Comment les revenus du capital sont

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Comment les revenus du capital sont-ils déterminés ?
NB : un événement historique, d'actualité, ou une référence à la littérature, au cinéma, à la philosophie... font en général une
amorce plus attrayante qu'une théorie sociologique ou économique.
Le capital est l'ensemble des moyens de production. Son périmètre a varié au cours de l'histoire des sciences économiques et
sociales. L'économie politique classique à la suite d'A. Smith y incorporait le capital fixe, le capital circulant, et le fonds des
salaires. De nos jours, la science économique et la comptabilité nationale le réduisent au capital fixe. Le capital circulant
correspond à l'agrégat distinct des consommations intermédiaires. Par ailleurs la terre, facteur de production à part entière pour
l'économie politique classique, est aujourd'hui considérée comme une composante du capital. Sociologues et économistes ont par
ailleurs envisagé l'existence du capital social, du capital culturel ou du capital humain.
Une constante demeure cependant : le capital procure des revenus, c'est-à-dire des ressources monétaires périodiques et
relativement régulières, en contrepartie de l'effort d'investissement consenti, ou encore des « avances » pour reprendre un terme
remontant aux physiocrates.
Mais quelle est la nature de cette contrepartie ? L'étude des variations et des facteurs explicatifs des revenus du capital peut
être menée en ces termes : émanent-ils de la contribution du capital au processus de production, ou sont-il extraits par un rapport
social de production, voire d'exploitation? Les revenus du capital sont-ils le fruit d'un partage ou d'une rétribution ? Font-ils
apparaître le capital comme un rapport ou un facteur de production ?
I) Le capital est un facteur de production, les revenus du capital rémunèrent sa contribution à la
production de richesses
I-A) Ce que rémunèrent les profits.
Au XVIIIème siècle, la montée de la bourgeoisie puis la première révolution industrielle éveillent l'attention des sciences
sociales naissantes pour les revenus du capital et leur détermination. Les physiocrates décrivent la circulation des richesses entre
les classes productive, stérile et distributive, qui renverse les représentations usuelles de la société d'ordres d'Ancien Régime. Les
« avances » enclenchent la production, et une circulation de revenus et de dépenses qui permettent la reconstitution des avances en
fin de cycle. Dans le Tableau économique (1758) de F. Quesnay, les revenus du capital sont donc supposés constants et permettant
la reconduction de l'investissement.
Turgot problématise la détermination des revenus des avances par la loi des rendements décroissants (Observations sur le
mémoire de M. de St-Péravy, 1767). Cette loi implique que les revenus du capital sont déterminés, de façon non proportionnelle,
par le volume de capital engagé. Le raisonnement à la marge permettrait ainsi de connaître le revenu dégagé par la dernière unité
de capital investi, qui correspond au taux d'intérêt. Le revenu du capital couvre donc le taux d'intérêt, à savoir le coût d'opportunité
lié à la renonciation de la jouissance de la somme capitalisée.
C'est parce qu'ils obéissent à des déterminants spécifiques que les capitalistes et les profits ont été constitués par l'économie
politique classique comme une classe et des revenus à part. Dans le livre I de sa Recherche sur la naure et les causes de la
richesse des nations (1776, doc.5), A. Smith conduit une analyse microéconomique pour dégager cette singularité du capital. A
une époque où les manufactures, encore de petite taille, étaient le plus souvent dirigées par des propriétaires au contact quotidien
des ouvriers, les lecteurs de Smith pouvaient percevoir les profits comme les salaires des entrepreneurs. L'illustration chiffrée de la
proportionnalité du profit au capital avancé déconstruit cette prénotion. Le capital est ainsi constitué par A. Smith comme un
facteur de production à part entière, au même titre que le travail. C'est parce qu'elle incorpore le revenu du capital que la valeurtravail des marchandises correspond au travail commandé et non au travail incorporé comme le rappelle A. Smith au deuxième
paragraphe du doc.5.
A. Smith distingue « l'entrepreneur » et « le commis » pour marquer l'opposition entre revenus du capital et revenus du travail.
