles les projets choisis ensemble. Les communes développent un plan d’actions culturelles qui les amènent à mettre en place des activités, stages, résidences, événements ponctuels. Le projet de Culture Commune est destiné au développement culturel et au développement artistique du territoire. Il s’agit de “ créer, de toutes les façons et en tous lieux possibles, des conditions de rencontres entre des œuvres et un public, mais aussi entre une population et des artistes ” 22 Ces actions se traduisent par un compagnonnage des communes adhérentes, mais aussi des compagnies du territoire. Les compagnies locales, nationales et internationales, en co-production, travaillant leur spectacle à la Fabr ique Théâtrale (lieu de création sur la base 11/19) de Culture Commune, le diffusent ensuite dans les communes adhérentes. Culture Commune développe des projets autour du spectacle vivant (arts de la rue, arts de la piste, théâtre contemporain, jeune public), la musique, la mémoire (récolte de la mémoire associée à la création artistique) et le multimédia avec la présence dans la Fabrique Théâtrale d’un Espace Culture Multimédia. Culture Commune était installée depuis sa création à Aix -Noulette dans une maison prêtée par la mairie, le maire étant président de l’association. Depuis 1998, l’association a emménagé dans la salle des pendus de la fosse 11/19 et y a créé une Fabrique Théâtrale. Ce site en friche est utilisé depuis 1990 pour des manifestations artistiques et culturelles. Culture Commune, association intercommunale de développement artistique et culturel, y présente des événements : Le Bourgeois sans culotte de Kateb Yacine, les rencontres transnationales de la Polonité... Chantal Lamarre, direct rice de Culture Commune participe alors aux groupes de réflexion sur l’avenir culturel du Bassin Minier au sein de la Conférence Permanente sur le Bassin Minier 23. A ce titre, elle rencontre régulièrement le maire de Loos -enGohelle, Marcel Caron. En 1995, ce dernier demande à Chantal Lamarre un projet de réutilisation du site 11/19. Elle y envisage un déploiement sur le site de toutes les formes artistiques, associant un art à un bâtiment. La Compagnie du Ballatum Theatre (dont la compagnie Hendrick Van Der Zee de Guy Alloucherie, compagnie associée à Culture Commune, est issue) se chargerait de la fabrique théâtrale. Mais le politique s’associe à cette idée, et les élus verts, investis sur ce projet préfèrent un projet basé sur les éco -entreprises. Le projet Ecopôle est accepté sur le site de la fosse 11/19. Chantal Lamarre réécrit un projet en 1997 qui mène à l’installation de l’association Culture Commune sur le site en 1998. 21 Association Nationale Pour la Formation et l’Information Artistique et Culturelle. Aujourd’hui, cet te formation n’existe plus. 22 Document de présentation de Culture Commune 23 Organe de consultation et de réflexion avec la population sur l’avenir du Bassin Minier. Il rassemble l’ensemble des acteurs du territoire : société civile, élus, acteurs économiqu es, culturels, sociaux. 22 En octobre 1998, Culture Commune prend place dans l’ancienne salle des pendus et lance sa première saison dans la Fabrique Théâtrale. Cette fabrique est un lieu de création et non de diffusion. La diffusion se fait dans les communes adhérentes à l’association. De plus, les mesures de sécurité du lieu et du site de la fosse ne permettent pas d’accueillir un grand nombre de personnes, l’autorisation étant de 200 personnes maximum, personnel compris. L’utilisation du lieu a nécessité des modifications architecturales inhérentes à l’état de vétusté de la salle mais également inhérentes au projet artistique de l’espace concerné. Ainsi, la salle des pendus est devenue “ la nef ”, grande salle, haute de plafond, qui sert de salle de répétition des compagnies en résidence. Deux autres petites salles sont aussi disponibles pour les artistes. Ensuite, des aménagements nécessaires à l’activité même de Culture Commune ont été réalisés, permettant ainsi la création de plusieurs bureaux, d’une salle de réunion, d’un espace rassemblant Espace Culture Multimédia et Centre de Ressources sur les Ecritures Contemporaines, un local technique, une cuisine et un hall d’accueil. Labellisé Scène Nationale en 1999, le lieu accueille le public à travers les ateliers hebdomadaires qui y sont proposés, les ateliers artistiques durant les vacances scolaires pou r les enfants des trois communes limitrophes du site : Lens, Liévin et Loos en Gohelle, et les Rendez-Vous avec le public tout au long de l’année, où les compagnies en résidence présentent leur étape de création. L’installation sur le 11/19 n’a pas changé les objectifs premiers de développement du territoire de Culture Commune et les a, au contraire, renforcés. Chantal Lamarre, créatrice et directrice de l’association, place en avant la nécessité pour Culture Commune d’avoir les moyens de diffuser les œuvr es artistiques et de recevoir les artistes sur le territoire dans un souci de développement, “ autant je faisais valoir la charte 24 selon laquelle on n’aurait pas de lieu de diffusion, autant je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas d’autres lieux, d’autres espaces pour la création et pour le travail des artistes désireux de s’investir sur ce territoire ” 25 L’association Culture Commune a gagné en lisibilité en s’inscrivant dans un lieu précis. D’autre part, elle a pu bénéficier d’un espace de travail pour ses propres activités plus cohérent qu’à Aix-Noulette. L’équipe actuelle de Culture Commune est composée de trente -deux personnes, avec une attention portée depuis l’entrée dans les locaux du 11/19, sur les relations publiques (pour une véritable présence s ur le territoire) et sur l’équipe technique (pour augmenter les possibilités d’accueil d’équipes artistiques et de leurs projets). Cette présentation préalable au développement de notre propos permet de poser le cadre de notre étude. Nous disposons donc d’un territoire dont l’histoire a été marquée par une activité industrielle importante. Des vestiges de cette histoire sont encore présents et font l’objet de reconversions particulières. Nous nous attachons à deux de ces vestiges : chacun des deux devient intéressant à étudier car ce sont deux projets culturels différents réalisés dans un cadre identique. Il nous faut maintenant entrer au cœur de notre réflexion en nous interrogeant sur les modalités de reconversion de ces deux sites ou parties de sites en lieu de culture. En effet, comment une équipe culturelle, qui investit le lieu industriel et qui fait de ce dernier un lieu de travail, considère t -il ce nouvel espace ? 24 La charte de Culture Commune a été adoptée en 1992 par l’ensemble des adhérents de l’association : “ CULTURE COMMUNE ne gère aucun équipement de diffusion ” 25 Chantal Lamarre, entretien, 28 juin 2002 23 24 CHAPITRE II – QUAND UN LIEU INDUSTRIEL DEVIENT LIEU DE CULTURE En conséquence, souhaitant éclaircir les motivations et la mise en place de cette reconversion, nous avons observé comment s’était opérée l’installation du projet culturel sur le lieu industriel à travers les deux exemples que sont Culture Commune et le Centre Historique Min ier. Trois éléments sont à mettre en évidence dans notre analyse : tout d’abord, la question de la motivation, ensuite, la question du rapport à l’architecture du lieu, enfin la place de la mémoire du lieu dans la reconversion en lieu de culture. I. Motivations et conditions du réemploi Il convient de nous interroger préalablement sur les raisons qui amènent les acteurs culturels à utiliser ce type de lieu pour développer leur projet. Il faut en étudier différences et fondements communs. A travers les deux exemples de Culture Commune et le Centre Historique Minier, nous observons que cette implantation est singulière à chaque projet. Néanmoins, il nous faut remarquer également qu’au -delà des raisons propres à chaque projet, il faut également tenir compte de conditions nécessaires à l’épanouissement du projet dans ce lieu industriel. 1. Motivations des porteurs de projets Deux types de reconversion existent : la première est la reconnaissance faite au lieu de sa valeur historique et informative et la volonté de la mettre en valeur. La seconde correspond au désir d’utiliser ce lieu comme un moyen d’expression, un moyen d’agir et de se rencontrer (entre un public et un artiste, entre une population et un langage artistique, entre les artistes, entre la popula tion...) par l’action culturelle et artistique. Le réemploi du lieu industriel se différencie selon la nature du projet que l’on veut y développer. Le lieu industriel comme symbole de connaissances L’espace industriel en friche peut être considéré comme p atrimoine. Reconnu pour sa valeur et pour sa signification symbolique, le lieu industriel devient patrimoine industriel. Ce premier mode de reconversion permet au lieu industriel de s’inscrire dans une dynamique de conservation, de mise en valeur et de transmission d’une histoire et d’une mémoire. Ces objectifs liés au patrimoine industriel se réalisent grâce à une activité culturelle dont le musée est le meilleur représentant. En France, une majorité de lieux industriels conservés sont transformés en musé e. Pour le cas des infrastructures minières, on peut citer deux exemples, ajoutés au Centre Historique Minier : le Puits Couriot à SaintEtienne et le Puits Wendel, à Petite-Rosselle en Moselle. Ces trois sites sont d’anciennes fosses de mines qui ont été conservées pour leurs valeurs historiques, elles sont devenues le siège d’un nouvel espace : l’espace muséographique. Les raisons fondatrices de la création d’un musée de site sont nombreuses. Le musée de site est en réalité un musée “ créé à partir d’un site industriel ancien ou actuel conservant machines et bâtiments, accroché à des 25 traditions qui ont marqué le paysage et les gens ” 26 . Le musée de site existe dans des lieux où s’est développée l’histoire d’une industrie, d’une technique, d’une discipline scientifique ou d’une vie sociale spécifique. Le Centre Historique Minier de Lewarde a pour mission de mettre en valeur l’histoire houillère du Nord et du Pas -de-Calais en s’appuyant sur l’exemple d’une fosse et sur la richesse des collections rassemblées grâce aux autres fosses. L’installation d’un musée sur un site industriel permet de conserver les lieux selon leur identité première. Les bâtiments deviennent le cadre vivant d’une activité culturelle recevant le public. L’exemple du Centre Historique Minier vérifie cette observation : la fosse Delloye est choisie afin de “ conserver un site qui servira de lieu de conservation de la mémoire de l’activité de l’entreprise ” 27 Le site devient le symbole de l’activité et est lié au projet muséal. Le Centre Historique Minier est né suite à la conservation du site, mais il est l’aboutissement logique d’un désir de garder les traces de l’aventure minière. Par ailleurs, l’expérience in situ permet au visiteur de vivre et ressentir ce qu’étaient l’activité passé e et les lieux même de l’entreprise, le vécu de l’ouvrier, de son chef, des heures passées dans le vestiaire, au bureau des paies... Le musée de site permet une mise en situation réelle et concrète. Cette authenticité “ par les murs ” est soutenue par une démarche scientifique rigoureuse. Le musée est le lieu de la vérité. André Dubuc confirme cette idée par une expérience vécue au Centre historique Minier en 1995, lorsque le film Germinal réalisé par Claude Berri 28 fut tourné dans la région : l’équipe est venue visiter le site de la fosse Delloye et le musée. “ Quand j’ai vu arriver les gens de Germinal, ils étaient totalement débordés. Je leur ai demandé la raison de leur venue, n’ayant pas de rapport direct avec le film. En fait, ils m’ont tous dit, chose qui paraissait évidente : on vient voir ce que c’était en réalité. ” 29 Au-delà des espaces conservés et restaurés, le Centre historique minier a reconstitué un sous-sol de mine, “ le fond ”, et l’authenticité de l’expérience muséale va alors plus loin grâc e à la simulation. La forme de réutilisation expérimentée sur la fosse Delloye se justifie par la conception patrimoniale du lieu industriel. Celui-ci peut aussi faire l’objet d’une reconversion en lieu artistique, dont les intentions sont distinctes de celles du musée. C’est ce qui nous importe maintenant d’étudier. Le lieu industriel comme lieu d’expression artistique Le premier argument exprimé par les acteurs culturels investis dans ce type de projet reste l’utilisation d’un espace vacant, vide d’activité et donc utilisable par n’importe quelle autre activité. La démarche culturelle associée à ces lieux est liée à la volonté ou à l’obligation de se démarquer pour pouvoir exprimer son art. Les artistes et acteurs culturels y trouvent une liberté d’action et de création qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Fabrice Raffin, sociologue spécialiste de ce mouvement, affirme que “ l’installation même dans ces lieux a priori peu accueillant que sont les espaces en friches semble participer du refus de l’homogène, d u fonctionnel. Une friche industrielle 26 Albert France-Lanord, conservateur au musée de l’histoire du fer, Jarville (54), “ réflexions sur la muséographie scientifique et technique ”, Etude et mise en valeur du patrimoine industriel , CILAC, 1985, p. 56-58 27 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 28 Le film fut tourné sur l’ancienne fosse de Wallers-Aremberg, en cours de reconversion. 29 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 26 ou marchande, c’est tout le contraire d’une identité fixe.(...) Elle laisse place à de nombreuses possibilités. 30” Nous disposons d’un lieu sans projet et des artistes et acteurs culturels avec un projet mais sans lieu . La première rencontre s’établit à partir de ce modèle. Ces friches culturelles sont des laboratoires de création, des lieux d’expérimentation dont la réalité s’exprime dans un lieu aux multiples facettes et aux multiples possibilités. La friche culturelle est un lieu d’expression. La considération du lieu industriel en tant que patrimoine n’est pas intégrée dans les projets de ce type. Les lieux industriels transformés en lieux de culture et de création artistique sont aussi un moyen de s’inscrire sur un territoire, dans un quartier ou une ville. La majorité de ces projets place la population locale au centre de leurs actions. Ils entendent agir en rencontrant la population et en engageant un développement culturel durable. Chantal Lamarre, directrice de Culture Commune, définit sa relation au site comme un moyen de sensibiliser la population : “ on peut mieux ressentir une oeuvre et un propos artistique, pour des gens qui sont éloignés du champ artistique, quand, au moins, on peut tisser quelques liens co ncrets. (...) C’est un lien possible. ” 31 Le lieu industriel est un lieu qui parle à la population locale, elle est un élément de la vie passée de cette population. Le site du 11/19 est entouré de cités-jardins construites par les Houillères pour les mineu rs de la fosse. Investir le lieu est un moyen d’engager une conversation avec cette population et de commencer à la sensibiliser au propos artistique. Nombre des projets culturels installés sur les lieux industriels revendiquent leur implication dans la vie du quartier. En outre, l’installation d’une équipe culturelle sur un espace en friche peut aussi être motivée par le rapport au lieu. Le lieu industriel est alors perçu comme un espace permettant le développement de l’imaginaire. Les créations artistiques qui y sont pensées, façonnées et fabriquées sont influencées par le lieu et son histoire. Certaines sensibilités se sentent particulièrement touchées par le lieu industriel en friche : c’est ce que l’on peut appeler le pouvoir de l’esprit du lieu 32. Culture Commune a commencé à travailler sur le site en créant des spectacles en dehors de toute installation durable. Le Bourgeois sans culotte, en 1990, de Kateb Yacine a donné lieu à une longue résidence sur le site, alors fermé depuis 4 ans. Une des motiv ations de Chantal Lamarre vis-à-vis du 11/19 était la possibilité de rencontre et de provocation “ entre cet espace d’histoire humaine et les artistes ”. Elle évoque le sentiment qu’elle éprouve par rapport à ce site et l’émotion ressentie lors de la premi ère visite. L’association entre Culture Commune et le 11/19 lui paraissait évidente, “ si Culture Commune doit être dans un lieu, c’est dans celui -ci 33”. L’exemple de Culture Commune en terme de lieu de création artistique est spécifique d’un projet constitué avant le choix-même du lieu. Ce dernier est devenu un moyen d’expression du projet et non le fondement du projet, contrairement au Centre Historique Minier. Il est important de signifier que Culture Commune se démarque de nombreux autres projets culturels installés sur des lieux industriels par la prise en compte des éléments symboliques et immatériels du site du 11/19. 30 Fabrice RAFFIN, “ Du nomadisme urbain aux Territoires Culturels. La mise en culture des friches industrielles à Potiers, Genève et Berlin ”, article paru dans Cultures en ville : de l’art et du citoyen, sous la direction de Jean Métral, éditions de l’Aube, 2000 31 Chantal Lamarre, entretien, 28 juin 2002 32 Annette Viel, “ Quand souffle l’esprit des lieux. Nature et culture au diapason de la pérennité ”. Patrimoine culturel Patrimoine naturel, école du Patrimoine, La documentation française, 1995. Actes du colloque. 