Sociologie de la vie quotidienne et des activités ordinaires Principes et techniques de recherche, tendances d’évolution Salvador JUAN La sociologie de la vie quotidienne consiste à analyser la consommation et la sociabilité, tant pour expliquer les pratiques mettant les personnes face au système d’offre de marchandises ou de services publics (consommation de biens, usages d’équipements) que pour comprendre les conduites d’interaction entre personnes (sociabilité amicale, familiale, associative, de voisinage, de trafic, etc.). La manière de la consommation et la sociabilité des personnes s’articulent, ce qui les explique dans ce qu’elles sont à une époque donnée ou dans leur évolution, est finalement l’objet central d’une socioanthropologie du quotidien. Pour le socio-anthropologue, toute action personnelle plus ou moins régulière entre donc dans le champ de la vie quotidienne pour autant qu’elle se rattache à un symbole ou à un élément de détermination morphostructurel. Dès lors qu’un symbole (valeur, croyance, opinion, etc.) oriente directement l’action, ou que cette dernière se trouve dynamisée par un projet, un objectif, une visée ou un désir (ce qui la rattache indirectement au symbolique), elle entre dans notre champ. Ainsi, les valeurs d’épargne ou, au contraire, d’hédonisme, le projet d’acquérir son logement ou de faire un grand voyage, modifient le rapport à la consommation. Mais la variation des modes de vie dépend aussi de la position sociale (en particulier la profession, le revenu et le niveau de culture) et du milieu de vie, tout comme elle dépend des autres statuts (âge, sexe, statuts familiaux ou résidentiels, etc.). Si la sociologie des genres de vie [LIEN avec LIVRE Sociologie des genres de vie ; morphologie culturelle et dynamique des positions sociales] vise à construire des typologies culturelles en montrant, par un regard statique, les positions sociales, spatiales et statutaires liées aux activités ordinaires, la sociologie des formes de vie peut rendre l’approche plus dynamique et vise à chercher les facteurs de changement de la vie ordinaire [LIEN avec LIVRE Les formes élémentaires de la vie quotidienne]. On peut, plus particulièrement, s’intéresser aux usages de l’espace, aux déplacements liés à la réalisations des activités ordinaires et montrer comment le type de quartier habité, l’offre urbaine, interfèrent sur la vie quotidienne [LIEN avec LIVRE Les sentiers du quotidien ; rigidité, fluidité des espaces sociaux et trajets routiniers en ville]. Des travaux récents ont mis en évidence l’existence d’un « mal-vivre » au cœur des sociétés de « bien-être ». La dégradation relative des conditions de la vie quotidienne au milieu et du fait de l’abondance, souvent appelée « mal-vivre » de manière un peu floue, est appréciée à travers quatre tendances lourdes, inhérentes au développement des systèmes à forte croissance économique : les tensions spatio-temporelles, le déficit relationnel, l’éclatement du symbolique et l’incorporation, en pathologies, des dégradations de l’environnement [LIEN avec LIVRE La société inhumaine. Mal-vivre dans le bien-être]. Le comment (sur)vivent concrètement les êtres humains aujourd’hui en France avec leurs ressources, au milieu des aménités et des nuisances, la manière dont le temps de la vie se passe ou se rompt a fait l’objet d’un regard « décalé » sur la diversité de vie quotidienne [LIEN avec LIVRE Conditions et genres de vie. Chroniques d’une autre France]. Ce livre collectif est structuré en quatre tableaux : les conditions de la vie liées au travail (cadre de vie et positions sociales, précarité des jeunes sur le marché du travail, habiter La Hague, le risque sanitaire des agriculteurs, les paysans intermédiaires, les enseignants et leur famille, la vie des cadres d’entreprise, celle des guérisseurs) ; les seuils et les changements existentiels (entrée dans la vie d’adulte, le premier rapport sexuel, le quotidien d’un opéré d’un cancer du larynx, la vie des séropositifs, les suicidants sur tout le territoire, le suicide dans le sud de la Manche) ; les occupations du temps pour soi dans la vie ordinaire (le travail du temps libre, les commerces écologiques ou de jardinerie, l’usage des machines à sous, l’ennui et les replis existentiels, l’insécurité routière) et, enfin, les identités incertaines ou en souffrance (l’identité troublée des transplantés, les enfants « placés », la sexualité des handicapés, les grossesses d’adolescentes, les immigrés en regroupement familial, la parentalité par insémination artificielle). Du point de vue de la méthode et des techniques d’investigation sociologique, la compréhension des orientations d’action et l’explication des activités ordinaires laissent toute liberté au chercheur pour mettre en place des protocoles d’observation plutôt anthropologique (observation directe par immersion, monographies, analyse documentaire, etc.) ou des protocoles d’expérimentation plus classiquement sociologiques (entretiens, questionnaires, recherche-action, etc.) [LIEN avec LIVRE Méthodes de recherche en sciences sociohumaines. Exploration critique des techniques]. Quelques références pour approfondir le sujet : Livres de Salvador JUAN sur la sociologie de la vie quotidienne 1991, Sociologie des genres de vie ; morphologie culturelle et dynamique des positions sociales, P.U.F. (coll. Le Sociologue), 283 p.. 1995, Les formes élémentaires de la vie quotidienne, P.U.F. (coll. Le Sociologue), 286 p.. 1997, Les sentiers du quotidien ; rigidité, fluidité des espaces sociaux et trajets routiniers en ville, avec la particip. de H. Orain, A. Poirier et J.F. Poltorak, (coll. Villes et Entreprises), L’Harmattan, 200 p. 1999, Méthodes de recherche en sciences sociohumaines. Exploration critique des techniques, P.U.F. (coll. Le Sociologue), 296 p.. 2001, La société inhumaine. Mal-vivre dans le bien-être, L’Harmattan (coll. Sociologies et environnement), 256 p.. 2002, Conditions et genres de vie. Chroniques d’une autre France, L’Harmattan, coll. Sociologies et environnement, (co-direction avec D. Le Gall), vingt huit auteurs ont collaboré à l’ouvrage. Salvador JUAN Professeur de sociologie à l’université de Caen Directeur, à Caen, du DEA de Sociologie Innovations et risques Directeur de la collection Sociologies et Environnement chez L’Harmattan <[email protected]>