On peut cependant observer avec J. B. Say (Traité d'économie politique, 1803) que l'entrepreneur joue un rôle dans la production
qui ne se réduit pas à la fourniture du capital. La rémunération de l'entrepreneur s'inscrit chez J.-B. Say dans le cadre général d'une
théorie de la valeur-utilité. En quoi l'entrepreneur est-il utile ? D'une part, l'entrepreneur assume les risques de l'activité
productive. La très forte variance de l'évolution du revenu des travailleurs indépendants entre 2006 et 2011 en euros constants
(doc.7), qui s'échelonne entre -13% et +16% selon le secteur d'activité, avec environ un tiers de secteurs d'activité où ce revenu est
orienté à la baisse, suggère que les dirigeants et propriétaires d'entreprises ont ainsi souvent supporté les aléas de la crise des
subprimes. D'autre part, l'entrepreneur effectue selon J. B. Say une tâche bien différente du « travail d'inspection et de direction »
évoqué par A. Smith à propos du commis (doc.5) : il combine les facteurs de production de la façon la plus efficace possible. Les
revenus du capital rémunèrent alors les « services productifs » rendus à la fois par les équipements qui le constituent et les
individus qui le possèdent.
I-B) La division du travail nourrit les profits.
Les déterminants des revenus du capital s'éclairent également par une approche dynamique fondée sur le processus de division
du travail. L'économie politique classique met en exergue un cercle vertueux entre revenus du capital et division du travail. Les
revenus du capital nourrissent son accumulation en finançant l'investissement. Ils financent le développement de manufactures
telle la manufacture d'épingles décrite par A. Smith, où la division du travail permet des gains de productivité, en cultivant
l'habileté de l'ouvrier, en économisant le temps humain concentré désormais sur une seule tâche, et en favorisant la mécanisation.
Les richesses s'accroissent et les revenus du capital également. La division sociale du travail et la division internationale du travail
ont des effets analogues. Elles permettent des gains de productivité et l'extension des marchés propices aux profits, selon la
logique des avantages comparatifs (D. Ricardo, Principes de l'économie politique et de l'impôt, 1819).
Aussi les revenus du capital sont sensibles aux fluctuations des marchés et de la demande. Cette sensibilité fait débat au sein de
l'économie politique classique. Pour J. B. Say, l'économie des marchés suit la loi des débouchés, l'ajustement des prix et la
reconversion du capital dans des activités à forte demande devraient stabiliser les revenus du capital. Mais l'insuffisance de la
demande peut aussi déprimer l'activité et les revenus du capital, qu'elle provienne d'une consommation insuffisante des capitalistes
et des rentiers (T. Malthus, Principes d’économie politique, 1820) ou de la faiblesse des revenus des ouvriers (C. Sismondi,
Nouveaux principes d’économie politique, 1819)
Les variations contemporaines du taux de marge des sociétés non financières françaises accréditent ces analyses classiques
(doc.4). D'une part, l'année 2008 où se déclenche la crise des supbrimes est marquée par une baisse d'un point du taux de marge,
ce qui est considérable par comparaison aux périodes précédentes, où sur une durée de quatre à seize ans, ces variations se
mesuraient en centièmes de point ! On peut supposer que la baisse de la consommation et de la demande a lourdement pesé sur les
profits. D'autre part, les gains de productivité du travail ont positivement et significativement contribué aux profits depuis 1991.
Enfin, les effets positifs attendus par la division internationale du travail sont à tempérer par les aléas inhérents aux variations des
termes de l'échange.
I-C) La solidarite organique entretient les profits.
Les revenus du capital sont déterminés à l'intérieur du système d'échange par les agents économiques, comme le figurent les
flux de revenus à l'intérieur du Tableau économique et le théorise A. Smith par la division sociale du travail. Cependant pour A.
Smith la division technique et la division sociale du travail sont équivalentes et ont une fonction essentiellement économique.