33 Chantal Lamarre, entretien, 28 juin 2002 27 2. Conditions requises pour une reconversion culturelle Nous avons observé ci-dessus les raisons propres à chaque type de projet cult urel. Il nous faut maintenant remarquer que ces projets culturels sont soumis à certaines conditions qui permettent au lieu d’être remis “ dans le circuit des usages vivants ”, comme le souligne Françoise Choay 34. Pour réussir un tel projet, il est nécessaire de créer un projet dynamique mais il faut également que la collectivité accepte de laisser le temps nécessaire à l’épanouissement du projet, pour que la reconversion du site soit porteuse de sens. Le dynamisme du projet Le projet culturel redonne vie au lieu industriel par sa nouvelle activité, c’est -à-dire par le fait d’agir sur ce lieu. L’espace en friche devient lieu de vie par la multiplicité des actions et acteurs qui évoluent autour du projet. Ainsi, la friche devient lieu de vie grâce aux activi tés menées sur son terrain par l’équipe du projet culturel. Le projet est fondé sur des objectifs précis qui s’expriment à travers les actions culturelles. Le lieu industriel devient lieu de projet culturel. Par exemple, Culture Commune utilise l’ancienne Salle des Pendus de la fosse 11/19 pour développer ses actions de création artistique, elle permet aux artistes de venir y travailler. Culture Commune devient un lieu animé quotidiennement. Le Centre Historique Minier a mis en place un circuit de visite de l’ancienne fosse Delloye et les visiteurs s’y pressent chaque jour. Les activités rendent le lieu vivant. Les hommes et les femmes qui y travaillent contribuent à la vie du lieu. Leur présence quotidienne et leur volonté de développer leurs actions y contribuent. L’espace en friche devient lieu de travail : pour les concepteurs de projets, pour la direction du projet, pour les artistes, pour les techniciens, pour les guides, pour les partenaires du projet, pour l’ensemble du personnel employé ou associé au projet. Trente-deux personnes sont directement au service du projet de Culture Commune et se rencontrent quotidiennement dans les locaux de l’ancienne Salle des Pendus. Le Centre Historique Minier emploie lui 70 personnes. Le lieu industriel devient également lieu de vie par les possibilités de rencontres, provoquées par les actions mises en place permettant échanges et rencontres. Ces dernières peuvent être conviées, comme le colloque à Lewarde en mars 2002 où 200 personnes se sont retrouvées sur l’anci en carreau de fosse pour échanger leurs savoirs et savoir-faire sur la conservation du patrimoine industriel. Les Rendez -Vous à la Fabrique, à Culture Commune, sont aussi le temps de la rencontre ou de l’échange autour du spectacle présenté, ceci autour d’ un verre, le bar renforçant l’esprit de convivialité. D’autres instants de rencontres sont aussi possibles, facilités par l’ouverture permanente de ces deux structures. Cela permet à la population et aux curieux de s’approprier l’espace culturel nouvellement institué. La revitalisation du lieu industriel par le projet culturel est dynamisée par les réflexions qui s’effectuent en ces lieux. En effet, chaque activité est pensée, réfléchie, discutée pour savoir si elle répond aux objectifs généraux du projet. Chantal Lamarre parle à ce propos de “ sens-direction ” et de “ sens-signification ” 35 Le projet culturel est sans cesse retravaillé, remodelé, réactualisé : il évolue sans cesse. Le lieu et ce qu’il véhicule interrogent et suscitent des questions. Les artistes s’interrogent, les concepteurs de projets s’interrogent de même que le conservateur du musée se questionne quant au message qu’il fait passer. 34 Françoise Choay, L’Allégorie du Patrimoine, Seuil, 1999, p.163 35 Chantal Lamarre, entretien, 28 juin 2002 28 Le lieu industriel nous paraît être porteur d’une interrogation permanente dans la mesure où le projet qui y est installé n’est ni formaté ni figé. De plus, le lieu industriel expose celui qui l’occupe à une réflexion quant à l’histoire de ce lieu et à son évolution. Le lieu, l’histoire et les conséquences de sa fermeture ne peuvent que remettre en question le projet culturel et celui qui le met en place. Le lieu industriel permet la remise en question permanente du sens des actions et du sens global du projet. La nécessité du temps Le lieu industriel dynamisé par un projet culturel est remis dans les usages v ivants et crée un nouveau rapport au temps et à l’espace. La première inscription dans le temps est liée au projet en lui -même. L’installation sur le lieu en friche ne va pas de soit et elle ne se fait pas en une seule fois. Le projet a besoin de temps po ur s’approprier l’espace. L’inscription du projet sur un lieu est envisagée à long terme. Nous ne ferons pas état ici des projets de squats artistiques dont la volonté est d’utiliser un espace libre tant qu’il est disponible et tant que personne ne les déloge. Le projet culturel s’envisage dans la durée car il a besoin d’évoluer et de transformer doucement le lieu industriel en un nouvel espace d’activités culturelles. Il remet le lieu industriel dans un processus de projet, donc d’évolution et donc d’action à long terme. Cette temporalité s’exprime par les programmations, les saisons, les rythmes inhérents à l’activité culturelle, comme les spectacles, les expositions... Ainsi, Culture Commune ne se fige pas dans ses locaux et dans son projet : le lieu industriel offre perpétuellement de nouvelles possibilités d’actions et de travail envisagées au fur et à mesure, comme par exemple, le déménagement prochain de l’Espace Culture Multimédia dans le bâtiment des anciens ateliers de la mine. Les Centres de Ressources “ Ecritures Théâtrales Contemporaines ” et “ Transmission de la Mémoire et Création Artistique ” auront un espace à la hauteur de leurs ambitions : favoriser la découverte des écritures et permettre la découverte du monde de la mine à travers la par ole des habitants aux artistes comme à la population. L’installation sur le 11/19 ne fut qu’une première étape ; progressivement, d’autres étapes sont franchies (les ateliers 3L 36 par exemple) et permettent au projet de Culture Commune de se développer. Le Centre Historique Minier évolue aussi dans le temps et dans l’espace. La restructuration qui s’achève a permis de rendre lisible les bâtiments de la fosse mais également d’inscrire le musée dans une dynamique passé/présent/futur avec le travail notamment du Centre de culture scientifique de l’énergie. Ce dernier a pour but de réinscrire le charbon dans la problématique des énergies contemporaines. De plus, le Centre Historique Minier envisage plusieurs projets pour l’avenir, comme le travail sur l’archite cture du lieu ou la remise en état du réseau ferré du site. La deuxième temporalité correspond au temps nécessaire au projet pour être accepté et reconnu en tant que tel. Un des objectifs des projets culturels installés sur des friches industrielles est la rencontre avec la population pour la rendre actrice et spectatrice de sa vie culturelle. Le projet culturel est plus facilement accepté s’il développe des liens concrets avec la population. Nous pouvons parler ici d’un développement du lien social par le projet culturel : le lieu industriel peut redevenir le lieu central de la vie locale, comme c’était le cas lors de l’ancienne production industrielle qui s’y développait. Mais formaliser ce lieu de vie en lieu du lien social nécessite du temps et de la volonté. Il faut un temps d’adaptation mutuelle, de découverte et de reconnaissance des deux parties. 36 Ateliers artistiques qui ont lieu à la Fabrique pendant les vacances scolaires et qui rassemblent des enfants et des jeunes des communes limitrophes de la fosse, Lens, Liévin et Loos -en-Gohelle. 29 Ainsi, la fosse Delloye a rapidement été utilisée par les Houillères pour stocker les machines, la fosse avait fermé en 1971 et était déjà réutilisée dès 1973. La mise en place du musée n’a pas été bien accueillie par la population directement concernée : les anciens mineurs y voyaient le lieu des patrons et non leur propre lieu de mémoire. La fierté de disposer de son propre musée et d’un espace représentati f de la gloire de l’exploitation minière a demandé beaucoup de travail de la part du musée : il fallait que les mineurs se sentent impliqués dans le lieu. Le musée a alors développé un long travail ethnologique. De même, Culture Commune a eu besoin de temps pour investir les lieux et pour que son projet soit accepté par les élus, propriétaires du site, mais aussi par la population. Il fallait faire comprendre les ambitions du projet pour le lieu mais aussi le désir d’agir durablement sur le territoire. A ce propos, il semble que le travail avec la population locale ne soit jamais terminé. En effet, à Lewarde, comme sur la fosse 11/19, les manifestations qui y sont organisées sur le site ne font venir qu’une petite partie de la population environnante et plutôt des personnes averties (Culture Commune) ou des touristes (Centre Historique Minier). Cependant, ce constat ne nuit pas aux efforts menés dans ce cadre et montre que c’est un enjeu qui demeure permanent. Ce premier élément nous permet de noter la différ ence de motivations qui peut exister entre deux projets culturels à l’égard d’un lieu industriel. Néanmoins, nous remarquons que le projet culturel Culture Commune ne correspond pas aux autres friches artistiques. Le lieu paraît avoir une autre significati on pour l’association de développement culturel. Cette observation nous permet d’envisager peut-être une approche similaire du lieu industriel et de son architecture. Les expériences de Culture Commune et du Centre Historique Minier paraissent aller à l’en contre des clivages friche-patrimoine, décrits en première partie. II. Architecture du lieu et projet culturel Le lieu industriel a été construit pour une activité spécifique de production. Il convient donc de nous arrêter sur l’attitude des porteurs de projet vis-à-vis du lieu industriel. Les deux exemples étudiés permettent de soulever trois points : l’adaptabilité au lieu, la transformation du lieu et la lisibilité du lieu. 1. Adaptation au lieu ou lieu qui s’adapte ? Cette interrogation est un préalable nécessaire avant toute reconversion. Il faut en effet décider si le lieu primera sur le projet ou inversement. Une réflexion préalable à la réutilisation Comme le souligne Françoise Choay, “ (...) attribuer une destination nouvelle est une opération di fficile et complexe (...). Elle doit, avant tout, tenir compte de l’état matériel de l’édifice qui, aujourd’hui, demande à être apprécié au regard du flux de ses utilisateurs potentiels ” 37 Cette réflexion n’est pas évidente. En effet, la réutilisation n’e st pas forcément une étape, comme cela l’a été pour Culture Commune. Les lieux industriels sont souvent réutilisés sans une réflexion préalable. Les lieux sont vides, ils sont réutilisables, on les occupe. 37 Françoise Choay, L’Allégorie du Patrimoine, Seuil, 1999, p. 163 30 Cette attitude est valable pour les actions artis tiques et culturelles de type squats ou friches artistiques : le lieu est vu comme un espace vacant et à occuper pour exprimer pleinement son art. Le lieu n’est pas déterminant dans le projet. De fait, une réflexion préalable sur l’état du lieu industriel, les modalités physiques et architecturales du lieu ne sont pas indispensables à ce type de projet. Toutefois, il nous paraît essentiel de réfléchir aux contraintes qu’impose le lieu choisi ou proposé. Un lieu industriel a été construit pour une activité bien précise : les bâtiments, les infrastructures, les terrains répondent rarement aux exigences d’une activité culturelle ; elles s’opposent souvent en terme de confort, d’accès public ou de sécurité. Investir, occuper, réutiliser un lieu ne peut se faire futilement, sinon les conséquences sur le déroulement de l’activité nuisent au projet. Nombre de lieux sont dans l’illégalité en terme d’accueil du public et de sécurité : les risques de fermeture peuvent menacer ces lieux. Cela est déjà arrivé, notamme nt à la Kulturfabrik au Luxembourg, récemment fermée entre avril et juin 2002 pour non mise aux normes de sécurité. Il faut réellement prendre le temps de la réflexion, avec les propriétaires du lieu industriel, les collectivités, les représentants de l’Etat. Ces discussions permettent de trouver la solution la mieux adaptée, de poser à la fois les contraintes du lieu mais également celles du projet culturel, et de s’entendre sur les concessions réciproques à établir. L’exemple de la Chaîne des Terrils, installée comme Culture Commune sur la fosse 11/19, permet d’illustrer parfaitement cette nécessité de dialogue et de discussions : installée actuellement dans le bâtiment d’entrée de la fosse, l’association ne peut développer pleinement ses activités et a besoin d’un lieu de travail et d’accueil du public plus important (notamment les groupes scolaires pour des journées de découverte de l’environnement, avec des classes, des espaces de repas, des sanitaires). La Communauté d’Agglomération de Lens -Liévin, propriétaire du site, a demandé à la Chaîne des Terrils d’exposer demandes et besoins. Le bâtiment du chevalement du 11 avait été sélectionné comme correspondant le mieux à leurs nécessités en terme d’espace. La DRIRE 38 a posé son veto, le bâtiment choisi se trouvant trop près du puits d’extraction. Aujourd’hui, le projet est remis en cause et la Chaîne des Terrils reste dans son bâtiment, à l’étroit. Adapter ou s’adapter? La relation entre lieu et projet pose la question des transformations nécessaires. Deu x attitudes se distinguent. La première forme consiste à adapter le lieu au projet : le projet prime, le lieu est un moyen d’exprimer ce projet. Le lieu peut donc être modifié, ce n’est qu’une enveloppe dont l’intérieur est vide et que l’on remplit de nou veau. Les porteurs de projet de ce type sont partisans d’une réutilisation sans souci du lieu, sans réflexion préalable. Le lieu devient un lieu d’expression, de création et l’on remodèle l’architecture en fonction de ce que l’on veut y faire et non en fonction de ce qu’il y avait avant. La seconde forme consiste à prendre en compte le lieu dans l’installation du projet. Le projet s’adapte au lieu. Ce sont les partisans du lieu industriel comme élément patrimonial. Le lieu n’est pas modifié ou bien légèreme nt. La réutilisation du lieu ne doit pas nuire au lieu en lui-même. Le projet culturel investit le lieu mais sans volonté destructrice ou sans désir de ne servir que ses propres intérêts. Le lieu industriel est perçu comme un espace avec une histoire et avec une architecture révélant cette histoire. L’adaptation au lieu suppose la prise de conscience des contraintes qui lui sont liées et la nécessité de conjuguer le projet culturel et ces difficultés. 38 Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement 31 Le projet culturel peut ou non tenir compte de l’espac e dans lequel il s’installe. Il est vrai qu’il n’est pas obligatoire de conserver tous les lieux industriels tels quels. Il est inutile de faire de la surenchère par rapport à la conservation. Il paraît toutefois réalisable de pouvoir investir un lieu et d e le modifier, y compris dans un projet culturel muséographique. 