Introduction L ’alimentation fait l’objet aujourd’hui d’un nombre croissant de questionnements et de publications, du champ universitaire au champ médical en passant par les médias. Les pratiques alimentaires touchent en effet à des domaines aussi variés que la culture (gastronomie et patrimoine culinaire), la santé (sécurité sanitaire, prévention nutritionnelle) et l’économie (budgets, marchés alimentaires, production), et autorisent autant de commentaires et réappropriations. Cette diversité ne saurait pourtant masquer un fait central : la persistance des différences sociales en matière de consommation alimentaire. Du côté des catégories aisées de la population, l’alimentation apparaît plus que jamais comme un élément de distinction qui permet de faire preuve de son bon goût, de ses talents, le tout assorti d’un intense souci pour le corps. Du côté des catégories populaires, le tableau évoque plutôt la consommation de masse et ses excès, qui se marquent dans la progression de l’obésité. Voilà qui contredit la thèse de l’uniformisation des modes de vie, parfois un peu vite avancée. C’est pourquoi on n’évoquera pas dans cet ouvrage un « mangeur » abstrait, sans propriétés sociales, pas plus qu’une « modernité alimentaire », selon un scénario du changement social qui se traduirait par la disparition des inégalités sociales et le nivellement des modes de vie [Aymard, Grignon et Sabban, 1993]*. Nous mettrons plutôt l’accent sur la * Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage. 4 SOCIOLOGIE DE L’ALIMENTATION diversité des rapports à la consommation dont nous chercherons à illustrer la complexité. Comment définir une sociologie de l’alimentation ? Quels sont ses questionnements, ses méthodes et ses objets de recherche ? Quels sont les principaux travaux et résultats en la matière ? Le premier chapitre montre comment l’alimentation engage bien plus que le contenu des assiettes ; par des méthodes et des objets singuliers, la sociologie de l’alimentation permet de lire l’espace social. Les chapitres II et III s’attachent à deux des principaux axes de recherche de la sociologie de l’alimentation. Tout d’abord, l’étude des pratiques domestiques : tâches situées en amont des repas et cadre dans lequel ceux-ci se déroulent. Puis le lien entre alimentation et structure sociale, à travers la diffusion des goûts et la distribution sociale des consommations alimentaires. Le dernier chapitre est centré sur les évolutions récentes du domaine alimentaire : y a-t-il vraiment « macdonaldisation » des mœurs ? Quelle est l’importance des préoccupations de santé parmi les déterminants des pratiques alimentaires ? Les goûts s’uniformisent-ils ?