Or, les revenus du capital remplissent également une fonction sociale examinée par la sociologie. Cette discipline naît au
XIXème siècle pour répondre à la question sociale suscitée par l'urbanisation, l'industrialisation, la démocratisation. L'expansion
des revenus du capital liée à l'extrême précarité de la condition ouvrière est un aspect essentiel de cette question sociale. Aussi
lorsqu'E. Durkheim pose l'acte fondateur de la sociologie avec la Division du travail social (1893), il aborde forcément les revenus
du capital (Doc.2). Les profits sont mis en perspective avec la solidarité organique, qui apparaît dans ce texte par la métaphore
filée des organes du corps humain. Comment E. Durkheim peut-il considérer que la détermination des profits relève de la
solidarité sociale ? Dans les sociétés à solidarité mécanique, les positions des individus sont indifférenciées, la solidarité est
fondée sur la similarité et les valeurs communes, il y a alors peu d'échanges économiques. Les sociétés à solidarité mécanique sont
des sociétés précapitalistes. En revanche, dans les sociétés à solidarité organique, la complémentarité, la différenciation font la
solidarité, et les profits émanent des échanges qui font la solidarité organique. Les profits sont donc en eux-mêmes un produit et
un marqueur de la solidarité sociale, et ce sont leurs variations anormales qui peuvent révéler des dysfonctionnements, et
engendrer l'anomie. Dans ce texte, E. Durkheim évoque les grèves ou les crises, dont il montrera plus tard qu'elles provoquent
aussi une augmentation du suicide anomique.
La sociologie met par ailleurs en lumière les cadres sociaux de la détermination des profits. Pour réguler cette détermination et
pacifier les relations entre le capital et le travail, E. Durkheim prône la constitution de corporations professionnelles, havres de
solidarité mécanique dans les sociétés à solidarité organique. Dans les années qui suivent, le solidarisme autour de Léon
Bourgeois (Solidarité, 1896) instaure des dispositifs de régulation influencés par l'analyse durkheimienne : loi sur les accidents du
travail (1898), retraites ouvrières et paysannes (1910), prémisses de la protection sociale qui s'institutionnalise après la deuxième
guerre mondiale. Ces dispositifs régulent la détermination des profits.
II) Le capital est un rapport social, les revenus du capital résultent du partage conflictuel des richesses
II-A) L'exploitation capitaliste extrait une plus-value du travail ouvrier.
Les déterminants des profits pour A. Smith (doc.5) sont ce dont les profits sont la contrepartie, ce qui justifie qu'ils soient
rémunérés, mais aussi le mécanisme qui en fixe le niveau : il s'agit d'un « partage » (deuxième paragraphe), et le profit, comme le
salaire et la rente, sont des « parties » de la valeur des marchandises. Selon A. Smith, ce partage se fait dans un rapport social
défavorable aux travailleurs, dans la mesure où les maîtres forment une coalition moins visible que les coalitions ouvrières, mais
bien plus puissante, qui comprime les salaires au niveau de subsistance.
Lorsqu'avec D. Ricardo l'économie politique classique adopte une théorie de la valeur-travail incorporé, les fondements
économiques des profits sont fragilisés. En effet, cette théorie assimile la fraction de la valeur des marchandises qui rémunère le
capital à la rémunération d'un travail indirect, multiplié par le taux de profit. Le capital ne fait que restituer à la marchandise la
valeur du travail qui l'a produit.
K. Marx en déduit que le profit ne saurait rémunérer une contribution fictive du capital à la production, mais qu'il est extorqué
par un rapport social d'exploitation. C'est à l'intérieur du « laboratoire secret de la production » que se trouvent les déterminants
des profits. La source du profit est le surtravail, différence entre la valeur d'usage du travail et sa valeur d'échange, entre la valeur
produite par la force de travail et la valeur nécessaire à sa reproduction (Salaire, prix et profit, 1865). Les déterminants
économiques du niveau des profits tiennent aux mécanismes d'extorcation de la plus-value (Le capital, 1867) : pour accroître la
plus-value les capitalistes peuvent allonger la durée du travail -on parle alors de plus-value absolue- ou réduire le temps de travail
nécessaire : on parle alors de plus-value relative. Les gains de productivité sont réinterprétés comme un enjeu de l'exploitation
capitaliste. La perennité des profits a des déterminants sociaux : elle est soutenue par l'aliénation des travailleurs et le fétichisme
de la marchandise.
Conçue à un stade révolu de l'histoire économique et sociale, cette approche marxienne a-t-elle encore une portée explicative ?