2. Les transformations architecturales Travailler sur un lieu industriel en friche ne signifie pas inévitablement réutiliser le lieu sans souci de l’architecture ou au contraire, réutiliser le lieu en conservant à outrance l’espace réinvesti. Il est possible de trouver un compromis entre ces deux extrêmes. Le projet a des contraintes “ Le lieu engendre un certain nombre de contraintes matérielles qui ne sont pas toujours compatibles avec l’activité que l’on y met ” 39. Cette réflexion émane d’un défenseur du patrimoine industriel qui envisage difficilement une autre activité culturelle que muséographique sur un lieu industriel. Pourtant, cette position peut être inversée sans pour autant nuire au lieu. Il nous faut dépasser cette attitude de conservation à outrance et permettre au lieu industriel de se transformer et de subir une mutation qui lui permette de persister dans l’histoire. Les contraintes d’un projet culturel s’établissent selon diff érentes composantes : L’activité : le musée nécessite des espaces d’exposition, le lieu de création a besoin d’espaces pour que les artistes travaillent, pour qu’ils puissent séjourner éventuellement. Le déploiement de cette activité : il est nécessaire de bénéficier de conditions de travail agréables aidant à la concentration, à la rencontre et à la profusion d’idées nouvelles. Cela signifie, par exemple, des bureaux et des salles de réunions chauffées en hiver et éclairées. L’accueil du public : il faut pouvoir l’accueillir dans des bonnes conditions (espace, sécurité, lieu de détente). La technique : toute activité culturelle qui a un projet s’inscrivant directement sur son lieu de travail doit répondre à des demandes en matière technique pour des spect acles ou des expositions. C’est donc des besoins en terme d’électricité, de lumière, de surface au sol, de possibilités d’utiliser les murs pour accrocher des tableaux ou objets, par exemple. Ces aspects du projet culturel peuvent se concrétiser dans un espace industriel ancien, comme le montrent le projet muséographique du Centre Historique Minier et le projet artistique de Culture Commune. Des exemples de modifications Pour expliquer la nécessité de modifier l’architecture d’un lieu industriel, il est i ndispensable d’illustrer ces arguments par des exemples concrets que nous avons pu observer. Culture Commune comme le Centre Historique Minier ont modifié l’architecture des bâtiments dans lesquels ils se trouvent. L’installation d’un musée 39 André DUBUC, entretien, 13 mai 2002 32 Le musée a pour but de recevoir du public en présentant des collections : réutiliser des anciens bâtiments industriels pour les faire découvrir au public nécessite des modifications architecturales. Un bâtiment industriel conservé pour la simple visite ne nécessite pas de transformations de grande ampleur. Il faut néanmoins sécuriser le site. Le Centre Historique Minier de Lewarde, installé sur la fosse Delloye, a ouvert au public en 1984. A cet effet, dès 1976, des travaux de réhabilitation du site ont commencé. En 1 978, une étude préalable du site est faite par la société E.T.R. (Etudes Techniques Réalisations), bureau d’études des Houillères. Cette étude n’est pas retenue et une seconde est menée par les Ateliers du Grand -Hornu 40. Les travaux commencent en 1982. Le parti pris de l’architecte fut de glorifier l’entreprise et non d’aménager le site pour accueillir du public. Henri Guchez avait une vision particulière des lieux industriels : selon lui, ils étaient au XX ème siècle, ce que les cathédrales représentaient au Moyen-Age. Il fit donc plus de restauration que de reconversion. L’extérieur est restauré à l’authentique. Les bâtiments sont ravalés. L’intérieur des bâtiments est modifié par souci de “ cathédraliser ” les lieux. L’architecte a ajouté, notamment dans l’immense salle de bains des mineurs, des arcs, des voûtes, des ogives. L’ancienne scierie ressemble à ce titre plus à une chapelle qu’à son ancienne vocation. La première tentative de travaux sur la fosse Delloye correspond donc à une volonté d’embellisseme nt et non aux besoins liés à la nouvelle fonction du site. Dans un second temps, les travaux de réhabilitation du site se sont axés sur l’accueil du public. Ainsi, les bâtiments les plus vétustes ont été détruits (château d’eau), de même que les plus dan gereux (le dépôt de munitions) : ces deux bâtiments ne sont pas indispensables pour expliquer ce qu’était la mine. Certains bâtiments sont laissés à l’abandon sur les huit hectares que couvre la fosse, en vue d’une réhabilitation plus tardive. La restauration de l’intérieur des bâtiments est effectuée compte tenu du parcours de visite souhaité par les concepteurs des expositions 41. Ainsi, le bâtiment administratif de la fosse accueille le public tandis que la salle des Pendus accueille les expositions permanentes. La sécurité du public est garantie par des grilles et barrières aux abords des espaces pouvant être dangereux. Dans certains bâtiments, des portes de secours ont été percées dans les murs afin de garantir une évacuation dans les normes en cas de besoin. D’autre part, les contraintes liées aux activités muséales consistent également à faire une place aux espaces spécifiques de cette activité (bureaux, salles de réunions, accueil) : le projet de restructuration de 1995 a permis la construction d’un nouveau bâtiment pour y installer la structure “ Centre Historique Minier ”. L’activité muséale oblige aussi au confort du visiteur avec un espace boutique et un espace restauration qui sont également présents à Lewarde et qui sont installés sur des espace s de la fosse. La modification principale liée à l’installation du musée sur le site de la fosse est la reconstitution de la galerie à l’extérieur. Légèrement cachée par les bâtiments d’extraction et de triage, cette galerie s’aperçoit depuis le carreau de fosse : elle est installée dans l’espace où les wagons étaient remplis du charbon, trié et lavé. Cela fait partie de l’activité musée, c’est-à-dire nécessaire pour l’explication de ce qu’était la mine. Nous pouvons néanmoins regretter la dénaturation d’une partie des bâtiments par la présence de cette galerie. 40 Cabinet belge d’architecture de Henri Guchez, qui avait racheté le site charbonnier du Grand -Hornu (Belgique) en 1971 et avait remit en état les bâtiments pour faire ses bureaux. Cette réhabilitation s’est aujourd’hui développée avec la présence sur le site du Grand-Hornu d’activités culturelles, des expositions, des entreprises d’informatique et de télécommunications. 41 Ce parcours s’est modifié récemment suite à l’inauguration des nouveaux bâtiments du Centre Historique Minier. 33 Aujourd’hui, le Centre Historique Minier modifie l’intérieur des bâtiments en ayant le souci de tenir compte de l’architecture antérieure. Cette attitude est logique compte tenu de la mission du mu sée de faire découvrir ce qu’est la mine. Il paraîtrait inconcevable qu’un musée in situ ne tienne pas compte de l’architecture du lieu. L’installation d’un lieu de création artistique Au même titre qu’un musée, un lieu de création artistique a des contr aintes aux quelles il faut répondre pour remplir les objectifs du projet. Culture Commune s’est installée dans la salle des Pendus de la fosse 11/19 après plusieurs mois de travaux et de réaménagements. L’aménagement intérieur n’était pas propice à install er directement les activités de Culture Commune. En 1998, Boualem Chelouti, architecte, a été chargé de réaménager la salle des Pendus pour y accueillir Culture Commune. Le bâtiment en lui -même n’a pas changé d’aspect. De l’extérieur, il est resté le même et a bénéficié d’une restauration des murs et du toit. Ces derniers avaient été réfléchis et décidés en fonction de ce que l’association voulait faire dans ce lieu, à savoir résidences d’artistes et plate-forme de développement de projets artistiques et c ulturels en lien avec les communes adhérentes au projet. Les travaux de réhabilitation de l’espace devaient permettre d’adapter le lieu à son nouvel usage : des salles de répétition pour les artistes, avec parquet flottant, des bureaux, des salles de réunion, des centres de ressources, une cuisine... Construite en 1920, la salle des Pendus de la fosse 11/19 pouvait accueillir 1220 personnes. Trois salles de bains étaient réparties autour de cette grande salle, séparant ainsi la hiérarchie des mineurs (ing énieurs, porions 42, mineurs et galibots 43). Le plan en page suivante présente la salle des Pendus avec ses différentes pièces, avant les travaux de Culture Commune et le deuxième plan présente la salle des Pendus telle qu’elle est actuellement, transformée en Fabrique Théâtrale. L’intérieur a bénéficié de l’essentiel de la réfection. Pour les besoins de l’activité de Culture Commune, la salle des Pendus, c’est-à-dire le vestiaire, a été conservée pour servir de lieu de répétition pour les artistes. Les mur s ont été recouverts de revêtements spéciaux pour des raisons d’acoustique. Un mur a été rajouté pour fermer cette salle non isolée des pièces annexes : en effet, les mineurs pouvaient voir leurs habits lorsqu’ils se douchaient puisque les deux espaces n’étaient séparés qu’à mi-hauteur. Cette salle, appelée aujourd’hui la nef, a conservé son volume initial de 390m 3 et de 10 mètres de haut. Une partie a été aménagée en espace convivial, avec un bar, pour faciliter la rencontre avec les artistes. L’arrière -scène a pris la place de l’ancienne chaufferie où se trouvaient deux cuves, dont une subsiste aujourd’hui. L’étage est la partie qui a été la plus modifiée au cours du réaménagement. Le rez -de-chaussée était occupé par les toilettes, l’entrée et deux petite s pièces : les cloisons ont été abattues et on y trouve désormais accueil, billetterie et toilettes. A l’étage se trouvait une laverie. Les travaux ont permis d’étendre cet étage en agrandissant la dalle de béton de part et d’autre : on y trouve aujourd’hui les bureaux et une passerelle qui donne sur la nef. Enfin, la troisième partie de travaux consistait à aménager les salles de bains, de part et d’autre de la salle des pendus. Les salles de bains des ingénieurs ont été transformées en bureau de l’admin istration, les douches des porions et une partie de celles des galibots ont été transformées en deux salles de répétition, avec des ouvertures au plafond afin de donner un peu de lumière. 42 Contremaître 43 jeune apprenti 34 Les douches des mineurs ont été séparées en plusieurs espaces diffé rents : sanitaires, cuisine, salle de réunion, centres de ressources. Le local technique, en lieu et place des douches des galibots, a bénéficié d’un percement de mur afin de faire entrer le matériel technique par l’arrière -scène. La salle des Pendus a été aménagée également de manière à pouvoir recevoir du public et des sorties de secours ont été creusées de part et d’autre du bâtiment. D’autre part, certains éléments ont été remplacés lors des travaux, comme les fenêtres. Culture Commune a investi les li eux en aménageant l’espace de manière à ce que le lieu puisse répondre au mieux au projet. Il faut noter que ces réaménagements demandent des investissements importants que tous les projets culturels ne peuvent financer. Les deux projets dont nous parlon s sont solidement soutenus par les collectivités locales et nationales. Certains projets culturels investissant un lieu industriel ne peuvent commencer par des travaux et les effectuent au fur et à mesure quand ils le peuvent. 3. La lisibilité du lieu Ces modifications architecturales ne nuisent cependant pas à la lisibilité des bâtiments. Quelque soit la nature du projet, les deux structures respectent l’histoire du lieu. Pourquoi ? L’installation d’un projet culturel sur un lieu industriel doit être u n compromis entre la nouvelle activité et l’enveloppe architecturale d’origine. Le lieu industriel réinvesti a une histoire précédant celle du projet culturel : le lieu a été construit pour des activités précises. Il a subi les outrages du temps et des hom mes. Réinstaller une activité, c’est lui redonner vie et permettre sa transformation pour durer. Il ne faut pas pour autant ôter son histoire qui le définit et le désigne. Les architectes Robert et Reichen, préalablement cités, sont partisans d’une reconv ersion qui tient compte du lieu. “ Dans une reconversion, chaque période de l’histoire d’un bâtiment doit être respectée ; le neuf et l’ancien peuvent coexister tout en restant lisibles l’un et l’autre ” 44 Concevoir le lieu comme un lieu ayant une histoire revient à dire que nous la respectons et que nous ne voulons pas la nier. Modifier l’architecture ou la fonction d’un lieu ne nuit pas forcément à la lecture du bâtiment dans la mesure où celui -ci est occupé et aménagé en tenant compte du passé. Prendre en considération l’architecture du lieu industriel dans le développement de sa propre activité permet de continuer l’histoire du lieu et de rajouter une pierre à l’édifice. Respecter le lieu industriel n’est pas une évidence pour tous. Nombreux sont les pro jets qui modifient l’espace sans attention portée au passé du lieu. Une nouvelle fois, cette réflexion met en évidence deux attitudes qui reviennent régulièrement au cours de notre propos, deux tendances qui s’opposent dans leur approche du lieu. Pourtant, nous ne pouvons catégoriser à l’extrême. La réutilisation d’un lieu passe par un compromis indispensable. Conserver un lieu industriel tel quel n’a de sens que s’il devient lieu symbole de l’activité auquel il était destiné dans les premiers temps. D’autre part, il peut paraître critiquable d’utiliser un lieu sans prendre en considération l’architecture initiale. 44 Emmanuel de Roux, “ Robert&Reichen, architectes dissociants ”, Le Monde, 26 février 2002 35 Comment ? Garantir le respect du lieu suppose que la nouvelle équipe qui s’y installe lui reconnaît une histoire et un passé. Le musée qu’est le Centre Historique Minier et le lieu de création qu’est Culture Commune sont deux exemples de ce compromis architectural. Le Centre Historique Minier a bénéficié de travaux qui ont embelli le site à défaut d’en rendre la lisibilité plus facile. C’est pourquoi, en 1995, est décidée une restructuration complète du site. L’équipe souhaite retrouver l’architecture d’origine et dissocier les bâtiments de la fosse et les bâtiments nécessaires à l’entreprise “ musée ”. André Dubuc parle “ d’erreurs d’interprétation ” quand il observe les différentes modifications architecturales faites sous le contrôle des Houillères. Les travaux commencés en 2000 tendent à retrouver les éléments authentiques des espaces de la fosse. Le premier architecte avait aménagé de façon t rès personnelle la salle des Pendus. Les ogives, voûtes et autres rajouts sont ôtés tandis que ces travaux permettent de mettre au jour des inscriptions sur les murs : les poteaux le long du garage à vélo avaient été recouverts alors qu’ils présentaient une inscription importante : une lettre sur chaque poteau formait le mot “ SECURITE ”. C’était une forme de prévention à l’égard des mineurs. Ils voyaient ce message tous les jours en rentrant leurs vélos. D’autres aspects vont être “ remis à l’authentique ” : le carrelage mis dans la salle des Pendus n’existait pas, c’était du béton et ce dernier sera à nouveau coulé. La salle des Pendus est séparée en deux espaces aujourd’hui, ce n’était pas le cas auparavant. Le mur va être détruit pour retrouver les vol umes de cette grande salle. Au-delà de l’architecture des bâtiments, le Centre Historique Minier a voulu également éviter le brouillage des pistes en rendant la fosse au public et en distinguant les deux entreprises, à savoir l’activité muséographique et la fosse de mine. Cela s’est manifesté par la construction d’un nouveau bâtiment d’accueil en lieu et place d’un vieux hangar. Entièrement en verre, tout comme la verrière où sont exposées les machines, le hall d’accueil permet au public d’y voir un espace du Centre Historique Minier et non un espace de la fosse comme cela était le cas auparavant. Le bâtiment à gauche de l’entrée accueille à l’étage, l’ensemble des bureaux de l’équipe du musée. Le bâtiment à droite accueille le centre de documentation et d ’archives du musée. Au sous-sol, un auditorium a été construit et y sont entreposés les 2,5 km d’archives. Ce bâtiment ne se voit plus lors du parcours de visite. L’équipe d’architectes l’a construit de manière à ce qu’il ne soit visible qu’une fois à l’in térieur, mais nullement depuis les autres espaces de la fosse, ni même sur le carreau. La restructuration du Centre Historique a permis de retrouver une partie de la fosse dont la lisibilité avait été cachée par des rajouts inutiles. C’est un moyen de mai ntenir la lecture du lieu industriel. Il nous faut souligner cependant les interrogations que suppose cette restauration “ à l’identique ” des bâtiments de la fosse Delloye. Ceci correspond à pratiquer la conservation à l’extrême quitte à présenter des es paces refaits “ comme si ” c’était le vrai. Cela pose des questions déontologiques quant au public. Est -il prévenu de ces modifications ou traverse-t-il des bâtiments pensant trouver le vrai, mais ne l’étant pas tout à fait ? La visite guidée du Centre Historique ne fait pas état de ces travaux de réfection et de restauration, ce serait peut -être utile pour ne pas duper le visiteur. Culture Commune a voulu mettre en valeur ce lieu industriel dont elle occupe les espaces. La volonté fut de garder des traces malgré des travaux importants de transformation. 36 La décision de laisser visible et lisible le premier usage du lieu s’est manifestée par des distinctions physiques entre ce qui relève de l’ancien bâtiment et ce qui relève du nouveau. Par exemple, la plupa rt des murs qui ont été rajoutés sont en parpaings et ont été simplement peints. Ils sont facilement visualisables dans l’architecture générale du lieu. Par ailleurs, des éléments significatifs de l’activité passée ont été maintenus. La salle des Pendus a gardé l’ensemble des perches utilisées pour accrocher les habits des mineurs. Lorsque l’on entre dans cette immense salle, il demeure au plafond les monte-habits sur toute la longueur de la salle. La grande cuve de la chaufferie a également été conservée , de même que les carreaux de faïence qui se trouvaient dans les différentes salles de bains des mineurs, porions, galibots et ingénieurs. Nous disposons donc de deux modes de mise en lisibilité de l’espace industriel par un projet culturel. Il est évident que le Centre Historique Minier met en avant ce souci premier : il en va de sa mission et de sa qualité de musée in situ. Il faut néanmoins apprécier le soin particulier que prend le Centre Historique Minier pour rétablir l’architecture de la fosse. Remarquons aussi le souci qu’a Culture Commune de maintenir des traces de l’activité passée. Cette attention est très rare dans le cadre de lieux industriels occupés par des projets culturels autres que muséographiques. L’attitude liée à l’architecture de l’espace industriel investi révèle une reconnaissance du lieu comme élément composant du projet culturel. C’est un choix délibéré. La reconversion engage ainsi les projets à réfléchir sur le lieu qu’ils investissent. En conséquence, au-delà de l’architecture, c’est aussi la mémoire du lieu industriel que nous pouvons maintenant aborder dans le cadre de notre étude sur les modalités de la reconversion. III. Mémoire du lieu et projet culturel L’activité minière constitue une grande partie de la mémoire et de l’histoire du bassin minier du Nord-Pas-deCalais. Modifier les témoins physiques de cette histoire nécessite une interrogation sur la mémoire que ces lieux véhiculent. Il nous est indispensable de nous questionner sur la place de la mémoire dans le lieu industriel et sur l’influence de cette mémoire sur le projet culturel qui a investi le lieu. 1. Le lieu industriel est-il un lieu de mémoire ? Mémoire et lieu de mémoire Afin de définir ces deux notions, il nous faut prendre appui sur les historiens et philosophes qui ont étudié la mémoire et sa relation au lieu. Nous nous appuierons donc entre autres sur les travaux de Pierre Nora qui a dirigé l’étude sur les lieux de mémoire dans son ouvrage du même nom, de Françoise Choay qui étudie le patrimoine et la relation que l’homme entretient à son égard, et d’Annette Viel pour la définition de l’esprit du lieu et son importance dans la réutilisation d’un lieu. Comment définir la mémoire ? 