La décomposition statistique de l'évolution du taux de marge (doc. 4) fait apparaître le coût réel du travail comme le facteur dont
la contribution est la plus forte en valeur absolue. On peut y voir l'emprise de l'antagonisme entre salariés et capitalistes. Par
ailleurs, la nomenclature des PCS reprend de l'approche marxienne la dichotomie entre salariés et non-salariés. Ainsi, le niveau de
vie moyen des agriculteurs exploitants, artisans, commerçants, chefs d'entreprise, c'est-à-dire des indépendants, catégorie dont le
périmètre correspond à peu près aux capitalistes de l'approche marxienne, est environ 50% plus élevé que le niveau de vie moyen
des ouvriers (Doc.6). Ces inégalités peuvent être vues comme le reflet de formes contemporaines d'exploitation.
II-B) La loi coercitive de la concurrence concentre les profits.
La théorie marxienne porte également sur la distribution des profits au sein de la bourgeoisie. Cette classe est mue par un
précepte profondément incorporé : « accumulez, accumulez, c'est la loi et les prophètes ! ». Les profits sont destinés à
l'accumulation du capital, qui mettent en jeu la loi coercitive de la concurrence. Les capitalistes sont poussés à accumuler le
capital pour survivre à la pression concurrentielle. Chaque entreprise est menacée de faillite ou d'absorption par une plus grande et
chaque capitaliste de basculement dans le prolétariat.
En considérant que les non-salariés d'aujourd'hui correspondant aux capitalistes, la concentration des revenus d'activité et du
patrimoine en France en 2011 (doc.3) se prête à une interprétation marxienne. La courbe de Lorenz des revenus d'activité des nonsalariés est plus éloignée de la droite d'équirépartition que la courbe de Lorenz des revenus d'activité des salariés du privé. Le fait
que l'échantillon exclut les salariés du secteur public favorise cette comparaison. On compare ici des salariés et leurs employeurs
potentiels ou réels. Ainsi, le cinquième le mieux rémunéré des salariés du privé perçoit un peu moins de la moitié de la masse
salariale globale du groupe, alors que le cinquième le mieux rémunéré des non-salariés perçoit près de 60 % de la masse des
revenus d'activité cumulée du groupe. Cette concentration des revenus d'activité des non-salariés est corroborée par l'écart
important ( (27 890 – 19 780) / 19 780 = 41 %) entre le montant médian et le montant moyen du niveau de vie des indépendants
(doc.6), cet écart s'élevant à seulement 19 % pour l'ensemble des personnes de 15 ans ou plus. Le groupe des indépendants se
caractérise par de fortes inégalités internes vers le haut de la hiérarchie des revenus. Cette forte inégalité de revenus est liée à une
forte inégalité des patrimoines. Si on considère le bas de la distribution des patrimoines, le groupe des indépendants est caractérisé
par une moindre concentration que les autres ménages (doc.3). Il y a là sans doute un effet de structure : les indépendants doivent
souvent détenir un patrimoine professionnel pour engager leur activité. En revanche si on considère le haut de la distribution des
patrimoines, en se cantonnant au cinquième le mieux doté, la concentration des patrimoines est plus forte parmi les indépendants.
Cette concentration du capital résulte de la concentration des revenus d'activité et l'entretient.
Les rapports sociaux de production de domination et de rivalité ne s'exerceraient donc pas seulement entre la bourgeoisie et le
prolétariat, mais aussi au sein de la bourgeoisie.
II-C) La baisse tendancielle du taux de profit.
La théorie marxienne esquisse enfin les déterminants de l'évolution des profits dans le long terme. La baisse tendancielle du
taux de profit serait une tendance inéluctable du mode de production capitaliste qui en entraînerait à terme l'effondrement.
K. Marx exprime le taux de profit (r) en fonction de la plus-value (p), et du capital
p
décomposé en capital constant (c) et en capital variable (v).
p
e
Le taux de profit peut aussi s'exprimer en fonction du taux de plus-value (e) et de la
r
 v 
c  v c  1 c  1 composition organique du capital (c/v).
La logique d'accumulation du capital accroît la composition organique du capital, ce qui
v
v
diminue le taux de profit.