37 La mémoire est “ la fonction par laquelle s’opèrent dans l’esprit la conservation et le retour d’une connaissance antérieurement acquise ”. C’est également le “ souvenir que l’on garde de quelqu’un ou de quelque chose ” 45 La mémoire permet de nous resituer dans le passé, par le biais d’événements, d’objets ou de lieux. La mé moire suppose la distance temporelle. La mémoire est le processus qui crée le souvenir. Ce dernier est constitué de ce qui reste d’un élément passé dans nos pensées, nos réflexions ou nos gestes. Cet élément peut être concret comme un lieu, un objet ou une personne. Mais il peut être également abstrait : ce sont les souvenirs liés aux émotions, aux impressions laissées par un élément concret du passé. Il existe donc la mémoire matérielle et la mémoire immatérielle. La mémoire peut être collective ou individuelle. La mémoire individuelle est la perception d’une personne face à un événement, un lieu ou un objet. Nous nous remémorons individuellement les éléments du passé qui nous procurent un souvenir, un sentiment, une perception. La mémoire collective perme t à l’individu de s’intégrer dans un groupe social ou une communauté. C’est un réservoir de savoirs partagés, un souvenir lié à des cadres collectifs. Définie dans l’Encyclopedia Universalis, la mémoire collective a “ pour mission de transmettre aussi des symboles, des exemples, des préceptes et d’assurer la diffusion des normes qui régissent la société (ou le groupe) ”. 46 La mémoire collective se traduit donc à travers un passé commun dont la remémoration fonde l’identité d’un groupe. Ce dernier reconnaît la nécessité de reconstruire et transmettre cette mémoire pour établir un lien entre passé et futur. La mémoire collective est incarnée donc dans des monuments, des lieux ou des événements qui font sens pour le groupe. Il est nécessaire de distinguer la notion d’histoire et la notion de mémoire. Pierre Nora, historien, et Paul Ricœur, philosophe, 47 ont respectivement travaillé sur cette différenciation. En effet, l’histoire veut avoir une vocation universelle et immuable, elle garantit l’authenticité et l a vérité. L’histoire doit être une reconstitution ad hoc du passé. La mémoire, portée par des êtres vivants et transmise à d’autres êtres vivants, se vit et se travaille continuellement. Elle évolue et n’a pas la volonté d’être objective. Qu’est ce que le lieu de mémoire ? L’ouvrage, Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, définit et nomme ce qui constituent un lieu de mémoire, en France, à la fin du XX ème siècle. L’auteur résume ainsi : “ Lieu de mémoire, donc : toute unité significative d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté 48 ”. Il nous faut détailler cette définition pour en cerner les différents éléments. Le lieu, tel qu’il est évoqué par Pierre Nora, correspond à deux types d’espace : le lieu physique (“ matériel ”), tel que le patrimoine industriel, et le lieu abstrait (“ idéel ”), c’est-à-dire un terrain d’expression d’un élément mémoriel, comme des institutions ou des courants de pensées. Nous nous en tiendrons ici au lieu comme espace physique et visible. 45 Dictionnaire Hachette Encyclopédique 46 B. Brevan, “ Mémoire collective ”, Encyclopedia Universalis, 1999 47 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Gallimard, 1992 – Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 1997 48 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Gallimard, 1992 p. 2226 38 “ La mémoire s’accroche à des lieux comme l’histoire à des événements 49 ”. La mémoire s’incarne dans des espaces, car elle est issue de ces espaces. Ces derniers p rovoquent ou évoquent le passé : de cette évocation naît le processus de remémoration qui nourrit la mémoire. Pierre Nora parle aussi du “ significatif ” et du “ symbolique ” liés au lieu de mémoire. Comme la notion de patrimoine, le lieu de mémoire fait sens : il est reconnu car il nous permet de nous rappeler quotidiennement notre passé. La légitimité du lieu de mémoire est le fruit d’une “ communauté quelconque ”. Pierre Nora sous-entend ici que n’importe quel groupe peut avoir son lieu de mémoire. Po ur autant, cette reconnaissance n’est valable que dans le cercle du groupe : ce qui est reconnu comme faisant sens, comme faisant travailler la mémoire d’un groupe ne l’est pas pour un groupe annexe. Le lieu de mémoire est reconnu par un groupe social déte rminé par des actions, activités, modes de vie qui le fondent. La mémoire collective, et le lieu où elle s’exprime, contribuent au fondement de la communauté concernée. “ Les lieux de mémoire ne sont pas ce dont on se souvient, mais là où la mémoire tra vaille ” 50 Le lieu de mé- moire ne devient qu’un support pour une action plus essentielle. La communauté en se confrontant au lieu de mémoire, se place au devant de ses propres souvenirs, ses propres représentations et images du passé. Le pouvoir d’évocation du lieu et son histoire se confrontent perpétuellement. La mémoire collective joue alors un rôle important entre passé, présent et futur. Le lieu évolue au même titre que la mémoire collective, au contact de la vie présente et des projets futurs. Evoquer le lieu de mémoire ne peut nous faire omettre une autre notion qui lui est souvent ajoutée : l’esprit des lieux. Cette notion fait référence à la force qui “ transcende et défie les modes d’intervention ” 51 Le lieu de mé- moire éveille les sens grâce à ses murs, ses souvenirs, son histoire et la place qu’il a dans la conscience et dans l’imaginaire collectifs. Le lieu de mémoire ne peut laisser indifférent. Le lieu dégage une atmosphère qui contribue à le désigner comme lieu de mémoire. L’esprit du lieu n ous “ touche ” à son approche, à son évocation. Du lieu de mémoire émane un souffle, une âme qui renforce son importance auprès des membres de la communauté directement concernée par cette mémoire. Néanmoins, l’esprit du lieu est l’élément qui permet aussi à des personnes étrangères aux significations mémorielles du lieu d’être aussi affectées par la force du lieu. Quelle est la mémoire du lieu industriel ? Le lieu de mémoire est défini par une communauté d’hommes et de femmes qui reconnaît en ce lieu le c adre de sa mémoire collective. Elle y attache une valeur symbolique, perçoit le lieu et vit le lieu comme fondement de son existence et de son unité. Il convient d’établir une corrélation entre cette définition et le lieu industriel. Le lieu de mémoire peu t aussi qualifier le lieu industriel en déshérence. Celui-ci a une vie passée caractérisée par son activité principale. L’exemple qui nous concerne est la mine. Est ce que l’activité minière a “ créé ” une communauté autour d’elle, pouvant répondre d’un g roupe social reconnu ? 49 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Gallimard, 1992, p. 41 50 Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Gallimard, 1992 51 Annette Viel, “ Quand souffle l’esprit des lieux. Nature et culture au diapason de la pérennité ”, Patrimoine culturel Patrimoine naturel, école du Patrimoine, centre de documentation française, 1995. Actes du colloque. 39 Il semble que la réponse soit oui, tant l’activité minière a suscité un regroupement et une union forts autour de cette aventure. Le groupe attaché au lieu “ mine ” est composé des personnes en lien direct par leur activité professionnelle (mineurs, cafus 52, galibots, ingénieurs, employés...). Ce sont aussi les personnes liées au lieu par la proximité géographique et sociale de la mine. L’aventure humaine du charbon dans le Nord -Pas-de-Calais n’a pas touché uniquement les mineurs mais une grande partie de la population. C’est un groupe social qui s’est constitué par des cadres de référence communs : travail, modes de vie, culture, loisirs, engagements politiques... S’en suivent une succession de processus qui font du carreau de fosse u n lieu de mémoire. Le groupe se reconnaît en tant que tel : c’est ce qui fait sa force et l’intensité des relations des personnes qui le composent. L’appartenance au groupe est vécue et revendiquée. Le groupe affirme son identité. Or, comme nous l’avons vu, l’identité se fonde sur une histoire et une mémoire que chacun intègre pour la vivre au présent. La communauté liée à l’exploitation minière vit cette mémoire en reconnaissant des lieux ou des modes de vie qui les désignent. Transmis de génération en gén ération, cette mémoire commune devient le moteur de la communauté. La mémoire industrielle se compose d’éléments concrets et visibles, que sont les lieux, les infrastructures, les machines, les archives... Mais la mémoire industrielle ne se base pas uni quement sur les traces visibles de cette histoire. La mémoire collective est aussi constituée d’une mémoire immatérielle. Le support physique n’est qu’un moyen de faire vivre et travailler cette mémoire. Le groupe ressent et vit cette mémoire au contact d u lieu industriel. Il nous est possible d’être touché par un lieu industriel, parce qu’il véhicule des images et des représentations liées en premier lieu à l’activité, mais aussi liées aux hommes qui ont vécu cette histoire. Le lieu industriel devient un héritage par lequel s’exprime la mémoire minière du territoire. La mémoire collective est fortement ressentie en ces lieux car la distance du temps est encore récente. Le lieu industriel évoque et existe par sa force symbolique : la fosse de mine est le symbole d’une activité industrielle difficile pour l’homme. Elle est aussi le symbole de la constitution d’une culture particulière, associant travail, culture et sociabilité. Le lieu industriel existe en tant que lieu de mémoire : il évoque une histoire parfois pénible, mais il évoque une histoire significative et identitaire aux yeux de la population. Le lieu industriel a un pouvoir d’évocation, il suscite une multitude de représentations et d’images de la part de son observateur. Il permet d’éveiller notre mémoire, de la confronter au lieu, mais également aux autres mémoires qui nous entourent. Il est perçu comme représentatif. La conscience collective en a fait le cadre de l’évolution de son identité. Même si le lieu industriel rappelle le passé, il vit au présent. La mémoire travaille de manière incessante dans ce lieu. Le lieu de mémoire doit être reconnu par les institutions, les collectivités et les financeurs. Il doit être conservé pour plusieurs raisons. Le lieu de mémoire est associé à une commu nauté précise de personnes qui voient en ce lieu un symbole de leur communauté et de leur histoire. Conserver un lieu de mémoire permet de conserver une histoire et de préserver la cohésion d’une communauté. Le lieu de mémoire est aussi un lieu identitaire . Il permet de garder la présence d’une identité menacée. Se référer au lieu de mémoire permet à la communauté de reconstituer un tissu social déchiré et de réhabiliter une partie de son histoire non assumée. 52 Les cafus sont les femmes qui triaient et nettoyaient le charbon. 40 2. De l’incidence de la mémoire sur le projet culturel Il nous faut maintenant étudier comment est considérée la mémoire lors de la reconversion d’un lieu industriel. Dans la mesure où nous accordons à ce type de lieu une valeur mémorielle essentielle, il nous faut essayer d’analyser le poids de cette mémoire sur le projet culturel. Les deux exemples que nous suivons tout au long de ce propos traitent avec intérêt, et chacun à leur manière, la mémoire du lieu industriel. L’expérience du Centre Historique Minier Le Centre historique minier est installé sur un ancien site industriel devenu lieu de mémoire. Cette reconnaissance est due à trois facteurs expliqués par André Dubuc, directeur de l’établissement 53 : Le lieu fait partie intégrante de l’histoire du territoire. La population est attachée à ce lieu, le reconnaît et se l’approprie. Les politiques suivent les intérêts que développe la population à l’égard du lieu et soutiennent l’initiative. La réutilisation de la fosse Delloye en musée est un succès car elle a mis en valeur un lieu dans lequel la population se reconnaît. Celle-ci a accepté la nouvelle activité du lieu : le musée lui permet aussi d’avoir un lieu symbole de son identité. L’adhésion populaire au projet ne s’est pas faite rapidement. En effet, les Houillères avaient dans un premier temps, privilégié l’activité en exposant les machines, en expliquant les savoir -faire mais en oubliant les hommes. La transfert de la gestion du site, des Houillères aux collectivités locales, en 1990, a permis de recentrer les missions du Centre en plaçant “ l’Homme au cœur de nos préoccupations 54”. Il fallait en effet permettre à la population de se réapproprier le site et sa mémoire. Le lieu était mal perçu par la population des mineurs qui y voyait le lieu de promotion de l’entreprise, créé par les patr ons. Ils n’avaient pas de raison de se sentir concernés. Le Centre Historique a engagé une démarche ethnologique liée aux thèmes de la mine et la première expérience fut la reconstitution d’un estaminet de 1895. C’est aujourd’hui une exposition temporaire issue d’une enquête de 18 mois auprès de femmes de mineurs intitulé Femmes de mineurs, femmes à la mine : elle est constituée à partir de ces témoignages qui en forment la bande -son. De même, beaucoup des objets présentés viennent des “ collections privées ” de ces femmes interviewées qui les ont prêtés : l’implication de la population locale dans le musée par la population locale est réelle. Elle permet de faire travailler la mémoire collective et personnelle : chacun vient retrouver et constituer sa mémoire. Le musée au présent, c’est également l’implication de la population dans l’enrichissement des collections du musée. Chaque année, au cours du Printemps des Musées, le musée organise une semaine de collecte : les personnes qui ont des objets, des écrits, des photographies relatives au monde de la mine, qu’ils soient personnels ou plus généraux, peuvent venir les déposer au musée. Cette démarche permet à la population de se sentir concernée par ce qui se passe au musée, et de contribuer à l’évolution de s collections et des expositions. Le musée devient le leur car ils y trouvent une partie d’eux -mêmes. 53 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 54 André Dubuc, entretien, 13 mai 2001 41 La mise en valeur de la mémoire minière que propose le Centre Historique Minier ne se limite pas aux collections. Le lieu de mémoire tente d’élargir ses activités pour s’inscrire dans une démarche contemporaine. Le Centre relie l’histoire de la mine et de ses populations, au présent et au futur. Cela passe par des programmations culturelles qui enrichissent la vie du musée : un spectacle de danse dans la galerie reconstituée, un festival sur les patois locaux, les éditions de nouvelles d’écrivains locaux, les soirées musicales lors de la Fête de la Musique, une exposition de sculptures de Patrick Smith 55 sur le carreau de fosse pendant l’été... Le visiteur découvre le lieu de mémoire sous un autre angle et peut revivre cette mémoire par une démarche nouvelle. Le passionné de danse apprécie le spectacle proposé et découvre le lieu de mémoire. C’est un moyen de sensibiliser également un public nouveau. Le musée contribue à faire vivre la mémoire, celle de la population comme celle du lieu. Ce dernier permet de faire un lien avec cette population. Le Centre Historique Minier tente de devenir un espace social où le lieu et les actions permettent les rencontres et la reconstruction permanente de l’identité de la communauté liée à l’aventure des mines. Il nous faut pourtant remarquer que, malgré cette volonté, le Centre Historique Minier revendique l’authenticité de ce qu’il présente par la démarche scientifiqu e de son action. Il reste encore marqué par les fonctions premières du musée, c’est à dire conservation, restauration et exposition. Il maintient sa vocation universelle et son souci de la vérité. D’après les distinctions que fait Pierre Nora entre histoir e et mémoire, le Centre reste encore attaché à une démarche historique et “ vraie ”. L’expérience de Culture Commune Culture Commune soutient la création artistique contemporaine. Pourtant, l’équipe soutient qu’une de ses motivations est le rapport au lieu, que nous avons vu respecté dans les transformations architecturales de la salle des Pendus. Culture Commune honore le lieu qu’elle a investi en étudiant la mémoire et l’esprit du lieu. Elle est la seule scène nationale qui dispose d’un chef de projet “ transmission de la mémoire et création artistique ”. Ce poste a été créé en 1998 lorsque l’équipe de Culture Commune est arrivée sur le site de la fosse 11/19. Cela est apparu comme une évidence pour Chantal Lamarre. Il lui fallait investir le lieu et re ncontrer cette mémoire. En effet, la directrice de Culture Commune ne voit plus le site 11/19 comme une friche mais comme un véritable terrain d’expériences et de sens. Le lieu et son passé peuvent être un tremplin pour le présent et le futur. Le travail de la mémoire tel qu’il est fait et vécu à Culture Commune est différent de la démarche muséale du Centre Historique Minier. Chantal Lamarre n’en fait pas un de ses premiers objectifs, mais accorde la possibilité à des artistes de pouvoir se l’approprier. Elle ne veut poser la mémoire comme un impératif. Ce travail doit être une volonté artistique. Le but est de ne pas restituer la mémoire telle quelle. A Culture Commune, la mémoire est un élément vécu puis redistribué à la population par le discours artis tique. Ceci concerne la mémoire du lieu et l’évocation de ces infrastructures pour l’artiste. Ce qui intéresse Chantal Lamarre et Isabelle Demailly, chef de projet “ Transmission de la mémoire et création artistique ”, c’est réellement interroger la mémoire par une action artistique pour interroger ce qui nous fonde, à savoir notre identité et le monde qui nous entoure. La mémoire cultive ce que nous recevons en héritage. Cet héritage nous remet en question à chaque instant, puisqu’il nous oriente aujourd’h ui. Cette mémoire nous nourrit, mais chacun la réinterprète à sa façon. Les artistes l’expriment à leur manière, par leur propre langage et à travers leur propre sen- 55 Créateur du bestiaire forain de la Compagnie du Théâtre de la Licorne. 