Pour résister à cette tendance, les capitalistes intensifient l'extorcation de la plus-value, ce qui détériore les conditions de vie des
prolétaires et favorise l'émergence de la conscience de classe. La baisse tendancielle du taux de profit sape le mode de production
capitaliste et devrait aboutir à son renversement.
On serait tenté de lire la diminution du taux de marge depuis 1991 (doc.4) comme validant cette loi marxienne. Il faut
cependant être prudent. D'une part, le taux de marge rapporte le profit aux richesses produites, alors que le taux de profit rapport le
profit au capital. D'autre part, le recul d'une vingtaine d'années n'est pas forcément suffisant pour conclure à une loi tendancielle.
D'ailleurs, les données du doc.1, qui porte sur un échantillon d'économies avancées et sur une période plus longue, relativisent ce
constat. La part du revenu net du capital dans le P.I.B. varie selon les décennies et les pays, sans qu'on puisse dégager d'évolution
tendancielle générale.
III) Le capital s'est diversifié, la détermination des revenus des différentes formes de capital est
hétérogène.
III-A) Les revenus du capital ne sont plus distribués aux seuls capitalistes.
Les frontières de classes dans les sociétés contemporaines ne se déduisent pas mécaniquement de la place dans les rapports
sociaux de production. D'une part, la nomenclature des PCS ne permet pas de circonscrire un groupe qui correspondrait aux
capitalistes de l'analyse marxienne. Les indépendants sont certes la catégorie qui tirent la part la plus élevée de son revenu de son
patrimoine (doc.6), mais il ne s'agit qu'à peine plus d'un quart. La plupart des indépendants sont en effet des entrepreneurs sans
salarié, le revenu tiré de leur entreprise rémunère donc indissociablement leur propre travail et leur capital. Par ailleurs, les
professions libérales bien que non-salariées sont regroupées avec les cadres en raison de la proximité de leur mode de vie. Le
patrimoine procure aussi des revenus aux salariés, notamment aux cadres. Les ménages d'aujourd'hui détiennent pour la plupart
des placements financiers, pour beaucoup un patrimoine immobilier qu'ils peuvent louer.
Le cas des salariés de la finance est emblématique de ce brouillage des frontières de classe (doc.8). Le sociologue Olivier
Godechot observe qu'on peut les considérer comme « l'avant-garde du prolétariat » : ce sont des salariés qui parviennent à
négocier un niveau de rémunération élevé, et qui auraient donc renversé le rapport d'exploitation capitaliste. Une qualification
pointue permettrait aux salariés d'échapper à la condition prolétaire. Le cas des salariés de la finance est singulier, mais illustre
une tendance plus massive : le nvieau de vie médian des indépendants est non seulement inférieur à celui des cadres, mais aussi à
celui des professions intermédiaires, et à peine plus élevé que celui des employés et des ouvriers (doc.6). Cependant les salariés de
la finance peuvent être également vus comme un nouveau type de capitaliste qui ferait fructifier son capital humain, et dont les
intérêts seraient plus proches des banques qui les emploient que des autres salariés.
Cette recomposition de la structure sociale n'atténue pas forcément les inégalités de répartition des revenus du capital. La
distribution plus large des revenus des capital creuse les inégalités parmi les salariés. Ainsi, il y a un rapport de 1 à 7 entre le
montant moyen des revenus du patrimoine pour les ménages selon que la personne de référence appartient au groupe cadres et
professions intellectuelles supérieures ou au groupe des ouvriers (montant moyen respectif de 0,108 x 63 320 = 6 839 € et 0,039 x
30 870 = 926 €). Par ailleurs, les cadres cumulent capital économique, social, culturel, tandis que l'homogamie et la reproduction
sociale entretiennent les inégalités.
III-B) Les différents types de revenus du capital sont déterminés de façon hétérogène.