42 sibilité. C’est important de pouvoir mettre en valeur une mémoire à partir d’un lieu symbol ique comme le 11/19, symbolique pour une large espace territorial. Les projets en rapport avec la mémoire sont menés par Isabelle Demailly. D’abord agent de développement patrimonial au sein de l’équipe, elle est aujourd’hui chef de projet. Les premières actions avaient peu de lien direct avec l’action artistique, il s’agissait plus de faire vivre le site du 11/19. Elle a donc mené des recherches historiques pour disposer d’une base d’archives et de documents. Désormais, chaque artiste venant sur le site peut consulter cette histoire afin de comprendre exactement où il se trouve. L’évolution du poste s’est fait au gré des expériences de programmation ou de collaboration sur le thème du patrimoine, puis majoritairement aujourd’hui sur le thème de la mémoir e. La programmation liée à la mémoire est moins importante que les autres projets développés par l’équipe de Culture Commune. Néanmoins, Isabelle organise chaque année des Rendez-Vous Cavaliers : il s’agit de randonnées pédestres sur les anciens chemins de fer des mines (“ les cavaliers ”) ponctuées par des interventions d’artistes. Ce sont des groupes de 30 à 40 personnes qui font le parcours, guidés par une personne de l’association La Chaîne des Terrils (guide sur l’histoire des paysages et villes traversées, de la faune et de la flore sur les chemins empruntés). Les artistes interviennent tout au long du parcours : leur prestation est le fruit d’un réel travail chorégraphique, théâtral ou plastique sur le paysage ou l’histoire des lieux. Ils viennent en résidence pour préparer cette manifestation, s’approprient les espaces et leur histoire et peuvent également rencontrer la population. Cet événement permet de mettre en valeur le paysage actuel du Bassin Minier du Pas de Calais par une action artistique to ut en maintenant une démarche de développement des connaissances. L’action principale d’Isabelle s’inscrit dans des projets à long terme auprès d’artistes qui veulent se réapproprier cette mémoire, inhérente au lieu et au territoire. Il s’agit de recuei llir la mémoire vivante des personnes qui ont vécu et fait la vie de l’ancien bassin minier. Culture Commune devient ainsi le dépositaire de cette Mémoire. L’association la met ensuite à disposition des artistes qui en font la demande. Certains souhaitent travailler sur une population particulière, Isabelle doit alors trouver les personnes qui sont d’accord pour donner leurs témoignages. Elle suit ensuite les projets de réécriture de ces récits de vie. Culture Commune dispose d’une véritable base de données de récits de vie filmés ou enregistrés, des ouvrages édités, des archives sur le site du 11/19, avec possibilité de consultation pour les artistes, le public et la population. Cet ensemble de documents devrait bénéficier prochainement d’un espace reconnu, pour faire un centre de ressources visible et reconnu. Actuellement, Isabelle suit un projet de réécriture avec Aziz Chouaki, qui écrit un texte de théâtre à partir d’interviews de femmes et de filles de mineurs maghrébins. L’action envers la mémoire consiste également en des collaborations avec des compagnies en vue de spectacles spécifiques : ce fut le cas avec Guy Alloucherie (metteur en scène de la Compagnie Hendrick Van Der Zee) lors de l’organisation d’un atelier de récolte de mémoires qu’il animait avec des anciens mineurs, des femmes et des fils de mineurs. Cet atelier a donné lieu à une rencontre avec le public à la Fabrique en février 1999, Les Etoiles du Nord. La mémoire est aussi traitée en ouvrant les projets à d’autres secteurs industriels en crise. Ainsi, en avril et mai 2000, un atelier d’écriture réalisé avec 25 anciennes ouvrières de l’usine Levi’s de La Bassée, avec Bruno Lajara (metteur en scène) et Christophe Martin (dramaturge), a permis la création du spectacle 501 Blues. Enfin, le travail de mémoire se traduit aussi par l’organisation de conférences et de rencontres autour de ce sujet, comme celle organisée en février 2001 sur “ Mémoire et création artistique ” avec Michel Rautenberg, ethnologue, Christophe Martin, dramaturge et Agnès Desfosses, metteur en scène. 43 Le travail de Culture Commune en matière de transmission et de mise en valeur de la mémoire est difficilement reconnu par les institutions patrimoniales et muséales car il n’est pas rigoureux et scientifique. Il permet pourta nt d’avoir un autre regard sur notre passé et permet peut -être de l’intégrer plus facilement. La DRAC elle-même reconnaît difficilement ces actions car elles sont inhabituelles dans une scène nationale. Cet exemple pose la question du cadre dans lequel doit être conservée et travaillée la mémoire. Les alternatives autres que muséographiques et patrimoniales se révèlent illégitimes aux yeux des institutions. Pourquoi un tel blocage ? Quelles sont les raisons de ce clivage entre musées et autres formes d’expr ession culturelle ? Toutefois, les artistes, le public et la population reconnaissent la valeur de ce travail. Les artistes sont toujours plus nombreux à demander une collaboration avec Culture Commune dans le cadre de ces projets : ils sont demandeurs d’une forme nouvelle de regard sur le passé. Les artistes sont émus par ces lieux et veulent parfois aller plus loin. Culture Commune les encourage dans cette démarche. Métalovoice, compagnie associée à Culture Commune, aime venir y travailler ses spectacles car elle y trouve inspiration et souffle, “ ici, il y a une source inépuisable de mémoire, de paroles qui correspondent à notre travail sur la poésie industrielle. Le témoignage est une forme de résistance ” 56 Leur spectacle Espèce H. mémoire vivante traite des rapports entre l’homme et l’industrie, en approfondissant l’environnement et les visions utopiques de l’homme face à sa mémoire. Créé à Culture Commune en 1998, cette expérience artistique révèle le besoin de certains artistes de se retrouver dans un lieu de mémoire. Questionnements La question de la mise en valeur de la mémoire du lieu industriel réinvesti est d’actualité : elle interroge les acteurs de la vie culturelle et patrimoniale. Les deux exemples ci -dessus prouvent que l’on peut faire un travail de mémoire dans un musée et dans un lieu de création artistique. Le lieu est vécu comme porteur d’une mémoire et les équipes en place souhaitent engager une ou plusieurs actions en cette direction. Néanmoins, tous les lieux industriels réutilisés en vue d’un projet culturel n’agissent pas forcément en ce sens. Nos observations s’attachent ici à un grand nombre de friches artistiques. Certes, les noms que portent ces lieux font référence à la notion de production (Fabrique), en rappel de l’activité industrielle, ou reprennent intentionnellement le nom d’entreprises qui s’y trouvaient (La Condition Publique à Roubaix). Pourtant, “ si on peut y lire (dans la friche industrielle ou marchande) la clarté d’une identité passée en regard d’une fonction spéc ifique, industrielle ou marchande et des hommes qui l’accomplissaient, celle -ci est aujourd’hui révolue. ” 57 Les porteurs de projet n’ont pas pour objectif le travail de mémoire. Nous pouvons nous interroger sur ce type d’attitudes vis à-vis du lieu. Cela nécessiterait une étude de terrain plus approfondie. Notre position reste néanmoins attachée à l’importance de la mémoire dans le lieu industriel reconverti en lieu de culture. Celui-ci peut être un lieu où s’exprime la mémoire, il peut être aussi le cadre d’un travail avec cette mémoire : c’est le cas pour le Centre Historique Minier et pour Culture Commune. D’autre part, la mise en valeur de cette mémoire industrielle peut se faire sous des formes différentes : expositions, conférences, visites in situ, sons et lumières, “ merchandising ”, spectacles, textes... Par exemple, il n’est pas insensé qu’un spectacle artistique mette en valeur une tour d’extraction. Le regard du spectateur sera diffé56 Eric Goubet, Métalovoice, dans Fabrice Lextrait, Une nouvelle époque de l’action culturelle , La Documentation Fran- çaise, p.46 57 Fabrice RAFFIN, “ Du nomadisme urbain aux Territoires Culturels. La mise en culture des fr iches industrielles à Potiers, Genève et Berlin ”, article paru dans Cultures en ville : de l’art et du citoyen, sous la direction de Jean Métral, éditions de l’Aube, 2000 44 rent : celui qui vient pour le lieu découvre l’expression tand is que celui qui vient pour l’art considérera le lieu différemment. La mémoire est plurielle et ne peut être l’apanage d’un seul mode de discours. Nous pouvons aborder ainsi la mémoire de la mine dans sa diversité : mémoire des lieux, mémoire des objets, mémoires des techniques et des savoir-faire, mémoire des mots, mémoire des gestes, mémoires des discours, mémoire des sensations grâce à une pluralité de formes : mise en valeur technique, scientifique, artistique, photographique, théâtrale, historique, écologique, environnementale. La mémoire est intégrée et vécue, si elle parle à chacun. Pour cela, les discours doivent être différents. Dans le cadre d’une transmission de la mémoire d’un lieu, le rôle des acteurs culturels n’est -il par d’être médiateur entre un héritage et un territoire ? Cette seconde partie de notre étude nous permet d’établir un premier constat : le lieu industriel reconverti en lieu culturel peut faire l’objet d’une reconversion respectueuse du passé. Culture Commune et le Centre His torique Minier conçoivent le lieu industriel qu’ils ont investi comme un lieu de mémoire, à valoriser et à transmettre. Cette attention particulière portée au lieu industriel et à sa mémoire permet alors à chaque projet culturel d’être médiateur entre passé, présent et futur par des actions de nature complémentaire. La population et le territoire sont les héritiers de cette mémoire. Le lieu industriel, au centre du territoire économique, se transforme en lieu culturel et anime la mémoire locale. En conséqu ence, cette position historique du lieu industriel sur le territoire a-t-elle des incidences sur le nouveau projet qui investit le lieu ? La mutation du lieu industriel en lieu culturel signifie-t-elle, de fait, un rôle particulier du projet culturel à l’é gard du territoire ? Nous pouvons nous interroger sur le sens de la transformation du lieu industriel en lieu culturel pour le territoire lui-même en reconversion. 45 CHAPITRE III - DE LA RECONVERSION DU LIEU INDUSTRIEL A LA RECONVERSION DU TERRITOIRE . L’ancien Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais est un territoire touché pleinement par la crise de l’exploitation minière. C’est donc un territoire lui-même en friche et aujourd’hui en reconstruction. Nous nous permettons de reprendre cette définition, et nous affirmons que le territoire est “ un espace avec ses caractéristiques géographiques, un espace de production économique, un lieu de vie pour les populations aux structures, aux caractéristiques et aux histoires complexes, un ensemble de lieux de mémoire co ncrets (les sites, les bâtiments, les paysages) et abstraits (les événements sociaux, politiques et culturels dont les traces sont inscrites pour partie dans les espaces et pour partie dans les souvenirs). ” 58. Reconvertir le territoire consiste à prendre e n compte l’ensemble de ce qui définit le territoire et d’engager un processus nouveau de développement. Dans le cadre d’une reconversion d’un territoire, nous pouvons donc nous interroger sur la place qu’y occupe le lieu industriel devenu lieu de culture. Pour tenter de répondre à cette question, nous montrerons tout d’abord comment le territoire à reconvertir essaie de redéfinir un projet d’avenir, garantie de son existence. En conséquence, nous serons amenés à considérer le rôle de la culture dans un tel contexte. Enfin, dans le cadre de cette analyse culture-territoire, nous pourrons nous demander ce que devient la mission du lieu industriel devenu lieu de culture, sur un territoire en reconversion. I. Territoire et reconversion Lorsqu’un territoire a été affecté par la fin d’une activité industrielle majeure, comme ce fut le cas pour le Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais, la vision du futur et la perception d’un dynamisme nouveau restent des perspectives floues pour la population comme pour les collectivi tés publiques. C’est pourquoi un projet de territoire peut être un moyen de pallier les incertitudes et la situation difficiles : il permet alors d’engager l’ensemble du territoire vers un même idéal de développement local et de mise en mouvement. Le projet de territoire devient alors l’antidote qui reforme la cohésion du territoire en vue d’objectifs communs. Considérant les habitants comme cœur du territoire, les collectivités publiques mettent donc en place des moyens humains, techniques et financiers né cessaires à la réussite du projet. 1. Le projet comme moyen pour un nouveau développement Le projet de territoire est un véritable projet de société où la communauté “ peut se définir par sa capacité à produire un ordre nouveau et à engendrer le changem ent ” 59. Le projet est un moyen de parvenir à la réalisation d’un idéal. Lorsque la collectivité engage ce type d’action, elle choisit d’entraîner l’ensemble du territoire vers une même dynamique. 58 “ Etude anthropologique du Bassin Minier : un ou des bassins miniers ? ” Journées d’études des 28 et 29 mai 1998, p.3, Anthropologie du Bassin Minier, collection Etudes, n°3, janvier 1999. 59 Jean Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 2001, p. 119 46 Le projet inscrit le territoire dans l’avenir La mise en place d’un projet de territoire répond à des besoins spécifiques. Le premier besoin est la réinscription du territoire dans un processus de développement global du territoire. En effet, s’il y a reconversion, ceci signifie qu’il n’y a plus d’activités produc tives rentables. Le projet de territoire devient ainsi un moyen de répondre aux mutations. Le territoire a besoin du projet pour insuffler un nouveau dynamisme à la population et à l’économie locale. Il permet ainsi la reconstruction et la reconversion éco nomiques et humaines des éléments du territoire. Le territoire, en conséquence, peut se transformer pour être compétitif et attractif afin de s’insérer dans le cercle économique local, national ou international. Nous pouvons définir le projet comme un remède à la crise. Le projet permet ainsi aux territoires nés de l’aventure industrielle d’entamer leur reconversion et leur “ redéveloppement ” 60. D’autre part, la mise en place d’un projet de territoire a pour but de rendre pertinent l’action collective à l ’échelle territoriale. L’exemple de l’ancien Bassin Minier du Nord -Pas-de-Calais permet d’expliquer cet argument. En effet, ce territoire était désigné à travers une activité mono -industrielle qui n’existe plus aujourd’hui. Il a fallu reconstruire ce territoire à travers un héritage géographique inadapté. C’est un véritable projet de référence qui est constitué en vue de l’adhésion fédérative au projet. Consciente du passé, la collectivité tente de mutualiser moyens et compétences pour légitimer la dimensio n territoriale sur laquelle elle entend agir. Le projet de territoire de l’ex-Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais existe ainsi sous l’appellation volet “ aprèsmine ” et rassemble l’ensemble des acteurs du territoire autour d’une volonté commune d’amélior ation du cadre de vie, de dynamisme économique et de développement collectif et personnel. Le projet mobilise L’intérêt d’un tel projet est une gestion à l’échelle locale. Les collectivités publiques sont régulièrement à l’origine de cette initiative. Néanmoins, c’est l’ensemble de la communauté qui vit sur ce territoire qui est directement concerné : le territoire est envisagé comme un bassin de vie. Le projet doit être motivé par la volonté générale pour sortir le territoire de l’inactivité et de la moro sité. Cadre de vie de la population, il doit être construit par elle. La mobilisation de l’ensemble de la collectivité est nécessaire pour que le projet parvienne à se concrétiser, mais également à être au crédible auprès de l’ensemble des acteurs du terr itoire. Le projet de territoire s’élabore ainsi dans un cadre commun de concertation et d’échanges où concepteurs, destinataires et utilisateurs des actions mises en place se confondent. L’implication de l’ensemble des acteurs locaux du territoire est indi spensable à la définition d’un dessein commun. L’homme définit ainsi ce qu’il souhaite pour son avenir et pour son futur dans le cadre de vie qu’il a choisi. Le projet de territoire intègre l’idée de consensus entre les différents acteurs du territoire (société civile, acteurs économique, politiques, culturels, sociaux), par lequel il trouve sa légitimité. D’autre part, les membres de la collectivité sont également acteurs de ce projet. En réponse à la conception, ils se mobilisent pour la réalisation de ce dessein commun. Le projet s’appuie sur la triple capacité de l’homme : réflexion, décision et mise en forme du projet. A l’échelle d’un territoire, la multitude des potentiels peut être mis en valeur. Il faut solliciter les membres de la collectivité et les intégrer à la mise en place du projet. La multiplica- 60 Xavier Greffe, Sociétés postindustrielles et redéveloppement, Hachette, 1992, cité par Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 2001, p.251 47 tion des conseils de citoyens, des associations de quartiers, des instances de démocratie locale sont autant de signes du désir général de s’impliquer dans la vie de la cité et donc dans la vie de son territoire. Le projet local à visée globale Le projet s’inscrit dans l’avenir par le biais d’objectifs décidés communément. Tout d’abord, le projet de territoire n’est pas uniquement économique. C’est un élément majeur du développement nouveau du territoire en reconversion : il faut trouver des alternatives à l’activité industrielle qui n’existe plus. Cependant le projet doit intégrer l’ensemble des problématiques liées au développement local : social, humain, culturel, environnement. Par conséquent, le p rojet de territoire est simultanément projet de développement, projet de société, projet d’aménagement… “ Chaque projet est donc destiné à s’insérer dans un programme d’ensemble lui-même répondant à une mission que se donne la collectivité . 