L'économie politique et la sociologie classique envisageaient le capital sous la forme alors dominante de la « manufacture »
(doc.5) ou de la « grande industrie » (doc.2) dirigées et détenues par « l'entrepreneur ». Ce modèle correspond au capital
professionnel détenu par les travailleurs indépendants. Le niveau en 2011 et la variation entre 2006 et 2011 du revenu mensuel
moyen selon le secteur d'activité étaye la forte hétérogénéité de ce groupe. Certaines activités sont caractérisées par des revenus
relativement faibles (inférieurs à 2500 €) et en recul. Il s'agit souvent d'activités liées à l'industrie. A l'opposé, les activités
exigeant un niveau de diplôme élevé procurent un revenu mensuel moyen élevé et en progression. Ce document suggère que le
diplôme produit un clivage interne à la catégorie des indépendants.
Par ailleurs, le capital professionnel constitue une forme de plus en plus résiduelle en termes de poids dans les économies
avancées. La concentration des entreprises et la montée du salariat font que les revenus du capital professionnel dans les années
2000 représentent moins du quart du total des revenus du capital dans l'ensemble des économies avancées figurant sur le doc.1, et
jusqu'à un trentième seulement au Canada. Le capital financier et le capital immobilier dominent désormais. Or le revenu du
capital immobilier s'apparente à la rente foncière analysée par l'économie politique classique, et présente des déterminants
propres. D. Ricardo annonçait en effet une convergence vers un état stationnaire : l'enrichissement des nations pousserait au
défrichement de terres moins fertiles, poussant à la hausse le coût de production, le prix du blé et le salaire de subsistance,
comprimant les profits jusqu'à un seuil où ils suffiraient tout juste à la reproduction simple, et gonflant la rente foncière tirée des
terres plus fertiles. Un mécanisme similaire pourrait rendre compte de l'augmentation du poids du capital immobilier au RoyaumeUni et en France : les terres et logements les plus prisés procurent des revenus d'autant plus élevés que les terrains disponibles se
raréfient.
III-C) Les lois de détermination des revenus du capital ne sont pas universelles.
L'économie politique et la sociologie classiques ambitionnaient de dégager des lois naturelles du fonctionnement des
économies et des sociétés en général et de la détermination des revenus du capital en particulier.
La diversité des situations nationales quant au poids du revenu net du capital et de ses différentes formes tend à montrer que ces
lois sont des constructions sociales. Ce poids varie dans les années 2000 entre 24% aux Etats-Unis et 33% en Italie. Le poids
relatif du capital professionnel affiche des écarts de 1 à 8 entre le Canada ou le Japon et l'Italie. Or, le poids de la rémunération du
capital dans le partage des richesses dépend d'une part de la valeur du capital, et d'autre part de son rendement. La valeur du
capital professionnel est ainsi plus forte dans un pays comportant davantage de petites entreprises comme l'Italie. Le rendement du
capital peut être affecté par des réglementations. Au Japon, la crise financière et bancaire au début des années 1990 se ressent sur
le poids du capital financier.
Un de ses déterminants sociaux apparaît à travers les données du doc.6 : l'intervention publique. En France comme dans
d'autres pays, la redistribution des revenus atténue les inégalités. Parmi les actifs, les catégories qui touchent davantage de revenus
de patrimoine (indépendants et cadres) sont bien plus lourdement prélevées que les catégories qui en touchent peu. L'économiste
Thomas Piketty prône ainsi dans Le capital au XXIème siècle (2013) une taxation progressive et mondiale des revenus du capital
pour endiguer leur tendance au creusement des inégalités.
Les deux approches classiques de la détermination des revenus du capital, envisagé soit comme facteur de production soit
comme rapport social paraissent donc toutes deux aujourd'hui pertinentes, mais pas suffisantes. Si ces deux approches sont à
mobiliser pour rendre compte de la détermination des revenus du capital, c'est parce que qu'elles sont donc plus ou moins adaptées
aux formes spécifiques du capital qui s'est diversifié : bénéfice du magasin du petit commerçant, dividende de l'actionnaire, loyers
de l'immeuble du propriétaire foncier. Le paradigme marxien de l'exploitation est donc à reconsidérer. On peut penser que la
dissémination des revenus du capital et le brouillage des frontières de classes le rendent obsolète. On peut aussi interpréter ces
transformations comme une reconfiguration de l'aliénation : la distribution de revenus parcellaires du capital à un grand nombre de
bénéficiaires légitimerait alors les revenus du capital en invisibilisant sa concentration.
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