61 ”. L’avenir du territoire est appréhendé par secteurs, mais avec un même souci de développement global. C’est donc une redéfinition du territoire comme unité que permet le projet. Une interdépendance entre les secteurs est sous -jacente à ce type de projet. Par conséquent, nous pouvons dire que projet de territoire et développement durable se confondent pour un même projet d’avenir. Nous pouvons aussi noter que le projet permet de donner une réponse à la tendance globale des échanges et donne au local les moyens d’exister dans le cadre d’un territoire plus large. Le territoire en reconversion, au centre des échanges industriels passés, doit retrouver attraction, innovation et vitalité pour reprendre une place perdue. Chaque territoire peut ainsi devenir une entité indépen dante sur le marché des échanges. 2. Des méthodes et des actions pour l’avenir Afin de mettre en place ces objectifs, les autorités publiques qui ont la gestion du territoire s’allient pour créer des structures dont le but sera de mettre en place les actions choisies par la communauté. Une réflexion pour une adaptation Le projet de territoire est basé sur un diagnostic préalable à toute action dont résulte le dessein global que la collectivité souhaite atteindre.. En dépendront alors les opérations à me ttre en place. La collectivité connaît les causes de la crise que vit le territoire. Il lui faut néanmoins approfondir cette connaissance pour répondre au mieux aux problèmes. La collectivité opère donc à une analyse affinée de son territoire et de l’ensemble des domaines qui le composent. Ceci permet d’appréhender l’ensemble des questionnements relatifs à l’avenir du territoire. Il s’agit de cerner la réalité du territoire dans son ensemble. Cette analyse nécessite du temps pour la réaliser mais aussi po ur être le plus objectif possible et ne pas laisser des éléments en dehors du futur projet. L’enquête devient ainsi le moyen de définir points forts, manques, souhaits et aspirations des acteurs du territoire. La mobilisation de la population est majeure d ans cette réflexion préalable puisque c’est elle qui est la représentante essentielle de ce territoire : elle en connaît les fonctionnements et les dysfonctionnements. Le diagnostic est une enquête sur laquelle la collectivité peut alors se reposer pour impulser ses actions. Il permet surtout de définir ce que l’on souhaite faire évoluer et dans quel but. La collectivité a des objectifs, l’analyse exprime les besoins. En définissant un idéal à atteindre, en prenant soin de particulariser ses objectifs en fonc- 48 tion du diagnostic de territoire, en déterminant des choix d’action, le projet de territoire devient un moyen de transformer le territoire en “ perte de sens ” en un territoire légitimé et significatif. L’acceptation d’un dessein commun permet d’engager la collectivité dans un même mouvement. En outre, il nous faut également remarquer que la mise en place d’un projet de territoire est aussi synonyme d’évolution. Le projet se renouvelle continuellement, au fur et à mesure des réalisations et des actions qui se mettent en place. Des instances au service d’un projet La définition du projet de territoire s’exprime à travers la mobilisation de la population aux enjeux du territoire sur lequel elle vit. Elle n’est pas toujours l’initiatrice de ce projet, puis qu’il est souvent impulsé par la réunion des collectivités publiques qui composent ce territoire. Néanmoins, la collectivité est consultée pour réaliser l’analyse mais également pour exprimer son avis sur les actions à mener et pour proposer des actions et des initiatives. Des réunions de population sont donc mises en place avec des observateurs, dont la charge est de récolter ce qui est dit pour proposer un projet global. Le projet de territoire met en avant l’idée de démocratie locale. Ainsi sur le territoire de l’ancien Bassin Minier, il a été créé la Conférence Permanente sur le Bassin Minier. Rassemblant l’ensemble de la population qui souhaite s’y investir, cette institution favorise les échanges et les rencontres. Elle a bâti un diagnostic collectif confrontant en permanence l’expertise au débat public. Ce diagnostic a pris la forme d’un Livre Blanc, acté par le CIADT 62 en décembre 1997. Des commissions réunis selon des thématiques précises (la culture, l’économie, la santé…) ont réfléchi, travaillé e t proposé des actions en vue d’objectifs généraux partagés par tous. Chaque commission est gérée par un comité de pilotage, mais l’ensemble de la population reste investie. La parution du Livre Blanc, expression des enjeux futurs à mettre en place pour le territoire de l’ex-Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais, n’a pas mis fin aux rencontres et discussions des commissions. Les chantiers mis en place par la Conférence Permanente sur le Bassin Minier demeurent actifs. Ainsi, par exemple, la commission Patrimoine travaille actuellement sur le projet de candidature du Bassin Minier Nord Pas-de-Calais à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. D’autre part, le projet de territoire peut se doter d’une structure technique, faisant office de pilote global du projet. Cette structure devient alors le relais entre l’instance de réflexion et les acteurs susceptibles de réaliser les actions souhaitées. Le territoire peut rassembler différentes délimitations administratives. Il faut donc créer une instance qui ait une compétence sur l’ensemble du territoire. Ainsi, l’ex -Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais se situe sur deux départements. Une structure technique a été mise en place, avec compétences sur l’ensemble des collectivités territoriales du Bassin Minier. La Mission Bassin Minier a ainsi été constituée en 2000, pour mettre en place les réflexions issues du Livre blanc et réaliser, en concertation avec les acteurs locaux, les actions jugées prioritaires par la Conférence Permanente. El le est une “ structure d’ingénierie au service de la restructuration urbaine, sociale, écologique et économique 63”. Elle travaille donc sur trois axes prioritaires : l’homme, la reconquête et l’aménagement des territoires et le développement local. Une implication des instances territoriales et nationales Le projet de territoire n’est pas un concept insignifiant. Il donne lieu à de réelles décisions d’actions où population et collectivités publiques s’associent dans un même objectif. Il ne faut pas oublier cependant que le projet de territoire est réalisable seulement si le territoire est reconnu en tant que tel par les autorités publiques. 61 Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 2001, p. 235 62 Comité Interministériel pour l’Aménagement et le Développement du Territoire. 63 Archives du Bassin Minier, n° 228, septembre-octobre 2000 49 La décentralisation a permis de reconnaître aux communes, départements et régions la liberté et la maîtrise de leur développement économique, sociale et culturel. Face aux mutations des échanges nationaux et internationaux et leur impact sur le développement local, le territoire devient ainsi l’échelle idéale pour répondre à ces transformations et pour les accompagner. Par conséquent, les communes se sont constituées en communauté de communes, en communauté d’agglomération, en pays… Le territoire national rassemble ainsi une multitude de territoires qui se développent par eux-mêmes. La multiplicité des collectivités territoriales existantes, au sein même du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais, ne nuit pas à la mise en place d’un travail en commun. Dans ce cadre, institutions locales, départementales, régionales et nationales travaillent dans un même souci de reconversion globale du territoire. La reconversion du Bassin Minier est depuis longtemps au centre des discussions entre collectivités territoriales et nationales. Suite au diagnostic de la Conférence Permanente sur le Bassin Minier, en 1997, la reconversion concrète du Bassin Minier s’est révélée urgente. En conséquence, le Contrat de Plan Etat -Région 2000-2006 a intégré le volet après-mine dans ses objectifs. Ces types de contrat “ permettent à l'État et aux Régions, en relation étroite avec leurs différents partenaires, de préciser et d'affirmer, chacun dans le respect de leurs compétences, leurs orientations et leurs ambitions pour l'avenir de leur région. A une logique de planification lourde se substitue désormais un exercice plus proche des réalités du terrain. ” Le but est donc “ d’en terminer avec la reconversion ” 64 en mettant moyens humains et financiers au service du Bassin Minier. C’est donc dans ce cadre que fut mise en place la Mission Bassin Minier, faisant objet d’un financement national, régional et d épartemental. Le projet de territoire a ainsi évolué vers une réalisation matérielle des objectifs grâce au soutien institutionnel. Le Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006 rassemble donc les institutions locales autour d’un même projet répondant aux besoins et aux manques du Bassin Minier en matière de développement local. Le territoire, ainsi touché par une crise structurelle peut retrouver cohésion et pertinence en mettant en place un projet. Décidant d’actions prioritaires pour son développement, il e ngage l’ensemble de la population vers un avenir commun, censé pallier les répercussions de la crise. Pourtant, nous n’avons point considéré ce que devient la culture dans un tel projet. Il nous faut maintenant considérer le rôle de la culture sur le territoire, dans le cadre d’une reconversion. II. Culture et territoire Il nous faut étudier la relation culture-territoire afin de comprendre le rôle que la culture peut jouer dans la reconversion d’un territoire. Selon nos observations, la culture permet de d onner du sens au territoire, en outre, elle l’engage dans un processus de développement. 1. Un sens pour le territoire Afin d’expliquer notre propos, nous nous permettons de reprendre ici une expression de Chantal Lamarre, directrice de Culture Commune, pour exprimer le lien entre culture et territoire. Elle définit ce lien comme senssignification et sens-direction. 64 Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006, présentation, site Internet du Conseil Régional du Nord -Pas-de-Calais (www.cr-npdc.fr) 50 Une signification pour son existence La culture permet de donner du sens au territoire à travers une histoire et un héritage commun. Cette première approche correspond à un ensemble de repères physiques et moraux qui créent le territoire et qui justifient son existence. La culture correspond à l’histoire, le patrimoine et la mémoire c’est -à-dire les pratiques sociales et culturelles qui rassemblent la population autour de valeurs communes. Ces éléments culturels rappellent ainsi l’existence ancienne du territoire. Aussi la culture d’un territoire permet de lui donner une reconnaissance extérieure. Le territoire est identifié comme un espace vé cu et un espace d’enracinement, constitutifs de son fondement symbolique. La culture fonde le territoire. En outre, la culture d’un territoire permet à celui -ci de conserver sa cohérence. La reconnaissance d’une culture et de pratiques communes justifie l’existence actuelle de ce territoire et les actions qui y sont menées. L’héritage culturel donne du sens. La mise en place d’un projet de territoire nécessite de prendre en compte la culture. Elle réhabilite l’espace géographique concerné par ce projet. En effet, la mise en place du projet de territoire du Bassin Minier devient pertinente : l’ensemble de la collectivité se reconnaît dans une culture commune, héritée d’une activité industrielle qui a marqué les esprits et les pratiques. Ainsi si l’héritage i ndustriel est devenu héritage culturel, alors le territoire industriel est devenu territoire culturel. Cette reconnaissance assure le développement d’un sentiment d’appartenance au territoire. La population se sent concernée par cette histoire et cette mémoire : au-delà des mémoires individuelles, la culture renforce l’unité de la population autour d’une mémoire collective. Le territoire existe par la reconnaissance d’une identité propre. La mise en place d’un projet de territoire ne peut donc occulter le passé : il justifie l’existence du territoire à travers ce qui unie les acteurs. La culture commune, ainsi reconnue et mise en valeur, permet d’établir des repères historiques, mémorielles et identitaires et permet de pouvoir inscrire le territoire dans u ne démarche d’avenir. La culture devient un support indispensable qui peut donner une direction au projet global. Elle inspire le projet de référence par lequel sont impulsées les actions. Passé, patrimoine, culture reconnus par chacun sont ainsi insérés dans un projet et servent de bases pour un nouveau développement. Comme le souligne André Dubuc, “ C’est important de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. ” 65 La légitimation de la culture comme sens-signification est indispensable à la reconversion d’un territoire. Elle lui permet de lui donner du sens. En outre, la culture permet aussi au territoire de s’inscrire dans une démarche de développement. Une direction pour son avenir Il nous faut remarquer que la culture est également un enjeu possible pour le territoire. Le développement culturel devient une direction vers laquelle le territoire s’oriente. En effet, le territoire peut trouver dans la culture un moyen de se transformer et de pallier aux mutations qu’il subit. Nous n’accordons pas ici d’ attention particulière à l’idée, qui a eu un certain retentissement à la fin des années 80, faisant de la culture une panacée pour tous les maux. Nous l’envisageons ici simplement comme un moyen de contribuer à la reconversion du territoire. Dans ce cadre, elle s’associe précisément au projet de territoire : elle fait partie de ces projets qui concourent à la réalisation d’un dessein commun. 65 André Dubuc, entretien, 13 mai 2002 51 Ceci permet d’envisager la culture comme atout de développement. Ceci s’exprime à travers tout d’abord l’enrichissement personnel et l’autonomie de la personne. Ainsi, comme l’explique L.V. Thomas, le projet de territoire doit permettre “ l’indépendance culturelle au sens de la volonté d’agir par soi -même et pour soimême 66”. La culture permet de contribuer à l’enrichissement de la collectivité mais aussi à l’accomplissement personnel de chacun au sein de cette collectivité. En effet, la culture mobilise chacun dans un désir de dépassement de soi. Elle peut être le moyen de développer l’autonomie et l’esprit d’initiative . Elle devient donc indispensable au développement car elle est un moyen de mettre en place des projets fédérateurs et porteurs d’ambition. Elle est aussi source de vitalité et d’attractivité. La présence d’une vie culturelle donne au territoire un dynamisme et une impression extérieure de “ vie ”. La multiplicité des actions culturelles qui se mettent en place permet à la population de jouir d’une offre culturelle variée tout en lui laissant la possibilité de choisir. Elle développe ainsi la curiosité et l’assurance pour la population d’être sur un territoire aux atouts nombreux. Le développement culturel devient un enjeu majeur pour le territoire : il lui permet de s’inscrire dans un contexte d’existence culturelle contemporaine, devenu aujourd’hui condit ion impératif pour être attractif. En outre, la culture intervient sur territoire en tant que composant actif du développement. La culture, tout comme l’économie et le développement social, concourent au progrès et à la remise en mouvement du territoire. La culture s’insère alors dans “ des préoccupations plus globales de développement territorial qu’il s’agisse de développement économique, éducatif, social, au sens de lien social ” 67 2. Le projet culturel, participant du projet collectif En conséquence, le projet culturel devient l’expression de cet enjeu qu’est le développement culturel du territoire. Chaque action culturelle essaie de tendre vers ce dessein commun. Nous pouvons ainsi montrer le rôle des deux structures, que sont Culture Commune et le Centre Historique Minier, sur le territoire du Bassin Minier, à travers leur relation au territoire et au travers de leurs actions. Une participation au projet global de territoire Le projet culturel participe au projet de territoire. Les autorités publi ques peuvent mettre en place directement les projets culturels qu’elles souhaitent et leur donner des objectifs particuliers qui s’accordent le plus avec la réalité du territoire. Ainsi, les deux exemples qui nous concernent ont un lien particulier au terr itoire du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais : issues du territoire, elles orientent aussi leur projet vers le territoire. Tout d’abord, l’initiative du projet culturel vient du territoire, par le biais de ses représentants institutionnels. Ainsi, Culture Commune est le fruit d’une initiative du Conseil Général du Pas -de-Calais en 1988. Ce dernier commande une enquête auprès de l’Office Régional de la Culture et de l’Education Permanente et de l’Association Nationale pour la Formation et l’Information Ar tistique et Culturelle. Menée par Chantal Lamarre, cette enquête implique, au cours de l’année 1988-1989, 87 communes appartenant à l’Association des Com- 66 L.V. Thomas, cité par Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 2001, p. 249 67 René Rizzardo, “ La coopération entre les collectivités publiques ”, Institutions et vie culturelle, les notices, La Docu- mentation Française, 1996 52 munes Minières du Nord et du Pas-de-Calais. C’est l’ébauche d’un projet culturel de territoire, à l’éch elle du bassin minier du Pas-de-Calais. Le Centre Historique Minier est mis en place par la société industrielle qui a donné sa définition économique au territoire, c’est-à-dire les Houillères du Bassin du Nord et du Pas -de-Calais. Dès 1982, les Houillères font appel aux instances locales et nationales pour structurer et développer un projet cohérent pour le site et pour les objets et machines récoltés. Etat, Région et département s’associent à l’entreprise en 1982 et créent l’association “ Centre Historique Minier ”. Les acteurs locaux du territoire prennent conscience de l’enjeu suscité par l’ébauche de projet muséographique que représente la fosse Delloye. Cette appropriation du projet par les collectivités locales augmente parallèlement au déclin de l’e ntreprise Houillères. En 1989, celle-ci se retire et laisse la gestion du site aux collectivités. En 1990, c’est le Conseil Régional qui commande un audit du site et de ses actions afin de monter un projet précis. Les deux projets culturels considèrent aussi le territoire comme fondement de leurs actions. A Culture Commune, le territoire a été appréhendé par le biais d’un diagnostic préalable nécessaire. Ce fut une “ analyse globale des handicaps, des ressources (humaines, richesses naturelles et territor iales) et des besoins économiques, sociaux et culturels 68 ”. Le territoire a créé le projet culturel en l’adaptant à ses propres contraintes et à ses propres réalités. C’est la prise en compte de ce territoire dans son entier, c’est -à-dire à travers l’ensemble de ses composantes, qui a permis de mettre en place Culture Commune. Le territoire est source de la réflexion au sein de la structure depuis 1989. Pour le Centre Historique Minier, le territoire est également source du projet culturel et scientifique. Ce sont en effet l’industrie et son histoire, qui donnent la réalité contemporaine du Bassin Minier et qui sont au centre des actions du Centre Historique. Le territoire nourrit ses collections, ses actions, ses publications. Enfin, le territoire est un enjeu pour le projet culturel. Culture Commune a deux objectifs principaux que l’on retrouve dans la Charte de 1992 : l’intercommunalité et le développement culturel. L’objectif de la structure est de développer l’action culturelle par l’intercommunalité, tout en redonnant une cohésion à ce territoire. Avec le fonds documentaire et le site de la fosse Delloye, le Centre Historique Minier s’est défini par évidence, suite à l’audit réalisé en 1990, comme musée. Dans ce cadre, sa mission principale est “ la conservation et la diffusion de la culture du bassin minier du Nord/Pas -de-Calais 69 ”. Le projet culturel permet donc d’être intégré au projet global, dans la mesure où son objectif rejoint l’objectif général du territoire. Ces objectifs se concrétisent dans des actions sur le terrain. Des actions en faveur du développement du territoire Le projet culturel agit en faveur du territoire à deux titres : il s’agit du développement culturel mais aussi d’une intervention dans d’autres secteurs composant le projet g lobal. Le développement culturel consiste à ouvrir le champ de diffusion et de le proposer au plus grand nombre. Culture Commune et le Centre Historique Minier s’engagent à réaliser des actions de développement culturel, dans le cadre d’objectifs délimités. Culture Commune a mis en place des actions favorisant la rencontre entre la créa68 “ Extrait de l’étude de faisabilité d’un projet intercommunal de développement cultu rel du Bassin ex-minier du Pas-de-Calais ”, La Charte Culture Commune, Novembre 1992 69 Site web du Centre : www.chm-lewarde.com , page “ Musée – Historique ”. 53 tion artistique contemporaine et la population. Les moyens mis en œuvre passent par la permanence artistique, avec la Fabrique Théâtrale. Les compagnies peuvent venir pour t ravailler leurs nouvelles créations. Des temps sont ouverts à la population pour venir voir leur travail. Mais faire venir la population qui n’est pas habituée demande un travail relationnel très important que Culture Commune met en place avec l’équipe des relations “ avec le public 70 ”. Le développement culturel s’exprime aussi à travers à la diffusion de créations contemporaine sur le territoire, grâce à un partenariat des communes. C’est aussi un soutien professionnel aux artistes locaux, la mise en place d’ateliers de pratiques artistiques…Une multitude d’actions vise à faire du territoire un vivier de création artistique. Le Centre Historique Minier met en place plusieurs types d’actions dont le but est de transmettre à la population l’histoire industrielle du Bassin Minier. Dans ce cadre, le musée propose un parcours d’expositions relatant cette histoire et l’enrichit régulièrement par de nouveaux aspects avec les collections dont il dispose et par l’avancée des recherches 71. La transmission se fait par la diffusion de la connaissance en un lieu précis. Mais le Centre travaille aussi en direction du public scolaire : des visites spécifiques sont prévues pour ces enfants et ces jeunes qui sont les héritiers d’une époque qu’ils n’ont pas connue. Des exposi tions thématiques sont aussi diffusées dans les écoles, avec l’intervention des enseignants responsables du service pédagogique du musée. La transmission se fait également par le Centre d’Archives qui suscite des études et des recherches, notamment universitaires. Le Centre travaille avec les principales universités de la région et reçoit des étudiants et chercheurs de toute la France. Enfin, le Centre est intégré au sein du projet de territoire : en effet, un des axes de travail de la Conférence Permanente du Bassin Minier est la mise en place d’un réseau des lieux de mémoire en vue d’un échange de connaissances et d’une dimension territoriale de la transmission de mémoire 72. Le Centre, plus grand musée de la mine du territoire, est au centre de ce projet et pourrait en être le futur responsable. Le projet culturel peut aussi être amené à intervenir dans d’autres secteurs de la vie du Bassin Minier. Ainsi, par exemple, Culture Commune a suscité la mise en place d’un réseau intercommunal. La Scène Nationale de Loosen-Gohelle a développé le concept de travail en commun grâce à la mise en place d’une intercommunalité de projet. En conséquence, l’idée de monter un projet à l’échelle du territoire pour redynamiser l’ensemble des secteurs ne fut pas difficile à faire accepter. Culture Commune agit également sur la question de l’aménagement du territoire, par son utilisation des terrils comme lieu de représentation artistique et par les projets en lien avec La Chaîne des Terrils. Le Centre Historique Minier travaille aussi avec cette association qui met en valeur les terrils et qui développe des projets de réhabilitation de ces sites. Le centre a une place première dans les musées de la région, et sa thématique le rend très attractif. Par conséquent, il a une actio n très importante dans la valorisation du territoire. Il est un acteur du développement local et économique. Il génère la venue de nombreux visiteurs locaux, régionaux, nationaux ou internationaux. Il est présent sur l’ensemble de la documentation touristi que régionale. Le label Savoir Plaire, décerné par le Comité Régional du Tourisme, est une charte de Qualité reconnaissant l’action de certaines structures en faveur de la Région. Ainsi, le Centre Historique Minier est labellisé pour son action de valorisation de l'image du Nord-Pas de Calais, sa participation active à sa promotion et la mise en marché des produits touristiques régionaux. Acteur touristique reconnu, le Centre Historique participe ainsi activement à la promotion économique du territoire. 70 Expression préférée par l’équipe concernée. 71 Ainsi, la dernière exposition sur les femmes de la mine qui a donné lieu à 18 mois de recherche anthropologique. 72 Culture Commune et le Centre Historique Minier sont tous deux actifs sur cette mission 54 Culture Commune agit sur le territoire en mutation. Le Centre Historique Minier met en valeur le territoire à travers son histoire minière. Ces deux exemples qui unissent histoire, mémoire et action contemporaine sont deux exemples de projets culturels insérés dans un projet de territoire global. Projet culturel et projet de territoire se confondent ici dans un même souci de médiation entre passé et futur. Cependant, nous sommes ici dans un contexte particulier d’un territoire en reconversion et de projets c ulturels installés sur des anciens lieux industriels. La conservation d’un ancien lieu industriel et sa transformation en lieu de culture ne deviennent-elles pas un enjeu pour la reconstruction du territoire et son inscription dans un projet d’avenir ? III. Un lieu industriel devenu lieu de culture : un rôle à jouer dans la reconversion du territoire Etant représentatif de l’histoire du territoire, le nouveau lieu industriel devient aussi un espace contribuant au projet de territoire par l’installation d’un pr ojet culturel. Il est espace-ressources pour le territoire dont la mémoire s’exprime et se transmet dans ce lieu. En outre, le projet culturel offre au lieu industriel un dynamisme nouveau, représentatif des actions à engager pour le redéveloppement du ter ritoire. Cette synthèse en fait du lieu industriel devenu lieu de culture un lieu essentiel pour le territoire. 1. Un espace où le territoire se fonde… Les vestiges physiques de cette aventure industrielle sont les représentants de cette histoire. Faire de ces lieux patrimoniaux des lieux culturels leur donne une signification culturelle et mémorielle. Il s’agit de donner au territoire les moyens d’intégrer une mémoire et une histoire récente sur lesquelles il peut s’appuyer pour se développer. Une histoire commune Présente dans la mémoire collective, le lieu industriel fut construit pour répondre au développement vertigineux d’une activité industrielle. L’essor qu’a connu cette industrie a donné lieu à une extension territoriale qui justifie l’existence du territoire “ Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais ”. Ce dernier est ainsi lié à une histoire industrielle singulière, évoquée par les nombreux sites d’exploitation minière. La fermeture progressive des fosses a mis pourtant fin à la raison d’être. Par c onséquent, le lieu industriel a perdu toute utilité économique et productive dans un contexte nouveau. Des lieux industriels sans avenir se dispersent sur un territoire qui a perdu toute légitimité. Pourtant, cette adéquation entre réalité du territoire e t réalité économique ne permet pas de nier la signification du territoire. En effet, le lieu industriel devient la réalité physique et visible de cette histoire commune. Le lieu industriel devenu lieu de culture est une marque persistante sur le territoire d’une histoire passée, face aux volontés destructrices du passé. L’idée de “ faire table rase du passé ” n’est plus d’actualité. Le territoire peut ainsi se matérialiser dans un ou plusieurs lieux industriels, qui deviennent ainsi le témoignage de son exi stence. En outre, le lieu industriel, comme représentant historique d’un territoire, est ce qui lie la population, actrice de cette histoire au territoire, espace où s’est développé cette histoire. 55 La mise en patrimoine Dans la mesure où lieu industriel et territoire sont unis dans une même histoire, la “ patrimonialisation ” devient essentielle. Le lieu industriel est le lieu symbole, le lieu repère et le lieu donnant sens au territoire. Son rôle mémoriel et historique lui confère des valeurs patrimoniale s qui le placent au cœur du territoire. En effet, le lieu industriel devient patrimoine dans la mesure où il existe une réelle prise de conscience de ses valeurs. Nous ne rappellerons pas ici la définition du patrimoine, présentée en première partie. Mai s l’importance historique de celui-ci en fait un lieu patrimonial et non plus une simple friche. Le territoire étant lié fortement au souvenir de cette histoire, il est nécessaire de sauvegarder les lieux où elle s’exprime. Nous pouvons ainsi dire que le lieu industriel devenu lieu de culture permet de transmettre ce fondement identitaire. Il devient un “ indice de la singularité culturelle ” 73 du territoire. Par conséquent, le lieu industriel est préservé par utilité : il permet la reconnaissance du territoire anciennement industriel. Ce dernier est considéré comme ayant une existence propre. Il y a donc un intérêt fondamental à le conserver. Conserver ce lieu, c’est aussi conserver une culture qui s’est développée au fur et à mesure de l’histoire du territoire. Population et territoire sont liés par ce lieu. Celui -ci est un repère familier pour la population : elle connaît ce lieu, elle y a peut-être travaillé. Le lieu industriel est l’expression d’une mémoire collective. Comme l’exprime Louis Bergeron le lieu industriel peut “ constituer (…) un lien identitaire dans un cadre territorial et contribuer à entretenir une culture . 74” Le lieu industriel devient essentiel pour la communauté qui vit sur ce territoire. Ces trois éléments sont liés les uns aux autres par une histoire commune. Le lieu industriel est l’expression de cette histoire et de sa mémoire. La mise en patrimoine de ce lieu industriel permet à la population de marquer une distance vis -à-vis de cette histoire, de l’intégrer dans la mémoire collective et de s’y appuyer pour construire son projet d’avenir. Non plus désigné par son activité ancienne, le territoire se fonde désormais sur l’adhésion à une culture commune née de cette activité. Cette adhésion s’exprime à travers la préservation et la s auvegarde de lieu industriel. Une action de respect et de valorisation Le lieu industriel se révèle donc indispensable pour reconnaître un territoire et exprimer la mémoire de ce territoire. Penser sa reconversion nécessite de réfléchir dans quel cadre ce respect du lieu est envisagé. Les deux expériences que nous étudions montrent que la réutilisation culturelle du lieu industriel peut conjuguer nouveauté et attention au passé du site. En effet, il nous semble important que la nouvelle vocation du lieu industriel ne nuit pas à la “ lecture patrimoniale ” du site et donc à toute reconnaissance identitaire du lieu. Devenu lieu de culture, le lieu industriel doit faire l’objet d’un respect et d’une valorisation. Il perpétue ainsi la mémoire et contribue à t ransmettre les fondements culturels du territoire. Cette position doit se traduire par une volonté de la part des acteurs culturels qui investissent les espaces. Ils ne doivent pas nier ce passé : le contraire correspondrait finalement à nier ce qui const itue le territoire. La conscience du lieu doit être partie prenante du projet culturel. Cela peut donc être une attention particulière aux 73 Henri-Pierre JEUDY, La machinerie patrimoniale, Sens et Tonka Editions, 2001, p. 34 74 Louis BERGERON, Les Lieux de Mémoire, sous la direction de Pierre Nora, Gallimard, 1992, p. 158 56 transformations architecturales : il s’agit de “lui garder son intelligibilité technique et historique tout en lui co nférant les qualités nouvelles qu’exige sa réutilisation 75”. En outre, le projet culturel met en valeur la mémoire immatérielle du lieu industriel et donc du territoire. En effet, il se dégage de nombreux souvenirs et images. Valoriser, c’est faire parle r, c’est communiquer, c’est échanger. Le projet culturel peut devenir le moyen de cet échange. Il est alors le lieu où se rassemble la communauté pour vivre sa mémoire. Le projet culturel encourage les actions susceptibles de fédérer la communauté autour d ’un lieu, autour de références communes, soit autour d’un territoire commun. Le lieu industriel est un lieu de culture par l’esprit qui s’en dégage, mais également parce qu’il exprime une culture passée commune et fondatrice pour le territoire. Devenu lie u de culture, il représente l’élément indispensable au territoire en reconversion. La culture passée est nécessaire à la formation d’un présent et d’un futur engageant pour l’avenir. La reconversion du lieu industriel en lieu de culture permet la construction symbolique du territoire, indispensable à la reconversion générale du territoire. 2. … par lequel il peut construire son avenir. La reconnaissance du lieu industriel comme fondement de la culture du territoire n’est pas le seul argument lui donnant un rôle particulier sur le territoire. En effet, la transformation du lieu industriel en lieu de culture permet aussi d’inscrire ce lieu dans une dynamique de développement territorial. Le lieu industriel ne reste pas figé dans son rôle de représentation du passé, de même que le territoire ne reste pas sur ses acquis passés. Le projet culturel permet au lieu d’être à nouveau dans une dynamique générale. Il impulse un ensemble d’actions qui reflètent les principes nécessaires à la mise en mouvement du territo ire. Innovation Le lieu de culture développe une action innovatrice. Nous prenons le sens du mot innovation comme “ l’introduction dans une chose établie de quelque chose de nouveau, d’encore inconnu 76”. En effet, l’installation même du projet culturel dans un lieu industriel répond à cette définition. A partir d’un cadre ancien, tout en s’en inspirant, se développe une action contemporaine. Cette innovation se traduit dans les actions que mettent en place ces projets culturels. Ils répondent à un principe du développement d’un territoire : ceci consiste à s’appuyer sur ce qui existe et sur ce qui fait acte de fondation pour impulser une autre manière de penser ce territoire et de le faire vivre. Ceci se traduit tout d’abord par la mise en place d’actions a utour du lieu et de son histoire. Le lieu devient un support physique et immatériel qui impulse des activités culturelles (expositions, spectacles, conférences...) Le passé est source d’innovation pour inscrire le projet, le lieu et le territoire dans le p résent. C’est à la fois une innovation d’actions associée à une innovation de discours : les artistes utilisent ce passé pour contribuer au nouveau regard sur le site, sur le territoire mais aussi sur la population elle -même. La danse dans la mine ou la vie des mineurs réinterprétées et mis en scène sont autant d’actions innovantes pour le lieu, pour le territoire mais également pour la vie culturelle. Nous parlons d’innovation artistique mais l’innovation patrimoniale, historique et scientifique fait partie des objectifs de ces projets culturels. Le passé est abordé de manière différente pour développer la créativité. Ainsi, les recherches sur l’histoire passée, sur les liens de cette histoire avec le 75 Louis BERGERON, Les Lieux de Mémoire, sous la direction de Pierre Nora, Gallimard, 1992, p. 139 76 Petit ROBERT, 1992 57 reste du territoire sont autant de thèmes qui mettent en jeu l’esprit d’initiative et l’imagination des acteurs culturels. Le lieu industriel suscite donc innovation et imagination. Ceci demeure indispensable pour la réussite du projet de territoire : le lieu industriel ainsi transformé se révèle un exemple de ce qui est réalisable à une échelle plus grande. Création La seconde action dynamisante que proposent ces lieux de culture est l’importance donnée à la création, action d’ “ organiser une chose qui n’existait pas auparavant 77 ”. Nous pouvons dire que le lieu de culture qu’est désormais le lieu industriel se transforme en un vivier créatif. C’est un développement de la nouveauté et de l’inconnu qui caractérise ces lieux culturels. Cette nouveauté s’exprime par la décision des acteurs culturels de développe r ce qui fait défaut au territoire. Ceci s’exprime à travers les actions particulières, où culture artistique et culture scientifique sont mis au service de l’enrichissement personnel de chaque membre de la communauté. Ainsi, le diagnostic préalable que fa it chaque projet culturel désireux de s’installer sur un lieu industriel, et donc sur un territoire, permet de cerner ce qui manque. Ceci s’exprime donc par la diffusion de disciplines artistiques inexistantes sur le territoire ou bien l’organisation de rencontres autour d’une science. Le lieu de culture devient cadre d’un développement nouveau du territoire. La culture n’est plus uniquement qualifiée par son rapport au passé. Elle doit aussi permettre une dynamique nouvelle par des actions modernes, avec des thématiques et des moyens d’action nouveaux. De plus, la spécificité des moyens d’actions est intéressante dans ces lieux culturels. Le fonctionnement est parfois inédit, tenant compte de la spécificité du lieu et du projet. Le lieu de culture met en place des partenariats originaux avec les collectivités territoriales comme avec les habitants. Ils apportent un nouveau regard sur les modes d’appréhension du territoire. Les politiques culturelles décidées hiérarchiquement ne fonctionnent plus dans ce cadre. Le lieu de culture se définit par lui-même, intègre la population dans ses actions, programme des événements dans un lieu particulier. Cette richesse de création et d’innovation est un atout pour le territoire. Le lieu de culture qu’est devenu le lieu industriel paraît proposer un ensemble de méthodes ou de modes de réalisation nouveaux qui synthétisent les volontés et les initiatives générales dont s’est doté le territoire en reconversion. Dynamisme et mise en mouvement Innovation et création mettent le lieu de culture dans un processus dynamique dont les répercussions sur le territoire sont importantes. Le lieu industriel devenu lieu de culture ne s’immobilise pas ainsi dans ses missions de conservation. Au contraire, le lieu de culture mobilise les acteurs pour faire de ce lieu un lieu vivant. Il est en évolution permanente au même titre que le territoire. Il s’adapte à l’évolution du lieu, des hommes, des aspirations et des ambitions du territoire. “ Un lieu de culture peut ne pas être défini, il es t en perpétuelle évolution, il colle à l’actualité 78”. Le musée comme le lieu d’action artistique sont tous deux des lieux de culture qui évoluent. Le projet s’adapte à l’évolution du territoire. Ceci vaut même pour une structure comme le musée dont les o bjectifs sont en perpé77 Petit ROBERT, 1992 78 Fazette Bordage, cofondatrice de Mains d’œuvres, Saint -Ouen, interview, Rencontres Internationales de Marseille, L’Humanité, 18 février 2002 (article en ligne) 58 tuelle évolution. Le musée s’ouvre. Il se trouve au cœur du développement d’un territoire, il en représente le fondement. Comme le souligne Annette Viel, l’enjeu du musée “ ne repose plus aujourd’hui uniquement sur ses fonctions de conservation et de mise en valeur mais aussi sur une inscription significative et durable au sein de la vie culturelle et sociale des cités 79”. Le lieu industriel oblige à cette “ remise dans la vie ” de la Cité : il incarne l’identité du territoire, il centralise en quelques sortes la mémoire collective. Or, comme nous l’avons déjà expliqué, ce travail de mémoire n’a de sens que si elle est remise dans un contexte actuel. Or, ce contexte évolue, donc l’approche du lieu industriel évolue, donc le projet cultu rel qui y est établi évolue également. Cette nouvelle orientation donnée au lieu industriel devenu lieu de culture favorise la revitalisation de ce territoire pour le présent comme pour le futur. D’autre part, le lieu industriel devenu lieu de culture per met de mettre en mouvement le lieu mais aussi l’ensemble du territoire. En effet, autour de ces projets se cristallisent un ensemble d’acteurs et de projets annexes. Appelant à la participation de la population, appelant à un travail de l’ensemble des coll ectivités publiques, appelant à une mobilisation autour des actions et des projets futurs, le lieu de culture qu’est le lieu industriel devient un carrefour vivant du territoire. La mise en place d’un lieu de culture dans un lieu industriel implique ce li eu dans les actions de requalification de l’héritage industriel et des problèmes qui lui sont liés. Le lieu industriel devenu lieu de culture est un acteur dans le changement d’image lié à un territoire marqué par une telle aventure industrielle. Le lieu i ndustriel tel qu’il est envisagé par les acteurs culturels permet à la collectivité d’évoluer et de se transformer dans une volonté commune d’implication et de réalisation d’objectifs porteurs pour le territoire. Ce qui était qualifié de handicapant pour la reconversion du territoire devient un moyen d’impulser un projet d’avenir dynamique et ambitieux. Ainsi la reconversion du lieu industriel en lieu de culture nous semble être l’expression des enjeux liés à la reconversion du territoire. Conservant et travaillant le passé, le projet culturel y trouve une inspiration et une impulsion nécessaire à la réinscription du site dans un cercle vivant des usages. Le lieu industriel devenu lieu de culture a donc un rôle majeur à jouer pour contribuer à la transform ation d’un territoire en reconversion en un territoire reconverti. 79 Annette Viel, La Valeur Avalée 59 CONCLUSION Notre étude nous a donc permis d’analyser la reconversion culturelle de deux anciens lieux d’exploitation minière, sur un même territoire, l’ancien Bassin Minier du Nord -Pas-de-Calais. Nous pouvons maintenant recentrer nos observations afin d’établir une conclusion générale à notre étude. Il convient tout d’abord de mettre en évidence deux points importants, issus de nos réflexions. En premier lieu, nous tenons à remarquer que les expériences que nous avons choisies montrent que la reconversion culturelle d’un lieu industriel a réussi. Culture Commune est un lieu reconnu dans le monde du spectacle vivant et est devenu un espace d’accueil de résidences d’artistes recherché. Le Centre Historique Minier est le premier musée de la mine en France et son rôle dans la valorisation du territoire en fait un lieu culturel essentiel. Ces exemples contredisent les opposants à la conservation des lieux industriels, qui lui préfèrent la dest ruction. Le lieu industriel peut se révéler utile et peut retrouver un nouvel usage permettant à de nouvelles activités de se développer et de s’inscrire dans la vie du territoire. D’autre part, il faut noter que ces deux expériences sont sur un même terri toire et sur un même type d’espace industriel. Nous avons fait ce choix volontairement. Nous pouvons donc affirmer que deux structures culturelles différentes peuvent s’installer sur un lieu industriel de même nature. Culture Commune et le Centre Historiqu e Minier n’ont pas les mêmes missions, néanmoins chacune d’entre elles concrétise avec succès ses objectifs. Ces différents types de projets culturels permettent d’enrichir le territoire grâce à une offre variée. De ce fait, le lieu industriel n’est pas la propriété des conservateurs et des défenseurs du patrimoine. Espace social, par son ancienne activité, le lieu industriel doit redevenir un espace social, de rencontres et d’échanges. Le projet culturel, qu’il soit artistique ou muséographique, propose ce tte alternative. Ces premières remarques sont liées aux constats que nous avons pu faire sur le terrain et elles renforcent les premières impressions que nous avions. En outre, l’analyse des deux structures, du lieu industriel associés à l’analyse du territoire nous permettent d’élaborer des conclusions plus générales à notre propos. Ainsi nous pouvons défendre l’idée que le lieu industriel est un espace de mémoire : représentant l’aventure économique et industrielle d’un territoire, il en garde la mémoire et l’histoire. Cette valeur patrimoniale nous oblige au respect du lieu. Toutefois, ceci ne doit pas empêcher toute reconversion du site. Nous pouvons regretter une conservation souvent sans réflexion et qui répond seulement à l’obligation de conserver : de nombreux lieux industriels sont ainsi préservés mais n’ont pas de projet d’avenir. Nous avons pu remarquer que la préservation de la fosse 11/19 et de la fosse Delloye était issue d’une démarche réfléchie : la reconversion permettait la conservation. En conséquence, le lieu industriel étant considéré comme lieu de mémoire, il convient d’en respecter les traces matérielles et immatérielles. D’autre part, une attention portée à la mémoire du lieu permet de faire du nouveau lieu culturel un espace essentiel dans la reconversion du territoire. Au-delà des missions spécifiques propres à chaque projet culturel, le lieu industriel devenu lieu de culture est au cœur du territoire et de son re -développement. Il préserve la mémoire, la met en valeur et propose un autre regard sur ce qui fonde l’identité collective. Parallèlement, le projet culturel développe des actions nouvelles et mobilise la population à travers des projets de développement culturel de 60 territoire. Le lieu industriel devenu lieu culturel permet a insi de tisser des liens entre passé et futur, tout en le rendant acteur “ contemporain ” sur son territoire. Ces observations nous permettent d’arriver à un point précis : la problématique de la reconversion culturelle des lieux industriels se fait de plus en plus présente, par le nombre d’équipes culturelles qui s’établissent dans ces lieux mais également par l’attention croissante que portent les élus à ces espaces en friche. Par l’installation d’un projet culturel, le lieu industriel ne se fige pas da ns une vision passéiste du territoire. Tout en se révélant espace d’expression de la mémoire collective, le lieu industriel devenu lieu de culture permet d’enrichir la vie culturelle du territoire. Sa transformation symbolise les enjeux d’une reconversion d’un territoire en crise, entre nécessité de racines et de repères et construction d’un projet d’avenir. Le lieu industriel devenu lieu de culture peut ainsi en être l’exemple et le moteur. Ces expériences culturelles redonnent au territoire et à ses habit ants une place première, au cœur des préoccupations, remédiant ainsi aux inconvénients d’une culture centralisée. Il nous faut néanmoins terminer ce bilan par une remarque importante, notre cadre d’étude demeure singulier. L’expérience de Culture Commune est originale : le choix d’un travail avec la mémoire du lieu est unique dans le cadre d’une scène nationale et dans le cadre d’un lieu de création artistique. Le Centre Historique Minier est lui même un projet singulier dans la mesure où c’est l’entrepri se elle-même qui a mis en place ce projet, en vue d’assurer sa postérité. A la fin de l’exploitation minière, le musée est devenu le symbole d’une gloire passée et un référent pour l’ensemble de la population. Le respect de la mémoire, le respect de l’arc hitecture, le rôle majeur que jouent ces deux expériences sur le territoire se justifient par l’importance même de cette mémoire et de l’histoire minière sur ce territoire. Ce dernier s’est constitué en partie sur cette activité, celle -ci a engendré histoire, urbanisme, économie, politique, culture… Le poids de la mémoire est important. Par conséquent, le travail de mémoire est évident. Un projet culturel qui s’installe sur une ancienne mine de charbon du Nord -Pas-de-Calais ne peut nier cette mémoire. Cette dernière réflexion impose donc une distanciation par rapport à ce cas particulier que nous avons traité et il serait intéressant alors d’élaborer une comparaison sur le traitement des lieux industriels dans différentes régions industrielles du pays : cela permettrait d’établir une analyse plus fine du poids de l’histoire et de la mémoire dans la reconversion culturelle des lieux industriels. 61 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages Institutions et vie culturelle, les notices , La Documentation Française, 1996 L’enjeu friche industrielle, SEPROREP, Service technique de l’urbanisme, 1994 Les Grandes Friches Industrielles, DATAR, La Documentation Française, 1986 La problématique des friches industrielles, CEDRE&FEDER&RECITE, collection Territoires d’Europe, 1994 ALLOUACHE (L.) et TAULELLE (F.), La réhabilitation des friches industrielles, Paris, DATAR, la Documentation Française, 1991, 45 p Jean-Pierre BABELON, André CHASTEL, La notion de patrimoine, Editions Liana&Levi, 1994 (Première parution dans la Revue de l’Art, n°49, 1980) Louis BERGERON, Gracia DOREL-FERRE, Le patrimoine industriel : un nouveau territoire, Paris, Liris, 1996 Jean-Pierre BOUTINET, Anthropologie du projet, PUF, collection “ psychologie d’aujourd’hui, 2001, 6° édition (1990, 1°édition) Françoise CHOAY, L’Allégorie du Patrimoine, Paris, Seuil, 1999, 2° édition (1992, 1°édition) Marie-Jeanne CHOFFEL-MAILFERT, Joseph ROMANO, Vers une transition culturelle : sciences et techniques en diffusion. 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